Germaine Tillon

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Germaine Tillon
GERMAINE TILLION, une Ethnographe

(annonce du séminaire)

« Si l'Ethnographie peut encore servir à quelque chose, c'est à apprendre à vivre ensemble »GT

Certains Touareg valorisent l’exogamie, si bien qu’il naît des enfants dont chacun des deux parents est d’une tribu différente. Cela conduit naturellement ces enfants à naviguer de l’une à l’autre. On les appelle les « apaiseurs ». et survient-il une brouille, une guerre entre ces deux tribus (qui toutes les deux sont leurs) - que ce sont souvent eux, ces négociateurs nés - qui trouveront une issue au conflit.

Germaine Tillion nous en parle dans « Il était une fois l’Ethnographie ». Elle les avait rencontrés au cours de ses six années de solitude dans l’Aurès, aux confins du Sahara, de 1934 à 1940.

Lorsque surviendra la guerre d’Algérie, une quinzaine d’années plus tard, c’est cette même position d’« apaiseur » qu’elle adoptera entre la France son pays d’origine et l’Algérie qui est un peu son pays d’adoption.

Mais bien avant, résistante du premier jour dans la deuxième guerre mondiale, elle sera arrêtée en 1942, emprisonnée à Fresnes puis déportée en 1943 au camp nazi d’extermination par le travail de Ravensbrück. Elle y compose « Le Verfügbar aux Enfers » une opérette, mais oui, une opérette en musique, pour conforter ses compagnes d’esclavage.

Elle a traversé notre siècle de 1907 à 2008, pendant 101 ans, comme une lumière sur le monde qui ne s’est éteinte qu’avec sa vie.

(A 90 ans, elle publie encore « La Traversée du mal »un livre mince que vous pourriez lire dès maintenant pour la rencontrer, avant que je me risque à vous en dire quelque chose.)

Dans « Combats de guerre et de paix », ce qui est peut-être son testament :

« On ne se voit pas sans un miroir, et ce miroir c’est essentiellement, nécessairement la connaissance d’une société étrangère, d’une société différente. »GT

« Le reflet et le reflet du reflet, qui se répondent comme un dialogue »GT

Joseph Gazengel

SEMINAIRE DE RECHERCHE animé par Michel Fennetaux

GERMAINE TILLION

Ne pas confondre avec Charles TILLON, un presque homonyme, membre du comité central du PC, ancien ministre...

«Il y a des maux insupportables et disproportionnés avec les forces humaines : c’est la souffrance et la mort de ceux qu’on aime ou l’impuissance torturante de la prison…Epreuves écrasantes, Mais la mort solitaire, la souffrance du corps, l’abandon sont de plain-pied avec la condition des vivants, dans toute l’échelle des êtres. Et dans une conversation privée avec l’ordonnateur du monde (sauf pour les punaises que je considérais comme un abus de sa part), j’aurais transigé sur le reste. » GT, R46 p18 repris dans R88 p 155 )

Voilà ce qu’elle écrit en 1946 à propos de sa mise en quarantaine après son arrivée à Ravensbrûck alors qu’elle a une diphtérie grave, une double otite, qu’elle est la seule française dans la baraque et qu’elle meurt de soif.

Michel et le temps me pressant, j’ai été obligé d’interrompre la promenade que je faisais en folâtrant avec Germaine Tillion dans l’Aurès, en compagnie de St Augustin, d’Hérodote de Plaute, d’Eurypide ; en plongeant avec eux dans le paléolithique, le néolithique et leurs conflits, dans le passé, dans notre histoire.

Ça fait en effet quelques mois, que grâce à Michel Fennetaux et à Herbert Wachsberger qui m’ont chacun offert la lecture d’un de ses livres, je me suis lancé avec une certaine passion, et beaucoup de plaisir à la découverte de cette femme étonnante.

Le Musée de l’Homme a organisé cet été, une petite expo en son honneur. Elle y était dans sa maison – elle avait en effet créé un réseau de résistance dès le début de l’occupation allemande en 1940, et l’a nommé « Musée de l’Homme » Et surtout, toutes ses expéditions dans l’Aurès de 1934 à 1940 avaient été organisées par l’équipe des scientifiques du Musée, dont Marcel Mauss qui lui dit un jour dès 1940 : « l’extermination a commencé »

Dans cette expo, il y avait notamment une espèce de pot pourri de fragments d’interview à diverses époques de sa vie.

Dans l’un d’eux, son visage accuse bien quatre-vingts ans passés. Elle est d’une étonnante présence. J’avais l’impression qu’elle me parlait et qu’elle était attentive à la façon dont je recevais son message avec ses yeux si vivants qui nous regardent de si loin, qui se regardent en nous de si loin. Elle parlait de Ravensbrück de façon précise, intelligente, distanciée animée, puis…on en arrive à son entrée au camp. Son débit se ralentit elle cherche… « oui c’était bien la nuit » dit-elle tandis qu’elle repasse en elle-même cette confrontation brutale avec l’inhumain des camps allemands. : « quelque chose que l’on recevait en pleine gueule, aussi complètement évident que la ‘devinance’ de la mort qui fait hurler les animaux que l’on va tuer ». R 88, p 147.

Peu après, elle évoque la mort de sa mère au camp : Des silences, des paroles rares, son regard lumineux - qui se dérobe, qui se retourne vers l’intérieur, son visage qui se penche, elle n’est plus là. C’est cependant pour nous qu’elle s’efforce quand même à en dire quelque chose, mais tout en parlant, elle vient d’évidence de revivre l’événement avec toute sa charge de souffrance.

L’interviewveur, troublé peut-être par la longueur de ses silences, la presse de continuer. Il ne semble pas avoir compris que l’essentiel du message est précisément dans ces silences qui nous permettent de sentir la blessure que ni son humour, ni son intelligence, ni sa culture ne lui ont permis de surmonter.

Une autre vignette du personnage :

Le jeudi 15 mars 1945, un peu plus d’un mois avant sa libération, Germaine Tillion pèse une trentaine de kilos, elle a une fièvre à 41°, un ostéophlegmon de la mâchoire, incisé depuis quelques jours. Ecoutez-la.

« Mes jambes ne me portaient plus, mais je ne délirais nullement et pendant de longues heures d’insomnie, je fis, non sans détachement, un petit tour d’horizon assez complet : l’ensemble de la situation m’apparaissait panoramiquement, -- il est vrai dans une lumière un peu étrange où les faits et les arguments se mouvaient d’eux-mêmes avec l’aisance du rêve. Je me sentais immergée dans la mort comme un plongeur : « Il va suffire maintenant d’une piqûre d’aiguille pour que tout l’Atlantique de la mort se précipite… A pleine bouche, à pleines narines… ». Je ne l’appelais pas précisément, mais cette présence était pour moi une douceur, la première depuis bien des jours. Cette nuit-la, je décidai de vivre, avec délibération et indifférence, et tout en me moquant de moi-même à cause du culot qu’il y avait à imaginer qu’on y pouvait quelque chose…. »R 46 p 80

C’est quand même en s’accrochant à cette décision qu’elle a réussi à survivre pendant plus d’un mois, jusqu’à sa libération le 23 avril.

(Fidèle à elle-même, elle a d’ailleurs résisté jusqu’à 101 ans).

Voilà, c’est ça, Germaine Tillion, ou plutôt une autre de ses facettes.

GERMAINE TILLION auteur d’opérette,

ou LE VERFÜGBAR AUX ENFERS

La scène se passe dans un hangar :

« …on nous employait à décharger les wagons/…/ Les SS avaient pillé toute l’Europe et nous prenions naturellement en cachette des quantités de truc précieux/…/

/…/ (Bérangère) m’a fourrée dans une caisse et là, j’ai écrit une opérette en y introduisant des chansons que nous inventions en allant et en revenant du travail. Les SS étaient absolument ravis de nous voir chanter ! Nous marchions au pas en chantant des vers où nous les tournions en ridicule mais ils ne comprenaient pas le Français ! C’était au fond une blague collective/…/

La blague est quelque chose d’essentiel pour tout le monde/…/ L’humour est une énorme prise de distance. » ( p 354 le Siècle…)

Germaine Tillion se retrouve donc dans une caisse d’emballage vide, suffisamment vaste pour qu’elle s’y cache pour écrire. Ses codétenues de la « Colonne des wagons » sont presque toutes ses amies, elles deviennent là ses complices. Une détenue Tchèque secrétaire des SS lui fournit du papier. Et je crois que Germaine Tillion possède encore le gros et court crayon dont une prisonnière lui a fait cadeau en prison, à la Santé. Elle a donc là tout son matériel d’ethnographe…( dans l’Aurès, elle passait chaque jour plusieurs heures à écrire, assise par terre)

On imagine le risque de cette affaire et toute l’habileté et l’organisation qu’il faudra pour se cacher des Aufzeherinen, des gardiens SS et de leurs chiens dressés à mordre : «  un répertoire de ruses, de complicités, et de refuges clandestins suffisant pour administrer une province asiatique » dira-t-elle. (R 88 p 161)

Il n’y a pas moins d’une vingtaine de chansons, chacune sur un air différent. Ce sont des parodies de chansons populaires ou de fragments d’opéras : GT emprunte partout sans vergogne  ! Chacune d’entre elles est un détournement burlesque utilisé pour décrire en se moquant les dangers et la réalité mortelle du camp.

Le Verfügbar aux Enfers fonctionne essentiellement par autodérision, de la même façon que les histoires juives. Comme elles il met en avant la misère corporelle de l’auteur et de ses compagnes, mais de cette misère même il parvient à faire une histoire où il la moque et s’en affranchit par le rire.

Le Verfügbar - entendons-nous - c’est une femme prisonnière et forçat dans un camp de rétention administrative nazi…. Plus précisément, dans le langage du camp, Verfügbar ça veut dire « disponible », ayant échappé ce matin-là au recrutement des équipes de travail (le Betrieb), mais exposé à toute réquisition soudaine pour tirer l’énorme rouleau de fer ou de fonte destiné à aplanir les routes du camp.

Prologue

« Qu’un autre dans ses vers chante les frais ombrages

D’un amoureux printemps les zéphyrs attiédis

Ou de quelque beauté les appas arrondis…

J’estime que ce sont là banalités frivoles,

Et je voudrais ici, sans fard, sans paraboles

Chanter les aventures, et la vie et la mort

Dans l’horreur du Betrieb, ou l’horreur du Transport

D’un craintif animal ayant horreur du bruit

Recherchant les cours sombres et les grands pans de nuit

Pour ses tristes ébats que la crainte incommode

Ventre dans les talons – tel un gastéropode ,

Mais fonçant dans la course ainsi qu’un autobus.

Pour fuir le travail tenant du lapinus

Pour aller au travail tenant de la limace

Débile et pourchassé, et cependant vivace,

Tondu, assez souvent galeux, et l’œil hagard

En dialecte vulgaire, appelé « Verfügbar ».

Il va s’agir sous le regard d’un Monsieur Loyal « le Naturaliste » de tous les malheurs et les pièges qui guettent le pauvre Verfügbar à Ravensbrück : Les coups, le travail qui tue, la faim torturante… tout y passe en chanson et en rigolade. Mais en même temps ce texte est didactique, il contient des informations qui permettent d’éviter peut-être une partie des périls. Il est une analyse méthodique et distanciée de la mécanique concentrationnaire qui les écrase, une geste initiatique pour les nouvelles. Vous y trouverez le récit de la conception et la naissance du Verfügbar : « Il est le produit de la conjugaison d’un gestapiste mâle avec une résistante femelle.»(p 40)

« La vie embryonnaire de l’animal est très agitée. /…/ Dans sa période dite unicellulaire ou à caractère secret, le jeune embryon est introduit par son père dans une couveuse glacée où on le soumet périodiquement à l’épreuve de l’eau, du coup de poing sur la gueule et du nerf de bœuf, pour ne parler que des plus usuelles…Les fesses pyrogravées à la torche, les pouces écrasés au marteau… »

Chanté :

« Mon papa est venu me chercher,

Puis il m’a emmenée rue des Saussaies…

Là il m’a trempée dans une baignoire,

Pour me faire raconter des histoires…

Il m’a dit qu’il m’avait reconnue.

J’ai compris que j’étais bien vendue…

J’étais toujours dans la tasse,

Côté pile, ou côté face

Et mon père m’a quand même reconnue…

« La journée Lord Maire » servira d’unité pour le calcul de la mortalité et l’évaluation des chances de survie. Cette unité est basée sur l’histoire authentique d’un Lord Maire de Cork qui mit soixante jours à mourir de grève de la faim pour protester contre l’envahisseur anglais.

« Selon notre estimation, dit le Naturaliste, un Verfugbar remplissant les meilleures conditions – c’est à dire petit, ni gras ni maigre, âgé de 35 à 40 ans, et qui échappe aux scarlatines, diphtéries, fluxions de poitrine qui le sollicitent, doit pouvoir vivre environ 2 ans…

De même que les astronomes ont créé une unité de l’espace qu’ils appellent l’année-lumière, pour calculer la durée de vie du Verfügbar nous devons créer une nouvelle unité que nous appellerons la journée Lord Maire.

Ainsi pourrons-nous dire qu’un gentleman engraissé au porridge et au bacon, en cas de famine, a une réserve vitale de 60 journées lord maire devant lui

- Ça dépend, moi je dirais plutôt derrière. (le Verfügbar, disant cela se tape jovialement sur sa fesse absente pour expliquer la plaisanterie).

…Un Verfügbar moyen (qui mange des rutabagas et n’a pas d’amie à la cuisine) use en moyenne trois journées lord-maire par mois soit une trentaine par an. donc il est forcément mort en moins de deux ans…. »

Des misères corporelles et morales des Verfügbars, rien n’est passé sous silence : les bobards, les fausses bonnes nouvelles, les WC ou toilettes, l’esclavage, la mort, les transports noirs, les gazages…, mais presque tout est détourné en rire, en parodies, en autodérision.

Redonnons la parole à Monsieur Loyal , le Naturaliste chargé de décrire et de classer cette espèce exotique, le Verfügbar.

: « Nous avons vu dès le prologue, que le Verfügbar est apparenté aux gastéropodes ( de gaster : estomac ; et podos : pied), car il a l’estomac dans les talons, ce que personne ne peut nier. »

/…/On sait que le gastéropode est à la fois mâle et femelle, tandis que le Verfugbar est quelquefois femelle, mais le plus souvent rien du tout/…/

(Chanté par Jacqueline Fennetaux, sur l’air de « Au clair de la lune »)

Notre sex-appeal

était réputé

aujourd’hui sa pile

est bien déchargée

Mon ampoule est morte

je n’ai plus de feu

Ouvrez moi la porte

Pour l’amour de Dieu

« Il y a un autre affaissement, que nous ne pouvons hélas passer complètement sous silence. Mais c’est un sujet si triste que malgré notre insensibilité scientifique, nous reculons devant les détails. Il s’agit des seins dont je dirais seulement qu’ils ne sont plus des saints, mais des martyrs »

« /…/ L’anatomie du Verfügbar est des plus sommaire, Il est essentiellement constitué d’un tube digestif généralement vide et douloureux mais qui se remplit à heures irrégulières, de gaz et d’explosions. »

Le chœur chante :

Quand un Verfügbar n’a plus de voix, voix,voix,

Il a du moins, moins, moins, un instrument charmant…

Mieux qu’avec un luth, luth, luth

Il exécute, cute, cute

Le chant du coq, coq,coq

Avec le trou de son…

Cette opérette à Ravensbrück, l’histoire dit que le spectacle n’en a pas été monté dans la chambrée, mais que les airs en étaient chantés ou murmurés pendant les rares moments de relative liberté.

Voici une parodie de La Fontaine

« Un pauvre Verfügbar piqué pour la corvée

Sous le faix du fardeau aussi bien que des ans,

Gémissant et courbé, marchait d’un pas pesant

En tâchant de gagner le block hospitalier

ou bien d’aller aux cabinets.

Il pense à ses malheurs, il mesure sa misère

Pas de tartine le soir, Midi sans pomme de terre

L’appel des inendienst toujours plus surveillé

Et l’accès du dortoir de mieux en mieux gardé.

Ah ! plutôt le Betrieb ! dit-il dans un sanglot.

Le Betrieb arriva, le saisit aussitôt.

Le pauvre Verfugbar eut beau montrer ses plaies,

S’agiter en désespéré,

Le Betrieb le tenait et le tenait si bien, qu’il y fut

dès le lendemain.

Moralité

Ne cherchez pas les coups, ils viendront bien tout seuls

Inutile de courir vous faire casser la gueule»

- Vers la fin du troisième acte, « L’hiver », le Verfügbar aux enfers va devenir grinçant.

Mais il y a d’abord une échappée gastronomique.

C’est le récit d’un gueuleton absolument sensationnel au travers de tous les terroirs de France. C’est un sursaut de vitalité, de verve et de truculence étonnante. Ecoutez plutôt :

Nous avons fait un beau voyage

Dans tous les coins de France

Le sourire sur tous les visages

Faisant joyeusement bombance

Nous avons dégusté

Toutes les spécialités

A Vire de l’andouille,

A Nice la ratatouille

A Aix le calisson

A Lyon le saucisson

Madeleines à Commercy

Bergamotes à Nancy

Nous avons fait un beau voyage

Batifolant à travers prés

Nous abritant sous les ombrages

Rêvant de l’aube à la vesprée/…/

Mais la déréliction pointe :

Lulu de Belleville : J’ai rêvé de maman cette nuit

Bébé : Moi j’étais dans le jardin de mon grand-père, je ramassais des prunes, je n’ai pas pu m‘empêcher de pleurer /…/

Marmotte : C’est toujours le réveil qui est le plus dur

Havas : On est tout ramolli par la nuit, on a retrouvé son âme d’avant, et puis on voit avec nos vrais yeux toute l’horreur du camp/…/

Titine : Hier Madame Nénette a trouvé un os dans sa soupe

Nénette : Et puis qu’il était bon ! Je l’ai gardé pour le re-sucer dimanche à l’appel.

Lulu de Belleville : C’était un os de quoi que vous avez trouvé ?/…/

Havas : De Verfügbar ! /…/

Rosine se secouant : Il faut absolument essayer de sortir de cet os… /…/ je vais vous raconter l’histoire de Sympathie./…/ »

Sympathie est fatiguée, alors elle va passer par la dégringolade de tous les sévices du camp : punition par la blokova, coups de trique , œil au beurre noir par l’aufzehrin, coups de bottes dans le crâne par ‘le Boxeur’, chien féroce démuselé pour la faire courir, le bunker, le straf-block…Alors pour tenter de la relancer, on lui fait le coup du bobard, du gros bobard :

« Alors on lui a fait l’Armistice, Ça lui a enlevé sa fatigue, comme avé la main.

Lulu de Colmar : Moi je n’aime pas les bobards, ça fait trop de mal après.

Havas : Pour les vrais bobardiers, il n’y a pas d’après. En juin on leur dit que Paris est libéré : ils sont contents. En juillet, on leur dit, de source sûre, que Paris va être libéré. Ils sont encore contents. »

C’est sur cette note grinçante que s’arrête la pièce qui demeure inachevée.

Je me suis d’abord demandé si ce changement de ton ne correspondait pas à la mort de Emilie Tillion, mère de Germaine assassinée le 2 mars 1945, mais les dates ne collent pas. L’autre interprétation, qui est celle de la post-face, c’est la transformation rapide de Ravensbrück en camp d’extermination immédiate au sein d’une impensable surpopulation.

AVANT DE CONTINUER, JE DOIS VOUS FAIRE UN AVEU

Germaine T. a été de tous les combats, de toutes les guerres du siècle, et l’ampleur de ses actes, l’ampleur de ses écrits, la stature de son personnage rendent ma tâche de vous rendre compte de ce qu’elle fut, bien périlleuse, et peut être d’autant plus que je me suis laissé séduire par elle. Comment faire ? J’en suis réduit à vous soumettre des vignettes, des facettes de son personnage, des fragments de ses écrits. Je souhaite que leur choix ait été judicieux. Je me suis refusé à ne vous parler que d’un de ses livres ou que d’une seule de ses actions. Il m’est tout à fait impossible de penser Germaine Tillion (GT) à Ravensbrück sans parler au moins un peu de ses six ans dans le fin fond de l’Aurès de 1934 à 1940. Il est tout à fait impensable de passer à pieds joints par dessus « le Harem et les cousins »(le harem) qui somnolait dans ma bibliothèque depuis trente ans, et par dessus « Il était une fois l’ethnographie »(il était une fois), aussi bien que de choisir vraiment entre « Ravensbrück 1946 »(R46) et « Ravensbrück 1988 »(R48). De négliger tout à fait « la Traversée du mal »(la traversée) ou de se priver de « Combats de guerre et de paix »(combats)…

Dans toute la mesure du possible, j’ai essayé de lui laisser la parole d’autant que son style est vigoureux, imagé, direct et que même dans les instants les plus tragiques qu’elle ne craint pas de mettre en mots, elle se maintient à distance de l’événement. d’une manière admirable.

GT RESISTANTE (entretien avec Jean Lacouture dans La traversée du mal.) En 1940 à la fin de sa quatrième mission dans l'Aurès : G. Tillon arrive à Paris fraîchement occupé par les Allemands

« J'apprends, dit-elle, le 17 juin (la veille donc de l’appel du Gl De Gaulle) la demande d'armistice et c'est pour moi un choc si violent que j'ai dû sortir de la pièce pour vomir... Demander l'armistice, c'était ouvrir soi-même sa porte à l'ennemi, c'était se soumettre à un ennemi totalement inacceptable... » Jean Lacouture l'interroge : - Vous n'avez pas connu la période d'abattement que, me semble-t-il, nous avons tous traversée, d'une façon ou d'une autre, et plus ou moins longtemps ?

« Non.J'ai considéré qu'on ne pouvait pas supporter l'armistice. »

- Et quand on ne supporte pas, qu'est-ce qu'on fait ?    

-« C'est ce que je me suis demandé immédiatement. » ( la traversée…)

Ce sera aussitôt son entrée dans une forme de résistance qui la mènera à Ravensbrück.

GERMAINE TILLION  : UNE ETHNOGRAPHE A RAVENSBRÜCK,.

Le Ravensbrück 1946 écrit au camp même en 44-45 et à Verbier en janvier 46 - publié dès décembre 46 - est d’un ton résolument ‘objectif, scientifique, statisticien’…. Elle n’y parle pas des choses les plus personnelles comme le désastre intérieur que furent pour elle les premières semaines de son emprisonnement, ou la catastrophe que fut la mort de sa mère. Elle a essayé, sans y parvenir tout à fait de se faire transparente pour parler au nom de ses compagnes.

Il y a des exceptions où l’auteur se démasque dans sa détresse :(p 17, R 46 ) :

« Je me souviens/…/ayant la diphtérie et le délire, avoir d’abord été hantée par ces deux vers de Baudelaire :

…Emporte moi wagon, enlève-moi frégate

Ici la terre est faite de nos pleurs…

puis par l’image d’un train-hôpital, avec un lit blanc – image que je suçais indéfiniment. Et cependant, à ce moment même, par intervalles, je savais que c’était un jeu… »

Mais, dès les premiers jours, dès la période de quarantaine elle se met au travail

«  La vérité/ …/était à portée de main, et il n’était pas difficile de se renseigner…il suffisait d’un peu de méthode pour regrouper l’énorme quantité de renseignements qu’on pouvait ainsi recueillir, et la vérité sortait toute seule de ces rapprochements/…/ J’étais/ …/ obligée, par prudence, de transcrire en code les renseignements les plus compromettants ce qui me gênait beaucoup pour faire mes petites statistiques, synthèses et autre jeux dangereux. » (R46 p19)

« …La plus grande partie (des femmes), explique-t-elle, venaient d’autres camps et circulaient depuis des mois, et parfois des années de forteresse en prison, et de camps en forteresse. On pouvait donc trouver dans le camp même, une documentation générale sur tous les camps, prisons et pénitenciers allemands. Là encore, il suffisait d’interroger et de raccorder ensuite les renseignements… C’est ce que j’ai fait dès 1943 »

Elle tient parole et nous donne dès 1946 un aperçu général de l’organisation des différents camps de concentration et d’extermination nazis que je n’ai pas le temps de reprendre ici.

- Parmi ses nombreuses informatrices, il faut citer les secrétaires-détenues tchèques, autrichiennes et allemandes (opposantes politiques ou communistes) qui assuraient le secrétariat administratif du camp. Elles étaient résolument pour les françaises NN, parce que cette étiquette les situait d’emblée comme résistantes. Dans leur travail, elles ouvraient le courrier des SS sauf certaines enveloppes particulièrement signalées. Elles avaient accès aux journaux allemands et donc aux nouvelles, aux informations administratives sur le personnel du camp et ses nombreux mouvements.

Elle a calculé l’espérance de vie des détenues : cinq ans en moyenne, deux à trois ans pour les Françaises. Elle évoque les « Schmucstück  (bijoux)», nom qu’utilisent les SS par antiphrase et avec mépris comme équivalent féminin de « musulmans » 

Elle analyse la population carcérale par fonction, par nationalité, :

-Les prisonnières chef de block : 

« Une blockova polonaise grasse, bien vêtue… pouvait faire donner 25 coups de bâton ou six mois de strafblock(colonie disciplinaire, l’enfer dans l’enfer) à une détenue qui n’avait rien fait d’autre que lui déplaire. C’est plus, je crois, que ce que la Reine d’Angleterre se permet avec ses dames d’honneur. » p30 R46

Les Gitanes vouées à toutes les expérimentations :

« J’allais souvent dans leur block et j’avais même commencé un petit vocabulaire comparé des divers dialectes gitans » -

-Les Juives hongroises toutes vouées à la mort et le sachant, les juives françaises emprisonnées par chance dans le même block que les autres françaises, parce qu’arrêtées comme résistantes.

- Le block 32 « … Le seul bloc français a été celui des NN/…/ et c’était le seul block /…/ où l’on pouvait laisser un morceau de pain sur son lit sans qu’il disparaisse, le seul bloc où les femmes qui se cachaient trouvaient toujours des complices /…/ » (p 38 R46). NN, Nacht und Nebel, nuit et brouillard, toutes destinées en principe à disparaître.

GT apprend un jour que le propriétaire du terrain de Ravensbrück est Himmler qui encaisse un loyer que lui paie l’administration du camp :

« Je me souviens encore de ma jubilation lorsque j’appris ce fait au début 44. comme tout devenait clair ! M Himmler propriétaire, rendait le service de débarrasser M Himmler ministre de la police de tous ses ennemis. Et en échange, M Himmler chef de la police fournissait indéfiniment à M Himmler, propriétaire, de beaux dividendes sous forme de bétail humain tout frais pour remplacer celui qu’il usait à un rythme accéléré. Quelle merveilleuse utilisation de landes incultes et de marécages pour un capitalisme ingénieux : là où rien ne pousse, on installe des camps de concentration, et c’est une véritable mine d’or… » (R1946,p 48)

. « Je m’empressai naturellement de seriner d’une façon plus ou moins détaillée, ma conception sur l’ensemble du système à toutes mes camarades que cela intéressait (Dieu merci, il y en avait). Démonter mentalement, comprendre, une mécanique (même qui vous écrase) envisager lucidement et dans tous ses détails, une situation,( même désespérée) c’est une puissante source de sang-froid, de sérénité, de force d’âme. En faisant la chasse aux fantômes, j’avais conscience d’aider un peu les meilleures d’entre nous./…/Je voulais donner à la vérité toutes ses chances de sortir de ce puit de désolation et de crimes. » (R46, p49) (les fantômes, ces êtres imaginaires, ces revenants terrifiants que peut sécréter toute société désarrimée par le désarroi ou le deuil…)

Rien n’échappe à son olympienne curiosité :

« … ( les relations sexuelles) étaient encouragées entre les SS des deux sexes qui vivaient dans cette sorte de promiscuité qu’on appelle primitive, bien qu’elle n’ait rien de primitif . /…/ un rapport constant existait chez nos gardiens et gardiennes entre la débauche et la cruauté, spécialement chez les femmes. Celles qui se faisaient tripoter devant les prisonnières par un ou plusieurs hommes ou même par d’autres femmes, se signalaient parallèlement, toujours par une cruauté personnelle et originale » (R 46,p 59)

- Les SS femmes dites Ausfeherinen.( Je vous épargne leur budget mensuel détaillé)

  C’était pour certaines d’entre nous un petit jeu un peu amer de chronométrer le temps que mettait une nouvelle Aufeherin avant d’atteindre ses chevrons de brutalité. Pour une petite Ausfeherin de 20 ans, qui le jour de son arrivée, était tellement peu au fait des bonnes manières du camp qu’elle disait pardon lorsqu’elle passait devant une prisonnière/…/ il a fallu exactement quatre jours avant qu’elle ne prit le même ton et ces mêmes procédés qui étaient de façon évidente tout à fait nouveaux pour elle./…/ cette petite était sans doute particulièrement bien douée/…/

On peut estimer à la moitié de l’effectif total celles qui prenaient un plaisir visible à taper ou à terroriser/…/ les autres tapaient avec rudesse et simplicité comme un paysan tape sur son âne. » (p 66 R 46)

Ce qui anime Germaine Tillion de bout en bout dans R 46 , c’est son infinie curiosité, sa capacité professionnelle de grande ethnographe à reconstituer mentalement le fonctionnement d’un ensemble social – qui lui donnent l’instrument de sa survie psychique, de sa survie tout court et aussi de la survie de certaines de ses compagnes que j’ai entendues dire ou écrire : on se disputait pour être à côté d’elle quand on tirait l’énorme rouleau pour aplanir les routes du camp. Elle nous racontait des histoires sur l’origine de l’humanité, sur ses sept ans passés dans l’Aurès à 14 heures de cheval du plus proche Européen ; sur ses interminables déplacements à dos de mulet ou de chameau avec des étapes de 7/8 heures qui lui donnaient l’occasion de rêver et de théoriser dans sa tête…

EN 1973, POUR REPONDRE À LA MONTÉE DU NÉGATIONNISME, GT publie une deuxième édition contenant les minutes des procès des SS à Hambourg, et en 1988 une troisième édition de 500 pages intégrant les archives devenues disponibles.

L’ensemble du R. 1988 est d’une tonalité un peu différente et d’un style plus libre. Il contient d’assez nombreuses citations du Vefügbar aux Enfers. Elle y parle aussi de la subjectivité du témoin qui donne sa couleur au témoignage. Il n’y a pas de témoin neutre, dit-elle, chacun voit et lit les événement dont il est le témoin ou la victime avec sa personnalité, son histoire, son milieu d’origine et sa culture - cela n’invalide en rien son témoignage.

GT A L’ISOLEMENT (R1988, p52)

Le choc de l’arrestation a été pour elle quelque chose d’absolument terrible. Elle ne dort pas, elle ne mange pas pendant des jours et des jours. Elle se torture à propos du sort qui risque d’échoir à ses proches, à sa mère en particulier.

Elle fait passer son pain qu’elle ne mange pas à la voisine du dessous qui, oh merveille, lui renvoie par le même bout de drap arrangé en ficelle, un crayon très court, mais gros comme le pouce. A Fresnes où elle sera transférées au bout de deux mois, et où elle restera un an dont six mois au secret absolu, elle s’en servira pour écrire ses repères chronologiques sur une minuscule imitation de Jésus Christ que lui a donné l’aumônier de cette prison et qui lui restera jusqu’au bout.

« Entre le 13 août et le 3 septembre, je peux jurer que j’ai attendu et entendu les 96 sonneries quotidiennes » de l’horloge de la Santé.

« Trente ans plus tard, nous dit-elle dans une note en bas de page, en apprenant la mort de quelqu’un qui avait survécu quelques heures à une paralysie totale, j’ai été pendant des semaines, glacée d’horreur et d’angoisse, et c’est en lisant le commentaire d’une nouvelle de Dostoïevski (Bobok ) que j’ai compris pourquoi : être muré vivant dans son corps, cette pensée m’avait fait revivre les premiers jours qui suivirent mon arrestation. Dans Bobok, les morts qui se parlent d’une tombe à l’autre sont d’ailleurs aussi des prisonniers, mais des prisonniers déjà émergés du choc premier qui suit l'arrestation.»

Voilà, me semble-t-il, le passage de « Bobok » que Germaine Tillion évoque comme image de sa condition à la Santé :

(Un homme s’endort dans un cimetière et entend les morts converser :

/…/ - Ah ! Si seulement quelqu’un se réveillait.

- Eh quoi, ils n’ont pas encore commencé ? S’enquit son Excellence.

- Même ceux d’avant hier ne sont pas encore réveillés, votre Excellence, si je puis me permettre, parfois ils se taisent une semaine entière/…/ 

- Il y a un homme ici qui est presque complètement décomposé mais qui, une fois toutes les six semaines environ, continue de marmonner un mot soudain, un mot absurde évidemment, au sujet de je ne sais quel bobok : « Bobok, Bobok ». C’est donc qu’en lui aussi la vie continue de luire d’une étincelle invisible. »

(Fin de citation« Bobok » de Fiodor Dostoïevski, 1984, Les mille et une nuits, pp 16 et 28-29. )

(Quant au commentaire de Bobok dont parle GT, je ne l’ai pas trouvé.)

GT UN TÉMOIN CRITIQUE

(in R 88) : C’est très important pour GT de ne rapporter que des témoignages valides. Elle y tient aussi bien comme ethnographe que comme témoin de Ravensbrück.

Pour asseoir son opinion sur la fragilité du témoignage humain, Claparède, nous rapporte-t-elle, avait interrogé 56 de ses étudiants sur l'existence ou l'absence d'un certain vasistas devant lequel ils passaient tous les jours. Il apparaissait que quarante-huit d'entre eux n'avaient pas remarqué le vasistas et que seulement huit se souvenaient de son existence. Et Claparède d'en conclure que le témoignage humain ne vaudrait pas cher. Germaine Tillion prend très habilement le contre-pied de cette expérience et l'invalide : S'il avait interrogé, dit-elle, la femme de ménage chargée du nettoyage des carreaux et fait éventuellement confirmer ce témoignage par le concierge, il serait arrivé facilement à une certitude concernant l'existence de ce vasistas.

A Ravensbrück, elle ne va pas procéder autrement : pour connaître les salaires et le budget d’une Aufzeherin, une gardienne SS, elle s’adresse aux secrétaires thèques de l’administration du camp. Pour connaître l’existence et le fonctionnement de l’usine à tuer d’Auschwitz, elle écoute plusieurs témoins de première main qui ont été pour des raisons obscures transférés d’un camp à l’autre.

Pour rapporter telle ou telle exaction, elle ajoute souvent « je tiens cette information de une telle qui a vu de ses yeux l’événement rapporté ».

Quant aux goulags et aux facéties des camarades soviétiques, elle entend dès sa mise en quarantaine le récit de Grete Buber-Neuman qui laborieusement, phrase par phrase, par l’intermédiaire d’une interprète lui rapporte sans faiblir - avec la passion que ce soit connu - l’histoire de son mari communiste allemand, militant, tombé en disgrâce, exécuté à Moscou, et elle envoyée au goulag, puis refilée aux nazis comme cerise sur le gâteau du pacte Germano Soviétique.

Quand GT était dans l’Aurès, elle savait combien chaque champ, chaque parcelle donnait de charges d’orge ou de blé dur, et bien, à Ravensbrück, elle n’aura de cesse de savoir combien était loué chaque forçat aux industriels allemands, combien de marks coûtait en nourriture chaque journée de retenue au camp. (Si faible que soit le coût de l’entretien d’une prisonnière, quand elle n’était plus capable de travailler, elle alourdissait le budget, et il fallait donc la supprimer).

GT doit la vie à une transaction de Himmler qui voulait être Vizir à la place du Führer. Il contacte le Comte Bernadotte, président de la Croix Rouge suédoise , lui demandant de servir d’intermédiaire pour négocier une paix séparée avec les Américains. Bernadotte y consent à condition qu’il puisse recueillir les femmes survivantes du camp – qui entre-temps est devenu un camp d’extermination immédiate. Une caravane d’autocars vient les chercher et les emmener jusqu’en Suède. C’est pour ça qu’elle est vivante.

Mais cependant elle décrit ce salut sans coller à l’événement, avec distance :

« Les Allemands avaient largement le temps de faire l'extermination finale. S’ils ne l’ont pas fait, c’est à cause de l’idée d’Himmler - folle ou non – de prendre le pouvoir à la place d’Hitler et de faire une paix séparée avec les Anglo-Saxons par l’intermédiaire des Suédois, en se servant de nous comme monnaie d’échange – la dernière et peut-être la pire de toutes les exploitations dont nous avons été les victimes et qui heureusement a échoué.» (R 46)

GERMAINE TILLION S’EXPLIQUE

Vous ne devez pas oublier, dit-elle en substance, que je venais d’une société différente. Pendant les 7 ans que j’avais passé dans l’Aurès, j’avais longuement travaillé à détricoter patiemment cette société. Figurez-vous que, pour chacun des 700 membres de la tribu qui m’accueillait, j’avais établi une histoire personnelle :mariages, divorces, enfants, guerre, et une histoire de leur origine :leurs aïeux avec les éléments marquants de la vie de chacun d’eux, leur généalogie aussi loin que possible, remontant parfois jusqu’au milieu du XVIII° siècle.

« N’oubliez pas, dit elle précisément, que j’arrivais d’une société différente que j’avais essayé de dévider comme un tricot : de bien la comprendre et d’abord de la regarder /…/. Quand je me suis trouvée en prison, j’ai essayé de voir comment était tricotée la prison et ensuite comment était tricoté le camp, et c’était totalement différent. « (le siècle, p 351.

Voilà, à l’en croire, tout cela est simple et coule de source…

 G.T. ETHNOGRAPHE chez les Berbères de langue Chouia(« Il était une fois… » et « le Harem …»)

Elle a 27 ans et une solide formation quand on lui propose une mission ethnographique dans l’Aurès. Elle choisit le coin le plus reculé, le plus montagneux sur le versant sud jouxtant le Sahara. Les gens, des berbères parlent le Chaouia. Elle s’y retrouve seule avec un jeune interprète, et elle y restera, avec de très brèves interruptions de 1934 à 1940, presque 7 ans dit-elle. La proximité du désert, lui permet aussi d’étudier les Touareg, et son regard ne cessera de se porter

- de la civilisation agricole Chaouia à la civilisation pastorale Touareg ;

- D’une société agricole patrilinéaire où l’on garde pour soi la terre et les filles, endogame, incestueuse où le mari idéal est le fils du frère du père, où la femme n’est rien, les répudiations très fréquentes

- à une société pastorale, matrilinéaire, où les filles héritent, où la femme ne gouverne pas mais règne et possède un douaire qui enrichit le mari et stabilise son mariage d’autant qu’il est mis en sécurité chez son père, société exogamique où l’échange de filles à marier vient encore parfois conclure la paix avec une tribu voisine.

De ces missions Germaine Tillion avait ramené un matériel abondant qui sera l’assise de deux thèses de Doctorats d’Etat qu’elle finalisera en prison, à Fresnes. Ces deux thèses et toutes ses notes disparaîtront à Ravensbrück dans les derniers jours avec les bijoux d’une princesse polonaise et le fruit de bien d’autres pillages. Donc, matériel perdu et thèses non publiées.

Il restait cependant les notes des six premiers mois qu’elle avait écartées comme de moindre valeur pour sa thèse. Ces notes demeurent pendant des décennies sous son coude gauche, et puis en 1966 à la suite de nouvelles missions au proche Orient, elle publie « le Harem et les cousins » et en 2000 donc à 93 ans, « Il était une fois l’Ethnographie ».

Au passage, en cheminant vers l’Aurès, elle rencontre poliment tous les échelons de la hiérarchie coloniale, et ne peut s’empêcher d’en faire une petite observation ethnographique distante, amusée.

Elle s’installe sous sa tente malcommode, vaguement protégée par un abri rocheux.

Elle regarde, elle écoute ses amis Chaouias – Oui, ses amis, oui, elle apprend à vivre avec eux et saura s’en faire de vrais amis et beaucoup le resteront toute une vie. Plus tard, elle les visitera en prison pendant la guerre d’Algérie, puis plus tard encore elle les recevra chez elle, à Paris, eux ou leurs enfants pour leur rendre l’hospitalité.

Elle est soucieuse de bon voisinage, de petits services échangés, de politesse.

Elle ne pose pas de questions, mais répond à toutes celles de ses hôtes. Elle écoute. Elle apprend quelques sages dictons qui lui permettent de faire bonne figure dans les assemblées.

Elle s’installe chez eux comme un hôte, avec un infini respect éclairé par une solide culture universelle. Elle compare son point de vue avec celui de St Augustin qui vécut en Algérie, elle évoque en vivant avec eux la civilisation paléolithique des beaux-frères, versus la civilisation néolithique des cousins…Et mille choses encore que je ne saurais vous dire toutes…Mais je vous citerai quand même cette anecdote :

C’est un histoire d’avortement : Un groupe familial, une Ferqua en mésentente chronique avec la Ferqua voisine en arrive un jour à inventer un coup tordu. Ils accusent d’avortement une femme de la Ferqua voisine et ennemie. Sachant que l’avortement est interdit par la loi française, ils déposent cette accusation auprès du représentant de la France. Ensuite ils rentrent à la maison et discutent entre eux et avec leurs ennemis. Ils finissent par élaborer un compromis honorable pour les deux parties « bien qu’il y ait eu quand même quatre meurtres, deux de chaque côté, heureusement peut-on dire, parce qu’ainsi ça s’équilibrait. »

De nombreux mois passent, puis enfin surviennent deux gendarmes pour enquête.

La prévenue avoue sans problème. Elle est arrêtée. C’est la honte pour son clan, une honte terrible pour tous ses voisins. GT reprend l’enquête pour son compte. Et il apparaît qu’en fait cette femme a bien fait une tentative d’avortement, mais avec les moyens magiques de sa culture : des fumigations locales à base d’herbes et de rat grillé. GT intervient auprès des gendarmes : puisque la loi française ne punit pas la magie, l’inculpation tombe. La femme accusée est relâchée au soulagement de tout le monde, y compris des gendarmes. Nul ne sait comment cela se serait terminé, les gendarmes non plus - qui avaient légitimement le souci de leur propre sécurité dans ce pays où le meurtre est fréquent pour des affaires d’honneur.

GERMAINE TILLION PSYCHANALYSTE

En lisant Germaine Tillion, il m’est plusieurs fois arrivé d’avoir le sentiment d’être en pays connu, ou plutôt de reconnaître une démarche de pensée très voisine de celle de l’analyse. A la lecture des premières pages de « le harem et les cousins», bien souvent, apparaissait en moi la devise, la phrase emblématique de S.Freud : si je ne peux ébranler les dieux, j’irai jusqu’aux Enfers pour y trouver ma vérité.

Ecoutez sa démarche :

: « … Ce livre, dit-elle, /…/ a été entièrement pensé et écrit en commençant /…/par une étude très attentive de faits contemporains. Ensuite, en cherchant les liens qui les unissaient entre eux, j’ai été amenée – à ma propre surprise – à remonter le cours du temps jusqu’à la préhistoire »…

Et en note : « Ce sont les faits aberrants, hors système, qui, en sociologie, jouent le rôle révélateur que la psychanalyse attribue au lapsus… »(le harem…p 15)

Elle intitule un paragraphe« Une contrariété chronique

A l’origine des hypothèses que j’expose se trouve l’observation directe de tribus semi nomades dont j’ai partagé la vie pendant de longues années – assez longtemps pour voir évoluer les gens qui en faisaient partie. En effet ce n’est pas dans les institutions, mais dans la façon dont elles évoluent que j’ai cru apercevoir une contradiction ou, comme disent les psychiatres, un conflit. /…/Tout comme les nœuds psychologiques que l’Ecole de Freud étudie chez les individus, le « conflit » en question paraît être le produit d’une « contrariété chronique », d’une « agression » habituelle, à laquelle l’organisme – en l’occurrence : la société – répond par une mise  « en défense »…. » (le harem p 23),

Germaine Tillion s’intéresse à l’histoire des civilisations comme un psychanalyste s’intéresse à l’histoire individuelle, aux refoulements, aux conflits pulsionnels…(préface de la IV° édition « Le harem et les cousins )

Comme le psychanalyste, elle s’intéresse aux restes, aux aberrations, à ce qui ne s’insère pas logiquement dans le courant culturel ou religieux dominant. Ce qui reste de blocs apparemment erratiques des civilisations antérieures au sein d’un nouveau système social et les tiraillements douloureux que créent leur dérive, leur mouvement ou leur immobilisme farouche.

Elle est convaincue qu’il est important de livrer aux gens ces lumières de compréhension sur les souffrances de leur société – qu’il s’agisse des souffrances d’un pays, l’Algérie, ou des souffrances de ses collègues de Ravensbrück -- comme le psychanalyste pense de son devoir de formuler une interprétation qui déverrouille et éclaire les termes d’un conflit intra-psychique.

Elle est exactement aussi soucieuse d’ouvrir les sociétés qu’elle a étudiées à la vérité de leur histoire et à l’interprétation de leurs contradictions, que peut l’être un analyste à ouvrir un sujet à sa propre vérité. D’ailleurs, elle a souvent publié dans l’urgence, parce qu’il lui apparaissait que c’était maintenant, à ce moment-ci de notre vie ensemble, que le contenu de tel ou tel de ses livres devait être offert pour augmenter les chances d’un tournant favorable.

« En ce qui me concerne, écrit-elle encore, j’ai eu l’occasion par deux biais différents de mesurer le désarroi des hommes devant le monde qu’ils ont fait , et par deux fois de constater le soutien réel que peut apporter à ceux qu’ils écrasent la compréhension – c’est à dire l’analyse – des mécanismes écraseurs ( en outre cette clarté projetée sur les monstres est aussi, je n’en doute pas, une des façons efficaces de les exorciser.) »

et juste un peu plus loin :

« Quand ils avaient compris -- au secret d’eux-mêmes une petite mécanique qui s’appelle la raison se remettait en marche, et elle entraînait souvent, très miraculeusement les délicats rouages qu’étudient les anatomistes et les médecins, et que Xavier Bichat définissait comme ‘’l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort’’. » (le harem pp 21-22)

GERMAINE TILLION ET LA GUERRE D’ALGÉRIE

J’ai failli contourner ce chapitre. Après tout, ça ne fait pas vraiment partie de Parole/Génocide, mais à ce compte-là il aurait fallu squeezer tout GT.

Et puis j’ai été militaire à Oran, à l’aéroport de la Senia d’octobre 55 à février 56. J’ai bien aimé cette ville avec ses vieilles calèches, ses couleurs, sa rue et ses brochettes d’abats à la sauvette.

Il me semble que j’ai su tout de suite que ça ne pouvait pas s’arranger en regardant les gens monter dans l’autobus. Les jeunes Français Européens prenaient le pas en les bousculant, sur les respectables vieilles dames Française Arabes qui attendaient debout et dehors qu’ils se soient installés…

Le point culminant de son drame algérien, c’est peut-être sa rencontre avec Yacef Saadi en 1957, dans la Casba d’Alger, un village de la taille du Jardin du Luxembourg, dit-elle. C’est après l’attentat dit du Casino, une bombe a fait de nombreuses victimes civiles, des jeunes gens venus danser. Elle se laisse conduire dans le dédale de la Casba par une Algérienne amie qui lui a simplement proposé une rencontre avec quelqu’un d’important. Elle ne sait pas qui. Elle arrive dans une pièce avec des gardiens à mitraillette et deux jeunes femmes silencieuses. En face, le responsable en question dont elle saura plus tard qu’il s’agit de Yacef Saadi en charge de la lutte armée à Alger, et par intérim dans l’Algérie entière.

Elle leur fait une assez longue conférence, pendant une heure et demie sur l’effondrement économique des pays d’Afrique, sur la pauvreté, la famine (qu’elle est la seule à avoir pratiquée) ; Sur la menace de bolchevisation d’une Algérie qui serait complètement séparée de la France sans liens économiques. Puis on en vient aux attentats : « Vous êtes des assassins ! » leur dit-elle, non pas agressivement, mais plutôt comme on parlerait à un enfant en étant peiné d’une grave faute qu’il a commise. Yacef Saadi est interloqué puis il répond « Oui Mme Tillion, nous sommes des assassins ». Il l’a écoutée avec émotion et prend le parti de lui promettre qu’il n’y aura plus de victimes civiles, et comme elle lui répond qu’elle n’a aucune espèce de mandat pour représenter la France, il lui répond : « Ça ne fait rien, C’est à vous que je veux faire cette promesse ».

Mais s’il y a encore des exécutions ? Alors je ne réponds de rien dit Yacef.

Elle interrompt la rencontre après quatre heures et demi. Et puis, elle court en France pour essayer de calmer l’hystérie guerrière, pour qu’on se mette enfin à se parler entre les deux rives du « Lac Méditerrannée », comme elle aime à dire. Mais les exécutions reprendront avec la suite que l’on sait.

: En 1997 Yacef Saadi écrira : 

« C’était une femme admirable, même si elle laissait parfois ses interlocuteurs pantois, voire interloqués par ses répliques inattendues /…/,dotée d’une curiosité olympienne, elle n’avait pas peur des mots… c’était un femme retorse, animée d’une volonté résolue d’aller au fond des choses… »

La fonction conciliatrice qu’elle choisit d’occuper pendant toute la guerre d’Algérie, elle l’avait analysée en milieu Touareg où l’exogamie restant l’union la plus valorisée, il arrivait que des enfants aient leurs deux parents dans deux tribus voisines, voire ennemies. Ces enfant-là avaient une position particulière. On les appelait les « apaiseurs » - de fait c’étaient des négociateurs nés et c’est souvent par leur entremise que les conflits intertribaux trouvaient une issue. C’est dans cette même position qu’elle se place entre son pays natal et son pays d’adoption l’Algérie. Et quand Yacef Saoudi passera en jugement, elle écrira une longue déposition soulignant son désir de dialogue. Pour ne pas être court-circuitée, elle en enverra le texte à des dizaines de gens importants. Et finalement Yacef échappera à la guillotine.

Parmi toutes les choses que Germaine Tillion entreprend pour offrir une bonne chance à l’Algérie, je citerai seulement la création des Centres Sociaux qui devaient apporter une instruction de base à tous les enfants garçons et filles, y compris dans les campagnes reculées. Ces centres sociaux devaient aussi accueillir les adultes pour une formation professionnelle, et offrir des soins à toute la population quel que soit l’âge, pour pouvoir soigner les maladies contagieuses de tous les membres d’une famille atteinte. Ces centres se développeront et fonctionneront jusqu’à ce que la guerre embrase tout.

DE ZALMEN GRADOWSKI À GERMAINE TILLION

J’ai accepté de me laisser habiter un temps par Zalmen Gradovski pour pouvoir vous en dire quelque chose, il doit y avoir deux ou trois ans : ce fut un peu comme un combat avec l’ange. Mais je n’habiterais pas durablement avec lui : on ne peut pas tenir longtemps un fer rouge dans la main.

Par contraste, je voudrais garder Germaine Tillion, je voudrais la garder comme une lumière, la lumière de son regard, comme une compagnie vers qui on peut se tourner dans l’angoisse et l’incertitude. je voudrais m’appuyer sur ses mots :

« «Si l’ethnologie qui est affaire de patience, d’écoute, de courtoisie et de temps, peut encore servir à quelque chose, c’est à apprendre à vivre ensemble »

Je voudrais bien qu’elle nous guide dans le combat qu’il faut mener contre l’exclusion de l’autre parce qu’il est autre ou qu’il vient d’ailleurs et contre les privations de liberté administratives, Elle a déjà milité par avance dans ce sens, avant qu’on invente le mot de rétention administrative, car elle cite parmi les « Critères du Régime Concentrationnaire » (combats p 207 )

-« Les détentions par mesure administratives pour motifs politiques, raciaux, religieux ou philosophiques 

-Les détentions prolongées après l’expiration de la peine »….

Elle (la routine du régime concentrationnaire) dit-elle encore, suppose l’existence de lois ou de règlements administratifs, de tout un ensemble de conceptions qui tendent à en faire une institution normale, habituelle, permanente… »

LE VOCABULAIRE DE GT

L’INDIFFERENCE  de GT

Le mot indifférence apparaît plusieurs fois sous sa plume dans des occurrences qui nous surprennent  et disent, me semble-t-il quelque chose d’essentiel de leur auteur :

Au Revier, à R.où elle se fait soigner en douce par une infirmière détenue « …un officier SS … est entré et s’est penché sur moi sans broncher, ma vie ne tenait qu’à un fil. Si j’avais montré ma peur, il nous aurait sans doute tuées toutes les deux. Ce n’a été ni de la chance, ni du sang froid, seulement de l’indifférence, une indifférence que la vie du camp m’avait apprise… » (Combat, p 64)

« Cette nuit-la, je décidai de vivre, avec délibération et indifférence, et tout en me moquant de moi-même à cause du culot qu’il y avait à imaginer qu’on y pouvait quelque chose…. »(R 46 p 80)

Bien que le mot indifférence ne figure pas dans l’anecdote suivante, elle me paraît de la même veine :

Elle est emprisonnée à Fresnes en 1942. Entre un officier Allemand : « …on va vous fusiller demain matin !…des quantités d’évènements et même de projets, défilaient ensemble dans ma tête à la vitesse d’un film accéléré…puis j’ai haussé les épaules… ce qui l’a fait bégayer de fureur . Quant à moi…je lui ai dit : « Oh, Monsieur, excusez-moi, je vous avais oublié » Il a alors pu voir sur mon visage que c’était la pure vérité…il s’est remis à bégayer…. »( p 68, la traversée )

 Egalement :

« une camarade qu’on appelait Napoleone parce qu’elle était Corse était par terre et un SS était en train de l’assommer. Je me suis dit/…/ « Ça ne vaut pas la peine de chercher à survivre. Mort pour mort, autant mourir en disant non ». C’est à ce moment là que je me suis interposé entre le SS et Napoléone. Quand j’ai vu qu’il me prenait à la gorge, j’ai retiré mes lunettes pour qu’il ne me les casse pas sur la figure et je lui ai dit « Nein ». Mon vocabulaire était encore très réduit, je n’étais pas capable d’en dire plus. Le fait que je ne fasse aucun mouvement pour me protéger m’a protégée. Le « Nein » avait sidéré le SS. (le siècle de GT, Tvetan Todorov, Seuil 2007, p 355)

LA HAINE selon Germaine Tillion

Au procès de Hambourg, elle regarde les SS et les Aufzeherinen :

« Peut-on appeler haine cette douleur morne ? Trop clairvoyante pour ne pas inclure une compassion déchirée ?

J’observais jour après jour, en train de se tisser entre eux, ces mystérieuses connivences que connaissent tous les captifs. Et par dessus les têtes des soldats anglais qui les gardaient, je les voyais, non sans pitié, correspondre par geste et regards, avec dans le public, quelqu’un qui les aimait ». ( Combats, p 41) r

CHOISIR pour GT.

GT s’est interrogée comme chacun d’entre nous sur le « Choisir. ». Choisir entre le bien et le mal. Dire à un proscrit, dans l’instant comme à Chambon sur Lignon « mais bien sûr, entrez donc » ou bien choisir le mal, devenir SS à Ravensbrück ?

 : « En 1940, je m’étais trouvée tout de suite dans une zone dangereuse de la résistance active, l’ayant cherchée, mais sans m’être posé de questions : tout allait de soi/… /cela…n’impliquait pas un choix moral… » (combats, p 325)

« Il y a sûrement des moments tragiques ou dramatiques où nous sommes amenés à faire des choix. Et à partir de ces choix, nous glissons dans la direction choisie. Ensuite, il y a sans doute, une espèce de fidélité à soi-même. Ou bien étions-nous déjà fidèles au moment du choix ? je ne sais pas. Car au fond, nous ne savons pas non plus ce qu'est le vrai mal, le mal extrême. » ( combats, p 53 )

: « Et il est vrai que le danger est comme une lame : détachant les braves de ce qu’ils ont de peureux, mais tranchant chez les lâches leurs velléités de courage. Le danger contraint les uns et les autres à choisir une des deux voies, puis les pousse dans le chemin choisi, puis finit par leur barrer toutes les autres routes. » (combats p 424) : 

Son rêve lors du procès des SS de Ravensbrück (procès de Hambourg) où elle est observatrice, désignée à l’unanimité par ses collègues.

« …l’un des soldats anglais qui gardaient le porte me dit à voix basse : c’est sur ces billots qu’on va les décapiter. Je pensais : je veux m’en aller, je veux m’en aller, et aussitôt : non, je n’ai pas le droit, eux seuls savent. Je m’approchais ensuite d’un des SS ressemblant vaguement au commissaire qui m’avait interrogé à Paris, en lui demandant : « Monsieur, pourquoi avez-vous été si méchant ? »

Je me suis réveillé à ce moment-là, mais je revois le SS faire, de la main droite, un geste vague, sans répondre…Au fond, il y a tout dans ce rêve. (combats, p54)

GT et la race allemande

« J’ai entendu beaucoup de gens parler de la cruauté, de la dépravation de la « race allemande ». Comme ce serait rassurant de penser cela et de circonscrire ainsi le désastre ! La vérité est qu’il s’agit d’un phénomène de dégénérescence sociale dont les causes sont surtout économiques. »(R46 p 61)

EN GUISE DE CONCLUSION

je vous offre une phrase volée à un ami :

Ce survol que je viens de faire pour vous d’une longue vie et de beaucoup de travaux, je souhaite qu’il vous ait donné, une idée de tous les ouvrages de GT. Mais aussi de ce qui fait leur unité, soit l'auteur(e), égale à elle-même dans chacun d'eux, dans son statut d'observateur participant : qui engage sa subjectivité dans une activité qui se veut scientifique ; mais de façon plus surprenante, qui demeure observatrice quand bien même participante à son corps défendant.

Permettez-moi encore un petit chapitre HORS PISTE que j'avais écrit et puis jeté au panier, et puis réhabilité en l'abrégeant.

GERMAINE TILLION GO

Vous arrivez un soir à Ravensbrück dans le convoi des 27OOO. Peu de temps après votre arrivée une GO nommée GT viendra par la fenêtre vous faire une vraie conférence sur le fonctionnement du camp de vacances, ses distractions, sa place dans la remarquable organisation générale des camps (« Happiness is our business ». comme disait Mr Trigano), le pourquoi et le comment de ce qui vous arrive et comment ça se comprend dans l’univers nazi et dans l’histoire du monde.

Vous vous retrouverez ensuite dans le block 32 des françaises NN. Vous y serez gentiment accueillie, et vous apprendrez facilement les règles de savoir vivre instaurées par GT et ses compagnes : pas de troc, partage fraternel de toutes les aubaines alimentaires ou autres, aide au malades, jamais de délation, cachette assurées pour toutes celles qui jouent à cache tampon ou à la course poursuite avec les animateurs en vert..

Puis vous serez Verfügbar comme GT l’est aussi souvent qu’elle peut, cad presque toujours. Vous participerez à l’entretien du campement. Il vous faudra jouer un peu des coudes avec vos compagnes pour être auprès de GT, la GO qui vous racontera des histoires du monde, de son chien, de son cheval et de la vie pour vous aider à travailler dans la joie.

En revenant du travail vous marcherez au pas, et tout en chantant, vous contribuerez à la création d’une opérette plutôt marrante intitulée le Verfügbar aux Enfers.

Voilà. C’était GT GENTILLE ORGANISATRICE du camp de Ravensbrûck

Joseph Gazengel ce quinze Nov 2008

Je remercie Jacqueline Fennetaux d’avoir bien voulu animer ce texte avec moi en le lisant en voix alternées dans le Séminaire « parole/génocide » de Michel Fennetaux.