L’autisme, sa compréhension, les soins que l’on peut apporter à l’enfant présentant le syndrome décrit par Kanner en 1943, constituent aujourd’hui, pour toute une cohorte de spécialistes de toutes obédiences, l’un des plus grands défis de notre temps. Il en résulte des affrontements parfois violents, le surgissement de théories plus ou moins farfelues et quelques cris prématurés de victoire, chacun supposant son approche plus pertinente que les autres. Les parents sont bien entendu très concernés par les solutions avancées pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent avec leur enfant et selon les lieux ou les moments, se raccrochent à telle ou telleproposition leur paraissant la plus à même de les aider. La psychanalyse a longtemps fait cavalier seul dans ce domaine, bientôt rejointe par les avancées de la génétique, mais combattue par les tenants de théories de la communication regroupées sous le vocable un peu trop large de cognitivo-comportementalisme.

Le livre d’Henri Rey-Flaud se place dans une approche uniquement psychanalytique et tente de faire une synthèse des apports des différents courants de la psychanalyse ainsi que des principaux livres écrits par des patients ayant témoigné de leur passé d autiste. Énonçant en introduction, les différentes énigmes que nous posent les comportements de l’enfant autiste, comportements dont nous avons du mal à percevoir la logique et qui laissent le plus souvent l’observateur seul avec ses questions, Henri Rey-Flaud nous propose un ensemble d’outils théoriques à la hauteur des enjeux de cette maladie. C’est sans doute cet aspect qui nous a paru le plus intéressant dans cet ouvrage, par ailleurs écrit avec clarté, dans une langue accessible. Mettant en lien les apports des analystes anglo-saxons s’inscrivant dans la filiation de Melanie Klein, Winnicott et Bion, avec les travaux de Lacan, reprenant les témoignages des patients, les nombreuses observations faites par différents psychanalystes, tissant un fil pour confronter ces observations avec les théories avancées, le livre déroule la pensée de l’auteur de façon fluide.

Pour Henri Rey-Flaud, la compréhension des comportements autistiques passe par les étapes d’accession au symbolique au travers des aléas de l’accès de l’enfant au langage et ce à partir de l’océan de sensations indistinctes qui constituerait le point de départ de tout être humain. Parcourant le chemin avec ce dernier, il décrit les étapes qui font successivement passer l’enfant de la sensation indistincte à la perception avec laquelle il ne faut pas la confondre, celle-ci étant une création face à la perte de l’objet. Pour l’auteur l’enfant autiste est d’abord un enfant qui est submergé en permanence par un afflux de sensations indistinctes et envahissantes et c’est pour faire face à ce qui non seulement l’envahit mais aussi le détruit et risque de l’engloutir qu’il met en place les comportements déroutants que nous observons. Échappant en permanence au trou sans bord qui le précipiterait vers l’abîme il se défend de nous tout en gardant secrète une mince ouverture pour qui aura la patience de partir à sa recherche avec pertinence, persévérance et affection.

L’intérêt de l’ouvrage d’Henri Rey-Flaud n’est pas contestable mais sa lecture appelle à mon sens un certain nombre de remarques qui n’en diminuent pas le caractère incontournable pour qui s’intéresse à ces questions. Tout d’abord le parti pris qui consiste à ignorer les avancées génétiques nous paraît regrettable. S’il est vrai que celles-ci ne sauraient nous fournir d’explications et encore moins d’aide dans le traitement de l’autisme au moins pour le moment comme d’ailleurs l’auteur en convient assimilant sa position à celle de Freud dans ce domaine, elles permettent cependant de distinguer de plus en plus nettement certaines formes d’autisme d’autres formes avec lesquelles elles sont pour le moment confondues. Par ailleurs les avancées d’autres disciplines ne sauraient s’opposer aux travaux psychanalytiques chacun ayant intérêt à mon sens à suivre, comme le font d’ailleurs nombre de psychanalystes, les développements des recherches des autres disciplines pour le plus grand profit de tous. Quant aux approches cognitivo-comportementalistes si elles nous semblent comme à l’auteur souvent tout à fait simplistes et à rebours de notre démarche, elles ne sauraient aujourd’hui être simplement ignorées ne serait-ce que pour répondre aux sollicitations des parents auxquelles ces techniques sont désormais systématiquement proposées voire imposées.

L’autre surprise vient de l’ignorance des travaux déjà anciens concernant la gestation et la mise en route successive et progressive des sensations du fœtus, travaux auxquels nous avons-nous même participé il y a trente ans et qui ont été largement confirmés depuis. Ces données semblent ne pas avoir été reconnues ni par une large fraction de la communauté analytique ni par l’auteur qui place le début de la vie sensorielle de l’enfant et en conséquence le commencement de sa communication avec l’environnement à sa naissance. De même la position consistant à évoquer la naissance dans un cri comme premier refoulement si elle peut être comprise comme métaphore ne saurait correspondre à l’observation. Chacun peut aujourd’hui constater que l’enfant lorsqu’il est accueilli dans certaines conditions favorables ne crie pas. Enfin, on ne saurait accepter comme une donnée définitivement acquise l’existence d’une supposée unité psychique mère-enfant de laquelle l’enfant émergerait peu à peu et la seule relation orale comme lien à la mère. Cette position est certes dans la pleine orthodoxie freudienne mais cela vaut-il désormais pour toute éternité ?

Enfin la position d’Henri Rey-Flaud nous semble assez ambivalente en ce qui concerne tant l’avenir de ces enfants que l’importance de la mère comme grand Autre. D’un côté il laisse la porte ouverte à une éventuelle efficacité thérapeutique évoluant sinon vers la guérison complète du moins vers une nette amélioration comme en témoignent d’ailleurs les nombreux écrits qu’il cite lui-même. Mais d’un autre côté il affirme que ces enfants n’auront jamais accès au symbolique. L’approche de l’auteur donne naturellement une place centrale au grand Autre c’est à dire à la mère dans la plupart des cas celle-ci jouant un très grand rôle .dans l’accès de l’enfant au symbolique et au langage

Cette approche dont la pertinence est très grande pour un psychanalyste, ne saurait en retour avoir pour conséquence de sous estimer le rôle de la réponse de l’enfant aux sollicitations de sa mère. Le comportement aberrant et non intégrable psychiquement de son enfant la plonge le plus souvent dans un désarroi au moins égal à celui des soignants qui tenteront ensuite d’aider l’enfant à émerger de sa position autistique. L’oublier c’est lui faire porter un chapeau dont certains l’ont déjà affublée avec les conséquences que l’on sait.

Il reste à ce stade un point d’interrogation fondamental : oui la mère joue un rôle mais elle n’est pas la seule. Elle doit faire face à une difficulté inattendue dans son lien psychique à l’enfant. Qu’elle ne sache pas y répondre mieux que la plupart d’entre nous ne devrait-il pas nous apparaître comme une donnée fondamentale dans la compréhension de leurs échanges. Enfin on regrettera qu’il ne figure dans l’ouvrage aucune indication concernant la conduite de la cure.

Toutes ces questions et bien d’autres se déduisent de la lecture de l’ouvrage et ce n’est pas son moindre intérêt que de les susciter et de contribuer ainsi au grand débat qui se poursuit activement dans de nombreux cercles de travail où les psychanalystes sont à leur place et très actifs dans les recherches concernant l’autisme. Ouvrage important donc mais qui ouvre le débat plus qu’il ne le clos.

LLV.

Comments (1)

Manque au livre l'actualité des recherches sur l'autisme :
- L’étude de l’AGPC (l’Autism Genome Project Consortium) a permis de mettre le projecteur sur une région du chromosome 11 qui serait impliquée dans la prédisposition à l’autisme. Les chercheurs ont notamment identifié le gène neurexin-1, connu pour son action sur la communication entre les neurones. D’autres études devront maintenant éclaircir les mécanismes impliqués et la façon dont ce gène influence le développement cérébral de l’enfant.

«Les avancées se font pas à pas, commente Bernadette Rogé, du Centre d’études et de recherches en psychopathologie de l’Université Le Mirail, à Toulouse, qui a participé à l’étude.
«L’autisme est une pathologie qui répond à un modèle polygénique, explique-t-elle, impliquant plusieurs gènes qui pourraient différer d’une forme d’autisme à une autre». Plusieurs gènes probablement impliqués dans l’autisme avaient déjà été identifiés sur les chromosomes 2, 7, ou 17, sur de plus petits échantillons. «La réunion de 1.200 familles donne une plus grande puissance statistique».

Cependant, identifier les gènes ne suffit pas. «Les gènes interagissent pour créer une susceptibilité à l’autisme, poursuit Bernadette Rogé. Des facteurs environnementaux interviennent également dans le déclenchement des troubles autistiques. C’est tout cela qu’il faut comprendre».

- Thomas Bourgeron, enseignant à l’Université Paris 7 et chercheur à l’Institut Pasteur proposé deux conférences organisées par le Collège de France.

La vulnérabilité génétique à l’autisme - les altérations synaptiques

La vulnérabilité génétique à l’autisme - les altérations de l’horloge circadienne[1]

2008
Résumé :
"L’autisme n’est plus considéré comme une entité unique, mais plutôt comme un ensemble de troubles que l’on nomme
ÉCOUTER DIRECTEMENT LES CONFÉRENCES (MP3)
Thomas Bourgeron
Professeur à l'Université Paris VII

* La vulnérabilité génétique à l'autisme - les altérations synaptiques
* La vulnérabilité génétique à l'autisme - les altérations de l'horloge circadienne

http://www.college-de-france.fr/default/EN/all/phy_per/conferenciers_inv...

- « Les troubles du spectre autistique » (TSA).
Les TSA sont caractérisés par des troubles de l’interaction sociale et du langage, et la présence de comportements répétitifs et stéréotypés.

Les études épidémiologiques estiment qu’environ un enfant sur 166 est atteint de TSA. Dans 10-25 % des cas, les TSA sont associés à des maladies génétiques connues, comme la sclérose tubéreuse et le syndrome de l’X fragile ;
Cependant, dans la majorité des cas, l’étiologie de l’autisme demeure inconnue.
Très récemment, certaines voies biologiques ont été identifiées mettant en cause des gènes (NLGN3/4, SHANK3, NRXN1) impliqués dans la formation et le maintien des connexions neuronales (1-4).
Sur la base de ces résultats encourageants, de nouvelles études, qui utilisent à la fois des approches génétiques, neurobiologiques et d’imagerie cérébrale, sont actuellement en cours. Les résultats de ces analyses devraient nous permettre à la fois de mieux comprendre ce syndrome complexe qu’est l’autisme, mais aussi de nous renseigner sur les origines du langage et la communication sociale, des processus influencés par les gènes et l’environnement."

- Monica Zilbovicius, Les aires cérébrales concernées par le traitement de la voix humaine
RÉFLEXIONS DE PSYCHOTHÉRAPEUTES DE FORMATION PSYCHANALYTIQUE S’OCCUPANT DE SUJETS AVEC AUTISME
Rédigées après la publication des résultats d’une expérience sur les aires cérébrales concernées par le traitement de la voix humaine par H. Gervais, M. Zilbovicius et coll., août 2004.
Geneviève Haag
Revue française de psychosomatique

Ce texte suit la publication d’une expérimentation en IRM fonctionnelle montrant des anomalies sur les aires cérébrales concernées par le traitement de la voix humaine chez 5 adultes autistes. L’auteur a rassemblé de nombreuses observations cliniques issues principalement des psychothérapies psychanalytiques réalisées avec des sujets avec autisme concernant la réception du sonore.
Les hypothèses psychopathologiques qui en découlent ne sont pas en contradiction avec les découvertes actuelles des neurosciences, mais interrogent leur interprétation ; elles s’ouvrent au dialogue, à l’encontre des déformations médiatiques réductionnistes qui tendraient à accentuer le clivage entre point de vue neurologique et point de vue psychodynamique.

[1] En 1999, l’équipe de Paolo Sassone-Corsi : montreun gène impliqué dans le fonctionnement de l’horloge biologiq

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