Transcrire dit-il

Serge Hajblum
Chacun connaît une histoire comme celle qui suit et qui se transmet de voix en écrits : elle nous est rapporté par G. Pérec et R. Bober dans les « Récits d'Ellis Island » : « On conseilla à un vieux juif russe de se choisir un nom bien américain que les autorités d'état civil n'auraient pas de mal à transcrire. Il demanda conseil à un employé de la salle des bagages qui lui proposa Rockefeller. Le vieux Juif répéta plusieurs fois de suite Rockefeller, Rockefeller pour être sûr de ne pas l'oublier. Mais lorsque plusieurs heures plus tard, l'officier d'état civil lui demanda son nom, il l'avait oublié et répondait, en yiddish : Schon vergessen (j'ai déjà oublié) et c'est ainsi qu'il fut inscrit sous le nom bien américain de John Fergusson. »

Somme toute, même quand enfin on pose ses bagages, on se heurte encore et encore à cet impromptu grain de voix qui se mêle des affaires d'écriture.

Alors, puisque la parole dite en voix migre en écrit pour encore et encore lui redonner de la voix, je vais commencer par là où j'avais hésité, une histoire, de celle qu'on dit personnelles.

Mais avant toute chose, je veux souligner qu'il a paru par trop indécent, obscène puisque ce mot a été repris, de faire entendre des extraits d'enregistrements sonores de Lacan. Il semble que ce qui est possible pour une diffusion radiophonique, donc à distance –l'intervention nommée La Troisième par exemple- ne l'est plus dès lors qu'une assistance est là, physiquement assemblée. La réaction aurait-elle été la même s'il avait été question des cours de G. Deleuze par exemple, qui sont, vous le savez, diffusés dans toutes les bonnes librairies. Est-il ainsi de fait que ce mode de diffusion renverrait à trop de présence d'une absence : l'écriture alors entérine l'absence de l'absent, et la parole en voix revivifierait la présence de l'absent?

Dans le texte que Jean Allouch a diffusé aux intervenants, je me trouve nommé deux fois, dont une pour dire un désaccord avec ce que je dis de la voix à partir des séminaires audios de Lacan : chaque fois Jean Allouch commet la même « erreur » de graphie de mon nom. Il omet donc une lettre, un l1.

Ce qui me renvoie à ce qui m'intéresse, dans un sens tout à fait fort, à la question des transcriptions. Mon nom ne s'écrit pas comme il se prononce et il ne se prononce pas comme il s'écrit, voilà l'écart. Par la grâce de plusieurs officiers de l'état civil, dont la plume fait autorité, référence et loi, mon nom s'est écrit différemment par trois fois : du moins à ce que j'en sache. Sa transcription se référait certainement à ce qui, de l'entendre dit par mon père ou ma mère, le transcripteur légal pouvait tant le répéter dans sa voix que l'écrire. Les légalités varient : les transcripteurs et transcriptions varient avec elles, quelques fois.

Cette courte introduction pour dire que familièrement et familialement j'ai toujours eu affaire –et je suis très loin d'être le seul- à cette question de la transcription, ici d'un nom dit.

Ne pas croire que je suis loin de notre objet qui concerne la transcription des séminaires de Lacan, du séminaire Encore pour l'occasion.

J'ai donc proposé, en en donnant des raisons que chacun a pu et peut encore lire sur le site Oedipe, que le séminaire Encore soit mis en place tant comme objet d'étude que comme point de rebroussement de nos journées. Cette proposition a été agréée.

Mme Pierrakos, la tapeuse de Lacan comme elle se nomme elle-même dans son livre2, écrit ceci à propos des transcriptions des séminaires : « Car je les ai non seulement entendus mais réentendus sur magnétophone, les séminaires La voix de Lacan a retenti durant des heures et des années entre les murs de mon appartement pendant que je les retranscrivais, durant des heures et des années, sur des milliers de pages. Pourtant, cet enseignement resta pour moi lettre morte » [A propos : elle ne dit mot du devenir de ces bandes.]

Mme Pierrakos est la première transcriptrice des séminaires de Lacan : je dirai ensuite en quoi le premier transcripteur de Jacques Lacan est son frère Marc-François Lacan. Et quand on parle de la sténotypie quasi comme d'une référence pour les transcriptions, comme ce sur quoi on se règlerait3, il ne faut pas oublier que la sténotypie frappée pendant le temps du séminaire et la sténographie produite après le séminaire, relèvent du même statut que toutes les transcriptions des séminaires de Lacan : à ce niveau-là d'une quasi contemporanéité de la séance de séminaire oral et de sa transcription écrite (sténotypie et puis après, sténographie) et de ce point de vue de la rédaction, ne serions-nous tous que des tapeurs de Lacan ? avec les mêmes exactitudes et les mêmes erreurs que Mme Pierrakos. Sauf que nous y revenons, nous en faisons une référence, l'initiale d'une série de transcriptions.

C'est à ce titre, il me semble, que les sténotypies sont présentes sur le site de l'ELP jusqu'en 2005. Après le colloque, le texte de présentation a été modifié et on n'y trouve plus ce qui suit. Tout un chacun pouvait se reporter à la présentation par Guy Le Gaufey : il écrivait que quiconque peut « apprécier de visu la qualité de la version qu'il possède au regard de ce texte lui aussi fautif, mais dont chaque version fait obligatoirement usage ». Il ne fait pas mention, en 2005, des enregistrements qui étaient largement diffusés.

Quelle que soit la transcription, nous la lisons avec la théorie qui se forme au fil de la lecture, et qu'on prête à ce qui a été dit pour le relire avec sa voix. C'est là le jeu de l'après-coup. Mais aussi, ce qui a été dit à haute voix est naturellement perdu et le séminaire s'articule autour de ce qui, de la voix, devient objet : l'écriture est cet objet. Et la transcription, critique ou non, baignant dans la voix –on l'a lu chez Mme Pierrakos- fait en sorte que cette voix soit oubliée dans ce qui s'écrit, et alors se prête à toute modalité envisagée : lissage des erreurs et des bévues, remise en contexte, écriture critique, écriture au plus proche de ce vif de la voix et de la parole etc.

Je repartirai de la remarque suivante : dans son livre, Mme Pierrakos réfère ses transcriptions faites chez elle, aux enregistrements audio de Lacan, et n'évoque jamais quelque référence aux bandes de sténotypie.

Mme Pierrakos écrit ceci, pour la première séance d'Encore. Je vous dis le passage en entier parce que je ne suis pas arrivé à scanner la page par un OCR : l'image sortait trop floue.

« la jouissance de l'Autre (de l'Autre avec, il me semble que depuis le temps, ça doit suffire que je m'arrête là, je vous en ai assez rebattu les oreilles, de ce grand A qui vient après, et que maintenant il traîne partout, ce grand A, mis devant l'autre, plus ou moins opportunément d'ailleurs, ça s'imprime à tort et à travers) la jouissance de l'Autre, du corps de l'autre qui Le symbolise n'est pas le signe de l'amour. » (Sténotypie , p 4, .)

Ce passage est repris comme suit dans la transcription de Lacan établie par J.A. Miller :

« (…) la jouissance de l'Autre, de l'Autre avec un grand A, du corps de l'Autre qui le symbolise, n'est pas le signe de l'amour.  /3/ j'écris ça, et je n'écris pas après terminé, ni amen, ni ainsi ,soit-il. » (p 11 Seuil)

La transcription de Gerôme Taillandier rend ceci (probablement faite à partir des enregistrements : il avait gardé les cassettes, et à ce titre on lui doit beaucoup) :

« (…) la jouissance de l'Autre, du corps de l'Autre, qui Le –lui aussi avec un grand, hein ?- du corps de l'Autre qui Le symbolise, n'est pas le signe de l'amour » (p 3, Gerôme Taillandier)

enfin, dans cette version signée d'un alphabet, on lit ceci :

« (…)la jouissance de l'Autre, du corps de l'autre qui Le,

Lui aussi avec un grand L,

Qui Le symbolise n'est pas le signe de l'amour. » (p 4).

Les transcripteurs adjoignent cette note : « Lacan revient constamment à cette phrase, dans cette séance ainsi que dans les suivantes. Nous avons pris le parti d'écrire régulièrement jouissance de l'Autre avec un grand A puisque Lacan est très explicite sur ce point, et jouissance du corps de l'autre avec un petit a puisqu'il s'agit cette fois de l'autre qui Le symbolise, précisément ce grand Autre. » (p 5) Je reviendrai sur ce problème précis.

Chacune de ces transcriptions fait problème à un titre où à un autre. Je vais insister sur la sténotypie/sténographie de Mme Pierrakos

Mme Pierrakos qui entendait Lacan au séminaire, et chez elle entre ses murs pendant des heures, a nécessairement entendu Lacan dire « Lui aussi avec un grand L. » puisqu'elle écrit, dans sa sténographie l'article « Le » de « Le symbolise » avec un grand L, ce qui n'est pas d'une orthographe ordinaire au cœur d'une phrase ; mais elle n'a pas tenu compte, au point de ne pas l'écrire, que Lacan disait ceci « Lui aussi avec un grand L » : elle ne l'a pas transcrit.

Est-ce la raison pour laquelle, J.A. Miller se réglant je suppose entre autres notes tout à fait normalement sur la sténotypie/graphie –est-ce qu'il avait cette bande magnétique ?- , où le grand L n'est, comme tel, que difficilement lisible (évidemment, pas quand on lit cette précision apportée par Lacan), eh bien il l'a complètement omis ; ni ce segment de phrase, ni l'écriture du L majuscule de l'article Le, n'y sont. Si on n'a pas l'audio à disposition, cette graphie de l'article avec une majuscule peut tout à fait passer inaperçue.

Il n'y a pas ici de pinaillage : cette précision orale qu'il faut une majuscule au L annonce l'écriture du La de « La femme » et le renvoi qui est opéré par l'utilisation de l'adverbe « aussi » à l' « Autre » avec un grand A, tout cela annonce la barre : le « La » de La femme va se trouver barré (Fin de la séance du 13 et séance du 20 Février 1973) comme l'Autre est barré.

Le séminaire Encore tel que publié par les éditions du Seuil est truffé de tels écarts à la version aujourd'hui audible par tout un chacun.

Je reprends par ce raisonnement-là ce qu'Yvan Leclerc élabore comme rétroaction de l'après-encore-à-écrire. Il note ceci :« Il semble que dans de nombreux cas, ce soit l'après-encore-à-écrire qui rétroagisse sur le tout juste écrit pour le transformer »4.

Vous avez entendu que je ne discutais pas de ceci « (…) du corps de l'Autre » qui est transcrit par Mme Pierrakos, par J.A. Miller et par G. Taillandier avec ce grand A : ce que récusent les transcripteurs (Alphabet) qui notent, et là je cite : « Nous avons pris le parti d'écrire régulièrement la jouissance de l'Autre avec un grand A puisque Lacan est très explicite sur ce point, et jouissance du corps de l'autre avec un petit a puisqu'il s'agit cette fois de l'autre qui Le (Majuscule) symbolise, précisément ce grand Autre. ».

Ce ne sont pas là des choix grammaticaux mais théoriques : Lacan soutient encore une fois, qu'il y a un corps de l'Autre (grand A) : ça mériterait non pas une exégèse des savoirs, mais une question développée en théorie quant à la jouissance du corps de l'Autre. Michel Roussan m'a rappelé que dans le séminaire « L'envers de la psychanalyse », à la séance du 21 Janvier 1970, Lacan disait –et j'ai vérifié sur l'enregistrement audio : la transcription de J.A. Miller est tout à fait exacte si ce n'est qu'on peut, qu'on doit parler de la ponctuation- : « Nous voici reconduits à ceci, de fait, qu'un corps peut être sans figure. Le père, ou l'autre quel qu'il soit qui ici joue le rôle, assure la fonction, donne la place de la jouissance, il n'est point même nommé. Dieu sans figure, c'est bien le cas. Il n'est néanmoins pas saisissable, sinon en tant que corps. / Qu'est-ce qui a un corps et qui n'existe pas ? Réponse – le grand Autre. Si nous y croyons, à ce grand Autre, il a un corps, inéliminable de la substance de celui qui a dit Je suis ce que je suis, ce qui est une tout autre forme de tautologie » (L'envers de la psychanalyse, 21 Janvier 1970 p 74 ed Seuil. Enregistrement audio 1h 17'40'' à 1h19'00'').

Ce que nous apprend cette transcription d'Encore (alphabet), c'est que non seulement il ne faut pas se hâter pour une décision de transcription, et que non seulement s'il y a à en savoir il y a toujours en même temps un manque à savoir : aucun raisonnement logique ne saurait se substituer à ce manque. Par la parole en voix, Lacan dit qu'il y a un L majuscule : il annonce et soutient une forme d'écriture : il dit cette formulation en voix « lui aussi avec un grand L » pour l'écrire et la lire, dans un second temps, « L » qui deviendra, elle [cette écriture] aussi, La barré. Il m'est hors de doute, mais ça c'est une autre discussion que je soutiendrai pas, que le La(barré) de La femme répond aussi à la réponse apportée dans l'Envers de la psychanalyse, à ce qui s'y dit « si nous croyons, à ce grand Autre, il a un corps, inéliminable… » (Je souligne).

Si nous n'avions pas eu les enregistrements sonores de ce séminaire à disposition, si nous n'avions pas eu cet intérêt pour le séminaire en voix, certainement que tout un chacun ici se serait centré sur la sténotypie en variant, par des notes ou non, la graphie de cet L majuscule qui y est difficilement lisible (dans la sténotypie telle que je l'ai prise sur le site de l'ELP) et dont la majuscule pourrait être imputée à une faute de frappe.

Je rappelle que ces enregistrements existaient –d'ailleurs Mme Pierrakos s'y réfère-, que les magnétophones ont à eux seuls fait foule les dernières années, et qu'il a fallu somme toute très peu, un retour à/de la voix, cette proposition que la haute voix importe, et une demande fondée, pour qu'ils soient mis à disposition : mais aussi il a fallu un troisième point théorique qui n'assimile pas la voix à la lettre.

C'est, il me semble, mais ça n'est qu'une supposition, dans le cadre de cette première sténographie, de cette première transcription faite sur ce fond des sentiments de l'illusion et de l'imposture (« l'impression d'un leurre, d'une illusion » ; « impression d'imposture », p 18), que J.A Miller a travaillé sa transcription. Il a fait comme tout le monde : il n'a pas pensé, nous n'avons pas pensé, je n'ai pas pensé à l'époque et que ces bandes magnétiques existaient autrement que comme point d'appui à quelque transcription, et à me référer à ce sonore : jusqu'au moment où un parcours de vie personnelle a remis au jour non seulement que la voix était un objet dont, dans le champ de la littérature de psychanalyse, on parlait peu (Exception faite d'un numéro de la Lysimaque consacré à La Voix mais qui semble n'avoir eu aucune suite), mais que son abord pouvait mettre en question son statut d'objet identique au regard par exemple.

Alors je continue pour cet exemple sur laquelle je m'attarde quelque peu. La transcription de Gérôme Taillandier est aussi erronée : il substitue l'interjection « hein ? » à la phoné de L.

Je reviens à la transcription signée (alphabet). Elle introduit un fait d'écriture : elle détache ce segment « lui aussi avec un grand L » par un passage à la ligne, propre certainement à nous faire comprendre l'importance de ce que Lacan introduit là [avant que de produire le (La) barré (Le 20 février 1973) ?]. De fait, cet artifice d'écriture intervient souvent dans cette transcription.

Je continue avec Mme Pierrakos. Elle souligne que la sténotypiste doit être absente : « La sténotypiste est une dame qui, à l'aide d'une petite machine sur laquelle elle pianote d'un air absent, enregistre un discours, un entretien, un débat dont elle retranscrit ensuite l'intégralité… » (p 9)

Plus loin, elle dit ceci : « Dès la première minute, j'ai eu l'impression d'un leurre, d'une illusion. » Ensuite elle parle d'imposture.

Alors, jusqu'à quel point pouvons-nous nous fier à une transcription qui s'initie d'une absence pour dénoncer une imposture ? C'est là une des questions à laquelle je me heurte pour les séminaires dont on n'a pas un enregistrement sonore.

Je souhaite quitter ce séminaire Encore pour aller dans la suite de la question de la transcription et de la référence et me saisir de deux points.

Tout d'abord, dans le Petit Journal du site Œdipe, Jacques Sedat m'a repris, quand j'ai fait déposer par L.L. Vaguerese le texte du sermon que Marc-François Lacan a dit à Saint-Pierre du Gros-Caillou pour les obsèques de son frère Jacques Lacan. Jacques Sedat écrit entre autre à propos de sa version telle qu'elle a été publiée par la revue Littoral en 1994 : « La version du sermon reproduite est la version définitive du texte (sur stencil), telle que Marc-François Lacan l'avait distribuée à sa famille et à ses proches » La date est du 10 Septembre 1981 : « Sermon prononcé par Dom Marc-François Lacan à la mémoire de son frère, le 10 septembre 1981 en l'église Saint Pierre du Gros Caillou.

Donc Jacques Sedat avait raison : je me serais trompé par ignorance et je l'aurais quelque peu blessé. Une bévue majeure en quelque sorte.

Vexé, je compare rapidement l'archive de Sedat, et l'archive du monastère de Ganagobie qui a accueilli, malgré lui, Marc-François quand Haute-Combe a été fermé.

Archives Sedat (10 Septembre 1981). « Le bonheur de l'homme, c'est de décider s'ouvrir à la Parole de l'Autre. Ce désir est suscité par une présence sans laquelle l'homme n'est plus lui-même et grâce à laquelle jaillit de lui une parole qui rend témoignage à la vérité, une parole qui exprime son désir toujours nouveau de la source de sa vie d'homme.

La parole de Jacques Lacan inquiète les hommes, car elle les oblige à sortir de leur fausse paix, en posant la vraie question que voici. En effet, je n'ai pas à me demander : « Que posséder ou que savoir pour devenir un homme heureux ? ». Mais la vraie question à me poser, c'est : « Qui m'appelle à trouver dans sa recherche le sens de ma vie ? ».

Marc-François Lacan,

Moine bénédictin. »

Archives Ganagobie (Daté en manuscrit du 18 Septembre 1981) : « Car le bonheur de l'homme, c'est de désirer s'ouvrir à la Parole de l'Autre. Ce désir est suscité par une présence sans laquelle l'homme n'est plus lui-même et grâce à laquelle jaillit de lui une parole qui rend témoignage à la vérité, une parole qui exprime son désir toujours nouveau de la source de sa vie d'homme.

La parole de Jacques Lacan inquiète les hommes qu'elle oblige à sortir de leur fausse paix, en posant la vraie question, la question que voici. Je n'ai pas à me demander en effet: "Que posséder ou que savoir pour devenir un homme ?" La vraie question, c'est : "Qui m'appelle à trouver dans sa recherche le sens de ma vie ?"

Marc François Lacan

moine bénédictin

hajlblum

10 septembre vs 18 septembre

Ronéotypé/machine à écrire. Daté à la main.

Ganagobie

Date manuscrite du 18 septembre 1981

Machine à écrire

Archives Sedat. Daté du 10 septembre 1981

Stencil

Les deux textes semblent à peu près identiques.

Devenir un homme heureux ?

Vs

Devenir un homme

Ganagobie

« Que posséder ou que savoir pour devenir un homme ? »

Archives Sédat : « Que posséder ou que savoir pour devenir un homme heureux ? »

Décider vs désirer

Ganagobie : « Car le bonheur de l'homme, c'est de désirer s'ouvrir à la Parole de l'Autre. »

Archives Sédat : « Le bonheur de l'homme, c'est de décider s'ouvrir à la Parole de l'Autre »

On peut le lire : dans les deux derniers paragraphes, il y a au moins une différence importante. Ce qui me frappe, hors le passage du décider (Sedat) au désirer (Ganagobie) [bévue liée à une sorte d'assonance ou modification volontaire ?], c'est la non-reprise de l'adjectif « heureux » dans le texte en archives à Ganagobie.

Bien que cet adjectif soit introduit dans une phrase initiée par une négation (je n'ai pas…) le but pour l'homme d'être heureux est présent et même redouble et même renforce même l'affirmation d'un bonheur pour l'homme.

J'avoue que le bonheur renforcé par la dimension heureuse, tout cela me conduit vers la position du Souverain Bien : ce qui est quand même étranger à la théorie de Lacan : il le dit d'ailleurs au fil de ce séminaire Encore.

Mais la question je la poserai autrement : en public, pour un public, il utilise le nom « bonheur » et l'adjectif « heureux ». Dans un intime, puisque le sermon tel que daté du 18 septembre n'a pas été, à ma connaissance, diffusé et l'exemplaire que le moine bibliothécaire n'était pas sur papier pelure, dans cet intime il ne reprend pas

Cette différence entre le public et l'intime vaut pour la question des transcriptions du séminaire : parce que la transcription et la diffusion, serait-elle minime, vont, à un moment, de pair et je ne pense pas que quiconque se mette à cette tâche pour soi tout seul.

Je dis ça et je vais me démentir tout de suite, par le second exemple. Parce que le premier transcripteur de Lacan, je dis de Jacques Lacan et pas des séminaires, c'est Marc-François Lacan. Marc-François reçoit à pâques 1953 une lettre de son frère Jacques : le mardi 7 avril 1953. Et, je ne sais pas quand, du moins du temps où il était moine à HauteCombe, il l'a retranscrite très scrupuleusement à la machine à écrire. L'original est lisible. La transcription, à ce titre, n'apporte rien de plus.

Je l'ai déjà dit et je le répète, les bibliothèques des monastères bénédictins sont fermées à tout public : ce qui restait des affaires de Marc-François était dans un carton, dans au fond de la bibliothèque. Je peux poser que, par principe, si la lettre manuscrite qu'il a reçue de son frère était d'ordre personnel, sa transcription ne pouvait être pensée destinée à quelque public que ce soit. Et on ne peut pas faire l'hypothèse qu'elle était destinée à être lue, voire discutée dans la communauté.

C'est donc un acte de la plus profonde intimité. A lire cette lettre, Marc-François en comprend sa valeur d'annonce, sa valeur dans l'histoire de son frère, sa valeur pour la pensée même : non seulement il la comprend, mais il sait qu'il faut produire un acte pour que cette valeur soit établie. La Transcription de cette lettre lui confère cette valeur d'annonce, de premier temps d'un acte pour la psychanalyse.

Intime ? N'oublions pas que Marc-François est moine et que cette dimension de l'intime peut s'entendre par et pour Dieu. Vous vous souvenez de l'Envers de la psychanalyse : le corps de l'Autre sans figure, si on y croit. Eh bien Marc-François y croit, il y croit tellement que de cette croyance il a fait sa vie, il y a apporté son corps.

Quand il transcrit cette lettre, quand il la rend à cette dimension d'acte, il le fait par rapport à ce à quoi, pour lui, l'acte peut être posé, l'Autre non barré, à Dieu, et c'est là que la transcription de cette lettre prend toute sa valeur et qu'elle fait sens pour toute transcription à venir Ce sens est l'autre nom pour ce tas où entre l'Autre et l'autre il n'y a plus aucun écart, nulle possibilité de fente et de barre. Marc-François en transcrivant cette lettre tout à fait lisible à la machine à écrire, lettre qui lui a été adressée en personne, qui lui appartient en propre, qu'il peut consulter à tout moment, la consacre en l'inscrivant dans le champ de l'Autre.

Alors le choix n'est-il qu'entre transcription critique et transcription populaire, alternative qui charrie avec elle, et qui lui colle à la peau et à la semelle, tout ce mépris au principe d'une telle partition

ou est-il bien plutôt entre une transcription consacrée et un acte d'écriture psychanalytique ?

Merci

  • 1.

    Il m'a dit qu'il corrigerait, ce que je ne lui ai pas demandé.

  • 2.

    Pierrakos Maria. « La « tapeuse » de Lacan », ed. L'Harmattan, Paris 2003.

  • 3.

    En fait on parle de la sténographie que Mme Pierrakos produisait : la sténotypie se présente comme une écriture sur des bandes frappées au moyen du sténotype

  • 4.

    Le Horla, présenté par Yvan Leclerc, Zulma et CNRS éditions, coll. Manuscrits, Paris 1993 p 22