Marie PESENTI-IRRMANN  « Lacan à l’école des femmes». Coll. Point hors ligne . Editions Erès 2017

 

Marie PESENTI-IRRMANN pratique et enseigne la psychanalyse à Strasbourg  et à Paris. Elle est membre de l’association Espace Analytique et du comité de rédaction de la revue « Figures de la psychanalyse ».

Partant des recherches et élaborations de Lacan sur « le vrai amour » l’auteure s’attache à rendre compte de quelques rencontres avec des figures féminines qui ont enseigné celui-ci : de Marguerite Anzieu à Marguerite Duras en passant par Antigone, Ophélie,Thérèse d’Avila, Sygne de Coûfontaine, etc.

Dans son envoi elle précise de manière très claire son rapport à la lecture de Lacan : celle d’une pensée en mouvement adressée à un auditoire dont il attend, souvent désespérément, un retour. Elle se refuse à y voir un système. Avec beaucoup de clarté elle suit l’élaboration de cette pensée avec ses impasses, ses découvertes, ses fulgurances parfois .

Marie Pesenti, au fil de son livre, nous montre comment l’amour noué à la question de la jouissance, mène Lacan « à fonder un ternaire inédit, appris des femmes  qui lui ont permis d’approcher des rives de contrées énigmatiques  passant du ternaire freudien  Désir/Phallus/ Nom du père  à celui qui s’inscrit ainsi Jouissance/ Amour / Femme ». Elle ajoute que les figures féminines qu’il a côtoyées l’ont enseigné sur l’amour : « l’amour comme moyen de parer au non-rapport, de passer outre l’abîme du trou de structure face auquel il leur faut prendre le large ».

  Dans une première partie titrée « Le champ lacanien des jouissances »,  elle déploie un méticuleux  repérage de la jouissance dans l’œuvre lacanienne.  Elle fouille, entre autres,  le séminaire sur les formations de l’inconscient et  celui sur l’angoisse. Elle montre qu’il y a une pluralité des jouissances. Elle souligne que pour la femme « le désir de l’Autre est le moyen que sa jouissance ait un objet...convenable »1 et rappelle cette formule devenue canonique : « Seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir ».2 Jouissance insituable, limitrophe, au sens de trou que cerne la pulsion, nous dit l’auteure.

Cette jouissance Autre que Lacan dégage du coté de la femme explore un franchissement. Marie Pesenti tente d’en suivre  les arcanes dans la  seconde partie de son ouvrage qui est consacrée aux « varités » de l’amour .

Lacan, à partir de sa thèse sur le cas Aimée, a su entendre « leur exigence d’être aimée encore et encore,  exigence que nul maître ne saurait éteindre ».  Il a montré comment ce régime d’absolu est porté à l’extase par les mystiques. Il en retient une leçon : « elles témoignent de cette jouissance qui s’éprouve mais dont on ne peut rien dire, à laquelle elles s’abandonnent sans garantie aucune ». « Elles sont , pour Lacan, la figure du féminin, un Autre radicalement Autre, insaisissable comme l’est l’amour courtois ». Marie Pesenti nous offre sur ces questions une très belle lecture qui rend légère l’érudition qui s’y déploie.

Bien plus, c’est un des charmes de ce livre, Marie Pesenti fait une lecture des écrits lacaniens à la fois minutieuse et précise  tout en étant élégante dans son déroulé. Sa lecture interprétative de manière est si ajustée qu’elle réussit une fois de plus à donner une impression de facilité, là où elle a en réalité la science et l’art de trouver des formulations souvent saisissantes de clarté. C’est peu dire que cette impression de facilité ne doit pas nous leurrer et que repérer l’articulation rigoureuse de la démonstration de Marie Pesenti appelle une lecture méticuleuse. Devant une question qui exigeait rien moins qu’une écriture sensible, elle parvient à trouver un équilibre heureux entre rigueur théorique et vrais moments poétiques

 

Elle s’attelle à suivre le parcours de la recherche lacanienne, les voies découvertes, les impasses, les fulgurances. Si Lacan a toujours été abondamment cité, Marie Pesenti, quant à elle, sait extraire de cette œuvre,  parfois gongorique, des pépites : formules ou  citations qui éclairent avec beaucoup de force l’originalité de la pensée de celui qui fut un Maître.

 

Joli travail donc qui bute sur l’impasse de l’impossible du rapport sexuel, d’un mur entre hommes et femmes : ce pousse à écrire qui caractérise l’amour, comme le souligne Lacan. L’insaisissabilité évoquée de la figure du féminin est- elle si différente de l’aveu freudien d’une butée sur un continent noir ?

L’auteure a, de propos délibéré, limité ses commentaires  à l’œuvre de Lacan (même  si quelques autres sont aussi  convoqués, tels que A. Didier-Weill et surtout J. Allouch).  Cela nous fait souhaiter qu’elle nous livre  un autre ouvrage, à partir de Lacan puisque tel est son choix , sur ce qu’il en est de la Femme pour elle dans sa clinique. On en sent les prémices à la lecture de certaines pages de ce livre ....

 

 

 

                                                                       Frédéric Rousseau