Vue sur mer

Isée Bernateau

Petite Bibliothèque de Psychanalyse PUF 160p 14€

 

 Voici un titre fort énigmatique. Peut-être comme il est de règle aujourd’hui aurait-il fallu lui adjoindre un sous-titre comme par exemple Heimat, nom qui évoque ce lieu de la terre natale qu’une série télévisée tout à fait passionante avait pris pour titre  afin de raconter  l’histoire de l’Allemagne du XXe siècle, et qui fournit d’ailleurs le sous titre de l’un des derniers chapitres du livre. Car il s’agit dans cet ouvrage de traiter du lieu en tâchant de s’interroger du point de vue psychanalytique sur ce concept qui a reçu déjà de la part de nombreux auteurs, un certain nombre de développements tout à fait pertinents et dont  Isée Bernateau tient d’ailleurs  le plus grand compte.

 

Disons le tout de suite, le fait que cet ouvrage soit publié dans la petite collection bleue des PUF a retenu d’emblée notre attention tant cette collection a su faire preuve depuis sa création d’une qualité remarquable qui la fait sortir du lot., tant par l’originalité des propos qui y sont tenus et soutenus que par la qualité de l’écriture, preuve d’un travail en amont effectué par l’’éditeur.

 

En parcourant les premières pages qui font références à différents patients adolescents de l’auteur, ce ne sont pas un mais de multiples exemples tirés de notre propre pratique qui nous viennent immédiatement à l’esprit, tant l’adolescence cherche dans la distance plus où moins grande, plus où moins fantasmatiques à s’écarter des lieux de l’enfances.

 

De l’attraction/répulsion vis-à-vis de ces lieux, de l’errance qui s’inscrit dans une recherche d’un non-lieu, de la confrontation avec la « Grande ville » dont on sous-estime souvent l’effet de violence que provoque cette rencontre, de l’éprouvé de la solitude dans une petite chambre en ville ou dans les chambre des « prépas ». Oui, sans aucun doute, les exemples ne manquent pas dans la clinique concernant la question du lieu ;

 

Plus tard les divorces et le choix de celui qui partira,  des changements incéssants de lieux liés au travail des parents diplomates, militaires, ingénieurs en poste dans divers pays étrangers dont les changements répétés de résidence et donc de maison et de langue  ne peut que créer chez l’enfant et même chez l’adulte la tentation de se refermer sur la cellule familiale comme seul lieu de sécurité et où, plus tard de se séparer de ses objets familiers est une épreuve que l’entourage a bien du mal à comprendre et par conséquent à accepter.

 

Élargissant son propos au cinéma ainsi qu’à la littérature Isée Bernateau étudie avec pertinence la problématique adolescente   déployée par Gus von Sant dans la tétralogie  (Gerry, Elephant, Lasts days et Paranoïd Park ) puis  dans la littérature avec l’œuvre de George Perec

Chez Gus Von Sant elle  voit dans  les propos et les actes des personnages une quête sans fin de l’altérité encore et toujours évitée. Dans l’œuvre de George Perec la recherche infinie d’un lieu pour pouvoir seulement exister alors que la disparition de ses parents son père mort au front et sa mère disparue dans les camps, ont fait de sa vie une non-vie faite seulement d’un puzzle de souvenirs sans lien et sans temporalité.

 

On voudrait souligner aussi un détour bien venu  par l’œuvre trop oubliée de Fernand Deligny, recueillant les traces des enfants autistes à Monoblet. Isée Bernateau répond  pour ma part  à une question en suspend depuis 40 ans « Mais que faire de toutes ces lignes tracées  et dont n’émerge aucun sens ?. C’est que ces « lignes d’erre » comme la désigne Deligny « coconstruisent leur lieu comme lieu psychique » précisément parce que ces enfants là n’habitent en eux-même aucun lieu et que comme pour Perec l’écriture leur en tient lieu.

 

Heimat justement,

 

On connaît la référence ultime de toutes les idéologies qui ont meurtrie le XXe siècle, celle d’un lieu d’où naitrait tout ce qui fait l’identité. S’interrogeant sur la pensée d’Heidegger, Isée Bernateau voit dans les propos de ce dernier quant au lieu d’où surgit sa pensée, comme un cercle se refermant sur lui même avec le maternel comme centre un chemin qui va sans rupture de la naissance à la mort. Mais là où le fantasme montre son vrai visage c’est qu’ainsi se constitue une perception de ce lien à la mère considéré  comme naturel et qui fait ainsi l’impasse sur l’interdit de l’inceste et l’incomplétude du rapport à l’objet Das Ding., car « la fusion n’est pas seulement interdite, elle est impossible car la mère est toujours déjà perdue » Et de conclure : « Le réel des sensations ressenties dans le lieu natal ouvre,dans l’idéologie de l’enracinement, la voie à un imaginaire du familier, du pareil à soi qui exclut toute étrangèreté ,interne comme externe. Pourtant, il n’est de lieu que dans et par le langage »

 

 


Laurent Le Vaguerèse