Fatatras

FATATRAS ! Inventaire de JACQUES PRÉVERT

             Au THEÂTRE de POCHE

Comédiens : Anne BAQUET et Jean-Paul FARRÉ

Mise en scène Gérard RAUBER

Courez vite, voir, entendre et déguster ce délicieux spectacle vivant qui se donne au Théâtre de Poche-Montparnasse pendant plus d’une heure. Les textes, poèmes, extraits de scénarii de Jacques Prévert sont interprétés, mis en musique et chantés, en solo ou en duo, par la voix cristalline soprane d’Anne Baquet et celle du baryton Jean-Paul Farré. Ce dernier est un comédien musicien, parfois clown, au talent connu et reconnu. La genèse de cette comédie enchantée repose sur l’idée d’Anne Baquet et Gérard Rauber de mêler leur talents et de rendre hommage à Jacques Prévert, ami de Maurice Baquet, violoncelliste, comique d’opérette, comédien, le père d’Anne. Les chiens ne font pas des chats, atavisme oblige parfois! Et Jean Paul Farré fut convoqué comme troisième larron.

Le décor est sobre, un grand rideau rouge avec embrase, un coffre en bois, d’où les deux acolytes sortent toutes sortes d’instruments de musique mais rien d’électronique, que du mécanique, un joli petit orgue de barbarie bien sûr, un piano alimenté par le souffle du comédien dans un tuyau relié à un petit clavier, une crécelle, des triangles suspendu à un grand parasol brinquebalant. Et ce sont surtout leurs voix, à la tonalité gaie, enjouée, ludique qui réveillent notre cœur d’enfant.

Ainsi sont déclinés et chantés vers et textes du poète qui n’aimait pas l’école, il suffit de se souvenir « Le cancre » [1]. Jacques Prévert a beaucoup écrit sur l’enfance, et sur le non-désir d’accéder à un savoir bêtement scolaire, dont les règles - souvent absurdes - de l’alphabétisation restent hermétiques à certains enfants. Le poème « Dans ma maison » [2] est un exemple d’absurdité des expressions françaises. En voici un : extrait : «… Faut être bête comme l’homme l’est si souvent pour dire des choses aussi bêtes que bête comme ses pieds gai comme un pinson, le pinson n’est pas gai, il est seulement gai quand il est gai, et triste quand il est triste ou ni gai ni triste…. »  Cela nous rappelle cette pirouette de langage de Jacques Lacan : L’Alpha-bêtisation.

J. Prévert aimait ordonner les signifiants détachés de leur contexte signifié pour en démontrer l’aspect purement codifié. Il aimait bousculer les mots, les associations. L’Inventaire, [3] l’illustre , : « Une pierre, deux maisons, trois ruines, quatre fossoyeurs, un jardin, des fleurs, un raton laveur, une douzaine d’huîtres un citron un pain… Plusieurs ratons laveurs. » Un long inventaire récité par nos deux baladins avec rythme, connivence et performance.

La poésie de J. Prévert c’est aussi l’amour, la tristesse, la séparation. « Déjeuner du matin » Un texte amer sur la séparation amoureuse, [4] qu’Anne Baquet chansonne d’une voix fine et délicate. Saisissant un contraste inouï entre la douceur musicale et la douleur qu’impose l’absence de mots. « On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va. » Autre citation de l’auteur.

Enfin c’est un texte sur la misère de celui qui a faim. « La grasse matinée »[5] « Il est terrible le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim… » On entend la presque hallucination olfactive et auditive de l’affamé qui lèche les vitrines des échoppes, derrière lesquelles des vivres sont présentés, et finalement, ce sera le drame de la pauvreté, un assassinat pour deux francs, de quoi se payer un café crème, deux tartines beurrées et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon. Dérisoire.

Jacques Prévert participa au scénario de plusieurs films du réalisateur scénariste Marcel Carné dans les années 1930-1940. Nous avons le plaisir d’entendre le fameux « …Bizarre, Bizarre, vous avez dit Bizarre ? Comme c’est Bizarre.. », de l’inquiétant Louis Jouvet répondant à Michel Simon dans « Drôle de Drame » en 1937 .

 Je prends la liberté d’ajouter, car ce n’est pas le sujet du spectacle, le poème « Chasse à l’enfant » [6] écrit, lorsqu’en août 1934, plusieurs jeunes s’étaient échappés du bagne pour adolescents à Belle-Île en Mer. Ils subissaient des sévices extrêmes dans un cadre légal mais au fonctionnement totalement hors la loi. La population fut autorisée à pourchasser ces jeunes victimes contre récompenses pour les ramener à leurs geôliers. « Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !… C’est la meute des gens honnêtes qui fait la chasse à l’enfant. Il avait dit j’en ai assez de la maison de redressement et les gardiens à coups de clefs lui avaient brisé les dents et puis l’avaient laissé étendu sur le ciment. Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent ! Au-dessus de l’île on voit des oiseaux, tout autour de l’île il y a de l’eau. » *

[1] Le Cancre P 63 édition Folio ,PAROLES, Jacques Prévert Ed Gallimard 1949. Ne fait pas partie du spectacle.

[2] Dans ma maison. P 83 Folio, PAROLES, Jacques Prévert Ed Gallimard 1949

[3] Inventaire. P 208 Folio, PAROLES, Jacques Prévert Ed Gallimard 1949

[4] Déjeuner du matin. P 148 Folio, PAROLES, Jacques Prévert Ed Gallimard 1949

[5 ] LA grasse matinée p. 80 Folio, PAROLES, Jacques Prévert Ed Gallimard 1949

[6] Chasse à l’enfant . P 86 Folio, PAROLES, Jacques Prévert Ed Gallimard 1949. Ne fait pas partie du spectacle

• Note 1 Sorj Chanlandon nous fait redécouvrir ce lieu infâme et particulièrement l’histoire de l’un d’entre eux, dans un livre récent « L’enragé » aux éditions Grasset 2023.
• Note 2 J’ai choisi d’écrire les fractions de poèmes sans respecter le retour à la ligne dans un souci de disposition de l’article. De fait la ponctuation et les majuscules se voient modifiées.

Paris le 29 janvier 2024.

Françoise DUPLEX