Une envie d’Avignon

Festival d'Avignon

Une envie d’Avignon

Après la très controversée année 2005, voici venue la 60ème édition du festival d’Avignon. A soixante ans la maturité ne se discute plus, mais les chemins empruntés dans cette longue histoire laissent à chacun un souvenir singulier d’Avignon. Ce legs est subjectif ; il est fait de grands moments de bonheur ou de colère, de révolte ou de surprise, de stupéfaction ou d’enthousiasme.

Ce 60ème anniversaire est l’occasion de nombreuses rétrospectives du Festival ; la mémoire de Jean Vilar, de Paul Puaux, les exercices successifs de Bernard Faivre D’Arcier et d’Alain Crombèque, sont de toutes les revues. Je n’évoquerai que l’histoire courte de ces trois dernières années marquée par l’arrivée des nouveaux directeurs Vincent Baudriller et Hortense Archambault.

Leur idée originale fut d’associer, à chaque édition du Festival, un artiste qui impulserait l’ensemble de la programmation.

En 2004 ce fut Thomas Ostermeier, le directeur du théâtre de Berlin la « Schaubuhne », qui marqua de son empreinte le Festival en nous offrant à la fois des créations de sa propre troupe, mais aussi en nous donnant à voir un panorama de la création allemande contemporaine.

Le théâtre de texte et le théâtre d’image étaient au rendez-vous, pour la plus grande satisfaction des festivaliers.

Cette idée audacieuse avait donc bien pris ; et c’était avec tranquillité que l’on attendait l’édition 2005.

Le chorégraphe, auteur et plasticien flamand Jan Fabre prenait les rênes d’une programmation où la part belle était donnée à la danse. Cet art vivant très proche du théâtre a toujours eu sa place à Avignon ; là n’était pas la question ; ce fut le contenu des pièces présentées qui firent polémique ; la brutalité des images à la limite du supportable déchaînèrent les passions, les critiques assassines souvent justifiées.

Le texte avait disparu – le théâtre avec lui peut-être- alors pouvaient se déployer sur scène toutes les audaces d’un metteur en scène enivré de liberté et de pouvoir ; l’abondance des sécrétions physiologiques n’avait d’égal que la vacuité du propos artistique. Il est difficile de crier au génie dans ces conditions.

A ce tir de barrage fourni, l’artiste répondit qu’il se devait d’explorer de nouvelles formes de théâtre -qui dira la ringardise d’un texte de théâtre ?- et que les avant-garde d’aujourd’hui seront les classiques de demain. Jean Vilar n’avait-il pas invité Jean Luc Godard en 1967 avec son film La Chinoise, et le Living Theater en 1968 ? Rassurez-vous le nouveau public fait de jeunes et nourri par la télévision saura se reconnaître dans ces nouvelles formes. Place aux jeunes !

Alors 2006 arriva ; l’artiste associé Josef Nadj allait réconcilier tout le monde ; le théâtre et la danse, la jeune génération et les archaïques, les arts plastiques et les performances, la vidéo et le cirque. Bref le consensus se profilerait à l’horizon sous le chapeau feutre du Hongrois de Voivodine installé en France depuis quelques années. Le beau et ténébreux chorégraphe, auteur, peintre allait faire baisser la pression de la marmite avignonnaise.

Son spectacle inaugural dans la Cour d’Honneur « ASOBU » (jeu en japonais) fut sans surprise. Inspiré nous dit-on par l’œuvre d’Henri Michaux (écrite ou picturale ? ce spectacle en noir et blanc permet à Nadj de déployer son savoir-faire chorégraphique impeccable, entouré de magnifiques danseurs très précis dans leur art. Ce volontarisme et cette générosité se sont exprimés le soir où la troupe a pu donner deux représentations consécutives ; la veille la pluie avait empêché celle-ci d’avoir lieu.

De tout cela se dégage une impression de virtuosité, mais au service de quoi ? Quel thème aborde-t-on ? Quel message d’humanité veut-on transmettre ? Ces interrogations restent sans réponse.

Concernant le reste de la programmation il a été fait appel au théâtre plus conventionnel.

Le très aimé Peter Brook revient avec un merveilleux conte sud-africain « Siswe Banzi est mort » où la rudesse de l’Apartheid est montrée dans sa banale et cruelle quotidienneté.

Le très mystique Anatoli Vassiliev revient avec deux pièces « Mozart et Salieri » de Pouchkine et « l’Iliade Chant XXIII » d’Homère ; ici les avis sont tranchés ; la mystique se prêtant mal aux demi-teintes, aux raisonnements nuancés et dialectiques.

Le très courageux Alain Françon revient avec trois pièces du désormais fameux Edward Bond : « Naître », « Chaise », « Si ce n’est toi », les deux premières créations étant reprises cette saison au Théâtre de La Colline à Paris.

Enfin l’inoxydable Bartabas présente « Battuta », un spectacle de cirque équestre à la gloire du galop -allure d’échappement et de fuite du cheval devant le danger- De qui Bartabas a-t-il peur ? Des spectateurs fidèles envoûtés par ses précédents spectacles où l’imagination, la réflexion et l’esthétique s’ordonnançaient dans de savantes compositions au service d’une émotion profonde. Ici tout s’est envolé dans des chevauchées virtuoses de voltige, pleines d’énergie mais vides de sentiments. Que de regrets !

En somme ce festival dans sa grande diversité d’auteurs et de formes donne une impression de mosaïque hasardeuse où la finalité échappe à l’entendement.

L’organisation même du Festival reste problématique : comment s’ouvrir à un large public, plus jeune, plus populaire, lorsque l’on connaît la difficulté à se procurer des places si l’on n’a pas pris soin de s’y prendre longtemps à l’avance. Les jauges étant souvent réduites et le nombre de représentations limité, les spectacles affichent complet très tôt.

Quant au festival Off, le nombre de propositions théâtrales est impressionnant ; plus de 800 spectacles se jouent à Avignon ; et qui veut s’y retrouver doit d’abord s’armer des deux programmes distribués par les deux associations rivales qui les éditent.

Comme toutes les années, la diversité et la qualité épousent l’éventail le plus large : des One Men Show aux spectacles sérieux et profonds, tous les publics sont ciblés.

Quelques propositions dans ce dédale :

LE VENIN DU THEATRE au théâtre des Halles à 22h30

Texte de Rodolf Sirera Mis en scène par Panchika Velez. Magnifique fable sur le pouvoir et les apparences admirablement interprétée par Jean Claude Bourbault et Laurent Collard.

HANNA K au théâtre des Amants à 12h

Texte de Renaud Meyer, interprétée par la chaleureuse Marianne Epin qui retrace le passé douloureux d’une juive du ghetto de Varsovie ; un moment d’émotion forte.

LETTRES DE DELATION au théâtre des Béliers à 19h15

François Bourcier a repris les lettres authentiques de délateurs parvenues aux autorités d’occupation. Ces faits encore occultés aujourd’hui apparaissent dans toute leur crudité. Une leçon d’histoire et d’inquiétude sur nos voisins ordinaires.

SIMON BELLAHSEN