Pornographie et passage à l'acte

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Pornographie et passage à l'acte

Cher Laurent Le Vaguerèse,

Vous m'avez demandé, après avoir lu le petit texte que j'avais publie, dans Lien Social, sur le passage à l'acte dans le Travail Social, de vous écrire quelque chose sur le thème pour votre site Œdipe, tant la question vous semblait importante et d'actualité dans le champ du politique. Voici donc ces quelques lignes pour interroger, avec vous et vos lecteurs, la question de l'acte —lorsqu'il tient compte du désir— et son statut dans la cité.

La question du passage à l'acte concerne de toute évidence le désir, même sous la forme du ratage : c'est la répétition d'un acte raté qui fait symptôme parce qu'il est incapable de faire passage à la Loi.

La société, par le biais des pouvoirs politiques serait-elle dupe à ce point ? Croit-elle un instant que le ratage de la prévention autorise l'outrecuidance de la répression ? Lorsque la politique se paye de mots, elle oublie le statut de la parole, la parole comme acte : la loi est, tout d'abord, un acte de parole.

Interdire la rue aux enfants pour les protéger et ne pas interdire la diffusion de la pornographie à la télévision pour ne pas censurer la liberté d'expression… Quelle curieuse démarche ! Ce n'est pas d'interdire qu'il s'agit mais de penser la vie ! Quel est l'acte de pornographie que l'on filme ? Un rituel de possession des femelles par des mâles sans que ces dernières parviennent à l'abandon. Je dis rituel parce que les actions se perpétuent et s'empilent de forme invariable : fellation, coït, sodomie, double pénétration, éjaculation sur le visage ou le corps de la partenaire, le plus souvent provoquée par le mâle qui se masturbe incapable, à son tour, de s'abandonner aux caresses de l'autre. Je dis que les partenaires-femme ne parviennent pas à l'abandon parce que, comme nous le montrent les dernières tendances du film pornographique, les mâles et les femelles se crachent sur leurs sexes respectifs afin de les lubrifier. Les femmes ne s'abandonnent donc pas au désir, c'est leur corps qu'elles laissent tomber pour le soumettre au désir supposé des hommes, lesquels les fouillent sans complaisance pour terminer en se donnant du plaisir solitaire et livrent leur sperme sur le corps de leurs partenaires comme une relique qu'il s'agit d'adorer : la jouissance morte ou le déchet de jouissance.

Lorsque Guillaume Durand affirmait le 17 octobre, dans son émission « Campus » que c'était la même chose qu'il faisait souvent le soir, je me suis demandé s'il savait ce dont il parlait et ce que son épouse allait en penser ! Eros ne succombe jamais à la « porneia » mais suggère toujours jusqu'au bord de l'interdit, une promesse de plaisir qui se dérobe et pousse à l'abandon, à l'excès, à l'extase. Mais laissons donc Durand à l'exercice de sa nuit !

Se laisser tomber, c'est bien ce qui constitue le passage à l'acte, que ce soit la défenestration mélancolique, ou la chute dans le monde que constitue —selon Lacan— la fugue. Sans doute la télévision a-t-elle réussi ce forcement du peuple —peuple qui se soulève, qui se cultive, qui se réunit pour fonder une nation— en une assemblée de téléspectateurs béats dont on trait les deniers en méprisant leur dignité. Mais le passage à l'acte est aussi la conséquence de cette perte de dignité qui concerne le Peuple, la Nation qui en est le symbole et l'Etat qui le représente en démocratie républicaine. C'est l'échec de l'éducation populaire, de l'intégration républicaine et de la promotion sociale.

Le passage à l'acte comme échec du passage à la Loi —un passage où le désir trouverait sa limite et sa possibilité d'exercice—, est le miroir inversé d'un état qui laisse tomber son corps, à l'instar de la pornographie, et dans le même détail sans poésie, qui conduit Elisabeth Roudinesco à parler de « pornographie puritaine » dans La famille en désordre (Fayard 2002).

Si la violence des jeunes gens est insupportable pour l'ordre social, le mépris de cet ordre envers les exclus du BMG (Bonheur Minimum Garanti), intervient d'abord et la violence honnie n'en est que la conséquence. Le passage à l'acte intervient quand la parole entraîne une souffrance telle, que sa prononciation en devient insupportable ; c'est le sillon de la parole que tout acte trace, une parole à venir, grippée parfois dans la maladresse de l'acte, une parole de désir qui ne trouve pas sa place. Pas d'espoir d'amour dans cet écran total de jouissance inouïe.

La pornographie n'est pas un « nouveau désordre amoureux », mais la capitalisation cynique des atours hoquetant de notre société dépressive (terme que j'emprunte encore à Elisabeth Roudinesco dans « Pourquoi la psychanalyse »). Le passage à l'acte n'est pas le résultat d'une dégradation de l'esprit républicain des habitants des banlieues, mais la marque d'un ratage dans la prévention éducative offerte à ces mêmes banlieues : les éducateurs n'ont pas été toujours les médiateurs d'une restauration de la dignité parentale, mais parfois les remplaçants qui superposaient les mœurs qui constituent leurs préjugés, à la culture défaillante des tenants d'une génération vaincue. La délinquance des fils est un porte-étendard qui voudrait racheter la honte de ces pères humiliés. La désolation des filles est la perpétuation de l'impossibilité de ces mères pour organiser leur transition culturelle vers le pays d'accueil. Les éducateurs, remplaçant la loi républicaine aux cultures ancestrales, n'accompagnent pas l'intégration, ils assimilent avec la brutalité du passage à l'acte.

Mais les travailleurs sociaux, les préjugés qu'ils véhiculent, leurs ratages comme la qualité incroyable de leur questionnement aussi, sont une promesse d'étonnement et d'ouverture, ils ne sont pas les hérauts d'un nouvel enfermement. Ils savent combien est difficile d'accompagner des blessés de l'amour, de la dignité et de l'espoir, vers une parole renouvelée dans le champ limité d'un exercice de la citoyenneté. Lorsqu'ils inventent les CER53, ils savent bien qu'il s'agira de promouvoir la parole dans un enclos où l'immédiateté de la violence puisse être contenue.

Le projet gouvernemental, obscène et puritain tout à la fois, de laisser tomber le corps de parole, le corps de désir, pour enfermer la chair désanimée dans un récipient obtus, n'est rien d'autre qu'un passage à l'acte fondé sur la Loi du Talion, une vengeance d'état qui refuse la loi de parole qui fonde sa légitimité, pour protéger les endormis de la « starac ». Enfermer, surveiller et punir, n'est pas le rôle de l'état, garant de la liberté de dire et d'agir, responsable de l'ouverture d'un peuple au droit de devenir citoyen, de construire une parole d'amour, mais de la construire aussi à travers ses ratages, parce qu'un ratage n'est rien d'autre que l'acte inaugural d'une parole en souffrance, d'une parole à venir.

Il ne s'agit pas d'interdire la pornographie, comme il ne s'agit pas non plus de se laver les mains, en cédant la responsabilité aux acheteurs, aux consommateurs de pornographie. Quid est veritas ? Demanda Pilate sans réaliser que c'était à la vérité, elle-même, qu'il adressait la question. La question de la pornographie concerne la responsabilité de celui qui souffre l'indignité de la diffuser au nom d'une demande commerciale qui générerait son offre sans concerner sa responsabilité.

Voilà l'essence même du passage à l'acte.

Ignacio Gárate Martínez 54

  • 53.

    Centres d'Education Renforcée; des petites unités qui accueillent entre 5 et 7 adolescents issus de correctionnelle, à qui l'on offre cette alternative à la prison. Ces mesures durent à peu près trois mois. Il y a un éducateur par adolescent, le suivi éducatif est continu et la discipline aussi, mais l'une sert l'autre.

  • 54.

    Est Docteur en Sciences de l'Education, Professeur Associé à l'Université Bordeaux I. Membre d'Espace Analytique, il exerce comme psychanalyste à Bordeaux.garate@wanadoo.fr