Sépultures

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Profaner une sépulture qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Pouvons nous en faire une lecture au delà d'une émotion qui nous saisit ?

C'est par l'invention de la sépulture, à jamais perdue dans la nuit des temps, que l'homme est entré dans le symbolique.

La tombe inaugure l'écriture de la disparition d'un être vivant, elle en permet la lecture. Elle témoigne du fait que cet être vivant a été et qu'il n'est plus, elle est frontière entre l'existence et la non-existence, trace d'un passage. Du fait qu'elle est une trace la sépulture indique l'effet du symbolique. Ce qui s'écrit marque la disparition de la Chose ; le signe ou la lettre remplace la chose, s'en fait le représentant. Ainsi la sépulture accueille le réel d'un corps mort, du cadavre, de la chair sans vie et sans nom pour lui donner une place. Les signes et inscriptions qui y figurent donnent un nom à l'être disparu et l'incluent de ce fait dans l'ordre des générations. Ainsi la place et le nom représentent le mort qui n'est pas un simple corps-déchet mais est identifié.

La sépulture suppose l'existence du lien social du fait qu'en toute logique elle nécessite des survivants à l'être disparu pour qu'ils construisent la tombe et organisent le rite. Ainsi la sépulture nous rappelle qu'il y a eu une parole, un rite pour dire l'humain qui a disparu, pour l'inscrire ou le réinscrire dans le champ social. Elle indique de ce fait que tout homme est lié à un autre homme et ne peut exister dans une solitude absolue. La place laissée vide par l'homme mort est symbolisée par sa sépulture qui vient nous rappeler qu'avant la tombe il y a eu du vivant nommé. Elle nous rappelle que ce vivant est consubstantiel du lien social.

Retrouver des ossements humains permet de lire l'existence d'un homme préhistorique et de tenter de la daterme façon qu'ont été au cours desde France)e"r les étudiants afin de proposer une réforme en profondeur des études médicales, mais retrouver des ossements humains dans une sépulture nous apprend l'existence d'un rite, d'une construction, d'une inscription, d'une volonté de laisser une trace. L'homme par les rites d'enterrement commet un acte de fondation de sa qualité d'homme à jamais séparée d'un réel innommable et sans loi : il s'inscrit dans une culture. Nous pouvons nous saisir de la sépulture comme d'un point mythique de l'origine de l'entrée de l'homme dans le ternaire Réel, Imaginaire, Symbolique (catégories mises au travail par Jacques Lacan tout au long de son enseignement).

Les rites d'enterrement visent à inscrire le manque d'un être, sa perte réelle, dans une chaîne signifiante articulée à un lien social, une culture, au-delà de ce que la parole pourra continuer à dire de cet être : les sépultures témoignent. Les cimetières nous parlent, nous y lisons sur les tombes les noms de personnes dont nous n'avions jamais entendues parler et de ce fait ces tracent, qui représentent des existences inconnues, nous rappellent qu'il y a eu de l'humanité avant nous, de la culture.

La tombe permet une représentation symbolisée de la place laissée vide par le défunt du fait de l'articulation entre le lieu et le nom. Le nom fait trace, il inscrit l'homme dans sa généalogie et son histoire. La sépulture est une façon de nouer le réel impensable de la mort à l'existence, une façon d'inscrire l'autre dans sa propre histoire. Elle est une autre façon de dire qu'un discours vient inscrire dans un champ social ce que signifie la perte d'un membre d'un groupe pour le groupe.

Profaner les tombes n'est-ce pas une façon de dénier l'inscription de l'homme dans l'humanité ? N'est-ce pas une tentative de faire sortir l'homme de la loi symbolique. N'est-ce-pas une façon de montrer la face réel de l'homme fait bête celui qui veut nier l'histoire avec ce que cela comporte de désarrimage à la Loi. Profaner les sépultures n'est-ce pas une façon de nier le poids du signifiant pour laisser l'humain face à un corps insensé. Un homme sans tombe est un homme qui ne peut trouver le repos, les mythes aussi bien que le théâtre antique nous le rappellent. Sans rentrer dans le débat sur l'éthique, le vœu d'Antigone n'est-il pas que son frère en dépit de sa faute puisse bénéficier d'une sépulture ?

De la même façon qu'ont été au cours de ces dernières années détruits les bouddhas, pillés les musées d'Irak, brûlées les bibliothèques de Bagdad, effacées les fresques de Rivesaltes etc..., des sépultures sont détruites au nom de l'assassinat de l'homme dans ce qu'il a de plus humain son inscription signifiante dans l'histoire, son inscription tout simplement dans l'humanité, dans ce qui fait trace. S'il ne nous reste plus que le corps pour vivre ou pour mourir sommes nous encore des "frères humains" ?

La question va au-delà de l'antisémitisme, de l'antireligieux, elle participe d'une éthique du sujet. C'est l'homme où qu'il soit qui est menacé. Ces manifestations sont à mon sens le signe d'une dégradation de la place du sujet humain dans nos sociétés. Car se sont bien nos sociétés qui produisent ces "hommes" capables de dénier l'humain. Nous avons déjà assisté au cours de l'histoire à l'ignominie, et la dernière guerre mondiale avec les camps d'extermination nazis en a été un paradigme. Mais qu'avons nous appris ? A quels dieux obscures sommes nous prêts à nous vouer pour refuser une éthique du sujet et de son désir. Le bonheur s'achèterait-il comme un gobelet de pop-corn ? L'homme peut-il être autre chose qu'un consommateur ? Il serait temps que nous nous mettions sérieusement au travail afin de réfléchir à la place de l'homme dans nos sociétés, d'interroger ce qui produit de telles ignominies que leurs auteurs justifient parfois au nom de la défense d'un idéal, d'une différence.

Il y a de fortes présomptions pour que ces profanations aient quelque rapport avec une volonté de déstabiliser un pouvoir politique. Cependant, ceux qui les commettent le font au-delà de la culpabilité qui jusque là empêchait la fréquence de tels actes. Mais ne nous laissons pas abuser, quand bien même ceux qui les commettraient seraient-ils manipulés par des groupuscules, que notre époque produise de tels actes n'est pas à laisser sans tentative de lecture des causes si nous voulons tenter d'éviter le déferlement des barbaries qui sont en route sur notre planète.

Françoise Meyer psychanalyste   5/7, impasse lamier   75 011 PARIS