LA PSYCHANALYSE, LE POLITIQUE ET LE PARADOXE DES LUMIÈRES

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LA PSYCHANALYSE, LE POLITIQUE ET LE PARADOXE DES LUMIÈRES

Communication faite à l'Agora le 25 mars 2004

En situant la psychanalyse dans le chemin tracé par les lumières et comme poursuite perséverante de ce chemin, Freud et Lacan ont-ils percu qu'elle était, de ce fait, héritière de l'étrange paradoxe qui les déchire ? Cet héritage contradictoire mérite d'être explicité car il éclaire singulièrement les contradictions qui sont actuellement mises à jour dans les différentes positions que sont amenées à soutenir les groupe analytiques français confrontés au législateur depuis l'existence de l'amendement Accoyer.

L'origine de ce paradoxe tient dans le fait que les Constituants et les Conventionnels qui entérinèrent la Révolution en marche par l'écriture de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 puis par la proclamation de la république en 1792, se situaient unanimement –des Feuillants aux Girondins et aux Montagnards- comme des disciples d'un homme, Jean-Jacques Rousseau, qui était précisement celui qui avec son « Discours sur les sciences et les arts » inaugura la critique la plus radicale qui soit de l'esprit des lumière : pourquoi appartint-il à celui qui prenait à contre pied ses amis –Diderot, d'Alembert, Voltaire- en soutenant que le progrès de la raison des sciences et des arts tendait plus à corrompre l'homme qu'à le libérer, d'être le guide spirituel des révolutionniares ? Parce qu'avec lui apparaissait cette idée, plus subversive encore que celle du progrès humain : si l'homme souffre, s'il est corrompu, ce n'est pas la dimension du péché originaire qui est en cause c'est celle, terrestre, de la société en tant que fondamentalement corruptrice.

Par cette substitution d'une causalité laïque à une causalité métaphysique, Rousseau proposait de substituer à la notion d'un salut venant du ciel celle d'un bonheur laïque. Il ouvrait la possibilité de cette idée radicalement neuve qui fit tellement frémir Saint-Just : le bonheur n'est pas inaccessible, l'homme y a droit.

A cet égard un sujet capable d'aller un jour voir un psychanalyste car il sent qu'il a le « droit » de n'être pas malheureux n'est-il pas d'une certaine façon en dette avec Rousseau ?

Prendre en charge le paradoxe des lumières nous conduit a répérer de quelle façon il retentit au sein de la transmission de la psychanalyse. D'un côté, la psychanalyse, en tant qu'elle mène un combat contre la censure sociale, demeure d'une certaine façon, sous la banière de nos encyclopédistes. Nous pouvons même dire que ce combat, voulu par un Freud dans sa référence à l'Aufklärung, est apparement victorieux du fait de la progressive levée en masse du refoulement social. Si, de cette victoire, s'avérant par le bouleversement des mœurs, par une libération sexuelle tous azimuts, j'ai dit qu'elle était « apparente » c'est pour la raison suivante : s'il y a une libération des mœurs, dont nous devons nous féliciter, que devons-nous penser du fait que parrallelement à cette libération des pulsions nous constations, dans notre expérience de la cure, que ces sujets nouvellement libérés quant à leur jouissance, s'avèrent si souvent en panne envers ce qu'il en est de leur rapport à la parole ? Tout ne se passe-t-il pas comme si les brèches faites dans la censure sociale ouvraient l'accès à une nouvelle jouissance de masse mais au prix de fermer l'accès à la parole singulière ?

La souffrance contemporaine –dite dépression- apparaît ainsi comme l'expression d'une jouissance muette qui ne disposant plus du mot, renvoie le sujet à une solitude liée à l'abdication de sa subjectivité de « parlêtre ».

Dès lors s'il y a, aujourd'hui, conjointement à la victoire des lumières psychanalytiques (qui permettent la diffusion d'un savoir médiatique sur les causes du refoulement sexuel), un retour massif du refoulement portant sur la parole subjectivante c'est que, d'une certaine façon, le paradoxe des lumières demeure ; la protestation de Rousseau continue à faire entendre qu'en surface la déesse Raison attente à la censure mais, que plus profondement elle est à son service et accentue le malheur de l'homme. Rousseau dirait peut-être à l'homme dépressif de notre modernité : « toi qui jouis sans entrave pourquoi es-tu si malheureux ? ».

Le rapport que nous, psychanalyste, avons, que nous le sachions ou pas avec ce paradoxe tient aussi à la question du temps logique nécessaire à ce que les lumières du XVIIIème et les lumières psychanalytiques parviennent à trouver leur destinataire universel. De la même façon qu'il fallut une quarantaine d'années pour que l'audience restreinte des encyclopedistes devint universelle avec la révolution française, il fallut aussi une quarantaine d'années pour que le savoir psychanalytique sorte des cénacles d'initiés pour se faire entendre du grand nombre.

A cet égard ce n'est pas « la » psychanalyse freudienne qui pose, comme telle, une question à l'administration politique c'est le fait que la réussite de sa propagation sociale la met dorénavant en rapport avec le grand nombre. Un des effets du dialogue qui s'est récemment institué entre les psychanalystes et le pouvoir publique a été, entre autre, de mettre en évidence que les psychanalyste étaient eux aussi éminement concernés par le fait d'être exposés dorénavant à un face à face avec la question du grand nombre : grand nombre d'analystes dans les groupes, grands nombre de citoyens éclairés par le savoir analytique.

Ce qui ressort de cette exposition nouvelle est interessant pour nous tous car il apparaît que les différentes positions des analystes renvoient peut-être, en fin de compte, à la façon dont chacune est conduite à gérer son face à face avec l'existence de cette nouvelle collectivité médiatique.

Quel sens les associations donnent-elles dès lors aux mots « politque » et, plus particulierement, à cet énoncé de Lacan : « l'inconscient c'est la politique » ?

Cette formule ambiguë prête au moins à 4 interprétations antinomiques régissant, me semble-t-il, 4 positions institutionnelles.

1°/ Si le politique comme tel renvoie à l'idéal et au discours du maître s'agira-t-il d'assumer le signifiant maître ou de le désidéaliser pour autant que la psychanalyse va contre les identifications du sujet ? Cette problématique contradictoire est celle de certaines associations –appellées « grosses associations »- qui à l'initiative de Jacques Sedat, ont été amenées à se réunir dans le cadre d'un groupes dit « de contact ».

Ces associations ont été amenées à vivre une contradiction : d'un côté elles organisent des enseignements de qualité dans lesquelle est professée la désidéalisation du maître et de l'autre, cédant à la crainte suscitée par la menace administrative, elles se sont contentées de la plus traditionnelle des « real-politiks » : s'associer en oubliant leurs divergences ethiques sans autre ambition que de faire nombre.

Il va de soi que dans une logique administrative le partenaire qualifié est celui qui représente quantitativement « le plus » mais si tel est le cas pourquoi devoir rassurer le désir de l'administrateur ? Même si celui-ci ne le sait pas, tous les psychanalystes savent bien que les réunions restreintes qui se tenaient le mercredi chez Freud ont beaucoup plus apporté à la psychanalyse que ne l'a fait la multitude IPA.

2°/ Une deuxième position, celle de l'ECF renvoie à une conception du discours maître qui n'a plus rien de traditionnel : elle s'appuie, entre autre, sur un parrallèle historique entre le président Mao et le président Lacan. Dans cette perspective le rapport au grand nombre n'est plus la notion de collectivité mais à celle de « masse » (le nouvel Ane n° 2) J-A Miller : « Le président Mao avait défini la « ligne de masse » qui consistait précisement à discuter avec les paysans pauvres et à extraire de leur expérience un savoir… Moi qui avait été maoïste… j'y reconnaissait le principe de Lacan : « L'émetteur reçoit du recepteur son message sous forme inversé » ».

Je passe sur cet aveu de reconnaissance entre le « principe Lacan » et le « principe Mao », ne retenant pour l'instant que ce en quoi consiste l'attrait de cette conception : elle s'oppose de façon apparement subversive à la conception traditionnelle de l'autorité puisqu'il ne s'agit plus de transmettre le savoir du haut vers le bas mais, au contraire, de partir du bas pour partager le savoir élaboré à la base.

A cet égard le petit « Livre rouge » du président Mao rencontre de façon étonnante l'intuition moderne du management industriel initié par Toyota : faire parler d'en bas les ouvriers, les cadres, pour qu'ils déterminent le meilleur savoir faire .

La question implicitement posée est celle de la transmission d'un désir singulier pouvant se transmuter en désir de masse. A cet égard voilà la question posée par la revue « Cités » n°16 p. 122 : « s'il est possible de mener un destin individuel sans ceder sur son désir, selon la maxime celèbre de Lacan, on ne voit pas trop ce que signifierait cette règle éthique étendue à une collectivité ? »

A cette interrogation J-A. Miller répond : « Je ne suis pas d'accord là-dessus. On peut tout à fait parler d'une collectivité en terme de désir. Vous voyez un Luther mettre au point un désir inédit se communiquer de proche en proche… Lénine n'a pas fait autre chose, il a transmis à une élite un désir très décidé… »

Mao, Lénine, Lacan transmettant un désir très décidé à une élite : no comment.

3°/ La troisième position, celle des états généraux de la psychanalyse animés par R. Major, s'oppose aussi bien à la notion de collectivité traditionnelle qu'à la notion de collectivité de « masse » : les états généraux représentent en effet un type de communauté dans laquelle est privilégié le un par un, la part non institutionnalisable de l'analyste.

4°/ La quatrième position renvoie aux associations –comprenant entre autres celle de l'IAE -qui décidant de se fonder sur un projet de recherche, sont conduites, dès leur origine, à devoir nécessairement limiter le nombre de leurs adhérents. S'agirait-il de la crainte d'avoir à gérer le grand nombre institutionnel ? Je pense qu'il s'agit d'autre chose : le rapport de ces associations au politique est autrement situé, il s'adresse d'avantage au caractère législatif qu'executif du pouvoir politique. Cet accent mis sur la loi symbolique et démocratique a entre autres conséquences :

- D'éspérer rencontrer dans le lieu associatif la possibilité de poursuivre le travail de symbolisation de l'analysant.

- Pour que ce lieu permette le devoir de continuer -« soll ich werden »- l'inconscient sera politique si politique signifie « le social » c'est-à-dire ce lien social où l'esprit peut se transmettre selon cette formation de l'inconscient qu'est le mot d'esprit.

Il y a une éthique du mot d'esprit : non pas celle de l'espoir mais celle de l'inespéré.

Alain Didier-Weill