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Père ne vois-tu pas ?

Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ? C’est le père avec son enfant. Il porte l’enfant dans ses bras, il le tient ferme, il le réchauffe. Mon fils pourquoi cette peur, pourquoi te cacher ainsi le visage ? Père, ne vois tu pas le roi des Aulnes, le roi des Aulnes, avec sa couronne et ses longs cheveux ?

Mon fils c’est un brouillard qui traîne.

Goethe.

Sans doute, à l’évocation du meurtre commis à Toulouse sur l’un des enfants, dont on nous dit que l’homme l’a saisi par les cheveux pour lui tirer une balle dans la tête, chaque parent a ressenti ce que tout un chacun éprouve devant son incapacité à protéger celui dont il a la garde. C’est de cette fonction de protection qu’il tire d’ailleurs la légitimité de l’interdit qu’il peut s’autoriser à imposer à ce dernier. Qu’il se trouve empêché par la violence, de remplir cette fonction de protection et la seule évocation d’une telle situation provoque alors inévitablement un sentiment de culpabilité. Ce sentiment est insupportable et le reproche vient hanter nos rêves. C’est que Freud nous rappelle dans sa célèbre introduction au chapitre VII de la Traumdeutung. Le drame de Toulouse nous conduit par identification à ressentir ce que ressentent les parents des enfants assassinés. C’est, je crois, l’une des raisons qui ont fait que l’événement a fait le tour du monde, soulevant partout la même émotion.

Se sentir coupable d’un tel manque alors que l’on n’a rien fait de répréhensible nous conduit à chercher à nous débarrasser au plus vite de ce sentiment. Chercher un coupable, une raison qui nous soit la plus extérieure possible : c’est un fou, c’est un fanatique, c’est un étranger. Il faut l’éliminer au plus vite le faire disparaître pour apaiser notre incompréhensible sentiment de culpabilité.

Cette situation terrible, nombreux sont ceux qui l’ont pourtant vécu et le vivent encore aujourd’hui. Hier, parents séparés de leurs enfants livrés aux mains des tortionnaires nazis à l’arrivée au camp, aujourd’hui, enfants emprisonnés et torturés en Syrie pour avoir, par jeu, criés des slogans contre le dictateur en place.

Père ne vois-tu pas ? hélas, je ne le vois que trop.

Comments (1)

(version corrigée, merci de valider celle-ci svp).
Actualité insoutenable, insupportable.
Cette actu. ne m'a pas seulement considérablement blessée en tant que parent.
Non, elle a résonné pour moi de mille façons.
Par exemple, comme nombreux profs auprès d'adolescents dits "en difficulté", j'ai été atteinte en voyant le visage rieur de ce garçon 2 ans avant le drame : il ressemblait tant aux jeunes que nous côtoyons au quotidien...
Et son acte impensable ne peut que nous interroger sur les responsabilités au plan éducatif, sociétal, culturel : un meilleur étayage éducatif, thérapeutique, et social auraient-il empêché ce garçon d'entrer dans son processus de haine sans retour ?
Fait troublant, génie des "hasards" et des coïncidences d'évènements : la veille du drame justement, le dimanche après-midi, j'étais allée écouter une conférence sur "Adolescence et institution".
Patrick Landman, Alain Didier-Weill, Alain Vanier et Abram Coen faisaient le point sur les notions d'adolescence, de "psychothérapie institutionnelle", etc.... Alain Vanier insista sur l'aspect récent du concept d'"adolescence" (autrefois, les jeunes allaient à la guerre, sorte de triste rituel de sortie d'enfance), et sur le besoin des adolescents d'avoir une action possible sur le monde qui les entoure.
Il expliquait grosso-modo que la société contemporaine occidentale a tendance à neutraliser ce besoin d'autonomie, d'action, bref ce besoin de coupure d'avec l'enfance et la famille (il n'existe pas ou peu de rituels, etc...).
Abram Coen - que j'eus l'occasion de faire venir il y a quelques années dans mon premier lycée d'exercice pour des groupes de paroles profs - décrivait les bienfaits du Point Accueil Jeunes tel qu'il l'avait crée à St Denis (93). Point Accueil où des jeunes "exclus" pouvaient trouver un point d'ancrage, d'action et de sublimation dans la cité, plutôt que de se voir rejetés du social via les exclusion tantôt du collège, tantôt du Lycée, etc. Bref, un lieu où, dans le "miroir" leur est renvoyée une image plus pacifiée et positive d'eux-mêmes.
Et comment ce lieu, où, avec des activités culturelles proposées quelque chose "tient" via le nom-du-père - comment ce lieu donc représente à l'évidence un "sauvetage" pour ces jeunes "exclus" en quête légitime de reconnaissance et possibilité de création.
Et je repense à tout cela à présent, je repense au fait que M. Merah, le meurtrier, avait tant besoin de "se battre" et tuer, au lieu de sublimer dans des cadres pacifiés. Et la question insiste pour moi : comment se fait-il qu'il n'ait pu rencontrer autre chose dans son environnement social que la seule solution de la destruction ?
Qu'est-ce qui n'a pas été fait pour que ce jeune-homme se sente abandonné et non reconnu ( du moins en fais-je l’hypothèse) au point d'aller chercher ses "re-pères" chez ceux qui n'ont qu'un message de destruction de l'autre et de la culture ?
Eva Joly hier sur France-Info déplorait avec raison la surcharge dans les prisons, qui fait que des jeunes comme M. Merah (qui avait séjourné en prison) côtoient des gens, fanatiques et intégristes plus âgés qui les influencent négativement par du prosélytisme, etc...
Je sais bien en même temps que quelque chose échappera toujours à l'entendement dans cette affaire atroce. Et qu'il est toujours compliqué de chercher des causes et explications dans de telles affaires extrêmes :
car ce jeune-homme a eu un passage à l'acte heureusement rarissime; il est entré dans une radicalité dans laquelle la grande majorité des jeunes "en difficulté" n'entre pas. Mais c'est aux politiques de ne pas faire l'autruche avec ces dangers potentiels pour ces jeunes, et de savoir aider à empêcher que des conditions de vie indécentes dans nombreux quartiers n'aggravent pas la situation.
Bien à tous,
Nathalie Cappe.

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