« Paroles d’hommes » est composé d’une quarantaine de chapitres à durée variable. Certains sont très brefs, d’autres autant de courts ouvrages théoriques. Le point commun de ces récits : ce ne sont que des paroles d’hommes sur le divan. À partir de séances introduites le plus souvent par une seule séquence, une seule phrase du patient, l’auteur veut faire entendre quelque chose de ces cures « masculines » et de leurs leviers. Ce livre est né d’une discussion avec l’anthropologue Françoise Héritier (dont Lévi-Strauss disait qu’il voyait en elle son successeur), à propos de l’absence des noms d’hommes dans les récits de cure. Ces instantanés débouchent sur des réflexions théoriques ou sociologiques aux résonances politiques : de la montée des intégrismes due selon lui à l’invasion de la pornographie sur internet, aux surprises du contre-transfert, sujet très développé, en passant par la mort, celle de la mère ou celle de l’analyste, l’argent, la fin de l’analyse… il raconte le psychisme.

Le préambule théorique nous dit que les hommes avaient auparavant à se déterminer par rapport à deux points de butée : d’une part le féminin, d’autre part l’homosexualité. Cette double frontière a aujourd’hui un tracé incertain. Il nous est dit que tout change autour du masculin (les femmes, la société, la sexualité, le désir, la procréation…), le résultat est que l’incertitude s’installe. Sur le divan, on parle d’ennui, de lassitude, d’angoisse. Qu’est ce qui change dans ces paroles d’hommes de notre époque, quelquefois violentes, et qu’est ce qui ne change pas ? La psychanalyse est-elle de son temps ou est-elle intemporelle ? Freud était-il sur ces sujets en partie la victime de son temps ? L’ouvrage est un bon panorama des succès et des échecs de ces analyses. Comme pour toute cure, ça ne marche pas toujours mais il y a des heureux événements, des réussites et des transformations.

Ce livre emprunte sa forme à l’association libre, il ne « travaille » pas une question. Jacques André est un analyste qui sait raconter sans jargon ni langue de bois. Il prend le risque d’être compris. Pour communiquer sur sa pratique, il écrit sur un autre mode, plus proche du temps de la séance, avec cette petite dose de plaisir qui fait coïncider la forme et le fond. Il s’empare d’une phrase rapportée comme d’une scène de théâtre. Ces extraits de cure donnent quelquefois lieu à des échappées poétiques, ainsi, nous sommes invités, tel le spectateur de « la rose pourpre du Caire » de Woody Allen, dans les décors, les odeurs, les paysages de l’histoire des patients, entre la réalité et le récit. De tel patient, il confie : « Je ne compte plus les séances que nous avons faites sur sa terrasse, entre les fumerolles du café, le parfum des herbes et le vin de Sardaigne ». ce livre fait quelquefois penser aux échappées de Catherine Millot.

Jacques André nous confie à la fin de son plaisant et instructif ouvrage que c’est l’énigme de la féminité qui a en partie causé sa vocation d’analyste, il n’en propose pas moins ici une autre énigme : celle de la masculinité. Quant à l’énigme de départ, celle de la disparition des noms d’hommes dans les récits de cure, elle n’a en passant pas non plus été résolue.

Jacques André est psychanalyste, écrivain, auteur de « L’imprévu en séance », « Folies minuscules », « Les désordres du temps » ainsi que « les 100 mots de la psychanalyse » (Que sais-je ?). Il est directeur du centre d’études en psychopathologie et psychanalyse de Paris VII, et a également une activité d’éditeur.