Parle avec elle

Affiche du film Parle avec elle

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Film de Pedro Almodovar

Il me semble que la question à laquelle le film de Pedro Almodovar : « Parle avec Elle » nous renvoie avec une extrême brutalité est :

Quelle passion a guidé nos pas dans l'univers de la réanimation, que faisons nous comme soignants dans ces lieux où la mort bien souvent l'emporte sur la vie ?

Comment parvenons-nous, comme clients (et dans les limites que notre dommage corporel nous assigne) à choisir la vie plutôt que la mort ? En fonction de quels liens, de quels amours de quelles ruptures ?

Dans ce film une femme revit parce qu'elle est aimée et qu'on lui parle, l'autre meurt parce qu'elle est au silence, parce que ses liens d'amour sont rompus par le mariage d'un amant, par l'opacité d'un autre à ses sentiments à elle, à ce qu'elle aurait pu dire s il n'avait pas parlé que de lui.

« Parle avec Elle » m'évoque, sans que je puisse m'y dérober deux livres, deux histoires humaines qui se répondent de la même manière :

- « Putain de silence » de Philippe et Stéphane Vigand. Vigand qui parvient à vivre malgré la ruine de son corps et même à redevenir amant et procréateur, parce qu'il est attendu, parlé, aimé par deux femmes, sa soeur et son épouse,

- « Le scaphandre et le papillon » de Jean Dominique Bauby. Bauby est atteint de la même pathologie. On le pressent déjà un peu à la dérive, ses liens vitaux rompus ou distendus, sauf celui des mots, qui le maintiendront vivant jusqu'à ce que son message délivré, il puisse mourir.

Car bien sûr l'autre force du film de Pedro Almodovar est de nous confronter au poids des mots qui jusque dans l'absence apparente de tout sujet dans un corps déshabité, rencontrent celui ou celle qu'on espère. Contre toute fausse certitude « scientifique» ce sujet se montre sensible à ce désir, à cet amour que véhiculent les mots qui finissent par le rendre lui aussi à la vie et au désir.


Quant au côté transgressif du film où Béninio l'infirmier amoureux, aimant, parlant, devient amant d'une jeune danseuse qu'il avait contemplé par sa fenêtre dans toute la grâce de son corps, avant qu'elle ne s'absente dans un état végétatif durable, il ne faut pas le négliger. Il nous interpelle tout aussi violemment quant à la minceur fragile de nos « sublimations », quant à la fragilité des interdits et de la pudeur due au corps sexué de l'autre.

Même si ces interdits nécessaires parviennent à se mettre en place solidement dans notre structure de soignants, qui oserait prétendre contempler sans émoi la beauté de ces jeunes corps que la maladie n'a pas encore eu le temps de ruiner, que la conscience a quitté et qui peuvent bien rester objet de désir, voire de passion.

Totem et Tabou de Sigmund Freud éclaire admirablement la situation : « Le cadavre, le nouveau-né, la femme dans ses états de souffrance attirent, par leur impuissance à se défendre, l'individu qui vient d'atteindre sa maturité et qui y voit une source de nouvelles jouissances (J'ajouterais volontiers à cette liste l'homme et la femme attachés dans un lit de réa.) C'est pourquoi toutes ces personnes et toutes ces situations sont tabou; il ne convient pas de favoriser, d'encourager la tentation. »


Pour s'y retrouver, pour ne point s'y perdre, ne reste donc que le tranchant de l'interdit de l'inceste et ses rejetons :

La pudeur qui voile le corps de l'autre, et à son défaut la pudeur qui doit voiler notre regard.

L'interdit d'utiliser le corps de l'autre pour notre propre jouissance, sauf son consentement lucide.

Nous n'avons comme seul recours que ce tranchant qui ne saurait nous protéger sans nous blesser ni empêcher que notre main ne saigne en s'y cramponnant.

C'est pourquoi je trouve scandaleuse la cruauté du corps social à l'encontre de Béninio qui ne peut même pas savoir que revit sa bien aimée et qui en en meurt.

Bien que le sujet ne soit pas explicitement évoqué dans le film, on ne peut oublier les soignants et des soignés qui s'aiment comme tout le monde, qui se marient parfois pour le meilleur et pour le pire. (C'est leur histoire et leur secret). Cette situation se rencontre plus volontiers dans les unités où les séjours sont longs, comme par exemple dans les centres de rééducation. Sa particularité est qu'elle est souvent condamnée, voire sanctionnée par la hiérarchie qui la dissimule sous le tapis comme on fait de ce qui n'est pas propre. Pourquoi ?

Joseph Gazengel