Camille Claudel à la "Folie théatre"

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Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont

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Camille Claudel est à l’honneur à la Folie Théâtre6, rue de la Folie Méricourt, 75011 Paris. M° Saint Ambroise. Rés. 01 43 55 14 80Du 5 septembre au 29 novembre, tous les vendredis et samedis à 19 h 30Camille Claudel 1864-1943Adaptation et mise en scène Christine FarréAvec Jean-Marc Bordja, Nicolas Pignon, Christine Farréwww.folietheatre.com

En cette fin d’année 2014, qui marque les 150 ans écoulés depuis la naissance de Camille Claudel, la nouvelle pièce, adaptée et mise en scène par Christine Farré, est un magnifique hommage. Trois comédiens sont sur le plateau. Deux personnages (Jean-Marc Bordja et Nicolas Pignon) exhument des documents, des bribes de lettres. La sculptrice est là interprétée par Christine Farré. Il ne s’agit pas de raconter une vie mais d’en évoquer l’éclat, les éclats. Ce sont des éclats de vie, des éclats de rire, des éclats de voix … de l’enthousiasme, de la gaieté, de la douleur, de la colère. Création et folie. Camille Claudel sculpte sans modération. Il s’agit avant tout de produire et montrer son travail. Entre deux éclats interviennent alors ses deux partenaires. Ils l’entourent, ils l’étayent, en même temps que l’œuvre la tient, du moins pour autant qu’elle s’y tient. Ils nous font entendre des textes écrits par les contemporains de l’artiste.

Paul Claudel a publié deux hommages splendides, on le sait, mais il n’est pas le seul à avoir admiré le travail de sa sœur. D’autres ont su évoquer les sculptures de Camille Claudel dans une langue somptueuse et pourtant familière, comme datée et cependant d’une actualité qui sidère. Les critiques d’art les plus avant-gardistes de son époque ont dit ce qui les bouleversait dans son art. Octave Mirbeau, « l’imprécateur au cœur fidèle », s’invente un interlocuteur, un certain Kariste avec lequel il arpente les Salons, il s’arrête et regarde La Valse, Les Causeuses, Clotho. Il s’émeut de la chair qui palpite, il la montre, nous la voyons avec lui. Les œuvres dont il parle sont évoquées par des dessins originaux fixés au mur. Là n’est pas l’unique ressort de notre émotion, Voilà Christine Farré qui réinvente la chair de la sculpture claudélienne dans la lumière… mais, chut ! je ne révèle rien de ce qui va culminer dans la beauté de ce spectacle. Visionnaire, Mirbeau s’émerveille qu’une femme réalise de telles œuvres, du jamais vu, elle est pionnière. Mathias Morhardt, écrivain et journaliste écrit une monographie enthousiaste, un premier catalogue publié dans Le Mercure de France. Gustave Geffroy, le biographe de Blanqui, cherche pour elle des acheteurs. On assiste à l’enchaînement fatal de 1905, où le projet avorté de monument à Blanqui précipite l’artiste dans un renoncement définitif. L’œuvre vole en éclats.

Henry Asselin, un peu plus jeune, témoigne des moments les moins connus de l’entrée dans le délire, de la destruction des œuvres. L’émission radiophonique où il parlera de l’artiste, dans une déclamation à la Malraux, est superbe (accessible sur le site de l’INA). Qu’on se rassure, les comédiens s’abstiennent ici de l’emphase dont le théâtre d’aujourd’hui n’a plus besoin. Eugène Blot admirateur indéfectible, marchand d’art, ami jusqu’à la fin, envoie en 1932 une lettre magnifique à Camille Claudel perdue de vue depuis si longtemps… « Le temps remettra tout en place », dit-il, et le temps est venu en effet où la place d’artiste est enfin pleinement acquise à Camille Claudel.

Célébrer à l’envi les vies et légendes de l’artiste, comme le portrait de l’affiche et le titre du spectacle pourraient le suggérer, n’est plus nécessaire. Le public est averti. Il peut désormais s’intéresser à l’œuvre, la réenchanter, placer la sculptrice parmi les Papesses. On doit au féminisme du XXe siècle l’exhumation de Camille Claudel, qui sinon pouvait disparaître dans l’oubli. Or le spectacle de Christine Farré fair resurgir des voix masculines supposées du XIXe siècle. Fallait-il arriver au XXIe pour savoir que la reconnaissance de l’œuvre de Camille Claudel n’est pas, en soi, une affaire de femmes ? — d’hommes non plus d’ailleurs. Les contemporains en donnent la preuve éclatante.