Steven Cohen invité de novart à Bordeaux

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Steven Cohen, Thoughts on performance

« Performance art is really about vegetarians eating blood and men fingering their cunts; it is art eating itself and art fucking itself for the first time every time. […]

If people encountering my work wonder about what they see, I am happier than if they conclude something - I would rather be the cause of wonder than of conclusion. The value of my work is more in it being a speculum than a suture. »

http://vweb.isisp.net/~elu@artslink.co.za/stevencohen/thoughts.htm

Rarement la base sous-marine aura aussi bien servi un projet qu’en accueillant pour deux soirs l’artiste performer Steven Cohen.

Ce lieu étrange et toujours aussi impressionnant, glacial et dont la beauté vous étreint dès l’entrée, s’accordait à la performance de cet homme si inquiétant. Il est difficile de discerner, pour l’un comme pour l’autre ce qui se joue de dramatique et de métaphysique dans le lien entre l’horreur et la beauté. Dans le lieu comme dans l’homme, se manifeste, en effet, une étonnante beauté, là où on ne l’attendrait pas, là où elle ne devrait pas être. On n’est jamais tout à fait en repos ou ravi d’avoir goûté cette beauté, ressenti ce charme des alvéoles aquatiques, des ombres épaisses trouées par la nuit plus claire et les lueurs glauques du port, l’intensité de la pierre rugueuse et l’abrupt des ailes de béton coupantes, dans la mise en scène fastueuse des éclairages rouges. On se demande si c’est bien. Et encore davantage si c’est bien d’y faire des spectacles, d’y écouter du jazz, d’y regarder des tableaux, etc. Mais presque toujours, ceux qui sont en charge de la base sous-marine sont vigilants à ne recevoir que des artistes capables d’une exigence à la hauteur du lieu. J’y ai entendu Paco Ibañez, à pleurer, Françoise Atlan, j’y ai vu les œuvres graves de Jean-Michel Fauquet, une installation poignante d’Amos Gitai, sans parler des sculptures de monuments aux morts, etc.

Ce qui est dit de la base sous-marine pourrait être dit de Steven Cohen. Je l’ai vu plusieurs fois déjà. La première fois, à Mc2a, lorsque Guy Lenoir était encore à Porte 2A, rue Ferrère, un lieu également assez difficile pour la performance, avec tous ses poteaux et sa nudité. J’avais détesté. Le mélange d’abjection et de cruauté, l’obscénité m’avaient rendue furieuse. Pourtant, j’étais décontenancée, alertée en quelque sorte par quelque chose de si dérangeant qu’il fallait en tenir compte et j’allai voir Chandelier projeté au CAPC. Ce film changea radicalement ma perception et je sentis qu’on ne pouvait pas ignorer aussi aisément de cet artiste du sacrifice et d’une forme de grâce.

Il paraît en effet que « Cohen » signifie prêtre (cf. site de l’artiste, http://vweb.isisp.net/~elu@artslink.co.za/stevencohen/aspects.htm), et de fait, la posture de l’artiste est assez proche de celle d’un sacrificateur, dont la victime n’est que lui-même, offert en pâture à nos sens, pour une célébration à laquelle ne manquent ni le mystère ni l’effroi, ni la participation de la collectivité à son histoire et à ses drames.

C’est donc avec un certain empressement que je suis allée assister au spectacle The Craddle of humankind et à Title Whithheld, puisque novart et Frédéric Maragnani nous offraient la chance d’aller un peu plus loin à la rencontre de Steven Cohen. Ce n’est pas, toutefois, sans une certaine appréhension que je poursuivais cette démarche, me demandant quelle nouvelle provocation avait concoctée l’artiste, comment j’allais supporter le corps nu de cette vieille femme déjà exhibée sur les les affiches, et cette performance interdite aux moins de 18 ans à la base sous-marine. Je continue à m’interroger aujourd’hui car les sentiments qu’inspire Steven Cohen ne peuvent être simples. Il faut, en quelque sorte que cela soit important, car si ce n’était rien, rien qu’un spectacle de plus, rien qu’une performance onaniste, ce serait honteux, pour lui et pour nous qui y assistons plus ou moins complaisamment. Il faut que l’artiste soit sincère comme il le clame, lorsqu’il guide sur scène une vieille femme noire qui fut sa nourrice, qu’il soit sincère lorsqu’il souffre et se tord, arborant une nudité étrange, aussi animale que précieuse, aussi fragile que puissante et musclée, qu’il soit honnête avec nous et avec lui-même lorsqu’il s’approche des zones interdites par la pudeur et la dignité. S’il n’était qu’un simple faiseur, ce serait désespérant et révoltant, et si nous, de même, ne prenions pas le parti de faire de cette rencontre une véritable expérience et un questionnement, nous nous sentirions avilis.

The Craddle of humankind a, je crois, séduit le public, même si quelques voix, à la sortie, s’élevaient : « quelle horreur ! on s’en souviendra ! » Ce qui est sans doute un éloge.

Pourtant, ce spectacle (joué dans le cadre conventionnel du TNBA et dans un espace éclairé et paré comme un « décor » ou une « scénographie »), est d’une tendresse incroyable, d’une beauté permanente et moins âpre que ce que Cohen ose d’habitude. Certes, on est gêné par la présence de sa très vieille nourrice et personne ne goûte particulièrement de voir nu ce corps si âgé, si plié, si lent, sur une scène où il pourrait être instrumentalisé, joué, ridiculisé au point de perdre cette fragile dignité, cette dignité que, tous, nous avons l’angoisse de voir l’âge nous ravir, nous traînant dans la laideur des rides, des plis, de l’immobilité, du gâtisme ou de la folie. Mais progressivement, ce corps nous touche, la douceur, la tendresse avec lesquelles Steven Cohen guide cette vieille femme à travers la scène et la performance, le dialogue permanent entre eux, nous rassurent. Les deux corps, transformés, rapprochés, des deux acteurs, deviennent deux corps de glaise et d’ombre, deux corps très anciens et nouveaux, archaïques et visionnaires, futuristes, parlant des mutations de l’humanité depuis le berceau, depuis la nuit des temps, depuis le singe qui est à l’origine de l’humanité et que Steven Cohen convoque jusqu’à l’hystérie des temps modernes représentée dans son corps mutant.. On est dans ce lieu stupéfiant de la grotte (berceau de l’humanité) où se reconnaissent les signes des hommes préhistoriques, si proches du minotaure de Picasso, là où se touchent les expériences les plus anciennes et les plus novatrices. Les deux corps se donnent la main, après tous les apartheids, comme deux âges et deux sexes, à la fois très différents, chacun si singulier, et complètement solidaires.

La bulle d’où naît Steven Cohen, comme l’enfant prématuré qui a conservé son utérus factice, est d’une grâce incroyable et sa naissance au monde, guidé par sa nourrice, Nomsa Dhlamini, est pleine de poésie. C’est l’enfance de l’art. Un art qui serait d’une profonde naïveté, s’inventant avec quelques figures ludiques, des bouts de ficelles, des jouets dérisoires, quelques signes très simples et qui nous émerveillent tant ils vont à l’essentiel. La présence de Nomsa Dhlamini, de toute évidence actrice à part entière du spectacle, continuant, en quelque sorte à prodiguer ses soins et sa chaleur au nourrisson assez démuni, si fragile, qu’est Steven Cohen, est émouvante et rassurante. L’humanité, triturée par les plus extraordinaires mutations techniques et physiques dont le corps de Steven Cohen se pare et se dépare, se régénère dans la tendresse du berceau.

La performance de la base sous-marine n’offrait pas de ces douceurs. Même l’habitué de ces lieux était saisi d’inquiétude en allant de plus en plus loin dans le fond, jusqu’à une sorte de dernière limite, la cale en quelque sorte où l’on s’assied sur des bancs secs, dans la pénombre, cherchant un peu de chaleur dans la couverture qu’on nous offre gracieusement ; et l’on est un peu rassuré de sentir des gens à côté de soi. Plus de décor mais un lieu qui s’impose et fonctionne dès l’entrée comme dispositif, espace littéral d’enfermement et d’histoire, sans métaphore.

Il faut dire que le programme mettait en condition, avec ce titre prometteur : « Title withheld (For legal and ethical reasons) », c’est-à-dire « titre retiré pour des raisons légales et éthiques ». C’était suggérer qu’on allait frôler les limites du tabou, le spectacle étant « interdit aux moins de 18 ans ». Et je crois, en effet, que tout du long, le dispositif et le contexte créent une attente, une tension : le spectateur se demande jusqu’où Steven Cohen va aller. C’est même le ressort d’une performance plutôt supportable par ailleurs, que de mettre le spectateur dans cet état de désir et de crainte : crainte que ça n’aille trop loin, désir que ça aille le plus loin possible, crainte que les rats sortent et excitation tout de même à l’idée que pourrait se produire un événement terrible. Cohen nous met en face de notre pulsion de voyeur, de notre attente d’extraordinaire, nous confronte à notre propre curiosité perverse (y compris dans la découverte des massacres, génocides et autres images de nuit et de brouillard). Finalement, il comble, ironiquement, notre attente, par des films d’une pornographie qui m’a parue presque comique, et ne la comble pas, créant une action intense, simple, grave, parfaitement austère.

Tout est dit lorsque le performer entre dans l’arène, s’extirpant péniblement d’un recoin où il aurait été comme retenu, à la manière d’un taureau ou d’un gladiateur avant le combat. Mais il ne se rue pas, il se meut avec difficulté et souffrance sur ses immenses cothurnes, véritables instruments de torture à l’aspect mécanique, métallique, articulé, énormes brodequins dont le poids se devine aux efforts et aux soupirs de celui qui peine à soulever ces fers. Steven Cohen a toujours, en effet, des chaussures extraordinaires, extrapolations des pointes, l’instrument de torture et de sublimation du danseur, esclavage volontaire et discipline fascinante. C’est un trait de son génie, d’inventer à chaque fois une nouvelle « pointe », une arme qu’il retourne contre lui-même et qui le fait si grand, à l’instar de l’acteur tragique, par la dimension sacrificielle tout autant que par la hauteur sur laquelle il se juche et titube. Tout déplacement devient un calvaire, plus terrible encore lorsque, s’armant de béquilles fines comme des lames ou des pattes d’araignée, le danseur s’accroche à des chaînes à la fois secourables et inquiétantes. Tout évoque une cérémonie masochiste, une incarcération, un piège que le danseur, j’allais dire le poète, s’est tendu. Mais tout cela n’est nullement gratuit.

Ce qui donne tout son sens à la « démarche », ce qui « sous-tend » littéralement la geste poétique, c’est qu’apparaît sous les cothurnes, écrasé par ces plaques articulées, le texte, éclairé dans des tablettes informatiques, du jeune juif autour duquel ont été conçus ce travail, cette véritable quête, commencés lorsque Steven Cohen a découvert ce journal des années 39-42, dans un marché aux puces de La Rochelle. L’objet théâtral, le cothurne devient extraordinairement dramatique. C’est le théâtre lui-même et la danse, qui portent, dans leur pointe, reliquaire et vitrine, objet archaïque et technique, fer à repasser et support du XXIème siècle, le texte de ce jeune héros, de cette victime de l’extermination nazie, comme si le spectacle, l’acte de l’artiste exhibait et cachait en même temps, exaltait et écrasait une fois de plus la trace de la victime, dans une répétition mémorielle paradoxale.

En retour, le journal ainsi brandi, le legs terrible, est ce qui empêche de danser, ce qui donne du poids, alourdit la marche jusqu’à faire de tout geste, arabesque, génuflexion, chandelle, plié, accroupissement, une véritable épreuve. Comment danser après la Shoah ? Comment marcher encore au-dessus de tant de morts, de tant d’horreurs rappelées par ce naïf cahier, ces dessins d’un tout jeune homme qui crayonne, entrelace à ses esquisses et projets de vacances, des allusions à l’histoire et à ses signes menaçants, croix gammées, moustaches, noms de sinistre mémoire dont on perçoit peu à peu la violence ? Le corps sacrifié du danseur paie le prix de cette violence, il en assume littéralement le fardeau. Et paradoxalement, le texte enfermé dans ce piédestal pourrait apparaître comme ce qui porte, ce qui soutient, ce qui donne à la danse et à la création leur impulsion, leur raison d’être, aussi douloureuses soient-elles.

Steven Cohen nous donne à voir, à peser cette violence, à nous en étonner, à chercher la position juste. Une interrogation plutôt qu’une solution (finale ?) : « If people encountering my work wonder about what they see, I am happier than if they conclude something - I would rather be the cause of wonder than of conclusion. The value of my work is more in it being a speculum than a suture. »

« Wonder », c’est à la fois la merveille et la chose inquiétante, ce qui étonne et provoque, donne envie de savoir, ce monstre qui montre et interroge, le sphinx en quelque sorte. Quant au « speculum », qui fait de la performance un appareil d’observation clinique, d’expérimentation, il rappelle cette lampe avec laquelle Steven Cohen s’étudie lui-même, donne à voir, dans ses cavités, une image assez obscure et mystérieuse d’un corps qui ne s’ouvre ni ne se livre, d’une humanité qui demeure bien énigmatique à l’intérieur comme à l’extérieur. On croit pénétrer, éclairer, mais la projection demeure opiniâtrement muette, informe, sur le mur, illisible.

L’humanité étrange de Steven Cohen est toujours en devenir, à la façon d’un processus en cours, tel que l’imaginaient Deleuze et Guattari (qui auraient pu inspirer cette performance, avec ses rats qui courent dans leur territoire en réseau tubulaire, cherchant sans doute les points de fuite). Le devenir animal de l’homme comme le devenir homme de l’animal relativisent une espèce qui a tendance à oublier ses obscures origines pour établir son règne et tout coloniser. À l’instar d’une Orlan, Steven Cohen se métamorphose, se maquille et se déforme, s’ajoute des postiches et des bosses de sorte qu’on se demande où va son corps, où va l’homme que techniques et fantasmes travaillent, tandis que tout rappelle en même temps à cet homme d’où il vient, son animalité appréhendée dans le corps même du danseur, par son humble reptation, par son voisinage étrange, amoureux ou cruel avec les bêtes.

S’il évoque les animaux avec lesquels certains jouissent, comme dans les vidéos, ou souffrent, comme à la seule évocation de ces rats qui suscitent la crainte hystérique, font frissonner les spectateurs qui se mettent à surveiller les environs, ce n’est pas qu’il se serve des animaux pour son propre plaisir mais plutôt que lui-même prend la position d’un animal, par les transformations étranges, monstrueuses, qui le déshumanisent, par sa posture de taureau qui se mettrait lui-même à mort, se piquerait de ses propres banderilles, de rat pris dans les rets, de pauvre chose agonisant pour notre plaisir de spectateur.

Il est certain que les vidéos pornographiques de zoophiles paraissent, au premier abord peu compréhensibles, superflues dans cette performance par ailleurs si pure et si nécessaire. Pourtant, elles ont un lien organique avec la performance et on peut les aborder comme la manifestation d’un rapport complexe à la bestialité et à la jouissance, à l’orifice sur lesquels se focalisent les images, donnant à penser ce qu’il en est de pénétrer un corps au sens littéral et métaphorique, en termes de sexe et de connaissance, de virtuel et de réel. Cette projection me semble suggérer un parallélisme entre la bête et le danseur. En effet, sur l’écran, nous voyons des femmes qui se caressent avec des animaux, serpents, poissons, introduits dans des orifices qui sont précisément toujours très marqués, maquillés, surlignés, offerts, dans le corps et les postures du danseur. On a toujours l’appréhension qu’il en sorte quelque chose ou que le performer y introduise quelque objet, ce qui ne manquerait pas de nous horrifier. Ainsi les orifices filmés semblent-ils réaliser ce que les orifices présents suggèrent sans aller jusqu’au passage à l’acte redouté. On pressent quelque chose de subtil et difficile à dénouer entre l’image virtuelle qui réalise la pénétration et la présence réelle qui ne fait que la provoquer imaginairement. Steven Cohen transforme également la brutalité ironique des images en interrogation sur le savoir, jouant des évidences projetées comme contrepoint d’une réelle obscurité du corps humain présent. L’autopénétration par le speculum/lampe s’avère inutile : on ne voit rien à l’intérieur, on ne jouit de rien, on ne pénètre aucun mystère. Le désir de savoir et de voir est frustré.

L’imagination, tentée par les rapprochements, s’exerce donc sur le peu qui est vraiment montré (comme chez Hitchcock) et la cruauté du spectateur, ses pulsions voyeuses/exhibitionnistes, sadiques et masochistes, se saisissent de tous les déplacements métaphoriques. C’est un jeu érotique et violent qui se centre ainsi sur l’animalité, dans un dispositif qui fait du danseur lui-même l’animal dont le spectateur jouit, par les yeux. Il est lui-même le rat effrayant qui erre dans cette cave, le taureau dans l’arène, le serpent tortueux, le poisson dans le froid bocal de la base, avec sa bouche proéminente et ses oreilles élargies comme des ouïes. Ainsi la pornographie n’est-elle pas seulement dans les images vidéos mais dans le rapport que nous pouvons entretenir avec l’artiste, à sa propre demande. S’il montre des femmes jouissant des caresses d’animaux, n’est-ce pas pour nous suggérer que lui-même n’est qu’un animal au service de notre plaisir pervers et qui jouit lui-même de ce plaisir qu’il nous donne ou nous force à prendre, en exhibant sa nudité et ses gesticulations animales et sexuelles ?

Toutefois il nous exempte de cette cruauté et de ce vice en s’exécutant lui-même et en se pénétrant lui-même sans doute : « it is art eating itself and art fucking itself for the first time every time ».

Il prend tout sur lui. Il nous décharge de nos propres pulsions sadiques, masochistes et voyeuses. Le texte du journal surtout est très peu montré, à peine entrevu, éclairé pour se mieux retirer à notre curiosité. Là, il ne saurait être question de voyeurisme et le rituel qui met en lumière ce texte le protège comme une hostie dans son tabernacle.

Les rats ne sortiront pas non plus de leurs boyaux de verre où ils s’agitent, lumineux, dans un autre ballet. Nous voilà rassurés ! Cela figure à la fois la folie de nos attentes (et s’ils étaient sortis, avaient envahi l’espace ! Et pour faire quoi ?) et la mesure de la performance : le fantasme est infini, l’œuvre au contraire canalise (par exemple ces rats dans leurs tuyaux) et sublime. Les rats sont l’ennemi que nous souhaitons rencontrer et dont nous voulons être protégés. L’artiste nous fait frôler cet ennemi fantasmatique et le contient afin qu’il soit pour nous sans danger.

Lui seul a la qualité du servant, monstre sacré qui endosse l’horreur, fréquente pour nous la bête (physique, historique), le mal avec lequel il joue comme un dompteur de rats, d’images insoutenables qu’il nous fait souvent pressentir sans nous les montrer. On ne sait si on le regrette ou si on en est apaisé. Là est l’interrogation éthique de la performance : de quoi sommes-nous donc capables ? Jusqu’où vont nos désirs et nos curiosités ?

Finalement, dans sa danse fascinante et mortelle, l’artiste ne fait don que de lui-même et protège délicatement le journal du jeune juif comme il protégeait sa nourrice dans The Craddle of humankind. La débauche avec laquelle il flirte révèle une grande pudeur et le voyeurisme achoppe à l’obscur de ce qu’il faudrait réellement voir et savoir mais qui, obstinément demeure dans l’ombre.