Aux origines du mouvement analytique israelien

L'ouvrage qui nous est proposé ici est d'abord celui d'un chercheur et d'un historien. L'auteur, contrairement à d'autres, ne s'est pas contenté de recopier des informations plus ou moins exactes provenant d'autres ouvrages. Sa connaissance approfondie de plusieurs langues notamment l'hébreu lui a permis de consulter des archives et des documents restés jusque-là inexploités. Son travail aabouti à une thèse dont une partie seulement nous est ici restituée.

L'histoire des rapports de la psychanalyse avec la formation du foyer national juif en Palestine et la constitution de l'état d'Israel est sans surprise marquée par les soubresauts de l'Histoire contemporaine. Depuis l'origine, ce sont les persécutions et les pogroms antisémites qui touchent en premier lieu la Russie puis l'ensemble du continent européen avec la montée de l'hitlérisme, qui, en provoquant des vagues de flux migratoires, vont à la fois peupler le foyer national juif en Palestine notamment à la suite de la déclaration de lord Balfour en 1917, et conduire parallèlement un certain nombre de psychanalystes ou de personnes ayant eu un contact plus ou moins étroit avec les ouvrages de Freud, vers ces terres lointaines porteuses d'espoir.

Deux axes se révèlent à la lecture de l'ouvrage. Le premier est le récit de la lutte âpre qui oppose dès les débuts de l'immigration, les tenants d'un judaïsme laïque fondé sur l'idéologie des lumières aux partisans de l'orthodoxie religieuse, ces derniers étant soutenus notamment par la diaspora juive américaine grande pourvoyeuse de fonds. L'issue de ce combat semble bien en fin de compte avoir tourné en faveur de ces derniers.

Les premiers foyers d'implantation de la psychanalyse prirent d'abord pour objet l'aide à apporter aux enfants réfugiés et les problèmes d'éducation. Des expériences déjà en cours en Allemagne furent implantées en Palestine. L'auteur met en lumière comment un certain idéalisme, celui de l'homme nouveau, supposé naître de l'alliance du judaïsme avec la psychanalyse a imprégné nombre de ses tenants. Des expériences d'éducation libertaire ont en particulier vu le jour à cette époque sous l'égide à la fois d'un idéal socialiste et de la pensée psychanalytique.

La lecture du livre nous fournit au fil des pages le récit des tentatives faites par les pionniers dont la vie et le parcours nous est ici retracé. Qu'il s'agisse de psychanalystes connus tels Max Eitington, qui faisait partie du Comité secret, ou des figures moins connues ou oubliées de David Idelson, Mosche Wulff, Siegfried Bernfeld, David Eder, Grete Obernik etc.

Les premiers essais de constitution de lieux d'enseignement et de formation, l'implantation de centres de soins, la naissance de ce qui deviendra la société psychanalytique israélienne, les tentatives pour intégrer l'Université de Jérusalem et d'y promouvoir la psychanalyse nous sont décrits.

Le deuxième axe du livre est celui des rapports de Freud avec le sionisme et le foyer national juif. On sait Freud à la fois profondément laïc mais aussi profondément juif. Pourtant ce deuxième point ne lui sera guère de secours dans l'implantation de la psychanalyse en Palestine. Bien au contraire, ses réflexions sur la religion ainsi que sur Moïse seront l'occasion d'un rejet violent de ses théories par une partie importante de la classe politique et intellectuelle. Il sera même traité par certains d'antisémite et d'ennemi du peuple juif. Par ailleurs son pessimisme sur les transformations possibles de l'homme heurtèrent ceux qui croyaient ou voulaient désespérément croire au juif nouveau, lumière du monde et avenir pour l'humanité, après les souffrances immenses qu'ils avaient endurées.

En guise de conclusion, l'auteur nous donne un bref aperçu de la situation actuelle de la psychanalyse en Israël. Celle-ci n'est pas brillante. Marquée par la victoire des tenants d'une orthodoxie bureaucratique et le rejet de la laienanalyse (l'analyse par les non-médecins), la psychanalyse n'a semble-t-il guère de chance de prospérer dans un avenir proche. Le combat mené sans relâche par quelques pionniers n'aura finalement pas abouti. Le livre de Guido Liberman leur rend ici un utile et vibrant hommage.