Monsieur Jean de Gérard Haddad

Monsieur Jean

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Un analyste qui témoigne de son analyse c’est plutôt rare, un analyste qui romance l’histoire d’un patient, c’est encore plus rare. Gérard Haddad adore raconter des histoires. Plusieurs de ses essais comportent des récits et il a souvent tourné autour du roman. Et n’oublions pas aussi que Freud disait dans ses études sur l’hystérie que ses récits à lui étaient comme des petits romans. Récit romancé de la vie d’un patient ? Roman d’une cure ? Voici un exercice inédit qui s’insère dans les préoccupations qui sont celles de l’auteur depuis longtemps : violence, déchirures culturelles, fraternité conflictuelle, changement de nom et effacement de la filiation. Haddad, jeune romancier à nouveau, fait ici encore un pas de côté, peut-être pour pousser les murs de la discipline, chercher à transmettre autrement. Ainsi, à travers un roman, il peut raconter des choses compliquées qu’il serait difficile de synthétiser dans un seul essai.

 

Au début, on n’y comprend pas grand-chose. Nous sommes en pleine Algérie de la seconde guerre mondiale, dans les soubresauts de la grande histoire, entre plusieurs cultures. L’histoire d’Édouard - on sait qu’il va voir un analyste - commence avant sa venue au monde. Il y a le père, le grand-père, la mère, un long moment ou il n’est pas encore né. Le découpage se fait par séquences, comme au cinéma. Chaque protagoniste est l’objet d’un chapitre. Les histoires s’entremêlent, s’empilent, enchaînement inéluctable de destins dans lesquels les personnages se précipitent avec une rigueur transgénérationnelle qui les dépassent totalement. On sent l’impossibilité mécanique d’échapper à la brutalité du destin. Les vies se déroulent telles des somnambules. Il y a des moments de bascule où les gens ne font pas ce qu’ils devraient faire, ils dérapent. Pourquoi dérapent-ils ?

 

Plus loin, un cambrioleur est surpris en pleine action dans la maison de celui qu’il vole, Monsieur Jean, qui l’invite à prendre le thé et qui n’est autre n’est autre qu’un homme célèbre. On le découvrira à la fin avec un coup de théâtre. On arrive là à l’un des thèmes principaux : faire une rencontre, ce qui se construit à ce moment-là, rencontrer quelqu’un peut changer une vie, sauver une vie. Nous manquons de Monsieur Jean capables d’avoir des gestes magnifiques. Une histoire de chute et de rédemption. Dans la vie rien n’est jamais joué. Les 400 coups version ensoleillée, avec des accents camusiens.

 

Un roman diagnostic. L’auteur propose un diagnostic, de personnages englués dans leur temps. Leur histoire est là pour illustrer une impasse. Ils subissent l’épreuve de l’histoire sur plusieurs générations. Les conflits sont légués en héritage. Côté divan, on pourrait davantage avoir le cheminement des séances, l’enquête de psychanalyse, savoir si le colonel Moutarde a tué dans la véranda, faire ressentir la frontière perméable entre la clinique et la fiction. Là aussi, dans la cure, une rencontre, montrer que c’est quand même très aléatoire d’arriver chez un psychanalyste. Peut-être aussi ce roman aurait-il pu être écrit à la première personne, avec le récit de la découverte du pourquoi les choses s’enchaînent ainsi, de manière moins nette, moins transparente, avec les circonvolutions de son destin propre, plutôt qu’avec un regard externe. Côté style, écriture sobre, classique, ce qui n’interdit pas les images fortes. On ne saute pas de pages, au contraire, on voudrait que ce soit plus long, qu’il y ait 500 pages et que ça nous fasse la semaine. On pourrait aussi aller plus loin dans la description, la part d’ombre, la profondeur des personnages, le quotidien, faire ressentir longuement l’Algérie. On est un peu sur sa faim côté digressions.

 

Il y en a qui aiment les fleurs, les paysages, les aquarelles. Haddad aime les salissures, les plaies, les blessures. Les éclopés de la vie, les radeaux de la méduse, les voyages au bout de la nuit. On est loin de Combourg et des soirées élégantes. Ce qui l’intéresse c’est quand ça penche et que c’est un peu détraqué. Avec cette caractéristique de vous envoûter avec une musique, peut-être personnelle, comme un serpent qui raconte des histoires, qui fait imaginer ce qu’il raconte, et nous de rentrer dedans. On le soupçonne d’avoir écrit, avec ce court roman, un bon livre.

 

Gérard Haddad Né à Tunis, ingénieur agronome, Gérard Haddad entreprend des études de médecine et devient psychiatre et psychanalyste après une rencontre décisive avec Jacques Lacan. Il est aussi connu pour son œuvre d’écrivain et de traducteur de l’hébreu. Il a publié entre autres : Manger Le livre (Grasset, 1984), Les folies millénaristes (Grasset, 1990), Le jour où Lacan m’a adopté (Grasset, 2002), Le péché originel de la psychanalyse (Seuil, 2007), Dans la main droite de Dieu (Premier Parallèle, 2015).

 

Anne Djamdjian

30.04.2017

 

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