« l’autisme présente une figure paradoxale et énigmatique de la condition humaine, qui donne à voir de petits sujets qui, à l’orée de la vie, ont fait le choix de ne pas répondre à l’appel du symbolique, incarné dans le visage maternel, choix qui les a installés dans la marge de la page où s’écrit la vie des hommes ordinaires. Et c’est dans ce non-lieu qu’il appartient au soignant d’aller les chercher, non pas pour les ramener à lui, mais pour les appeler à eux-mêmes »

Le livre « les enfants de l’indicible peur » est la suite et le prolongement du précédent « L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage. Comprendre l’autisme » publié chez le même éditeur et dont nous avions déjà eu l’occasion de parler. On trouvera d’ailleurs sur le site une interview de l’auteur faite par Robert Bitoun au sujet de cet autre ouvrage.

Dans celui qui nous occupe aujourd’hui, celui-ci s’appuie non plus, comme dans le précédent, sur les psychanalystes qui ont tenté de percer le mystère de l’autisme, mais sur les témoignages des « anciens » autistes ou celui de leur proche. On suit ainsi sylvestre raconté par sa mère Françoise Lefèvre « le petit prince cannibale », Tamara Morar « Ma victoire sur l’autisme » Donna Williams « Si on me touche, je n’existe plus », Sean Barron « Moi, l’enfant autiste » Temple Grandin « ma vie d’autiste » etc.

Aborder la question de l’autisme est, pour un psychanalyste, un chemin bordé de nombreux périls. Et pourtant, certains phénomènes particuliers à l’autisme sont une invitation insistante à partir à sa découverte pour quiconque s’interroge sur la condition humaine. L’étrangeté des comportements autistiques, l’incapacité, au moins provisoire d’en donner une explication satisfaisante, le brusque surgissement de phénomènes bouleversants comme l’apparition subite et totalement inattendue de phrases adaptées à leur contexte chez des enfants n’ayant jusqu’alors prononcé aucun mot. Tout ceci sollicite la recherche et la réflexion. Le péril vient alors de l’espoir que cette démarche suscite et des déconvenues qu’elle entraîne le plus souvent.

Par ailleurs, les recherches en génétique, liées à la progression dans le séquençage du génome, tendent à affirmer l’origine génétique de l’autisme et invitent plutôt à une politique d’adaptation comportementale de l’enfant autiste à son environnement, lui fournissant un minimum d’outils facilitant les gestes usuels et soulageant d’autant son entourage familial et institutionnel.

Enfin, maladresse ou malentendu, les écrits des psychanalystes ont laissé des traces douloureuses chez les parents qui se sont sentis accusés d’être à l’origine de l’affection touchant leur enfant.

À ce titre, la position défendue par Henri Rey-Flaud ne me semble pas exempte de tout reproche, car l’auteur évacue trop rapidement en quelques lignes ces questions pourtant essentielles.

On en trouve l’écho dans une note de bas de page dans laquelle l’auteur précise : « la psychanalyse ne récuse pas, dans certains cas d’autisme, l’impact des facteurs génétiques prédisposant à cette affection. la psychanalyse récuse simplement la croyance dans le « tout génétique » »

De même, s’agissant de la culpabilisation/responsabilisation des parents il souligne que la question avait déjà fait l’objet d’une réflexion approfondie et notamment par Bruno Bettelheim qui décrivait lui aussi des parents psychiquement équilibrés, au-dessus de tout soupçon et dévoués jusqu’à l’abnégation aux soins de leur enfant. « les spécialistes embarrassés ont dû rechercher un mode de causalité psychique plus subtil pour expliquer l'irruption des troubles autistiques dans un espace où de nombreux frères et sœurs avaient auparavant grandi »

Répondant à ce processus de culpabilisation qui conduit même un certain nombre de parents à s’affilier en réaction à des associations qui n’ont pour objet que d’agresser les chercheurs. (voir notamment le harcèlement dont ont été l’objet Geneviève Haag et Pierre Delion), Henri- Rey-Flaud pose qu’« attribuer l’origine de l’autisme au défaut de relation entre l’enfant et l’Autre, ne veut pas dire que la responsabilité de la rupture doive être imputée aux seuls parents. » et il précise : « l'avenir du nourrisson ne dépend pas seulement de la capacité d'accueil des parents auxquels il serait livré sans secours ni recours, mais également de sa propre aptitude à recevoir d'eux les signes du monde extérieur »

Car, et c’est bien là semble-t-il le nœud du problème : la relation se joue à deux et, l’enfant y a toute sa part. Dans le déclenchement de l’autisme infantile, c’est bien l’échec du processus qui conduit, à travers la relation à l’Autre, à faire de l’enfant un humain marqué par une perte qui l’introduit au langage. La rencontre avec l’Autre symbolique, a pour conséquence d’une part une suite sans autre fin que la mort, et pour une autre part l’entrée dans la violence du monde accompagnée d’une perte de la toute-puissance narcissique : tel est le prix à payer par l’enfant pour sortir de l’autisme. Qu’il s’y refuse où qu’il ne puisse pour une raison inconnue y consentir et le voici enfermé dans sa forteresse, une forteresse dans laquelle il est assiégé par le monde. Chaque tentative de pénétration aussi bienveillante soit-elle devient une agression insupportable et suscite une réaction sauvage et violente, comme provoquée par un réflexe de survie.

Alors l’autisme, forteresse vide ? Henri Rey-Flaud met tout son talent pour montrer qu’il n’en est rien, que cette forteresse est habitée par un enfant transi de peur, incapable pour une raison inconnue d’accepter cette entrée dans le monde des humains, d’être avec eux plongé dans le tragique de la condition humaine. Son écriture est limpide, le propos jamais jargonnant, les réflexions d’une intelligence et d’une sensibilité rare. Une réflexion qui entre en résonance avec d’autres parcours : Celui des peintres (on retiendra en particulier la référence faite à Monet et aux impressionnistes qui ne peut que nous parler alors que l’exposition du Grand Palais à Paris attire les foules), des poètes et philosophes d’Henri Michaux à Henri Maldiney, des écrivains tel Herman Melville, les expériences des sages taoïstes retirés du monde, ainsi qu’aux témoignages de ceux tels Fernand Deligny à qui nous devons tant. Une réflexion qui, à chaque page, nous invite à une pensée fertile sur notre propre rapport à l’Autre et aux autres et nous aide à véritablement à progresser.

Dr Laurent Le Vaguerèse

6, rue Mizon

75015 Paris

Psychiatre-psychanalyste

Compétent en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent tel : 0143226534

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