Exposition « Sigmund Freud, au musée d’art et d’histoire du judaïsme A. Djamdjian

Moïse

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Sigmund Freud. Du regard à l’écoute

du mercredi 10 octobre 2018 jusqu'au dimanche 10 février 2019

Cette exposition, proposée à l’occasion des vingt ans du mahJ, est la première présentée en France sur Sigmund Freud (1856-1939). Par un ensemble de 200 pièces – peintures, dessins, gravures, ouvrages, objets et dispositifs scientifiques –, dont des œuvres majeures de Gustave Courbet (L’Origine du monde), Oskar Kokoschka, Mark Rothko ou Egon Schiele, elle jette un regard nouveau sur le cheminement intellectuel et scientifique de l’inventeur de la psychanalyse.

Tarifs et réservation 

10,50 € / 7,50 € / 5,50 €

Exposition « Sigmund Freud, du regard à l’écoute » au musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris du 10 octobre 2018 au 10 février 2019

 

Vienne est à Paris en ce moment. Gustav Klimt, Egon Schiele, Sigmund Freud. Pour ses 20 ans le musée d’art et d’histoire du judaïsme nous propose la première exposition en France consacrée au père de la psychanalyse intitulée Freud du regard à l’écoute. En matière de primauté souvenons-nous qu’il fut un temps où Freud était le seul représentant de la psychanalyse. En pénétrant dans cette expo qui nous donne une idée de l’atmosphère viennoise de son temps, le portrait d’un monde disparu, nous entrons dans la solitude qui était la sienne, replacée dans son contexte, nous parcourons avec une grande curiosité un chemin qui n’existait pas devant lui, où chaque pas qu’il a fait est mis en regard de l’époque.

 

Comment expose-t-on Sigmund Freud qui n’est pas un artiste ? Que reste-il à dire de lui ? Où et dans quel contexte la psychanalyse est-elle née ? Pour parler de Freud théoricien, l’image prend ici le pouvoir, 200 gravures, ouvrages, tableaux. Plusieurs aspects : politique, scientifique, intellectuel, artistique, géographique, religieux, pas tous très connus. Les influences intellectuelles, la vie parisienne, les antiquités égyptiennes du Louvre, la Comédie Française, l’antisémitisme officiel, la science des rêves, névrose, hystérie, hypnose, le spiritisme, le parapsychique, liste non exhaustive.

 

Des antiquités freudiennes. Tout cela semble être des antiquités mais n’oublions pas que c’était il n’y a pas si loin que ça. Abondance ou trop plein d’iconographie ? En visitant cette expo on a l’impression de voir en accéléré avec des images saccadées, un film muet du début du XXème siècle. Pas vraiment une exposition consacrée à la psychanalyse, le terme date de 1896, mais on découvre comment Freud a inventé le dispositif en retrait du patient, à l’inverse de la représentation théâtrale de Charcot à la Salpêtrière dont le célèbre tableau ouvre l’exposition. Également évoquées, les trois humiliations majeures du narcissisme : Copernic, Darwin et l’inconscient, peut-être la pire puisque même chez lui l’homme n’est pas maître.

 

Le tableau de Courbet, l’origine du monde, rarement prêté par le musée d’Orsay est aussi exposé avec son cache, déguisement du désir refoulé, un temps propriété de Lacan. Étonnant mélange de représentation purement sexuelle et de sublimation, donc valorisée par la société. Le sexe féminin un des ratages de Freud ? Puis nous découvrons l’émouvante bible de Philippson donnée à Freud enfant par son père avec l’énigmatique dédicace de Jakob à Sigmund. Kokoshka, Schiele, Klimt auxquels Freud ne s’est pas intéressé du tout, sont également là. Duchamp, les surréalistes qu’il prenait pour des fous alors qu’eux revendiquaient une filiation. L’art au-delà des mots exprime ce que ceux-ci ne peuvent pas dire ou ce que la théorie encore balbutiante décrit incomplètement.

 

Freud au musée d’art et d’histoire du judaïsme ? Un événement en soi ? Une manière de rattraper le temps perdu ? Je me souviens avoir demandé un livre de Freud dans une librairie voisine du Marais à Paris, spécialisée dans le judaïsme et m’être entendue répondre poliment : « Vous savez nous n’avons pas ce genre d’ouvrage, nous sommes une librairie spécialisée ». Freud employait la métaphore de l’archéologie et de la chirurgie pour faire comprendre ce qu’est un psychanalyste, ou bien celle du peintre qui ajoute et du sculpteur qui retranche. Se retranche-t-il ou s’ajoute-t-il au judaïsme ? Apparemment un crève-cœur pour lui quand on pense à l’une des premières phrases longtemps censurée de Moïse et le monothéisme : « Surtout si l’on appartient soi-même à ce peuple… ». Ici, les escaliers de cette sombre exposition, sombre comme la nuit qu’il a dû traverser avant de se faire reconnaître, descendent jusqu’à la statue de Moïse comme un certain message de l’inconscient, effet à la fois gigantesque et symbolique. Un tableau de Rothko vient faire contrepoint à Moïse, l’image et la non-image.

 

Pour le grand public, pour beaucoup, cette élégante exposition est une découverte culturelle qui peut faire connaître la psychanalyse et la garder vivante comme on veut sauver les bébés phoques. Pour les freudiens, un ensemble de documents sobres et émouvants mais qui quelquefois figent et statufient. Une expo que tout psychanalyste normalement constitué se doit de visiter même si le monde dans lequel nous sommes psychanalystes n’est plus celui de Freud. C’est là tout son mystère, quelque chose s’est passé, on sait à peu près quoi mais on ne sait pas par où. À noter que le catalogue au format compact, élégamment relié, édité par Gallimard, peut-être un futur collector, est un bel objet.

 

Anne Djamdjian

16.11.2018