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Peut-il y avoir de la fumée sans feu?
Peut-il y avoir de la fumée sans feu?
Peut-il y avoir de la fumée sans feu ?
Des réponses aux maux de notre société en voilà quelques unes. Lorsqu'on déplore des victimes après un incendie d'immeuble en mauvaise état, on préconise de mettre des détecteurs de fumée dans les immeubles d'habitation, lorsqu'on déplore de jeunes victimes électrocutées dans un transformateur électrique haute-tension et la violence de jeunes contre policiers et pompiers on préconise de mettre des caméras sur les voitures de police. Lorsqu'on déplore des victimes de coups mortels portés à des personnels de service psychiatrique on préconise un plus de surveillance policière.
A chaque mal de la société une réponse immédiate hors de toute réflexion et hors de toute pensée. Aurait-on peur de réfléchir ?
Repérer la fumée évite-t-il le feu ? Il est évident qu'il ne peut exister un degré zéro de risque, mais cela doit-il nous empêcher d'examiner les circonstances dans lesquelles arrivent certains accidents et d'interroger nos responsabilités tant de politique que de citoyen ?
Si quand des jeunes finissent dramatiquement leurs jours dans un transformateur électrique de haute tension, la seule réponse envisagée consiste à supposer que la présence de caméras sur les voitures de police aurait pu permettre de savoir ce qui s'était réellement passé, on peut se demander de quoi cela participe.
On assiste ici à un vœu de disparition de toute parole et de toute valeur donnée à une parole. On pense qu'il y a une objectivité certaine et toute de l'image et on en rêve. Qu'un ministre annule de même pas sa propre parole en tant qu'énonciation et le contenu de cette parole en tant qu'énoncé sans même sans rendre compte n'est-ce pas là le stigmate d'une société qui perd le sens même de sa citoyenneté ? En effet si ce qui compte est le tout image pourquoi notre ministre parle-t-il encore ? Qu'est-ce que le droit nous a appris de la vérité ? Heureusement le dispositif de la justice donne encore dans notre pays la possibilité de dire, de dire sa vérité, et de faire advenir la parole des témoins lors d'une audience devant une assemblée réunissant juges et parties ?
On pourrait être tenté de répondre que l'objectivité (avec l'objectif de la caméra bien sur) serait absolue avec un dispositif de caméra automatique puisqu'il n'y aurait pas de cameraman ? Sans rentrer dans le débat de la falsification des images, on peut se demander à quoi se rapporte une telle idée si ce n'est à un grand fantasme. Car on ne voit jamais que ce qu'on peut voir, aucune caméra n'englobera jamais l'ensemble du champ d'un événement et en supposant quand bien même que cela soit possible, qui lira l'image ? Une autre caméra ou bien un humain tombé là par hasard ? De plus ce qui est filmé ici montrera-t-il ce qui a été dit, préparé, fomenté, organisé en deçà d'un événement ? Toute lecture, que se soit celle d'une image, d'un rapport, d'un dire n'est-elle pas par définition liée à celui qui la fait ? L'illusion d'un pure objet d'observation est en deçà du plus obtus positivisme
Est-ce seulement naïveté de la part d'un ministre d'Etat d'avancer de telles solutions pour en savoir plus sur le déroulement d'un fait ou bien s'agit-il d'une façon de brosser dans le sens du poil, une population insécurisée qui se fie au tout image encouragée par le télévisuel omniprésent ? Avons nous à faire à une manœuvre politicienne orientée ou bien à une "aveugle" manifestation du pouvoir faisant montre d'une ignorance absolue du risque encouru à ne "vouloir pas savoir" la vérité ? De celle qui se dit, qui s'écrit qui s'énonce en termes articulés et complexes et qui, lorsqu'on prend le temps de l'écouter, de la déplier, de l'analyser, peut éviter la montée du totalitarisme. Répondre à une violence sans parole par des propos sans mesure qui viennent comme une riposte sans penser, n'est-ce pas totalement équivalant ? Répondre dans le miroir, c'est toi ou c'est moi voilà de quoi il s'agit. On assiste à une mise en avant d'une lutte violente d'un contre l'autre, là où il faudrait introduire un acte de symbolisation qui permette, non plus une logique de l'un contre l'autre, mais une logique d'un pas l'un sans l'autre. Il n'y a pas les bons d'un côté et les méchants de l'autre comme dans la cour de récréation ou les westerns des pires années, il y a moi dans l'autre et l'autre en moi. Mépriser l'autre est une façon de s'anéantir soi même.
Savoir par l'image qui est le voleur n'est-ce pas aussi une façon de faire équivaloir dans une logique binaire un fait à une punition quelque chose qui n'est pas sans évoquer les expériences avec les souris appuyées sur les théories béhavioristes du conditionnement opérant.
Livrer un groupe de jeunes agressifs et en colère à la vindicte a-t-il quelque chose à voir avec un acte de parole démocratique dont le but serait de calmer d'abord et d'analyser ensuite. Je ne sais absolument pas ce qui s'est passé à Clichy, je n'ai eu que quelques échos médiatiques qui m'ont laissé entrevoir un drame. Deux jeunes morts et un gravement blessé d'une part, des pompiers et des policiers attaqués, des voitures enflammées. Faut-il que la rage soit grande pour qu'un tel déchaînement se produise. Il ne s'agit en aucune manière d'excuser les actes commis : ils sont inquiétants et je ne suis pas s'en me demander ce qui peut s'ourdir en deçà ? Mais tout aussi inquiétantes les réponses qui leur sont données. A ne plus laisser de place à une parole, à une pensée dans un pays on ne peut qu'aboutir à une augmentation des violences quotidiennes, de celles qui insidieusement envahissent notre vie.
De la même façon que l'ouvrage qui vient de paraître, traduit de l'italien, de Mario Colucci et Pierrangelo Di Vittorio : " Franco Basaglia, portrait d'un psychiatre intempestif" nous rappelle que la reconnaissance de l'autre, fut-il fou, passe par le respect de son être et de son dire dans la cité, mais aussi de la reconnaissance de toute folie en soi et qu'il n'y a pas un intérieur et un extérieur aux frontières définies, mais des humains qui essaient tant bien que mal de supporter leur être au monde, n'avons nous pas à examiner la façon dont les organisations de tout genre, en arrivent à nier la position subjective même de tout un chacun ?
Peut-être est-il encore temps de mettre au travail notre constat de la dissolution du lien social dans notre société française ? Si la réponse d'un état à une société en souffrance est un plus de fusils, un plus de surveillance, un plus de vidéo ? Alors ne sommes nous pas en train de rentrer dans les écrans de nos ordinateurs et de devenir les acteurs des jeux vidéo qui se présentent sur les écrans ? Lorsqu'un personnage commet une erreur, on l'éjecte du jeu, ou on le détruit. Marionnettes, ou plutôt personnages dessinés animés et sans âme n'est-ce pas ce que nous sommes en train de devenir ? Les contrôleurs de fumée nous commanderont d'ouvrir les robinets, les caméras de surveillance nous commanderont de fermer les sasses, les caméras témoins laisseront les personnages animés s'entre tuer. Un grand Autre ordinateur (ordonnateur) deviendra le maître du monde. Ceci a quelque relent paranoïaque semble-t-il ? La responsabilité individuelle se dissoudra-t-elle dans le tout robotisé ? Mais nous savons que les pires cauchemars de science fiction sont en dessous de la vérité catastrophique qui agite le monde. Notre vieille Europe pour me ressaisir d'un qualificatif proféré il y a quelque temps, outre atlantique, a encore quelque part feu pour résister à une violence déchaînée, mais pour combien de temps encore ? Le "déplacement" des populations d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre, conséquence des mouvements politiques internationaux, viennent ré-interroger l'histoire, notre histoire refoulée au fin fond de nos consciences colonialistes ou impérialistes. Et ses mouvements de populations ne sont pas sans lien avec certaines violences en zone urbaine.
Si notre parole se dilue dans l'image, si notre corps se cristallise sur les écrans que reste-t-il de notre acte et de notre pensée ?
Comment sortir de cette impasse dans laquelle nous sommes engagés ? la chaleur de l'été 2003 avec ses conséquences désastreuses sur les personnes âgées ne nous a visiblement pas servi. Les médecins crient leur détresse devant la "commercialisation" de leur travail, les hôpitaux doivent devenir des entreprises rentables. Sait-on encore ce qui signifie soigner ? Les services de psychiatrie doivent devenir des forteresses, sait-on encore ce qui signifie, accueillir, écouter soulager la souffrance ?
Etre un homme a-t-il encore un sens ? Devenir performant à tout prix est-il le nouveau slogan qui est sensé galvaniser les foules ?
Françoise Meyer
psychanalyste
PARIS 11 °
01 43 56 16 45
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