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Note de lecture et commentaire du "Livre noir de la psychanayse"
Note de lecture et commentaire du "Livre noir de la psychanayse"
1 - Contenu de l'ouvrage
Le 1er septembre paraît aux Arènes un ouvrage
collectif intitulé Le livre noir de la psychanalyse. Vivre,
penser et aller mieux sans Freud. Catherine Meyer en est
l'éditrice responsable avec la collaboration de Mikkel
Borch-Jacobsen, Jean Cottraux, Didier Pleux et Jacques Van
Rillaer.
Dans cet ouvrage, les freudiens sont mis en
accusation : ils ont, dit-on, envahi les médias à coups de
propagande et de mensonges.
Sont brocardés avec une rare violence tous les
représentants du mouvement psychanalytique depuis ses
origines : Melanie Klein, Ernest Jones, Anna Freud, Bruno
Bettelheim (etc) et, pour la France, Jacques Lacan,
Françoise Dolto, leurs élèves et les principaux chefs de
file de l'école française (toutes tendances confondues, IPA
et lacaniens).
Les chiffres sont faux, les affirmations inexactes,
les interprétations parfois délirantes. Les références
bibliographiques sont tronquées et l'index est un tissu
d'erreurs. La France et les pays latino-américains sont
traités de pays arriérés, comme si la psychanalyse y avait
trouvé refuge pour des raisons obscures alors même qu'elle
aurait été bannie de tous les pays civilisés. Je rappelle
qu'elle est solidement implantée dans 41 pays et en voie
d'expansion dans les pays de l'ancien bloc soviétique où
elle avait été interdite, ainsi que dans le monde arabe et
islamique. La crise de la psychanalyse, qui est réelle
aujourd'hui, a des causes multiples qui ne sont jamais
évoquées par les auteurs, lesquels ont abandonné tout
esprit critique pour se livrer à des dénonciations
extravagantes.
Freud est le plus attaqué : menteur, faussaire,
plagiaire, misogyne, drogué à la cocaïne, dissimulateur,
propagandiste, père incestueux, il est présenté comme une
sorte de dictateur ayant trompé le monde entier avec une
doctrine fausse. En somme, cette doctrine n'aurait pas
d'existence (elle est une “théorie zéro”) puisque
l'inconscient existait avant Freud, lequel aurait séduit
une humanité crédule en se prenant pour un nouveau messie.
2
Freud est aussi accusé comme tous ses successeurs
d'avoir laissé ses patients dans un état de délabrement
atroce et d'avoir inventé de fausses guérisons. Tous les
mouvements psychanalytiques sont dénoncés comme des lieux
de corruption et les psychanalystes sont accusés d'avoir
commis des crimes : 10.000 morts en France, parmi les
toxicomanes, puisqu'ils auraient contribué à interdire des
traitements de substitution. Aucune preuve de ce goulag
imaginaire n'est apportée par les auteurs.
Les psychanalystes sont également accusés d'avoir
infligé de véritables tortures interprétatives à des
parents d'enfants autistes en ignorant la causalité
organique de cette maladie.
Les responsables de ce livre noir appellent le grand
public et les médias à se méfier des traitements
psychanalytiques. Le titre est d'ailleurs éloquent :
l'expression “livre noir” renvoie à l'existence de complots
ou de massacres occultés. L'idée de “penser sans Freud”
signifie clairement que la pensée freudienne ne doit pas
être enseignée puisqu'elle est une fausse science.
Dois-je rappeler qu'elle figure au programme du
baccalauréat et qu'elle n'appartient nullement à la
communauté psychanalytique mais à l'histoire de la culture
occidentale ?
Quant à la proposition “d'aller mieux sans Freud”,
elle signifie que les patients sont invités à quitter leurs
thérapeutes pour rejoindre ceux qui, aujourd'hui, seraient
les seuls à pouvoir guérir l'humanité de ses problèmes
psychiques : les thérapeutes cognitivo-comportementalistes
(TCC), (532 en France).
Cette proposition laisse entendre également que la
psychanalyse serait dénuée de tout savoir clinique. Veut-on
signifier par là qu'elle ne serait pas à sa place dans les
départements des universités où l'on enseigne la
psychopathologie ? On peut se le demander.
Les psychothérapeutes de toutes tendances sont accusés
d'être les valets de la fausse science freudienne et les
émules de ses représentants. Ils sont pourtant appelés à
rejoindre les rangs de la véritable science (TCC) et de se
détacher des freudiens obscurantistes.
Philippe Douste-Blazy (prédécesseur de Xavier
Bertrand) est brocardé pour avoir retiré le rapport de
l'INSERM du site du Ministère de la Santé. Il est accusé
d'avoir “prémédité” son geste - on emploie d'ordinaire ce
terme pour un crime ou un délit - avec la complicité de
lacaniens fanatiques et intellectualisés, adeptes d'un
maître qui aurait poussé au suicide toute une population de
patients.
3
Les épreuves du livre ont circulé avant publication
dans les médias et à l'INSERM. Les familles d'enfants
autistes ont été appelées à saisir le Comité d'éthique, non
pas contre des charlatans dont ils auraient été les
victimes réelles mais contre une discipline (la
psychanalyse) et contre ses traitements désignés comme
nocifs. On fait donc le procès de Freud et de la
psychanalyse et non pas de personnes privées présumées
coupables d'abus.
Jean Cottraux est l'un des rédacteurs du rapport de
l'INSERM. Il se présente volontiers, sur son site et dans
la presse, sans en apporter la preuve, comme un
interlocuteur privilégié du Cabinet du Ministre de la
Santé. Information démentie par le Ministère.
Dans un sous-chapitre du Livre noir intitulé
“Chronique d'une génération. Comment la psychanalyse a pris
le pouvoir en France”, Jean Cottraux parle de lui-même. Il
raconte que lorsqu'il poursuivait ses études de psychiatrie
à Lyon à la fin des années 1960, il fut l'innocente victime
de la contamination freudienne. Il fut, dit-il, le témoin
de choses abominables dans sa bonne ville, en assistant,
notamment, à trois scènes atroces : une invasion de
“visiteurs”, comme il le dit.
Il vit arriver un jour à la gare de Lyon-Perrache, un
monstre du nom de Jacques Lacan reçu par un étrange
professeur de philosophie, un peu ridicule, nommé Gilles
Deleuze. Et tenez-vous bien, les deux hommes se sont dit
des sottises : “Ah mon cher maître, quel plaisir etc.” Un
autre jour, il vit venir un autre visiteur aussi suspect,
une dame, un peu bébête, du nom de Françoise Dolto, et il
conserva de cette visite un souvenir effrayant : “elle
avait poussé un peu loin le bouchon”. Le troisième visiteur
qui inquiéta Jean Cottraux était un ogre, un imbécile, une
brute, du nom de Bruno Bettelheim.
Après avoir été ainsi visité, Jean Cottraux passa
quatre ans sur un divan. Au terme de ce calvaire, il “a
jeté aux orties le froc analytique” et maintenant il est un
homme heureux. Voilà donc ce qu'est pour lui l'histoire de
la psychanalyse en France, sa fameuse face cachée. Elle se
résume à l'autofiction d'un humble psychiatre de province
(c'est ainsi qu'il se désigne) qui a été la proie de grands
méchants loups et qui maintenant a découvert enfin, avec
les TCC, la solution à ses problèmes
Président de plusieurs associations privées qui
délivrent des formations en TCC, Jean Cottraux s'est donc
remis de ses émotions de jeunesse : il dirige un DU de TCC
tout en étant le responsable d'une unité de traitement de
l'anxiété dans un centre hospitalier de neurologie.
Un autre psychiatre, Patrick Légeron, a été lui aussi
terrifié autrefois par la contamination freudienne en
4
France. Et du coup, il livre une nouvelle version de “la
face cachée” de son histoire. Ses praticiens, dit-il en
substance, ont été dans leur ensemble si nuls et si peu
compétents qu'ils sont responsables collectivement d'un
formidable délit : la surconsommation de prozac en France.
Il s'agit là, on l'aura compris, d'une admirable
méthodologie historique - fondée sur la notion de causalité
unique et d'explication à l'emporte-pièce - digne de
Monsieur Homais, et dont les historiens auraient dû se
soucier. Pour sortir de cet “effet pervers”, Patrick
Légeron appelle les malheureux patients, victimes des cures
analytiques, à quitter leur divan, à cesser de prendre des
antidépresseurs et à faire confiance aux TCC qui leur
apporteront enfin une solution à leurs problèmes.
L'ouvrage est rédigé par quarante auteurs et composé
de quatre parties. La tonalité générale est celle d'un
réquisitoire qui vise à réduire l'individu à la somme de
ses comportements et à dénoncer toute tentative d'explorer
l'inconscient. Une violente diatribe contre la religion, et
notamment contre le catholicisme, auquel Lacan et Dolto
sont rattachés, permet aux auteurs de se situer, en France,
à gauche de l'échiquier politique et de jouer la carte du
progrès contre l'obscurantisme.
Après avoir été traitée de science juive et
bolchevique par les nazis, de science bourgeoise par les
staliniens, d'obscénité par l'Eglise catholique, de science
boche par les Français, de science latine par les
Nordiques, la psychanalyse est donc devenue une science
chrétienne pour les nouveaux scientistes.
Dans les deux premières parties, “La face cachée de
l'histoire freudienne” et “Pourquoi la psychanalyse a eu
tant de succès”, sont rassemblés des textes et des
entretiens d'historiens majoritairement anglophones et
connus pour leurs positions dites “révisionnistes” : c'est
ainsi qu'ils se sont eux-mêmes désignés, il y a vingt ans,
en prétendant réviser les mythes fondateurs de l'imposture
freudienne. On les appelle aujourd'hui aux USA les
“destructeurs de Freud”. Ils sont minoritaires et ont fini,
à cause de leurs excès, par être marginalisés après avoir
voulu faire interdire, en 1996, la tenue de la grande
exposition Freud de Washington, jugée (à juste titre
d'ailleurs) trop “orthodoxe”. Mais est-il raisonnable de
lutter contre l'orthodoxie d'une discipline par des mesures
d'interdiction ? Certainement pas. Et c'est pourquoi, à
cette époque, J'avais pris l'initiative avec Philippe
Garnier d'une pétition internationale contre ce type de
censure.
5
Ces historiens révisionnistes détournent l'oeuvre
d'Henri Ellenberger11 (dont j'ai la responsabilité en
France et dont les archives ont été déposées à la SIHPP) en
faisant de lui un anti-freudien radical qui aurait été le
premier à démasquer les impostures freudiennes. Ils
s'approprient donc l'historiographie savante, celle dont je
me réclame - et qui est issue à la fois d'Ellenberger, de
Canguilhem et de Foucault - pour la mêler à une entreprise
de dénonciation qui n'a plus rien à voir, ni avec l'étude
critique, même sévère, des textes théoriques, ni avec la
nécessaire mise à jour de l'histoire du mouvement
psychanalytique : de ses moeurs souvent compassées, de ses
crises, de ses errances, de sa propension à l'adulation des
maîtres, de son dogmatisme, de son jargon et de ses
véritables années noires (collaboration avec le nazisme ou
les dictatures), évoquées en une ligne de manière ambiguë.
Rien de tout cela n'est abordé dans ce livre, écrit
dans une langue dénonciatrice, et truffée d'une
terminologie évoquant les procès en sorcellerie :
mystification, imposture, possession, préméditation,
assassinats, meurtres, complots, etc. Tel est le
vocabulaire qui revient sans cesse sous la plume acerbe de
ceux qui se présentent comme de grands spécialistes de
l'histoire des sciences, de la médecine, de la psychiatrie,
etc, et qui n'ont comme vision de l'histoire que l'axe du
bien et du mal : le mal, c'est Freud, ses suppôts, ses
curés, ses idolâtres, le bien c'est l'armée vengeresse de
ses détracteurs, attachés à une médecine des pauvres et qui
partent en croisade contre l'arrogance médiatique et
intellectuelle des méchants psychanalystes dont ils
imaginent qu'ils ont étendu leur empire sur la planète
entière à coups de protocoles et de mensonges.
Je ne fais pas partie de ceux qui ont contribué à la
psychologisation de notre société. Je désapprouve la
manière dont les psychanalystes et les psychiatres de
toutes tendances s'appuient sur la doctrine freudienne pour
prononcer, dans les grands médias, des diagnostics
foudroyants à l'encontre de tel ou tel homme politique,
comme ce fut le cas récemment dans l'hebdomadaire Marianne
(434, 13-19 août) : “Les psys analysent le cas Sarkozy”.
Soucieux d'en découdre avec un Ministre détesté, la patron
de ce journal a fait appel aux “psys” pour qu'ils
déclarent, au nom de Freud, de la psychanalyse et des
classifications de la psychiatrie, que le Ministre de
l'intérieur était un psychopathe dangereux incapable de
gouverner la France. Que la psychanalyse puisse être
1 - Henri Ellenberger, Histoire de la découverte de l'inconscient,
Paris, Fayard, 1994; Médecines de l'âme. Essais d'histoire de la folie
et des gérisons psychiques, Paris, Fayard, 1995.
6
invoquée, par ses praticiens même, pour servir à un tel
abaissement du débat politique, a quelque chose de
révoltant.
Revenons maintenant au Livre noir. En réalité, les
textes rassemblés par l'éditrice dans ces deux chapitres
sont des résumés de livres déjà publiés en anglais, en
allemand ou en français et donc parfaitement connus des
spécialistes de l'historiographie freudienne. Ils sont
pourtant présentés comme révélateurs d'une vérité cachée2.
Dans la troisième partie, “La psychanalyse et ses
impasses”, celle-ci est désignée comme une fausse science.
Et c'est Van Rillaer qui se charge d'instruire le procès en
reproduisant presque mot pour mot le contenu d'un ouvrage
déjà publié sur le même thème. Oedipe est un mensonge,
Lacan un bavard, la psychanalyse un délire ou une illusion,
Elisabeth Roudinesco un auteur qui écrit en jargon et qui a
oublié de dire que certains freudiens avaient été nazis et
que les fondateurs des TCC étaient juifs. Freud est
qualifié de truqueur de résultats, les psychanalystes
français de nouveaux jdanoviens.
A noter que plus aucune allusion n'est faite au livre
de Jacques Bénesteau, Mensonges freudiens, dont on connaît
le destin. Deux auteurs du Livre noir (Cottraux et van
Rillaer) en avaient fait l'éloge à plusieurs reprises.
Enfin, dans la quatrième partie, sont rassemblées des
histoires de victimes : Tausk, suicidé par Freud, Anna
Freud détruite par son père incestueux, Marilyn Monroe,
suicidée par ses psychanalystes3. Suivent ensuite des
témoignages de mères d'autistes et de patients victimes de
charlatans.
Parmi les autres victimes figurent tous les enfants de
France. C'est à Didier Pleux, psychologue et directeur
d'une Association de TCC, et spécialiste de la chasse à
Dolto, que l'on doit cette stupéfiante révélation, occultée
par les historiens officiels - je suis visée - et selon
laquelle la terrible visiteuse de Lyon (Dolto) serait
responsable de la crise de la famille occidentale. Elle
aurait rendu tyranniques et impossibles à éduquer la
2 - Dans le Dictionnaire de la psychanalyse (Paris, Fayard, 2000),
Michel Plon et moi avons fait état très largement (avec des références
bibliographiques) de toutes les révisions des cas de Freud et de
toutes les prétendues occultations qui sont évoquées dans le Livre
noir : Emma Eckstein, Horace Frink, Hermine von Hug-Hellmuth, Viktor
Tausk, etc.. Sont également répertoriés tous les acteurs des années
noires qui ont collaboré avec le nazisme, le fascisme et les
dictatures latino-américaines.
3 - Sur Marilyn Monroe, on pourra consulter l'excellente biographie
critique de Marie-Magdeleine Lessana, Marilyn, portrait d'une
apparition, Paris, Bayard, 2005.
7
totalité des enfants d'aujourd'hui. Ses héritiers -
Caroline Eliacheff, Claude Halmos, Marcel Rufo, etc - ne
seraient, selon le quatrième auteur du Livre noir, que les
complices médiatiques de ce grand ratage éducatif dont
seules les TCC pourraient venir à bout. Notons que le nom
de ma mère, Jenny Aubry, ne figure pas dans cette liste
noire.
Le livre fait la une du Nouvel Observateur (en
couverture), le 1er septembre 2005, avec bonnes feuilles,
vignettes et extraits sur les impostures de Freud. A
l'intérieur du numéro, un “débat” a été orchestré par
Ursula Gauthier - responsable du dossier, favorable de
longue date aux TCC - entre “celui qui croit” en la
psychanalyse” (Alain de Mijolla), comme révélation divine,
et “celui qui n'y croit pas” ou plutôt qui a cessé d'y
croire après avoir été un fanatique lacanien “déconverti”
(Van Rillaer). C'est à Ursula Gauthier qu'a été confié
l'article dit de “synthèse” destiné à ouvrir enfin un grand
débat en France sur les vérités cachées, etc, etc...
On oppose ainsi, dans un prétendu débat objectif (dans
le genre pour ou contre la rotation de la terre), le
représentant d'une religion obscurantiste à un véritable
savant qui, après être descendu dans l'enfer d'une secte,
en est enfin revenu pour célébrer les bienfaits de la
science et d'un traitement nouveau testé et évalué et qui
prétend, par exemple, guérir la phobie des araignées en dix
séances en proposant à des patients de se confronter
d'abord à une araignée, puis à un troupeau d'araignées : la
main, le bras, le corps entier. En lisant de telles choses,
on se dit qu'il faudrait suggérer au propagateur de ce
fabuleux traitement de le tester sur lui-même lors d'une
émission de télé-réalité, en direct et en présence d'une
armée d'évaluateurs.
Le débat du pour et du contre a d'ailleurs été
organisé, ici comme ailleurs, pendant le mois d'août, avec
des psychanalystes qui, après avoir été interrogés selon
cet axe, ont pris la défense de la psychanalyse sans avoir
lu le livre. Certains n'avaient eu connaissance que de
quelques articles (sur épreuves). Ainsi la revue
Psychologies magazine (septembre 2005) a-t-elle déjà lancé
le “débat” à la une en opposant les pour et les contre sur
le thème : “La guerre des psys : pourquoi tant de haine?”,
ce qui laisse entendre que ce sont les “psys” qui se
haïssent entre eux et non pas les auteurs d'un brûlot qui
haïssent Freud et la psychanalyse. La nuance est de taille
car elle permet à ceux qui sont favorables au livre de le
valoriser en ayant l'air de conserver une “objectivité”.
2 - Note sur le statut juridique de l'ouvrage
Contrairement au Livre noir du communisme (Laffont,
1997) qui était un livre collectif réalisé par six auteurs
(qui furent ensuite en désaccord), Le livre noir de la
psychanalyse n'est pas un livre d'auteurs mais un livre
d'éditeur comme l'indique son titre et le nom qui figure
sur la couverture. Il est l'oeuvre de Catherine Meyer qui
l'a réalisé pour les éditions des Arènes. Cette éditrice
n'est en rien une spécialiste de l'histoire de la
psychanalyse. Pour réaliser ce livre, elle s'est entouré de
trois collaborateurs (Borch-Jacobsen, Van Rillaer,
Cottraux) dont les positions violemment anti-freudiennes
sont parfaitement connues. Deux d'entre eux (Van Rillaert
et Cottraux) n'ont aucune compétence en matière d'histoire
du freudisme. Le troisième fait partie de l'école
révisionniste américaine (dite des “destructeurs de
Freud”).
Le but de cette opération éditoriale est d'une part de
nuire à une discipline et à ses représentants - dans un
contexte de crise qui fait suite, en France, au vote d'une
loi sur le statut des psychothérapeutes - et, de l'autre,
de faire une opération classique de commercialisation.
L'éditrice a ensuite demandé à de nombreux auteurs de
donner des contributions à cet ensemble. La plupart d'entre
eux - comme d'ailleurs les trois collaborateurs - ont donné
des textes ou des entretiens, certes inédits, mais qui sont
en général un résumé de leurs propres ouvrages ou la
reprise d'articles déjà publiés et à peine remaniés pour le
présent ouvrage.
Certains d'entre eux ont donné des articles parus en
anglais dans d'autres ouvrages collectifs. Le livre noir
est donc un montage ou un collage éditorial de différents
articles qui, pour la moitié d'entre eux, n'ont aucun
rapport avec ce qui est énoncé dans le titre, dans la
préface de l'éditrice ou dans les déclarations des trois
collaborateurs.
Parmi les nombreux auteurs qui ont donné leur accord à
ce livre d'éditeur, on constate que le contenu de leurs
textes ne correspond en rien à l'annonce faite par
Catherine Meyer. Freud n'y est pas traité de mystificateur
ou de plagiaire et la psychanalyse n'y est pas assimilée à
une discipline criminelle comme c'est le cas pour une
dizaine d'autres articles ou entretiens.
Ainsi les articles de Joëlle Proust (sur les relations
de la psychanalyse et des neurosciences), de Patrick Mahony
(sur les relations de Freud avec sa fille Anna) et de
Philippe Pignarre (sur les antidépresseurs) - et dont le
9
contenu était déjà connu avant le présent ouvrage - ne
participent guère à une quelconque dénonciation des
prétendus mensonges de Freud.
Autrement dit, même si ces auteurs ont donné leur
accord pour figurer dans ce livre noir, rien ne permet de
dire que le contenu de leurs articles soit l'expression de
la volonté destructrice affirmée par l'éditrice et par ses
trois collaborateurs.
Ajoutons que si l'on peut parler des crimes commis au
nom du communisme ou des crimes perpétrés par le
colonialisme, ou encore des complots orchestrés par des
services secrets, il est difficile d'imputer à la
psychanalyse en tant que telle et à ses représentants un
génocide, des massacres, des crimes ou des complots. Ou
alors il faut le prouver.
En revanche, si des abus ont été commis au nom de
cette discipline - et l'on sait qu'ils existent - alors les
victimes ont le devoir de porter plainte devant la justice
contre leurs abuseurs. Car dans un Etat de droit, on ne
peut pas faire le procès d'une discipline ou de ses
représentants à titre collectif, sauf à ouvrir une chasse
aux sorcières. On ne peut que porter plainte contre des
personnes.
3 - Diffamations
Dans un article intitulé “Freud était-il un menteur”,
on trouve la phrase suivante sous la plume de Frank
Cioffi : “La vérité c'est que le mouvement psychanalytique
dans son ensemble est l'un des mouvements intellectuels les
plus corrompus de l'histoire. Il est corrompu par des
considérations politiques, par des opinions indéfendables
qui continuent à être répétées uniquement à cause de
relations personnelles et de considérations de carrière.”
Une telle affirmation est diffamatoire. Certes, elle
ne vise pas une association psychanalytique en tant que
telle mais l'ensemble du mouvement psychanalytique toutes
tendances confondues, c'est-à-dire toutes les associations
qui se réclament historiquement de la psychanalyse et de
son mouvement. En conséquence, toutes les associations
mondiales ou locales qui se réclament de la psychanalyse,
de Freud ou de son héritage - freudiens, annafreudiens,
kleiniens, lacaniens ou Ego Psychology - seraient en droit
de se grouper ou d'agir à titre individuel pour porter
plainte contre ladite affirmation. Celle-ci vise non
seulement les membres des associations qui composent le
mouvement (la carrière et les relations personnelles) mais
aussi les associations elles-mêmes et la discipline dont
elles se réclament.
10
De nombreux passages de ce livre sont également
diffamatoires et pourraient faire l'objet d'une expertise
par des avocats. Il serait sans doute préférable d'en rire
tant la farce est énorme. Mais, de nos jours, plus la
ficelle est grosse et plus la croyance est forte.
N'oublions pas l'impact que peuvent avoir dans l'opinion
publique les livres qui dénoncent de prétendues
conspirations.
4 - Les Arènes
Maison d'édition spécialisée dans la dénonciation des
dossiers noirs de tout. Parmi les publications, on trouve
notamment :
Noir Chirac (violente accusation contre le Président
de la République accusé d'avoir construit par carriérisme
une République occulte et d'avoir couvert les basses
oeuvres de chefs d'Etat africains pour préserver les
secrets d'Etat de la France). Noir procès (réquisitoire
identique orchestré par Jacques Vergès dans lequel trois
chefs d'Etat africains se plaignent, “au péril de leur vie”
des complots de “Françafrique”, c'est-à-dire de la
politique de Jacques Chirac. Négrophobie (même thématique).
D'autres thèmes, conspirationnistes sont abordés :
l'inavouable, les affaires atomiques, etc.
5 - Commentaire
Je ne fais partie d'aucune association psychanalytique
et je n'ai pas l'intention de me mêler de la conduite de
leurs affaires. Mais je déplore que depuis tant d'années
les psychanalystes se soient retranché de la vie publique
et de tout engagement politique. Ils invoquent volontiers
pour expliquer ce retrait le fait qu'ils se concentrent sur
leur travail clinique, douloureux et difficile. Cette
attitude est respectable et compréhensible. Elle prouve en
tout cas que la grande majorité des psychanalystes sont
d'excellents cliniciens, et notamment les plus anonymes qui
ne font jamais parler d'eux dans les médias.
Mais cette attitude de retrait a fini par être
néfaste. Car en refusant de s'engager dans des questions de
société, et en laissant la place à ceux qui déshonorent la
discipline par des diagnostics foudroyants ou des propos
ridicules sur les transformations de la famille, les moeurs
et les nouvelles pratiques sexuelles, ils n'ont pas
contribué à la nécessaire critique de leur propre doctrine,
préférant se disputer sur la scène publique dans des
11
querelles interminables. Après avoir, du moins en France,
méprisé les psychothérapeutes relationnels, issus
d'ailleurs de leurs divans, les voilà désormais confrontés
eux-mêmes à ce qu'ils avaient cru pouvoir éviter.
Je souhaite que la nouvelle génération psychanalytique
ne se trompe pas sur la signification de ce Livre noir qui
connaîtra le sort de tous les brûlots de ce genre, au même
titre que les Impostures intellectuelles de Sokal et
Bricmont ou que L'effroyable imposture de Thierry Meyssan.
Mais quoiqu'il en soit, et compte tenu de l'impact qu'il
aura sur l'opinion publique, et notamment sur les patients
en souffrance, il nuira à l'ensemble de la communauté
psychanalytique, si celle-ci persévère à méconnaître les
querelles historiographiques et les débats de société qui
se sont développés, dans le monde entier, depuis vingt ans
et qui, d'ailleurs, ne touchent pas seulement leur
discipline.
En effet, l'idéologie de la révision systématique est
l'un des éléments majeurs de cette pulsion évaluatrice
généralisée qui a envahi les sociétés libérales et qui
réduit l'homme à une chose et le sujet à une marchandise,
tout en prétendant obéir aux principes d'un nouvel
humanisme scientifique.
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Comments (1)
Le livre noir dit par son titre que l'adjectif le qualifie comme tel. La conjonction n'est pas possessive et ne lie pas la psychanalyse au syntagme Livre noir. Les auteurs font ainsi un aveu de leurs sombres intentions. Bernard Le Gac.