le corps et l'écrit

Le terme de psychosomatique jette d’emblée un pont entre la vie psychique et la médecine. Trouver des points d’interface entre ces deux pôles semble être un exercice cher au psychanalyste que les avancées de la science questionnent constamment. Monique Liart est de ceux-là. Il n’en est pas toujours de même chez certains médecins ou psychologues à visée scientifique ou neurologues qui ne font pas tous preuve de la même ouverture d’esprit. Même si la médecine commence à accepter la causalité psychique d’un certain nombre d’affections et si la psychosomatique constitue un des courants de sa pratique, nous assistons souvent entre ces deux tenants à une sempiternelle bataille de chiffonniers.

Cela conduit Monique Liart à décrire le terrain de ce combat contemporain, ligne de faille entre le corps machine de la médecine et l’organisme désirant et jouissant de la psychanalyse. Là où les premiers essaient de répondre à tout prix à la demande du malade, les seconds visent avant tout à préserver le sujet et sa parole. Le patient, dans sa demande subjective ne voulant quelquefois être authentifié que comme malade. La guérison venant quelquefois de surcroît. Les deux disciplines ne devraient-t-elles pas plutôt chercher à se nourrir l’une et l’autre à partir de leurs points d’achoppement ? Tout n’est pas soluble dans la psychanalyse et tout n’est pas réductible à la médecine.

Les neurosciences, nous dit-t-on, ne peuvent pas rendre compte du fantasme, de la jouissance, de l’Œdipe, de la pulsion, de l’interdit de l’inceste, de ce que Lacan appelle le nom du père. Elles en trouveront difficilement une localisation dans le cerveau. L’objet de la psychanalyse est ce qui est forclos du discours médical. Le corps de la médecine et celui de la psychanalyse ne se confondent pas, même s’ils se superposent parfois. N’est-ce pas un challenge pour un médecin de devenir psychanalyste parce qu’il doit faire abstraction d’une partie de son savoir pour se trouver dans la tournure d’esprit de l’analyste ? Et Monique Liart d’affirmer avec pertinence qu’il n’y a que des analystes profanes puisque chaque analyste doit faire preuve d’indépendance par rapport à sa discipline de départ.

Suit un panorama des théories somato-psychiques d’Hippocrate à nos jours : Pavlov, homéostase, théorie du stress, Groddeck, Ecole de Paris, toutes les approches analytiques ou d’inspiration analytique. Ce livre, très exhaustif, décrit un à un tous les nombreux courants plus ou moins anciens et importants ayant traité de cette question et qui ont chacun pris leur chemin. On entend facilement dans ces approches tout et son contraire, quelquefois pour masquer un vide de certitudes, pour en arriver aux rares éléments que Lacan a donnés. Monique Liart reprend les quelques mentions qu’il a fait de cette question, et avec d’autres auteurs référents, s’en sert de base pour une élaboration qui les relie à l’ensemble de la théorie du signifiant.

Le phénomène psychosomatique est une lésion corporelle à différencier de la conversion hystérique beaucoup mieux connue : symptôme à étiologie signifiante, adressé à un destinataire et qui ne produit pas de lésion. Dans cette approche, le corps y est également une surface d’écriture mais le signifiant y est décrit comme n’étant relié à aucun autre. Un signifiant tout seul, hors système. De même que pour le trait unaire ou le nom propre, c’est un signifiant dit « gelé », intraduisible, un cartouche hiéroglyphique qui a néanmoins un rapport avec l’histoire du sujet. Ce phénomène est décrit comme subi, non subjectivé. Le résultat du forçage par un tiers, ainsi que dans l’expérience de Pavlov. Il répond à une interprétation du psychanalyste qui tient plus de l’injonction que de l’équivoque. Des récits de cure détaillés et théorisés relatent comment ce phénomène occupe une place différente suivant les structures cliniques. On y sent les véritables leviers d’évolution des patients.

Néanmoins, à propos du style de certains chapitres, on peut observer que certains lacaniens pur sucre manient sans modération idiomes et mathèmes dans ce qu’ils pourraient dire parfois de manière plus simple sans être iconoclastes ni déroger aux manières de la tribu. Là où d’autres courants diluent à l’inverse sur plusieurs pages, il semble que certains élèves de Lacan n’aient retenu que cela, alors que ce n’est pas le plus important. Il y a tout de même d’autres manières tout aussi touchantes de témoigner de son attachement.

Malgré cela, ce livre est par sa vue d’ensemble une bonne synthèse du sujet. Mais il nous conduit à nous demander si le phénomène psychosomatique ne peut rentrer autrement que prudemment, en l’état actuel de nos connaissances, dans la théorisation psychanalytique. Nous y vérifions à nouveau que le sujet n’est pas un lieu anatomique mais un réseau de signifiants. Si la parole peut créer des maladies, il est possible qu’elle les soigne. Il n’est pas rare que des résultats soient obtenus, mais les psychanalystes ne ressortent finalement pas très outillés par ces avancées. Alors que Freud et Lacan sont utilisables tous les jours, ce dernier s’est arrêté en chemin sur ce sujet et n’a pas donné de suite. Un ensemble de travaux qui aboutissent à une capacité de travail pour l’instant limitée. On peut peut-être féliciter les lacaniens sur le plan de la théorie et les travaux plus importants de la SPP sur le plan de la clinique. Côté lacaniens, débusquer un de ces signifiants hors réseau semble intéressant mais encore aléatoire, hors repères, un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

Monique Liart est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP. Ex-enseignante à la section clinique de Bruxelles. Elle a publié dans différentes revues (La cause freudienne, Quarto, Mental, Psycho-analytische perspectieven, Les cahiers du GRAPPAF).

Comments (1)

Portrait de Gaydon Armelle

A propos de la conclusion d'Anne Djamdjan.
"Côté lacanien débusquer ces signifiants hors réseau semble intéressant mais encore aléatoire", dites vous - et vous renvoyez les lacaniens à la théorie et la SPP à la clinique.
Enoncer cette dichotomie, c'est méconnaître gravement que la clinique est au fondement de l'élaboration théorique, et qu'il ne saurait y avoir d'une part d'élaboration théorique se regardant le nombril et d'autre part des mécaniciens de la clinique laissant la théorie aux intellos, à qui incomberait de garder les mains dans le cambouis.
Les cas cliniques déployés dans ce livre démontrent amplement l'opérativité de la clinique lacanienne et les signifiants en jeu y sont rapportés.
Cordialement,
AG

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