Compte rendu du livre de Maurice CORCOS  : « Rimbaud : une adolescence violée ». Ed l’esprit du Temps

Maurice Corcos est psychiatre, chef de service à l’institut Montsouris et professeur de psychiatrie infanto-juvénile à l’université Paris Descartes. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont «Georges Perec, Penser la mélancolie » chez Albin Michel , « De Renée Magritte à Francis Bacon , psychanalyse du regard» aux P. U. F., mais aussi,  entre autres, de « Le corps absent »  , « La terreur d’exister. Fonctionnement limites à l’adolescence » chez Dunod.
Maurice Corcos a non seulement une passion pour la psychiatrie, mais aussi une passion de l’écriture qu’il manie avec beaucoup d’élégance et de subtilité . Il nous livre ici un très beau texte.


« Rimbaud : une adolescence violée » est une lecture biographique et clinique de cette si douloureuse  traversée de l’adolescence qui nous a valu une œuvre éclairant  toujours la littérature contemporaine.
En effet « l’adolescence du poète fut une  «  fièvre du  désir » »Cette fièvre, Maurice Corcos, la déploie. Il nous en montre les plis et les replis.  L’auteur cherche à nous faire entendre «  l’histoire de ce corps inouï et de ses plaisirs ingénus menacés par la pensée ». Car «  la poésie rimbaldienne, même pulsionnelle en diable, et même si elle est une transcription de la sève du printemps dans la saison de l’amour, une interprétation lyrique de l’élan vital, réactivée par l’orage hormonal et émotionnel de la puberté a été tamponnée par un  long et raisonné dérèglement de tous les sens  ». L’ouvrage montre que, tant à travers le passage par une toxicomanie contrôlée que plus tard le renoncement à la poésie, on est chez Rimbaud face  une démarche consentie. Il s’agissait pour lui du début à la fin d’échapper à la folie  en l’enivrant, l’embrumant, l’anesthésiant.  « C’était la secrète et mélancolique sensualité sans objet de l’adolescent, qui ressemble à la terre sombre, humide, maternelle du printemps et à ses obscures eaux souterraine qui profitent du premier prétexte venu pour rompre leurs digues ».
Tout part non seulement du père absent, beaucoup trop facile coupable de l’errance rimbaldienne  mais surtout de «  la mère à la manœuvre qui par son activisme projectif, littéralement commande l’errance de son fils ». Délicat cheminement que Maurice Corcos parcourt avec subtilité. Il nous décrit combien « la sortie de l’enfance, la traversée de la période dite de latence, puis le décalaminage de la confiture boueuse de la dévotion et du pot au noir du début de l’adolescence, avec un imaginaire qui tient lieu de souffle de vie pour gonfler la voile, furent périlleux ».


 Echapper à « cette menace temporelle d’un objet maternel déprimé et le nécessaire rapprochement avec un père disparu », si difficile à gérer pour ce jeune corps pubertaire, entraîna celui-ci vers quatorze fugues  et/ou errances.  Autant d’échappée belles « tentant d’inscrire dans l’espace l’indispensable distance plus que géographique  … psychique ».  Son corps d’adolescent au visage poupin et à la moue ravageuse attira sur lui les entreprises d’un prêtre puis de Verlaine et de quelques autres. Sa rencontre avec le Paris de la Commune déboucha sur le traumatisme d’un viol collectif dont il fut la  douloureuse victime. Maurice Corcos montre comment ce besoin de déserter est  évoqué à travers les poèmes de « l’homme aux semelles de vent » qui gardent  la trace de ses tentatives, de ses émois, de ses engouements et de ses blessures intimes. Mais, sur le plan clinique, il souligne que c’est l’excitation du corps de l’enfant par « une maîtresse femme » qui a généré une dépendance primaire entraînant des autoérotismes au caractère violent et sadique. On y lit, nous dit-il,  les tentatives de différencier le corps propre d’avec l’objet de ces autoérotismes. Ils furent, peut être, apaisant  dans l’enfance « où ils constituèrent une forme d’auto-holding tentant de contenir  un informe, un indéterminé ». Mais, à l’adolescence, cette fonction apaisante disparaîtra au profit « d’une recherche effrénée d’excitations qui serait synonyme de passivité et risque de possession ». Chaque instant « au lieu d’être le simple fragment d’une histoire à venir contient l’histoire tout entière (passé-présent et futur intriqués) emprisonnée dans les dégoûts antérieurs. »


L’auteur  souligne à quel point   l’adolescence n’est pas qu’une perte et un deuil d’objets infantiles : « c’est évidemment dans le même temps avec l’état amoureux une nouvelle naissance. Et avec l’esprit carburant à l’essence adolescente et investissant l’art, une seconde chance ...justement de partir et de quitter….la prison de l’enfance ». Il souligne  que l’éprouvé d’exaltation lié à la prise d’indépendance se fait « non par rapport aux parents réels , mais par rapport aux imagos parentales intériorisées » et que cela génère un surcroît de créativité dont l’œuvre de Rimbaud témoigne si brillamment.  Il poursuit en développant un certain nombre d’hypothèses sur la dernière partie de la vie du poète.


Ce texte dense, à l'écriture serrée,  nous amène à réfléchir à notre pratique et à interroger les fondamentaux. Surtout, il nous incite à relire Rimbaud, attentivement, mais d’un œil nouveau.