Henri Vermorel 

Sigmund Freud et Romain Rolland.

Un dialogue

632p 29 €

Albin Michel

 

La gloire est éphémère. Nombre de célébrités d‘hier ont inexorablement disparu de nos mémoires remplacées par d’autres qui disparaîtront à leur tour au fil des années. Il en est semblablement des écrivains, seules quelques gloires nationales subsistent sans pour autant qu’on les lise davantage si ce n’est parfois sous la contrainte dans les collèges et dans les lycées mais de plus en plus souvent sous la forme de condensés. Cette pratique honteuse, d’en avoir l’écho régulièrement par mes patients me met en rage sans que je puisse faire autre chose que de m’en indigner.

 

C’est de me trouver en présence d’un ouvrage dont la thématique sortait de l’ordinaire et consacré aux relations entre Sigmund Freud et Romain Rolland qui a rappelé à ma mémoire le souvenir lointain de cet auteur aujourd’hui oublié.

 

Romain Rolland fut à son époque, c’est-à-dire au début du 20e siècle, une sorte de référence morale. Son ouvrage le plus célèbre le roman Jean-Christophe figurait dans toutes les bibliothèques dignes de ce nom. Un peu plus jeune de dix ans que Freud qui d’ailleurs se plaît à le lui rappeler, il avait été peu avant la guerre de 14 un pacifiste militant. Fin connaisseur de la littérature allemande, il avait consacré une partie de ses travaux à des biographies et des études savantes, portant notamment sur Goethe et Beethoven. C’était par ailleurs un passionné de musique.

 

 

Poursuivie de 1923 à 1936, mais au total peu fournie, la correspondance avec Freud contient en particulier le texte adressé par lui en hommage à l’écrivain à l’occasion de son 70 eme anniversaire « Un trouble du souvenir sur l’Acropole », qui représente à la fois un apport à la théorie psychanalytique mais aussi et peut-être surtout des informations concernant Freud lui-même. C’est assez sûrement pour cette seule raison que ce nom n’est pas totalement inconnu des psychanalystes même si leur connaissance de cet auteur s’arrête le plus souvent à la lecture de ce texte.

 

C’est sans doute aller trop vite en besogne que de se contenter de si peu, car l’influence de Romain Rolland sur les travaux des dernières années de Freud est importante comme s’attache à le démontrer Henri Vermorel. Ce dernier dont la bibliographie nous informe de son intérêt renouvelé, qu’il partage avec son épouse, pour Romain Rolland, est aussi un fin germaniste ce qui donne à son livre une dimension essentielle.

 

Car, on oublie trop souvent que si la culture juive de Freud imprègne indéniablement son œuvre, c’est aussi un homme profondément issu de la culture germanique en particulier de sa dimension romantique et ce n’est certainement pas par hasard si, à la fin de sa vie, le prix Goethe lui fut attribué.

 

Le sous-titre de l’ouvrage est « un dialogue ». Cela me semble beaucoup trop restrictif à bien des égards. On le sait, Freud était un épistolier infatigable ; on recense je crois pas moins de 30 000 lettres écrites de sa main. Après la guerre c’est avec les plus grands intellectuels de son temps que Freud a entretenu des échanges réguliers. Einstein, Pfister, Ludwig Binswanger et bien d’autres sans oublier celui qui sera le go-between entre Rolland et Freud à savoir Stefan Zweig. Sous une référence quasi constante à Spinoza, les échanges entre tous ces protagonistes porteront d’abord sur la question religieuse, et si l’athéisme de Freud rejoint celle du philosophe, il n’en sera pas moins profondément touché par la référence que fait Rolland au sentiment océanique qui loin de toute église est pour lui l’essence même du sentiment religieux.

 

Si Freud refuse à ce propos l’apport essentiel de Férenczi il fait droit à Rolland de sa dette à son égard. Le texte du « souvenir sur l’Acropole » n’étant que la pointe ultime du travail de pensée suscité par leur correspondance venant après la publication de « l’avenir d’une illusion » du « malaise dans la civilisation « et bien sûr du « Moïse. » Chacun de ces textes constituant en quelque sorte une part du dialogue entretenu avec Rolland et quelques autres par écrit public interposé.

 

Romain Rolland avait-il saisi en quoi consistait précisément la psychanalyse, on peut en douter. De même la fin de sa vie ne fut-elle pas sans tache et explique en partie, mais en partie seulement, son oubli. Bien que heurté par les informations qui lui parvenaient concernant l’Union Soviétique alors sous le joug du stalinisme, il n’en demeurera pas moins un soutien public de celle-ci contrairement à Gide et ce n’est que très tard qu’il se rendra compte de son erreur. De même son attitude un peu avant et durant l’occupation allemande ne sera-t-elle pas sans ambiguïté.

 

Au total, la lecture de ce livre nous éclaire sur ce qui constituait le tissu des échanges au sein des intellectuels notamment français et d’outre Rhin et ce en dépit et même en opposition affirmée à la rivalité toujours bien présente entre ces deux nations et les conflits qui en ont marqué de façon indélébile les rapports. Il prend de la hauteur et nous entraîne avec lui dans des dimensions qui dépassent la simple considération des écrits théoriques de Freud élargissant notre réflexion à ses sous-bassements culturels ; ce livre épais est cependant par son écriture légère un fort agréable compagnon, il nous rend plus instruit et par là même plus intelligent.

 

Laurent Le Vaguerèse

 

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