Thérapies traditionnelles et psychanalyse

Comment l’inconscient et la vie sociale sont-ils mis en rapport ? Telle est la question centrale de ce nouvel essai de Charles-Henry Pradelles de Latour qui commence par un rappel historique : Freud avait déjà placé la psychanalyse dans le champ de la culture. Il avait également appliqué celle-ci à des matériaux ethnologiques. Il n’avalisait pas l’idée d’un inconscient collectif mais admettait l’idée d’une transmission de dispositions psychiques, de projections, partageables au sein d’un groupe. Parmi lesquelles la paternité, principal point de relais entre l’inconscient et l’ordre social. Plus tard, l’anthropologie dite psychanalytique lui emboîte le pas et valide le symbolisme du complexe d’Œdipe comme point de rencontre entre les différentes cultures.

Lacan de son côté considère implicitement que l’inconscient, Œdipe compris, n’est pas partageable. Il désarrime l’inconscient de l’unique référence au père pour l’inféoder au langage, altérité où le sujet peut se lire dans des effets de sens. Le curseur se déplace d’une intériorité à une extériorité en apparence. Comment à ce moment-là, pour Charles-Henry Pradelles de Latour, le rapport à ce vocable que Lacan nomme l’Autre passe-t-il du non-partageable au partageable ? Comment le sujet peut-t-il s’inscrire dans une vie commune ? L’auteur rompt avec la vieille tradition de l’unique référence au père en proposant la thèse suivante : le partageable passe dans certaines pratiques traditionnelles observées par lui, par quatre formes discursives élémentaires : magie, sorcellerie, plaisanterie et religion.

Il propose ensuite une homologie entre ces formes de discours et les positions subjectives que le patient traverse successivement dans la cure psychanalytique : transfert, frustration, castration et privation, qu’il déroule successivement. Par exemple, un rite magique n’a de sens que sous-tendu par un transfert, pas de sorcellerie sans frustration, pas de religion sans idéal social vecteur de privation. Même lien entre la relation à la plaisanterie et la castration. Le parallélisme que Charles-Henry Pradelles de Latour développe ainsi éclaire à la fois les thérapies traditionnelles et la cure psychanalytique en les logeant dans le même chaudron. Lacan l’avait pressenti. Dans les unes comme dans l’autre, le patient sort d’une position subjective en basculant d’un discours à l’autre. « Chez les Bamiléké du Cameroun par exemple, le guérisseur soigne son patient persécuté en le faisant passer du discours de la sorcellerie qui l’agite, au discours de l’alliance matrimoniale qui le pacifie, car fondé sur une dette sans contenu, symbolique, dette utilisée à des fins thérapeutiques. Le patient est ainsi vidé des ambivalences de la jouissance ». Guérir revient à changer de discours.

Au confluent de l’ethnologie, de l’anthropologie et de la psychanalyse, ce livre est étayé par autant d’expériences vécues, d’immersions dans la vie quotidienne de sociétés où l’on glisse du terrain à la théorie. Charles-Henry Pradelles de Latour en psychanalyste d’investigation apporte ici une aide précieuse, une thèse structurée, quelquefois difficile à absorber. Dans notre monde de discours morcelés, multiculturel, les liens entre les discours et les positions subjectives sont diffus. Y règne une certaine étrangeté à aborder les patients issus d’autres aires culturelles. On découvre ici une parole originale bienvenue, du grain à moudre depuis que les structuralistes ne sont plus là et que nous manquons de structures.

Charles-Henry Pradelles de Latour est psychanalyste, ethnologue-africaniste, directeur de recherche émérite au CNRS.