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La voix de Lacan a-t-elle encore une chance d'être entendue ?

Les associations psychanalytiques françaises- en particulier celles qui se réfèrent à l'enseignement de Jacques Lacan- annoncent tout au long de l'année force colloques, rencontres, soirées. À ce titre, l'organisation d'un colloque1 au sujet de l'établissement et de la publication du Séminaire de Jacques Lacan peut apparaître aux uns comme un colloque de plus.

Depuis le début du séminaire en 51 et dont les premières sténographies ont permis sa parution à partir du séminaire tenu en 1953 (publié au Seuil sous le titre « Les écrits techniques de Freud ») nombreux sont ceux qui ont tenté d'en rendre compte. Notes de cours publiées dans une revue universitaire, retranscription suivant une écriture à la volée ou suivant une réécoute sur enregistrement magnétique, publication savante secondaire à de longues années de travail, publication officielle au Seuil pour la version établie par Jacques-Alain Miller.

Ce travail, malgré le vœu légitime de chaque membre de la communauté analytique n'est ni achevé, ni homogène quelle que soit l'option retenue.

Enseigner fut pour Lacan d'abord le témoignage d'une recherche et d'une interrogation incessante sur le monde, la folie, l'homme, la société. Chaque année d'enseignement témoigne donc de cette position de chercheur. Elle fait que l'énoncé est toujours plus ou moins en décalage avec la réflexion, comme la tortue de la fable.

Notre distance par rapport au temps de l'énoncé rend encore plus sensible ce décalage entre la pensée et l'énoncé de cette pensée. Celui-ci n'est pas, ne saurait être, linéaire, comme on peut l'attendre d'un roman à la française. La pensée de Lacan telle qu'elle apparaît dans le Séminaire est une pensée de chercheur et donc une pensée qui se cherche : dans son dialogue avec les chercheurs dans d'autres disciplines, avec les analystes – même s'il se plaint régulièrement dans son Séminaire de ne pas recevoir de la communauté analytique l'écho en retour de ses questions - dans l'écoute de ses patients et ce que lui apporte comme questionnement et comme enrichissement sa pratique d'analyste.

Ainsi cette pensée est-elle faite de retours, de détours, de revirements, de contradictions, de modifications dans l'utilisation des concepts qu'il a lui-même introduit.

Un chercheur est toujours en décalage par rapport à ce qu'il a produit par le passé et dont il ne peut récuser le témoignage ou la trace, sans se renier, sans renier la part de vérité quelque insatisfaisante qu'elle lui apparaisse avec le recul.

Que ce vacillement soit perceptible dans le discours même de Lacan, quant au destin de son enseignement notamment oral, nous en avons un certain nombre de témoignages de sa bouche ; À la fin de sa vie cependant, il a fait le choix d'un seul pour en établir une version que nous dirons officielle. Il en a défini le cadre avec Jacques-Alain Miller son gendre, auquel il a confié cette tâche. Chacun à ce moment a-t-il vraiment mesuré ce que cette décision impliquait ?

Car outre la responsabilité énorme d'avoir à assumer les choix innombrables qu'impose le passage à l'écriture d'un enseignement oral, cette décision mêlée aux évènements de la Dissolution de l'École Freudienne de Paris que Lacan avait fondé, a conduit à une lutte fratricide et jalouse pour l'héritage intellectuel et l'amour de Lacan. Cette lutte se perpétue encore aujourd'hui. Ses effets furent, comme on pouvait hélas s'y attendre, dévastateurs sur la crédibilité de la psychanalyse et l'apport lacanien à la théorie et à la pratique psychanalytique.

C'est sans doute faire trop d'honneur aux contributeurs du « Livre Noir de la psychanalyse » de les citer ici car, sans une publicité médiatique éhontée et un titre racoleur, peu de gens en auraient entendu parler. Mais il apparaît qu'ils ont, au-delà même de leurs espérances, été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase d'une communauté analytique trop longtemps engluée dans ses querelles internes pour s'apercevoir que peu à peu la terre tournait et parfois à l'envers, ramenant à la surface un mode de pensée préfreudien que l'on croyait, bien à tort, définitivement relégué aux poubelles de l'Histoire.

Il est temps de sortir de cette impasse, il est temps d'en finir avec les querelles de personnes, il est temps de clarifier certains points, de confronter les méthodologies et de se rassembler pour défendre l'apport freudien et lacanien.

Face au choix que Lacan a fait de Jacques-Alain Miller pour la transcription officielle de son enseignement il y a deux possibilités. Soit persister à combattre ce choix en accusant Jacques-Alain Miller de ne pas satisfaire aux exigences du droit moral et à ceux de la communauté scientifique qui en est le légitime destinataire. Soit tenter de remettre les choses à plat et tenter une nouvelle fois, d'ouvrir une autre voie, celle du dialogue. Cette voie passe par un préalable incontournable : la reconnaissance du choix fait par Lacan de son gendre comme celui à qui il a confié cette tâche de la publication officielle de son enseignement. C'est aujourd'hui le choix fait par une très large majorité des analystes lacaniens ce dont l'écho à ce colloque témoigne.

Mais à cette reconnaissance de légitimité doit répondre de la part de Jacques-Alain Miller une ouverture en parole mais aussi en acte à une réflexion collective sur le travail entrepris, un véritable échange entre les chercheurs, une mise à disposition des documents en sa possession. Réciproquement, il doit en résulter, que lui-même puisse avoir accès aux nombreuses sources dont, du fait du cloisonnement actuel, il ne peut disposer y compris certains enregistrements du Séminaire- afin qu'ils puissent être exploités par toute la communauté analytique et que le travail d'analyse et d'écriture des séminaires puisse s'enrichir de ces multiples apports.

Il ne s'agit pas uniquement d'une mise à la disposition de tous des documents actuellement disponibles, mais aussi que s'élabore une réflexion transdisciplinaire sur les questions soulevées par cette transcription.

À ce titre l'élan qui s'est manifesté autour de l'initiative prise par le site œdipe2 de réunir une très grande partie des analystes qui se sont depuis des années penchés sur la question de la transcription est, de fait, un événement porteur d'espoir. La salle où nous devons nous réunir est de taille humaine et il ne sera certainement pas possible d'y loger toute la communauté analytique forte de plusieurs milliers de praticiens, ni même ceux que l'appel aura réveillé de leur indifférence ou aura mobilisé dans leur désir de se saisir de cette chance. Mais les textes de cette rencontre seront publiés et, c'est mon espoir, un mode de travail d'un genre nouveau pourra s'y dessiner donnant un élan à la recherche et à la pensée analytique, un appui dans son progrès pour penser la folie du monde et des hommes.

Laurent Le Vaguerèse

Psychanalyste

administrateur du site oedipe

6, rue Mizon 75015 Paris France

0143226534

oedipe@noos.fr

http://www.oedipe.org

  • 1.

    Paris 26 et 27 novembre « Du Séminaire aux séminaires. Lacan entre voix et écrit » Information sur le site oedipe http://www.oedipe.org

  • 2.

    http://www.oedipe.org oedipe@noos.fr