Psychanalyse et droits de l'Homme

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Psychanalyse et Droits de l'Homme

Alain Didier-Weill

I - Un faisceau de contradictions

La psychanalyse est exposée par la question des Droits de l’Homme à un faisceau de contradictions. La première de ces contradictions est structurelle : elle est liée à ce que le sujet, dès qu’il s’ouvre à la parole, est sollicité par deux injonctions antinomiques qui le déchirent car quelque chose le porte à répondre « oui » à l’une – qui l’appelle à devenir là où la liberté est possible – et en même temps « oui » à l’autre voix qui dit : « tu n’es pas libre »

La première de ces injonctions traduite par Freud « wo es war soll ich werden » - là où s’était tu dois devenir ! – impute au sujet une capacité de devenir par laquelle lui est supposé un rapport non impossible à la liberté. Ce commandement éthique comporte un paradoxe : s’il suppose la liberté c’est par rapport à un devoir de devenir, « soll », qui implique le rapport à une loi ayant une portée universelle. Pour Freud, il ne fait aucun doute que ce commandement symbolique est universel, qu’il s’adresse à tout homme ayant à devenir homme et, qu’à cet égard, tout homme recevant de façon égale ce commandement symbolique peut-être dit égal de celui qui reçoit en partage le même commandement de la parole.

Nous pouvons dire à cet égard, avec Lacan, que l’homme est « fils de la parole « et qu’un des sens du mot « fraternité » est le lien tissé entre des êtres qui sont « fils » et « filles » du langage.

Nous voici ainsi conduits à reconnaître que l’éthique freudienne du « deviens ! » se donne comme récapitulant des signifiants qui viennent du fond de nos plus anciennes traditions : la tradition biblique inventa le signifiant « liberté », la tradition grecque le signifiant « égalité », et la tradition chrétienne le signifiant « fraternité ».

Cependant si le signifiant « deviens ! » nous met en rapport avec nos trois héritages culturels, il nous met aussi en rapport avec le politique car c’est à partir du moment où ces trois mots « liberté, égalité, fraternité » furent associés que pu s’écrire ce qui, depuis août 1789 se nomme « la déclaration des Droits de l’Homme ».

La contradiction à laquelle la psychanalyse est exposée par l’existence du commandement « là où s’était deviens » tient à la découverte de l’existence d’un tout autre commandement - celui que Freud à nommé le surmoi - qui tend à contredire radicalement l’appel au devenir pour autant que sa vocation est, tout au contraire, du signifier au sujet : « ne deviens pas ! tu n’es pas libre de le faire, tu n’es ni l’égal, ne le frère de ceux qui deviennent vivants car en m’obéissant, tu consens à demeurer gardé à vue, fixé sous mon regard qui te signifie que si tu te prêtes ainsi à être regardé c’est que tu es l’enfant silencieux de mon regard et non pas le fils de la parole ».

Il est ainsi frappant de constater qu’il existe dans la psyché une voix qui puisse dire, indépendamment de tout contexte politique, ce qu’est conduit à dire tout tyran abolissant les Droits de l’Homme : « ici il n’y a pas de liberté, d’égalité, de fraternité ». Cette voix du surmoi en enseignant au psychanalyste que l’ennemi des Droits de l’Homme n’est pas uniquement l’apanage de partis politiques fascistes, pose deux questions redoutables.

La première est celle-ci : comment se fait-il qu’un sujet puisse être si attaché à cet ennemi intérieur, à ce persécuteur intime qui le condamne sans donner ses raisons car chose étonnante, le sujet accepte, sans faire appel, le procès qui lui est fait. Certes il peut feindre de se moquer de ce procès, mais il ne peut pas feindre qu’il finit par se soumettre même s’il ne sait pas pourquoi. Kafka est le génial témoin de ce paradoxe.

Il arrive que la psychanalyse permette au sujet de ne plus être candidat à la paranoïa car il peut cesser de consentir au décret de sa culpabilité. Mais le psychanalysant n’est pas pour autant au bout de ses peines : comment comprendre, en effet, l’angoisse qui peut se saisir de lui à l’instant même où il pourrait dire « oui » à son désir quand la censure qui lui disait « non » se trouve être abolie ?

Si angoisse il peut y avoir, c’est que l’expérience de liberté qui s’ouvre quand il n’y a plus de culpabilité est l’occasion d’une crainte radicale Devant quoi ? Devant la possibilité dans laquelle est dès lors le sujet de procréer une existence nouvelle : que le jaillissement de l’existence comme telle soit toujours nouvelle, est le mystère de ce qu’il y a de plus réel dans l’humain.

L’énigme devant laquelle nous laisse cette expérience est celle-ci : le sujet humain peut être plus effrayé par l’appel à dire « oui » au droit d’exister que par l’injonction mortifère à dire « non » à ce droit.

L’autre faisceau contradictoire auquel la question des Droits de l’Homme expose la psychanalyse est d’ordre historique et politique : s’il est incontestable que la psychanalyse soit, comme Freud et Lacan l’ont toujours soutenue, affiliée au grand courant des Lumières qui a engendré les Droits de l’Homme, il n’est pas moins incontestable qu’elle est conduite à agréer à un certain nombre d’arguments des adversaires des Lumières. Alors que par son affiliation aux Lumières la psychanalyse est portée à dire : « oui, l’homme peut concourir par son activité créatrice, à sa marche dans le monde et, à la marche du monde », elle est en même temps conduite à acquiescer à cet argument des anti-lumières : « l’homme est procréé par la tradition qui le précède, il ne dispose pas de la faculté de se créer ».

En énonçant que « là où s’était j’ai à devenir », Freud proposait une articulation entre l’enjeu des Lumières (j’ai à devenir) et l’enjeu de la tradition (là où s’était). Mais il n’examinait pas la conséquence politique qui pouvait se dégager de l’interprétation du « là où s’était » : c’est en effet à partir de la supposition d’une telle subjectivité primordiale, universelle, que pu jaillir l’hypothèse d’un homme universel : « l’Homme », dépositaire d’un droit naturel.

C’est en effet ce signifiant nouveau, supposant l’existence de « l’homme », qui donna lieu à une contestation virulente des Droits de l’Homme. Cette contestation est d’autant plus intéressante que provenant aussi bien d’adversaires de la Révolution française (Burke, de Maistre) que de ses partisans (Marx, Sartre…), elle met en évidence la question d’une vision de « l’homme » outrepassant le strict enjeu politique.

En disant qu’il n’avait jamais rencontré « l’homme » mais seulement « des » anglais, « des » belges ou « des » espagnols, de Maistre posait que « l’homme universel », supposé par la Déclaration, était une abstraction qui n’existait pas dans la réalité.

De son côté Marx, en prétendant que le concept « l’homme » était une supercherie inventée par la classe bourgeoise pour faire oublier aux sans-culottes que les Droits de l’Homme n’étaient que l’affirmation déguisée des nouveaux droits de la bourgeoisie, était, d’une certaine façon, d’accord avec de Maistre et Burke, sur un point fondamental : « l’homme » indéterminé n’existe pas : n’existaient que « des » hommes déterminés par leur tradition ou par leur classe sociale

Que l’existence d’une telle détermination soit ou positive (chez les anti Lumières) ou aliénante (Marx) avait cependant en commun de nier la question d’un réel humain indéterminé, et universel. La psychanalyse ne peut méconnaître ce réel ne serait-ce que parce que la première scission qui déchira la communauté analytique opposa à Freud la conception par laquelle Jung fut conduit à opposer à l’idée d’un universel humain, la conception d’inconscients locaux : inconscient slave, inconscient aryen, inconscient sémite…

II – Transmission et cessation de transmission des lumières

L’héritage des lumières pose une nouvelle contradiction dans la mesure où il s’agit de l’héritage d’une lettre progressivement dépouillée de son esprit. Il s’avère en effet que certains signifiants fondamentaux – liberté, égalité, universalité – produits, dans le sillage du discours des lumières, sont désormais reçus comme des mots usuels, banalisés, qui ont perdu le pouvoir subversif qu’ils eurent. Que des mots puissent perdre leur pouvoir d’étonnement, est l’effet d’une activité psychique que Freud nomma le refoulement.

Il fut à cet égard le premier à poser cette question : dans la mesure où cette activité d’oubli est inconsciente, est-il possible de redonner vie, de redonner sens, à des signifiants qui sont tombés dans l’oubli de la tombe ?

Oui, démontra-t-il, il était possible que des mots tels que « sexe, vie, mort qui étaient devenus des coquilles vides, retrouvent leur signifiance perdue pour revivre – ne serait-ce que temporairement – une nouvelle vie. Pourquoi temporairement ? Parce que l’intelligence de la censure inconsciente est telle, qu’elle parvient, un jour ou l’autre à réinventer comment faire pour refaire valoir son pouvoir inquisiteur et remettre, de ce fait, l’homme, perpétuel hérétique, en demeure d’inventer comment, une fois encore, il s’agit d’affirmer son existence.

C’est parce qu’un psychanalyste est amené, par sa pratique, à apprendre que la conquête par un sujet du droit à exister, ne saurait advenir que comme une question sidérante, qu’il veut interroger la perte de questionnement devenue contemporaine.

Ce droit unique, récapitulant tous les droits de la Déclaration Universelle, est le droit de tout sujet porté par la dimension universelle du langage à devenir un parlant : porté et porteur de parole.

La question posée par un « existant – de droit » mérite le détour d’un retour à la situation historique de 1789 où, en cessant de ne pas s’écrire, l’écriture des Droits de l’Homme apprit, aussi bien aux démunis qu’aux privilégiés, qu’ils avaient droit à ce privilège stupéfiant : appartenir à l’universelle famille humaine. L’universalité que j’évoque ici n’est pas celle d’une idée mais celle d’une expérience accessible à chacun.

Elle peut, pour prendre un exemple, être transmise par la situation de sidération se produisant à l’instant où étincelle un mot d’esprit : le pouvoir détenu par un mot d’abolir tous les signifiés, toute la langue, ne donne-t-il pas – fut-ce pendant un temps infinitésimal-l’intuition d’une expérience de l’universel ?

Il ne s’agit pas de dire qu’une telle expérience est collectivement universelle mais de dire, qu’universellement, chacun, un par un, est appelé en tant que sujet hérétique, tragiquement divisé entre la loi écrite du nomos et la loi non écrite de la phusis, à répondre. Cette réponse est, d’une certaine façon la réponse « sinthomatique » qu’il apportera au logos qui, en s’inscrivant en lui, fait exister un réel auquel cette question est posée : « dans ce lieu qui est ton réel singulier, ce qu’il y a d’universel en moi à trouvé le moyen de s’écrire. De ce message que feras- tu ? Y seras-tu sourd en te préservant de la charge qui t’incombe à l’instant même où tu en es devenu le destinataire ? Ou bien n’y seras-tu pas sourd et pourras-tu alors me répondre : « à bon entendeur salut ! ».