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TUER LE MORT . Le désir révolutionnaire
Critiques du même auteur
Pages
Paul-Laurent Assoun P.U.F. Paris. 2015
Paul Laurent Assoun, professeur à l'université Paris Diderot, est philosophe et psychanalyste. Il a écrit plus d'une quarantaine d'ouvrages de philosophie, de psychanalyse et d'anthropologie. Il est directeur de la collection « Philosophie d'aujourd'hui » aux P.U.F. Il est Analyste Praticien adhérent d’Espace Analytique.
Son dernier ouvrage : « Tuer le mort. Le désir révolutionnaire» s’intéresse à cet événement essentiel dans l'histoire moderne : le meurtre des rois morts pendant la Terreur : soit l'exhumation et la destruction entre le 12 et le 25 octobre 1793 à Saint Denis des restes des rois qui y étaient inhumés . Rappelons le contexte : Marie Antoinette fut guillotinée le 16 octobre 1793. On est devant un « visage méconnu ou sous-estimé de la terreur, qui n'a pas que porté la mort chez les vivants (« suspects ») mais a injecté la mort dans le mort, par où elle a atteint son sommet et livré, en un acte sombre, la vérité de son désir. » nous dit l'auteur.
Ce qui l'intéresse dans l'analyse de cet événement c'est que l'on touche là « au paradigme de cette rencontre entre le désir de mort du père et la rupture génératrice de la modernité politique » et que l'on s'aperçoit que « l'élimination de l'autre vivant ne suffit pas, c'est l'anéantissement du mort qui est visé ».
L'ouvrage dévoile outre une culture ouverte, une passion et un plaisir de la description et du détail : par exemple le récit minutieux du lynchage post mortem du cadavre de louis XIV ou celui du prélèvement de reliques( l 'élimination des corps produisant une plus-value fétichiste de leurs fragments). Dans ce registre il y a par exemple, une très intéressante description du rituel d'une durée d'une quarantaine de jours qui accompagnait les rois de France, de leurs décès à leur inhumation définitive. À partir de là P. L. Assoun montre comment le « contre rituel » de la profanation va inverser le mouvement et comment une procédure administrative remplace le rituel. Le texte comporte aussi d'intéressantes notations sur l'étymologie et l'usage des mots employés tant dans la période précédent l’événement à travers les discours enflammés qui l'ont préparé et abouti à cette exhumation massive que dans la description ultérieure des faits.
L'ambivalence envers la personne royale a été décrite dès avant Freud par l'anthropologie classique. Frazer affirmera que « le chef n'est supportable en sa domination qu'à condition de permettre à ses sujets de l'exécuter symboliquement, selon des rituels périodiques, avant de le ressusciter et de lui obéir plus sereinement ! ». Mais l'introduction du concept d'ambivalence « ce qui appartient à l'essence de la relation au père » permettra à Freud de dégager le fondement inconscient de cette actualisation de la mise à mort ; il a l'intuition que le souverain, avec son immense pouvoir, est secrètement voué à la mélancolie et au martyr et ce pour la même raison que « l'idéalisation voile le fantasme de mise à mort auquel elle fait barrage et qu'elle permet de pratiquer ».
Comme le remarque Paul Laurent Assoun : la révolution va contribuer à produire de la sacralité royale « voilà le paradoxe qui émerge de la reconstitution de l'acte.» Car il n'y a pas de profanation sans tabou et la profanation révolutionnaire va restituer le tabou. Il poursuit : « Si l'on en vient à tenir quelqu'un pour responsable de tout, il y a de bonnes chances pour qu'on l'ait inséré dans la série paternelle, sous forme de négativité… Cela crée un lien très particulier à cet ennemi-là. » Lorsque les révolutionnaires accréditent l'idée du roi comme capable de tout, même mort, ils continuent à se positionner envers lui, de fait , dans la relation paternelle . Le roi n'est plus seulement un ennemi : c'est une puissance menaçante .
« Quand le conventionnel nommé Louis Legendre fait l'incroyable proposition de diviser en 83 morceaux le corps de Louis XIV, en maître boucher qu'il était, pour servir d'engrais à autant d'arbres de la liberté plantés dans la préfecture de chaque département, il avoue, jusqu'à l'absurde, sur le mode de l'illettré, la prise du désir de la révolution dans une logique de la sacralité du corps royal au moment même où il prône l'utilisation du « trône du tyran » comme humus révolutionnaire. Voilà comment le corps du roi maudit est investi d'une telle puissance de fécondation parce qu'il est censé posséder en soi encore une puissance lui permettant de générer ces reliques sacrées au profit de la république ».
La deuxième partie du livre est consacrée au « désir révolutionnaire et destins de l'idéal : de la haine à la mélancolie ». Il traite des rapports entre l'objet de l'idéal et le désir de mort en s'interrogeant sur les comportements de la « masse révolutionnaire », sur la déliaison jubilante des banquets révolutionnaires : « la forme exaltée de l'idéal se nomme manie : le sujet maniaque vivant l'excitation indescriptible d'un « tout est possible, » grâce à la symbiose de son moi avec son idéal du moi. La matrice freudienne nous invite à attendre que le meurtre du père soit suivi d'un banquet » . On peut aussi noter tout un passage sur « la mélancolie des décombres » qui dans le domaine de l'art va annoncer la période romantique .
La dernière partie de l'ouvrage s’intéresse à la postérité de cet acte de fureur révolutionnaire et développe un certain nombre de réflexions et d’éléments de théorisation psychanalytique .
« Nous voici donc devant la racine inconsciente de la haine, cette aversion fondamentale. Ce qui rend compte de l'acte, ce sont les accointances du surmoi et de la pulsion de mort, en leur ressort inconscient, sous-tendant cette spirale qui mène de l'impératif catégorique à l'extraction des corps. »
Derrière la haine apparaît comme une dimension inattendue et déterminante : la dimension « mélancolique» du crime. La mélancolie se reconnaît au fait que le sujet se retrouve vidé de toute énergie à produire le meurtre du père, puisqu'il est « vidé » par la perte sèche de l'objet .
Paul Laurent Assoun continue en affirmant « voilà le point caché et central, dans la logique inconsciente de l'acte. Ce meurtre posthume passe par l'extraction – des tombes, des corps et de cette substance plombée, certes, mais aussi d'un certain « objet » ( au sens de l'objet a : l'objet cause du désir) celé en cet espace et recelé dans la « chose royale ».
Reprenant Lacan il nous montre que dans cet acte d'extraction : « c'est l'objet d'un manque cause – du – désir qui se rebrousse en effet de jouissance, par où objet de la haine et objet de la jouissance convergent au point de fusionner de façon explosive. » « Jouissance haineuse qui va chercher son objet au-delà de la mort » pour laquelle il va tenter de dresser « un portrait métapsychologique » qu'il avait déjà esquissé dans d'autres ouvrages.
Il note aussi que « cela pose la question existentielle de l'esclave fraîchement libéré face au jouïr des Maîtres. Face à cette jouissance du Maître séculaire, on va avoir affaire à une hystérie destructrice, dans l'ivresse d'un présent absolu. Moment triomphal du dominé affranchi, mais où il ne sait plus quoi faire de son triomphe, dont il est lui-même secrètement angoissé, étant livré à sa propre liberté. Telle est l'angoisse virulente des Maîtres de fraîche date. Cette angoisse n'est pas qu'un affect , elle n'est pas vécue comme telle, mais se traduit par des actes par où elle vient à l'expression. »
Ces propos nous font réfléchir bien au-delà de l'épisode de la Terreur dans la révolution française !
Ce texte court, écrit dans une langue fluide et agréable, est dense, riche en axes de recherches. Il est irrigué de références précises, ce qui est un trait constant dans les publications de l'auteur. Il nous amène à réfléchir sur les passions humaines, sur le politique ainsi que sur le fonctionnement et le rôle de la haine dans la vie psychique individuelle et collective .