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Hélène Piralian-Simonyan. Génocide, disparition, déni. La traversée des deuils. L'Harmattan. 240 pages.
L’ouvrage d’Hélène Piralian-Simonyan fait partie des livres dont la lecture s’impose dès les premières pages par la qualité de son écriture et de son propos. Une écriture sans concession et qui du titre à la couverture ne laisse au lecteur aucune échappatoire. On sait de quoi on va parler. On sait le sujet douloureux et difficile et l’on sait aussi que l’on n’en sortira pas indemne. Le nom de l’auteur nous annonce aussi la couleur. Oui, on n’en doutait pas, Hélène Piralian-Simonyan fait bien partie de la communauté arménienne qui depuis un siècle réclame au monde entier et pas seulement au gouvernement turque la reconnaissance comme génocide de la déportation de l’ensemble de communauté arménienne en 1905, déportation qui a abouti à la mort de la quasi-totalité des déportés. C’est un livre engagé et qui demande d’emblée au lecteur, non seulement d’abandonner son confort mais aussi de prendre parti et c’est là sans doute qu’une certaine retenue s’impose. C’est certainement aussi un livre de psychanalyste et les propos de l’auteur sur la transmission nous éclairent non seulement sur ce qui est à l’œuvre pour les descendants des tragédies du XXe siècle mais aussi sur les effets psychiques de certains traumas dévastateurs à l’instar des suicides des parents par exemple qui semblent laisser un blanc dans la mémoire des descendants et en faire les porteurs vivants et figés du corps du mort.
Le livre étudie les multiples tragédies qui ont parcouru les siècles passés et s’efforce de donner une définition précise du terme génocide.
Il existe, certains le découvriront, des luttes violentes et passionnées entre les descendants des différents génocides. Il y a ceux qui défendent une définition restreinte du terme et le réservent à Shoah en liant notamment cet épisode de l’histoire à un développement industriel du capitalisme et à un certain rapport à la science de la moitié du XX e siècle. Il y a ceux qui refusent de limiter ce terme de génocide à la seule politique nazi d’extermination des juifs mais, parmi ces derniers, l’unité n’est pas non plus de mise. Il y a ceux qui veulent y inclure tel massacre et non tel autre. Il y a ceux qui veulent inclure l’esclavage dans cette définition et ceux qui s’y refusent. Et chaque destruction massive de population du Rwanda au Monténégro repose inlassablement la question : s’agit-il ou non d’un génocide ? Ce débat violent oppose des hommes et des femmes animés d’une passion à la mesure de la responsabilité qu’ils ressentent au regard de l’histoire tant personnelle que collective. Le livre d’Hélène Piralian-Simonyan nous fournit les éléments susceptibles de comprendre les enjeux qui se dissimulent derrière ces débats. Elle écrit : « nommer génocide un temps de l’Histoire, comme s’en prétendre l’héritier, n’est ni s’attribuer des lettres de noblesse, ni proposer une hiérarchie des douleurs, mais seulement tenter de poser la spécificité d’une structure »
Un génocide c’est non seulement une destruction massive des personnes appartenant à une communauté mais l’impossibilité d’une transmission grâce au blocage du processus de deuil. : « la disparition (…) s’accompagne toujours d’un déni, celui de l’existence passée, présente et future du disparu, transformant celui-ci en un inexistant, mieux encore en un « n’ayant-jamais-existé » ». Il faut donc faire en sorte pour faire aboutir ce processus de les faire disparaître comme humains avant de les tuer, s’efforcer d’anéantir l’humain en l’homme. Mais celui qui subit cet anéantissement et qui en réchappe ne peut être le seul à témoigner. Car alors seul demeure comme autre son bourreau. Pour que le processus s’interrompe, il faut que soit reconnu par d’autres ce qui fut à l’œuvre dans le génocide. D’où l’appel des descendants des victimes à une reconnaissance de ce qu’ils ont subi. Et c’est la qualité de cet autre qu’il reste à définir : témoin ? organisme officiel comme le Tribunal Pénal International ? instance gouvernementale ? opinion publique ? Pour Hélène Piralian-Simonyan en tout cas il ne fait aucun doute que « réconciliation et pardon ne peuvent s’envisager que précédés d’un temps de justice, qui vienne s’interposer entre le bourreau et sa victime comme protection contre le retour du meurtre, le retour du génocidaire. »
Mais le jugement qui conclut à la culpabilité en prenant partie ne fait-il pas perdre justement toute crédibilité aux yeux de ceux qui s’en trouvent accusés excluant précisément les bourreaux du processus de retour vers l’humanité des bourreaux et de leurs victimes ? Ce qui a été fait en Afrique du Sud n’est-il pas davantage porteur d’espoir pour tous ?
Et qu’en est-il du lien des génocides à la démocratie. Étendant son propos aux épisodes de l’histoire qui voient la naissance de l’état turque surgir du génocide arménien comme la république française se fonder sur la terreur et l’extermination des « vendéens » et la glorification des agents de ce massacre, Hélène Piralian-Simonyan pose la question de l’idéologie de l’homme nouveau et de ses conséquences sur les structures de l’Etat. Quelle filiation en effet s’agit-il encore de faire disparaître dans ce qui marque le chant révolutionnaire du XXe siècle et sa phrase célèbre entre toute : « du passé faisons table rase ? » Et si en effet avec François Furet, il s’agissait de repenser « la Terreur » à la lumière du Goulag ? S’opposant aux arguments d’Octave Mannoni qui parlant de l’esclavage invite « à laver ce péché dans le baptême universaliste » l’auteur nous donne la réponse de Patrick Chamoiseau « Comment ? j’ai à peine ouvert les yeux qu’on avait bâillonnés, et déjà l’on veut me noyer dans l’universel ? »
On le voit, les questions soulevées par Hélène Piralian-Simonyan sont de celles qui fondent l’homme moderne et auxquelles il ne peut longtemps échapper. Questions dérangeantes, questions cruciales. Ce livre nous les pose avec intelligence et sa lecture nous traverse tant dans notre pratique analytique que citoyenne.