Convient-il encore de présenter Paul Laurent Assoun ? Il est philosophe et psychanalyste, professeur à l'université Paris Diderot (dont il dirigea l'UFR de sciences humaines cliniques). Il a écrit plus d'une quarantaine d'ouvrages de philosophie, de psychanalyse et d'anthropologie. Il est directeur de collection aux P.U.F. et aux Éditions de l'Olivier, et Analyste Praticien adhérent d’Espace Analytique.

Si un traité est un ouvrage à but pédagogique illustrant d'une manière qui se veut complète et exhaustive tout sujet de connaissance, le sous-titre du livre de P. L. Assoun est bien choisi.

Tout commence, dans la vie psychique inconsciente comme dans le vivant, avec l’excitation, cet événement corporel. Mais il y a une énigme de l’excitation : comment advient cette « excitation pour le psychique » qu’est la pulsion ? Comment ce quelque chose qui monte, cet excès déstabilisant, génère-t-il, à partir d’un malaise initial, ce que l’on appelle « plaisir » ou vire-t-il à la douleur ? La psychanalyse est ainsi mise à l’épreuve de l’excitation sexuelle. Pour P. L. Assoun, le but du présent « Traité psychanalytique de l’excitation » est de doter cette notion d’un statut psychanalytique, au-delà de ses acceptions biologiques, psychiatriques et sexologiques, en en suivant pas à pas les « destins inconscients ». Il parcourt ainsi successivement la phénoménologie de l'excitation, la notion d'excitation chez Freud, l'économique de l'excitation, la topique de celle-ci, puis sa dynamique. Il s’arrête sur les rapports de l’excitation et du trauma, sur ceux de la corporéité et de l’excitation, sur la pulsion de savoir comme excitation, sur l'excitation produite par la présence ou l'absence de l'autre. Dans la suite de son ouvrage il aborde la psychopathologie et la clinique de l'excitation en les confrontant successivement à la névrose, à la psychose et à la perversion pour dégager ce qu'il appelle « une clinique pure de l'excitation : clinique du paroxysme ».

Le point d’aboutissement de ce travail est la question de l’acte sexuel et de ses déboires, dans les registres du masculin et du féminin. Cela permet de dégager le statut de l’orgasme chez Freud et de réinterroger le lien à la jouissance chez Lacan, dans son rapport au désir et à l’amour. Ainsi que les destins socioculturels de l’excitation, c’est-à-dire le rapport de cette notion à l’idéal. Pour conclure sur les rapports entre l’excitation et le manque.

Ce rappel montre l'ambition de l'auteur et laisse présager le côté assez compact de ce traité qui évite digressions et fioritures et pourtant le lecteur n'est pas tenté de décrocher de sa lecture, tellement il y a de pistes ouvertes stimulant notre réflexion.

Après une telle énumération, on comprendra que ce modeste compte rendu d'un ensemble tellement foisonnant et dense ne relève que quelques éléments ayant retenu plus particulièrement notre attention.

Pour Freud : « Toutes les excitations intenses produisent en même temps de l'excitation sexuelle » 1 rien ne serait possible, ni pensable du processus psychique sans cette donnée première de l'excitation, qui est son embrayeur somatique. L'excitation est antérieure aux notions de Moi, de sujet, de corps même : « Il y a pourrait-on dire du cela : l'excitation comme état et événement ». Comment conceptualiser ce « déjà-là », soit ce quelque chose qui est déjà arrivée dès que l'on se met à en parler ? Ceci nous amène au constat qu'il n'y a pas de psyché qui ne soit stimulée via le corps même si toute excitation physiologique n'est pas a priori sexuelle et qu'elle touche plus génériquement à l'être du vivant. L'auteur en conclut d'ailleurs que « le champ d'extension de l'excitation et du vivant coïncident ». Cela lui permet de rebondir sur une « phénoménologie de l'excitation » qui lui permet entre autre de s'interroger sur « l'incompatibilité foncière entre intensité et durabilité dans la nature de l'excitation ».

Plus loin dans le texte P.L. Assoun reprend l'effet de la prise du savoir sur le sujet telle qu'elle est décrite à partir d'un éprouvé : celui de Malebranche lisant une œuvre de Descartes. Il écrit : « Le circuit, de la tachycardie à la dyspnée, montre l'impact d'une jouissance irrespirable s'inscrivant en Malebranche par un épisode dyspnéique. Sans interruption de sa si captivante lecture, il semble menacé de syncope. Voilà qui fonde à parler littéralement d'excitation sexuelle, sans que cela fasse oxymore ». Il note à ce propos que Freud dans ses Trois essais avait relevé un lien formel entre le travail intellectuel et l'excitation sexuelle : « La concentration de l'attention à une action intellectuelle et la tension de l'esprit […] a pour conséquence une excitation sexuelle. » L'auteur montre alors que, chez le chercheur, « la répression sexuelle liée au travail de recherche, ce débranchement du sexuel et de l'excitation sexualisent en retour l'excitation en son nouage intense au savoir ». Songeons par exemple au couple de l'hystérique et du maître.

Une autre notation a retenu notre attention à propos de la perversion : « Le moment décisif, c'est celui où le sujet se met à attendre, il attend quoi ? Le retour du supplice comme une promesse de plaisir. C'est la « salle d'attente » de la jouissance qui en constitue la part la plus intense. » C'est cette loi de l'excitation que le masochiste exerce à la lettre. « La « salle d'attente » est le lieu le plus propice à l'angoisse comme à la jouissance. Cercle à bien repérer : le temps de montée de l'excitation – et corrélativement de l'angoisse – se trouve converti via une temporalité de l'attente. L'attente faisant alors monter l'excitation, instituant même via le fantasme, un objet de l'excitation. C'est l'approche de l'excitation, plus encore que la satisfaction, qui est l'état de grâce de l'excité!» (Page 166).

Et encore ceci à propos de l'hyper motricité de l'hyper excitation : « L'enfant hyper-excité vit dans ce présent réitéré sans cesse qu'est l'excitation interne, qui prend prétexte de tout appel excitateur de la réalité, impactant sur le corps, pour se décharger. Il vit dans une temporalité de l'impact caractéristique ». Paul Laurent Assoun souligne que l'enfant hyperactif s'empare avidement de n'importe quoi sans jamais s'attacher à quoi que ce soit : « Le défaut d'attention n'explique rien, ce n'est qu'un pléonasme, ce qui est en jeu étant un défaut, non pas simplement de concentration, mais de continuité dans l'investissement objectal et fantasmatique. » Ajoutant que cela est bien différent de la vitalité de l'enfant « sainement » turbulent : celui qui a de l’énergie à revendre, « mais qui investit le monde et l'autre au moyen de cette curiosité active. » À partir de là il explore le couple de l'enfant hyperexcitable et de la mélancolie excitante de l'autre adulte qui interagit avec l'enfant.

Il faudrait évoquer tout ce qui est consacré aux « destins socioculturels de l'excitation ». Mais le plus simple reste encore de lire cet ouvrage stimulant qui est plus qu’un livre utile : un livre intéressant !

  • 1.

    FREUD S. : Séance de la Société Psychanalytique de Vienne 12 novembre 1913