lettre aux sénateurs

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Messieurs les Sénateurs,

Alors qu'une volonté politique d'améliorer l'attention portée à l'hygiène mentale des citoyens voit le jour à travers l'amendement Accoyer, une part importante de la liberté de parole risque de disparaître dans la confusion des genres et des disciplines que cet amendement induit.

Que veut l'amendement ? Garantir les bonnes pratiques thérapeutiques par le contrôle de la formation des psychothérapeutes autour d'une notion, la Santé publique, dont le modèle millénaire est la formation des médecins.

Ainsi, l'amendement prévoit que les psychothérapeutes, pour avoir le droit d'exercer, soient titulaires de diplômes de type universitaire (médecine ou psychologie) qui garantissent leur niveau culturel, la rigueur de leur démarche intellectuelle, et la compétence suffisante dans le domaine de la souffrance psychique que l'on appelle « psychopathologie ».

Est-ce que cela est une erreur ?

Nul ne peut penser que l'exigence d'une formation sérieuse et rigoureuse pour écouter et traiter des personnes atteintes de pathologies psychiques soit une erreur. Rien ne peut être épargné comme précautions pour garantir la qualité de l'écoute psychothérapeutique. Encore moins s'il s'agit de la prendre en charge par les caisses d'assurance maladie.

Pourquoi alors toute cette contestation autour d'un amendement dont la bonne volonté paraît incontestable ?

Parce que l'irruption de la théorie freudienne de l'inconscient a mis en évidence le fossé qui existe —notamment à travers la lecture qu'en a fait le psychanalyste français Jacques Lacan— entre la science et la vérité.

Si la personne humaine peut profiter des progrès de la science, elle reste confrontée, du fait qu'elle parle, au progrès que la vérité peut faire à travers sa propre parole.

La science produit des effets objectifs, la recherche de la vérité conduit à des certitudes subjectives.

Prenons deux exemples :

1 - Avant 1952 (date de la première utilisation du Largactil), le traitement des schizophrénies graves, consistait pour une grande part à produire des abcès et des fièvres qui avaient pour conséquence de calmer l'agitation des malades (agitation nuisible pour les malades eux-mêmes, comme pour leur entourage). Bien évidemment l'agent thérapeutique était fondamentalement la douleur, parfois intolérable, que ces injections produisaient. Avant d'être mis en application ces traitements, qui nous semblent aujourd'hui barbares, étaient l'objet d'études expérimentales et des publications soumises à la critique de la communauté scientifique. Les effets de ces traitements étaient cependant mesurables et l'on pouvait rendre compte de leur évaluation scientifique pour les valider.

Pendant ce temps, et depuis soixante années déjà, des psychanalystes écoutaient des patients, parfois psychotiques, et leur travail dans la matière même de la parole, leur engagement subjectif dans le champ de la souffrance psychique, produisait d'autres effets, non contradictoires avec la médecine, mais difficilement comparables de par l'espèce différente de leur rapport au savoir et l'impossibilité de mesurer leurs effets de manière objective.

2 ? Les progrès de la médecine, notamment dans le champ de la maîtrise de la douleur, ont permis une alternative scientifique à l'acharnement thérapeutique par le biais des unités de soins palliatifs. La médecine a pu ainsi ajouter à la « furor sanandi » jadis dénoncée par Freud, l'accompagnement des malades incurables vers une mort dans la dignité : mourir dignement consiste à quitter la vie avec l'usage d'une parole ouverte au lien avec les autres êtres humains, une parole, disons-le, qui se prête aux enjeux de l'amour.

Chose curieuse, le travail de réflexion et l'évolution de l'écoute de ces unités de soins permet de constater que : « Certes, reconnaît le docteur Sylvie Charrazac, de l'équipe mobile, « 14 % des patients qui entrent en service de soins palliatifs sont en phase terminale et y meurent, mais 35 % de malades retournent chez eux après un séjour. » « Les soins anti-souffrance, confirme son confrère Bernard Paternostre, sont des soins de vie pas de mort. » (Journal Sud-Ouest, 14/11/2003) Ainsi, une parole de vérité, ou l'écoute attentive d'une expérience, peut conduire à bouleverser la conception même des services gérés par les garanties scientifiques jusqu'en changer, pour une part, leur finalité. C'est l'une des fonctions sociales de la psychanalyse que de questionner la science sur son propre rapport à la vérité.

La tentation du siècle dernier fut de remplacer la psychiatrie et les psychothérapies (chimiques ou par la parole) par la psychanalyse dont la mode faisait la panacée. Cela à tel point, que la tendance idiomatique de la langue française en fit « les psys » sans discerner, dans cet amalgame, les différences de savoirs, l'espèce des disciplines, et la spécificité des garanties. Quelqu'un dénonça cet abus sous le titre du « psychanalysme » (R. Castel).

Alors, Messieurs les Sénateurs, il ne faut pas confondre le progrès et les performances ; il convient de préserver la diversité des approches : Vous le savez bien, vous qui êtes, au Sénat, la garantie d'une écoute tierce entre les besoins des citoyens et les lois élaborées par les députés.

La psychanalyse n'est pas une psychothérapie (même si ses effets sont parfois comparables à ceux des psychothérapies) elle n'est pas et ne saurait être une spécialité de la médecine ou de la psychologie (même si de nombreux psychanalystes ont rencontré la psychanalyse après ou pendant leurs études de médecine ou de psychologie).

Il est indispensable de préserver cette différence pour sauvegarder les effets de vérité que la psychanalyse opère sur la parole y compris dans le champ scientifique.

C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir amender le texte du député Accoyer dans le sens de :

• Exclure la psychanalyse et les psychanalystes (dont la formation et l'accréditation est gérée depuis plus de cent ans par leurs propres associations) de la réglementation des psychothérapies.

• Exclure la psychanalyse du champ de remboursement des Caisses d'Assurance maladie.

Je vous prie de croire, Messieurs les Sénateurs, en l'expression de ma considération respectueuse.

Ignacio Gárate Martínez

Psychanalyste à Bordeaux