Tchat, Schit, Chut

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Tchat, Schit, Chut

 

       Il est aisé de s’informer sur les législations en cours concernant le commerce et l’usage du cannabis. La seule consultation de l’article de Wikipédia fournit d’amples informations à ce sujet. Il est presque aussi facile d’examiner dénombrements et statistiques de toutes sortes à ce propos.

       Faut-il légaliser la consommation du cannabis ? En matière d’addiction la valeur d’un objet est bien sûr lié à l’interdit qui le frappe et en cela il ne diffère guère des autre objets de convoitise et de jouissance. Ainsi la disponibilité du « schit » pourra sans doute en amoindrir l’attrait. Encore que l’exemple de l’alcool, le plus puissant et le plus répandu des narcotiques , donne lieu à quelques réserves quand l’on considère les dégâts que cette substance provoque encore malgré sa disponibilité « encadrée ». Evaluer l’intérêt d’un produit toxique est complexe parce que cela dépend de trois ordres distincts : politique, économique, sanitaire. Le politique doit mesurer jusqu’à quel point l’usage d’un « sorgenbrecher »(briseur de soucis) est favorable à la paix sociale. L’économiste aura pour tâche d’évaluer le coût de la répression et le gain lié à la taxation du produit. Le praticien,enfin est convoqué pour savoir quel bilan tirer des bénéfices et des dommages psychiques (et plus largement sanitaires) que la consommation génère.

       Face à ces difficulté l’on trouve une évidence : la consommation de cannabis est des plus répandue-qui ne connaît pas parmi ses proches un ou plusieurs amateurs ?- et le silence(chut) devant ce fait relève de l’irresponsabilité ou de l’indifférence. A moins que ce ne soit la marque de l’impuissance face au pouvoir des réseaux sociaux (tchat) et des facilités qu’ils offrent pour échapper à la loi.

       Talleyrand recommandait de « feindre de diriger ce que l’on ne pouvait empêcher », légaliser le cannabis s’inscrirait utilement dans la voie de ce conseil.

Comment expliquer un attrait tel pour les drogues qu’elles nécessitent une législation appropriée?

La consommation de substances aux effets psychotropes: générateurs d’ivresse, de sentiment de puissance, d’invulnérabilité ou encore susceptibles de mettre le consommateur dans une relation privilégiée avec un « Au delà »mystérieux, tout cela est universel et intemporel.

La liste est longue des effets attendus par la consommation de drogues, et une appréhension intuitive peut laisser croire à une continuité dans les pratiques allant de l’usage récréatif, festif, culturel, jusqu’aux addictions les plus sévères. Cela en supposant des états médians comme l’alcoolisme professionnel ou encore l’usage de cocaïne dans les milieux du show business.

La clinique s’inscrit en faux contre cette vision d’une continuité. Nous constatons à vrai dire une rupture qualitative qui conduit à déclarer : « n’est pas toxicomane qui veut ! ». « Ce n’est pas tout un chacun qui, ayant eu l’occasion de prendre durant un certain temps de la morphine, de la cocaïne, du chloral ou autre, développe de  ce fait une appétence pour ces choses » pouvait encore noter Freud.

En effet Il est essentiel de distinguer ce qui est désigné par « toxicomanie » de ce que l’on reconnaît comme simple pharmaco-dépendance. Cette dernière exige seulement comme support un organisme, un corps, un ensemble biologique homogène,  et ainsi l’animal peut-il être rendu dépendant d’une substance comme la morphine par exemple. Dans ces cas la réalisation d’un sevrage est assez simple et  permet de retrouver une indépendance face à l’objet drogue. Chez l’animal l’on observe d’ailleurs, une diminution spontanée des doses consommées jusqu’au sevrage complet.

Il en va tout autrement lorsque nous avons affaire à une toxicomanie proprement dite.Ce goût, cette appétence, nécessite l’aliénation langagière propre aux êtres parlants,  aux parlêtres et le sevrage dans ces cas là est beaucoup plus difficile à réaliser.

Je renvoie le lecteur soucieux de plus de précisions à un excellent article de Patrick Petit  : « Etre toxicomane ». On le trouvera dans le volume  qui porte le même titre « Etre Toxicomane-Psychanalyse et toxicomanie«  paru chez ERES.

Ainsi le traitement des pharmaco-dépendances relèvent d’un simple sevrage, éventuellement sous contrôle médical lorsque des désordres physiologiques importants sont à craindre comme dans le cas du sevrage alcoolique. Les mesures de sevrage sont par contre impuissantes à régler les toxicomanies. L’état toxicomaniaque révèle un paradoxe difficile à admettre mais que la clinique impose : ce qui est recherché n’est pas tant,  tel effet, telle satisfaction mais leur MANQUE. C’est autour de ce désir du manque que s’articulent la passion du toxicomane. Une passion vorace qui exige une soumission exclusive et ravageante.

Il revient aux responsables politiques et sanitaires la tâche fort ardue de légiférer de telle sorte, que la séduction du Sorgenbrecher , du « briseur de soucis », ne dépasse pas les moyens disponibles dans une société donnée et n’encourage pas ce passage du simple appétit et de la curiosité pour des états induits par une drogue, à une toxicomanie  véritable .

 

Alain Dufour

ajpdufour@gmail.com

 

 

 

 

Comments (1)

Cher Alain, je suis heureuse de retrouver ta plume ici.
Tout ce que tu racontes là m'évoques une mésaventure - actuellement résolue - liée à cette substance.
Nous avons emménagé dans le Val d'Oise il y a deux ans et demi, juste avant l'épidémie. Immédiatement nous avons été dérangés quasi quotidiennement par des effluves de cannabis quand nous ouvrions une fenêtre qui correspond à l’extrémité de notre appartement. Il n'a pas fallu longtemps pour comprendre que cela provenait de l'appartement voisin à celui de notre voisine du dessous. Un jeune-homme en effet, âgé d'environ 22/25 ans, logé chez sa mère, fumait donc fréquemment des joints à la queue-leuleu, parfois du petit matin au soir très tard, et dans la nuit. Quelques moment d’accalmies de2 ou 3 jours quand il partait je ne sais où, mais ça repartait de plus belle à son retour.
Bonjour la difficulté pour bien aérer notre logement... Et protéger notre santé.
En avril 2020, en plein confinement (les odeurs étaient devenues quotidiennes, c'était infernal), je vais toquer chez eux, sa mère m'ouvre et je lui dit bien gentiment et poliment qu'il serait bien que les "odeurs" de fumées ne remontent plus jusque chez nous. Doux euphémisme... Elle me répond un peu gênée, que c'est d'accord. Un peu d’accalmie de quelques semaines, puis dès le mois de juin 2020 c'était reparti à l'identique.
A signaler aussi de fréquents cris de disputes mère-fils, des portes qui claquaient, que les résidents commentaient à voix basses d'un air entendu.
En ayant assez de ces odeurs de "shit" ininterrompues, je finis par contacter le syndic de copro,, qui me sidère en me répondant grosso-modo que, face à de telles consommations, pourtant "illicites", n'y avait rien à faire, car c'est du registre "domicile privé".
Ce qui est en partie faux car, à partir du moment où ça dérange le voisinage c'est que ça sort du cadre privé. Bref.
Le syndic a changé depuis, pas directement à cause de cette histoire, mais pour son manque général de réactivité et de conseils corrects. CQFD.

Au fur et à mesure des mois, connaissant mieux nos voisins, nous avons appris que cela faisait en réalité plusieurs années que nombreux habitants déploraient cette nuisance (fumette de joint). Mais personne, avant nous, n'avait osé signaler la chose. Pourquoi ? Mystère. Indifférence et irresponsabilité peut-être, ou peur des représailles... ? Je ne sais. Toujours est-il que ce fichu cannabis semblait endormir non seulement le jeune-homme dépendant, mais aussi tout le voisinage, tétanisé peut-être à l'idée de "dénoncer" un truc qui pourtant leur empoisonnait littéralement la vie...

J'ai croisé le jeune-homme en février 2021, j'ai tenté le "dialogue" (ah...ce fameux "dialogue" diplomatique, lol....), je lui en ai donc parlé tout aussi "poliment et gentiment" qu'à sa mère, et il m'a répondu d'une façon très cassante et sans ouverture possible qu'il savait que beaucoup de gens se plaignaient de sa consommation, mais qu'il connaissait la "loi", que "c'est au domicile privé" et que personne ne pouvait donc rien contre lui...
Malgré notre agacement et, par moment, il faut bien le dire, notre colère, nous voulions éviter une judiciarisation de la situation, pourtant conseillée par quelques copropriétaires, ou même la police municipales, qui nous encourageaient à faire main courante et autres dépôt de plainte, voire une pétition entre voisins, etc.
Nous ne regrettons pas notre choix de pondération.
Car finalement, début 2021 les propriétaires du logement, avertis par le nouveau syndic de ce problème dans leur logement, ont contacté la mère locataire .
La mère a couvert son fils avec des mensonges - couvert est à prendre à tout les sens du mot, tu imagines bien... ;-) -, puis les choses se sont accélérées d'une façon dont je n'ai pas eu les détails, et les locataires mère-fils ont fini par quitter notre résidence.
Cette petite histoire sans grand intérêt à priori, confirme plusieurs choses de ce que tu décris : d'abord cette étrange omerta généralisée quant à la dépendance et la consommation d'une substance toxique : Il a fallu attendre que nous, nouveaux résidents, signalions le problème, pour que d'autres langues se délient et avouent subir ça depuis des années...
Ensuite une problématique psychique de dépendance, qui me semblait être en fait la résonance de la dépendance d'une mère à son fils (et non l'inverse), le fils actant cette coloration familiale incestueuse par sa consommation effrénée, obscène, et finalement provocante, sorte de défi de la loi face au "corps social" représenté par les résidents.
Bien évidemment, dans un autre contexte, j'aurais pu proposer de "prendre en charge" ce jeune-homme (mais aurait-il été seulement désireux d'un tel travail de séparation et de sevrage par la parole... ?).
Pour finir, en lisant ton texte et écoutant un peu les débats politiques concernant la légalisation, les deux questions que je me pose sont :
1- comment maintenir des limites socialement vivables et protectrices pour les non fumeurs et non consommateurs, si le cannabis était légalisé ? Cela étant, les choses sont sans doute déjà en partie balisées par les règlementations concernant le tabac...
2- Ne devient pas accro qui veut, je suis totalement d'accord avec toi, et il y a aussi à prendre en compte la question sociale, également celle de comment la figure du "toxicomane" est construite dans les discours, à des fins politiques, et économiques. J'ai commencé cet été un autre bon bouquin, "Le toxicomane n'existe pas", de M.Zafiropoulos et A.Delrieu, qui replace bien, et de façon critique, la question "toxicomane" dans les signifiants sociétaux qui l'accompagnent. Il y a aussi à se demander qu'est-ce qui est si vide socialement et culturellement actuellement, au point que tant de jeunes entrent quasi dans ce qu'on pourrait nommer une sorte de "religion addictive" ? Un moyen de sentir le manque là où manque... le désir ?
Bien à toi, et bonnes fêtes de fin d'année,
Nathalie.

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