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Le psychanalyste apathique et le patient postmoderne L.Kahn
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Derrière le titre un tantinet insolite, voire provocateur, l'auteure développe une réflexion soutenue et précise sur les dérives actuelles qui guettent la psychanalyse jusque dans ses institutions traditionnelles.
À travers une analyse érudite et dense de l'histoire récente des multiples réagencements de la théorie freudienne, Laurence Kahn fait apparaître l'éclectisme problématique qui envahit la pratique psychanalytique actuelle.
Détourner des concepts analytiques pour surmonter les résistances du public en captant sa bienveillance, ne pas rompre avec elle officiellement, mais annoncer qu'elle a changé telle était la menace perçue par Freud dès 1914 et dénoncée par lui1.
« Il fut un temps où le scandale entraîné par la psychanalyse tenait à la découverte de la sexualité infantile. Le temps a passé ». C'est la pulsion, ou plus exactement l’échafaudage métapsychologique « qui charpentait l'édifice pulsionnel » nous dit-elle , qui de nos jours est attaqué ou contourné à travers ces emprunts assez contradictoires à ce vaste fourre-tout idéologique qu'il est convenu d'appeler la post-modernité.
L'acceptation du pluralisme théorique au sein des pratiques psychanalytiques (validée par l'IPA en 1987) a permis que « les divergences qui devaient cohabiter dans leur opposition, ont, de fait, conduit à élargir les plateformes conceptuelles afin de reconstituer un fond commun » . À cette date, Wallerstein qui était président de l'IPA « était confronté aux assauts conjugués de la Self Psychologie de Kohut, du « nouvel idiome » de Schafer, des théories narrativistes et du retour des théories du trauma réel –lesquelles, chacune par une voie différente, ripostaient au caractère considéré comme unitaire et dominateur de l' Ego Psychology. L'exclusion pour non-orthodoxie n'étant plus de mise, la solution que Wallerstein adopta fut de concilier l'inconciliable, en faisant fond sur le supposé écart entre « les théories cliniques concrètes », fondées sur l'observation et « les théories métapsychologiques » abstraites. Ces dernières ne seraient en effet, pour lui, que le produit des reconstructions explicatives effectuées par les analystes à l'aide de métaphores et de symboles, des bâtis théoriques tributaires de l'univers psychique de chacun. »
Cela nous explique pourquoi Wallerstein tenait tellement au principe d'une évaluation scientifique de la rationalité du traitement des données de la séance.
Selon Laurence Kahn la fréquente substitution de la notion de Self à celle de moi, laisse dans l'ombre la division du sujet tandis que le démantèlement de celui-ci est rabattu sur la gravité des troubles identitaires. « On voit alors s'agglomérer la fonction, considérée comme essentielle, du mothering, la reconstruction d'une permanence de l'objet dont dépendrait la cohérence du sujet (perturbée par la déficience de l'environnement) et la nécessité de prendre en compte un vide représentationnel qui interdirait l'usage de la méthode analytique. L'influence de Kohut et des théoriciens de la relation d'objet tel Fairbairn, a été ici déterminante. » L'usage de la reconstruction n'est pas ignoré, mais il est transformé. Son but thérapeutique est de générer une « auto-narration cohérente qui prend en charge une continuité historique du Self qui peut avoir elle-même une valeur thérapeutique ». (P. Fonagy). Cette démarche va se trouver surchargée par l'apport de l'archéologie du savoir de Foucault : « Le relativisme des représentations conceptuelles, lesquelles ne dérivent pas du donné empirique mais d'un moment historique de la pensée, achève de séquestrer la psychanalyse dans une vocation strictement compréhensive, autrement dit herméneutique. »
Les adversaires des tenants de l'ego psychology et de leur rigidité interprétative, imputaient celle-ci à la référence énergétique qui sous-tend leur conception de la résistance, « ils avaient déjà tracé leur chemin en prenant appui tantôt sur la philosophie analytique du langage et le refus des « réifications » conceptuelles de l'analyse, tantôt sur les travaux des théoriciens de la relation d'objet, lesquels avaient auparavant défendu le modèle non pulsionnel du fonctionnement psychique, tantôt enfin sur l’herméneutique ».
Tout cela, pour notre auteur, contribue à remettre gravement en cause la méthodologie même de la psychanalyse. Elle poursuit avec un long et passionnant développement épistémologique qui passe par W. V. O. Quine, L. Witgenstein, le Cercle de Vienne, K. Popper, R. Rorty , J. Habermas, S. Toulmain, P. Ricoeur, J.F. Lyotard. Un vaste champ est ainsi interrogé avec brio et simplicité pour étayer son propos. L'auteur souligne à quel point les idées des uns et des autres ont pu être déformées et réagencées pour permettre « d'arracher à la psychanalyse ses crocs et son venin »2 .
Pour échapper aux reproches de prétention injustifiée à la scientificité, on a opté pour une herméneutique postmoderne des expériences psychiques, conscientes ou subconscientes, en se concentrant sur les « narrations », les « fictions » de la psyché, sans plus rapporter l'analyse au socle que constituaient encore chez Freud la sexualité infantile et la théorie des pulsions. De « cette retraite spectaculaire sur les bases arrières du relativisme subjectif, je retiendrai qu'un axe perdure remarquablement, lequel part du « soi intime », traverse le territoire de l'affect et de ses éprouvés, et sort victorieux du naufrage, précisement sous la forme de l'empathie » : celle-ci devient le common ground du pluralisme que revendique la psychanalyse actuelle (y compris à l'I.P.A) et elle a aux yeux de ses aficionados l'immense avantage de nous laisser dans le champ du conscient et du préconscient ( loin des crocs à venins de l'inconscient qu'évoquait Freud). Cela nous pose la question de savoir si « l'insistance sur la valeur irremplaçable de l'outil empathique n'est pas l'aboutissement de la disgrâce dans laquelle le principe moteur de l'appareil psychique (la pulsion) est tombée ? »
L'abstinence dans la cure étant l'une des positions les plus difficiles à tenir : « l'empathie, qui fait la part si belle aux éprouvés de l'analyste, légitime la conviction que, par ce chemin, s'ouvre la voie vers l'autre, sans l'embarras des constructions appelées par le caractère irréconciliable des deux ordres, conscient et inconscient, qui gouvernent notre vie psychique ».
Certes les travaux de Ferenczi, Balint, Winnicott et de nombreux autres nous incitent à questionner cette position qui peut sembler trop tranchée : mais cela nous invite, par là même, à réinterroger nos convictions et nos pratiques et à leur redonner aussi un certain tranchant…
Il n’est pas possible, dans le cadre de cette présentation, de résumer toutes les pistes explorées. Les aspects présentés devraient cependant éveiller chez le lecteur le désir de se plonger dans ce texte pour y découvrir toute une reflexion autour des différents apports issus des sciences humaines contemporaines . Le lecteur les découvrira avec intérêt s'il ne se laisse pas rebuter par cette richesse de connaissances qui n'est pas forcément en phase avec l'air du temps.
En résumé voici un texte dense à l'écriture serrée, mais agréable , qui nous amène à réfléchir à notre pratique et à interroger nos fondamentaux. Même (et surtout peut être) si cela nous dérange parfois.