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Pause
Pause
Pause : Il est temps pour chacun d’entre nous de faire enfin une pause après ces deux premiers trimestres éprouvants. Il y a eu certes la pandémie qui, à l’heure où j’écris, est loin d’être terminée et où la crainte d’un retour à l’automne est une éventualité que l’on ne saurait ignorer, mais à Paris et sans doute dans d’autres villes les grèves et les divers mouvements sociaux qui ont agité le pays, ont rendu l’exercice des professions du soin particulièrement épuisantes.
Il n’y eut pas que des effets néfastes à tous ces soubresauts. La planète a respiré comme jamais donnant une image crédible à un futur possible et contrastant avec la litanie des dégradations que rien, décidément rien, ne semblait pouvoir arrêter.
La clinique aussi a pu nous faire croiser chez certains de nos patients des effets de retrouvaille, de prises de recul et de réflexions dont les conséquences positives ont pu nous étonner. Dans d’autres situations au contraire, le confinement a fait reculer les progrès d’un travail commencé, éloigné de nos cabinets des patients qui auraient eu au contraire, besoin de poursuivre leur travail avec nous.
Parmi les professionnels, psychiatres, psychologues et psychanalystes, des choix contrastés se sont fait jour. Certains ont fermé leur cabinet, fuyant les villes, d’autres, peu nombreux sont restés au travail utilisant parfois la vidéo pour garder le contact avec leurs patients dans un lien dont ils ont pu découvrir pour les non-initiés à la fois les avantages mais aussi les inconvénients. Comme toujours, l’accent des préoccupations médiatiques s’est porté sur les hôpitaux oubliant encore une fois et comme de coutume le tissu de soin que représente la pratique libérale.
Dans les hôpitaux et les cliniques précisément l’organisation des soins a montré plus que jamais les limites du fonctionnement actuel et fait appel au dévouement et surtout au sens des responsabilités des soignants à leur capacité à faire avec des contraintes liées à l’épidémie sans tomber dans l’écueil prévisible d’un « grand renfermement » même si celui-ci a pu être dénoncé dans certains lieux, il ne fut heureusement pas à ma connaissance la règle. J’ai donné écho de ce qu’a pu être la poursuite du travail au sein de l’unité dirigée par Patrick Chemla à Reims. On trouvera également sur le site le témoignage de Michel Lecarpentier qui concerne la Clinique du Château de Laborde haut lieu de la Psychothérapie Institutionnelle.
Demain, je le crains ne sera pas rose. Les difficultés économiques déjà perceptibles avant la crise ne vont très certainement que s’accentuer, sans parler des effets possibles sur les économies du monde entier et en particulier — mais pas seulement — sur les plus fragiles d’une éventuelle deuxième vague.
En attendant, l’été est enfin arrivé. Je vous souhaite à tous de pouvoir en profiter et vous retrouverai, je l’espère, à la rentrée.
Laurent Le Vaguerèse
Les mesures pris lors du confinement à la clinique de La Borde
Durant le confinement à La Borde, nous avons été touchés dès le début par la circulation du virus car un moniteur strasbourgeois s’était rendu dans sa famille début mars et s’est trouvé contaminé par un médecin urgentiste de ses amis, qui ne se savait pas malade. Il a travaillé deux jours avant de l’apprendre et son confinement à son domicile commença sur le champ. Ses cas contacts furent immédiatement repérés et toute une stratégie a pu se mettre en place avec l’aide de l’infectiologue du département et de l’ARS. Il fut décidé de concert que les activités du club seraient maintenues avec des aménagements pour qu’une vie sociale thérapeutique puisse continuer à soutenir psychiquement la collectivité. Le club et ses réunions habituelles de discussion et de décision furent très importants pour que chacun puisse être partie prenante des modifications nécessaires tout en maintenant donc les invariants structurels.
Les sorties extérieures quotidiennement nombreuses cessèrent du jour au lendemain et le confinement nécessita l’interruption de l’hospitalisation de jour et des consultations externes auprès des médecins de la clinique. Le contact quotidien avec toutes les personnes restant à l’extérieur s’organisa et une équipe dédiée aux visites à domicile pour apporter médicaments, argent, courses, masques, et converser tranquillement… s’organisa en tenant compte des affinités et de ce que nous appelons après Tosquelles les constellations transférentielles de ceux qui comptent pour ces personnes qui devaient demeurer confinés à leur domicile. Les maisons associatives restèrent aussi très vivantes et dynamiques avec de nombreuses visites sur le même mode puisqu’il n’y a pas de personnel habituellement sur place chargé de leur bonne organisation. Toutefois, les activités du club qui s’y tiennent régulièrement avec des invités extérieurs n’ont pu être maintenues (cuisine, cinéclub, musique, Gazette Croix Marine de Loir-et-Cher, repas préparés et partagés en commun, …). Heureusement ces grandes maisons sont toutes dotées de jardins et terrasses qui ont facilité le vécu de confinement des habitants. Les téléphones allèrent bon train entre les personnes de connaissance et la solidarité et le soutien mutuel n’eurent pas de défaillance. Aucune réhospitalisation durant cette période. Depuis le 25 mai, l’hôpital de jour qui accueille d’ordinaire 40 personnes par jour a repris pour 5 personnes quotidiennement ainsi que les consultations médicales avec toute la prudence du déconfinement pour un établissement qui aurait pu devenir en raison des circonstances un cluster. Une zone Covid (confinée dans le confinement général) a été créée pour accueillir les cas symptomatiques suspects, toujours en lien avec les professionnels et l’épidémiologue de l’ARS. Il était possible d’y circuler, d’y avoir des conversations, des échanges téléphoniques, un exemplaire des Nouvelles Labordiennes (hebdomadaire du Club passé de 16 à 24 pages durant le confinement), promenades, télévision, musique, radio, … et un infirmier par personne, véritable enveloppement institutionnel qui fut très apprécié par les intéressés. Un usage modéré en a pourtant été fait 5 personnes en ont bénéficié mais au total, lors d’un test général les 5 et 7 mai pour l’ensemble des labordiens qui portaient des masques quotidiennement depuis un mois, une seule personne fut dépistée positive et hospitalisée au CH de Blois. A son retour, elle dut venir pour une quatorzaine sanitaire dans cet espace réservé du fait de son séjour en zone Covid hospitalière comme 4 autres personnes qui présentèrent des signes finalement rapportés à d’autres infections. L’installation d’un barnum en plein air a facilité les visites distanciées pour qu’elles puissent ne pas être privées du contact de leurs amis et réciproquement.
Ce recours au plein air fut beaucoup utilisé, tant pour les réunions des professionnels que celles du club et les activités pour maintenir l’activité physique et les contacts limités à des groupes de dix avec toutes les distanciations et les gestes barrières qui prirent dans cette ambiance chaleureuse et détendue une dimensions ludique puisque à défaut de se serrer la main, il était devenu licite de se serrer les coudes…
Au total, la structure du club fut précieuse et même le service de table aménagé dans des espaces élargis sans vis-à-vis avec un vide central permettant le service précautionneux offrit la même responsabilité que d’habitude pour permettre à tous les repas d’accueillir les convives sans masque en toute sécurité avec une convivialité maintenue au grand plaisir de chacun dans une ambiance finalement moins sonore que d’habitude grâce à la distanciation et une attention à chacun qui rendit la période plutôt agréable à la plupart. Pour les personnes fragiles avec des risques de comorbidité, des repas collectifs à 5 ou 6 avec des moniteurs furent organisés dans les espaces proches de leurs chambres appelés le Ritz, Maxim’s, chez Fanfan, … pour lesquels d’autres pensionnaires, pairs en disparité subjective et sensibles à leur offrir cette attention, participèrent à la mise de table, au service et au portage des mets.
On le comprend bien, le confinement, les gestes barrière, la liberté de circulation restreinte d’une façon générale sont des exercices de négativité, d’interdictions, apparentées aux dimensions surmoïques voir sadomasochistes et persécutantes ou dépressiogènes, risquant de transformer les professionnels en contrôleurs ou en gardiens des interdits. Heureusement, avec le Club thérapeutique et son aménagement tenant compte de la disparité subjective, la qualité de la confiance, de la veillance, du respect de l’altérité d’autrui permit grâce à la qualité des échanges, des réflexions collectives d’accueillir les réticences, les difficultés quand elles se manifestaient. Les angoisses furent vécues dans la tolérance d’un compagnonnage d’une petite civilisation de bientôt 70 ans qui n’oubliait pas les principes de ses ancêtres : promouvoir l’étayage des disparités vécues par une fonction d’accueil généralisée. Les forces des uns purent soutenir les moments de faiblesse des autres, une dialectique mobilisa une kyrielle de petits signes réconfortants parfois dans l’expression d’une parole, d’un objet, d’un geste ou d’un sourire. Ce mode intégratif de la fonction thérapeutique généralisée du Club et de ses membres de droit indépendamment de leur statut s’est montré durant cette période très créatif.
Pour palier l’impossibilité de circuler pour aller faire des courses et achats divers, un questionnement sur les demandes concernant les objets comptant dans l’équilibre personnel de chacun. Une activité nouvelle appelée « L’échoppée belle » recensa les souhaits vécus comme agréables, voire indispensables : ces habitudes apparemment consuméristes qui ne sont rien d’autre qu’une tentative de réaliser un fantasme articulant disparité subjective et choix objectal. Ces tenant lieu de viatique, ces répétitions toujours nouvelles en quête du « sentiment continu d’exister » livré à la précarité de l’existence psychotique, rythment d’ordinaire la semaine par quelques rituels d’achats soutenus par l’organisation du club et ses voyages pluriquotidiens en ville. La privation réelle de cette possibilité de s’investir librement dans son choix d’objet parmi les offres des commerces alentour et qui tient lieu d’exercice de liberté et de citoyenneté, fut donc remplacée par une attention au plus petit détail exprimé ou connu de l’investissement personnel. L’émergence d’une fonction de vicariance nouvelle trouva une forme collective originale. L’attention d’une pléiade de monitrices et de moniteurs créa les conditions favorables pour qu’ils se mettent à la disposition attentionnée de tous ceux qui se trouvaient privés de sortir du fait du confinement, seul protecteur officiel face aux foyers potentiels du risque viral. Cette trouvaille qui prenait appui sur la connivence collective et la connaissance singulière et respectueuse de ce qui comptait pour chacun, témoigna d’une fonction thérapeutique active et de la mise en œuvre d’une fonction désirante pour autrui. Elle soutint humainement tous ceux qu’une détresse psychique ou une perte d’espoir aurait pu déstabiliser tragiquement. Cette initiative collective fut vécue comme une main tendue et une parole intime adressée à chacun lui faisant éprouver qu’il était bien désiré et reconnu dans son être au monde fragilisé par l’épreuve. Ces « boutures d’inconscient », ces « greffes de transfert » se trouvaient mises en mouvement dynamisant et source d’émergence de présence et de reprise existentielle dont témoignèrent sourires, soulagement et remerciements, partagées dans le confinement ressenti, non pas uniquement comme privation de liberté, mais bien plutôt comme protection collective et base de convivialité.
Comme le disait Tosquelles : « L’homme n’est pas comme l’animal soumis à la « loi vitale » de la nature qui est de « s’adapter ou périr ». Il convertit le milieu « naturel » en « monde ». (…) Il construit avec les autres hommes, un monde dans lequel il « se fera homme. » Une pensée qui traverse les siècles et dont il est toujours possible de bénéficier.
Il semble que notre humanité en ce temps du Covid 19 et du confinement s’est trouvée questionnée car nombre d’entre nous avons été privés de notre humus, de la base sur laquelle nous marchons. Nos fréquentations humaines se sont trouvées réduites et parfois anéanties, nous faisant perdre le contact avec nos proches, notre famille, nos activités professionnelles et culturelles. Dans l’occasionnelle conjoncture pandémique, un grand nombre d’entre nous a été privé des espaces où nous nous investissions au contact d’autrui et qui sont essentiels pour accueillir nos exercices de disparité subjective si fructueux. Cette expérience vécue a remis en questions nos organisations trop restreintes et fermées tant dans le champ de la santé que celui de la citoyenneté qui lui est si proche.
On parle du monde d’après. Il peut trouver sa source dans les découvertes et inventions complexes que les modélisations économiques du marché et du management encore actuels tendent à nous faire oublier quand ils ne les écrasent pas par distraction… Les processus subtils de notre humanisation sont toujours à la merci de nos assujettissements dans le service des biens qui est tout à fait autre chose que l’éthique. « Thérapeute » veut dire « au service de… » Le service public lui aussi apparaît toujours menacé par sa réduction à une économie restreinte. En cette période de confrontation à la mort imminente, des initiatives ont pu être prises, révélant l’inventivité humaine quand elle est dégagée du carcan étroit du processus de production consommation administré de façon comptable et insensée.
Le travail psychique, pédagogique, éducatif, les clubs thérapeutiques soignant l’aliénation sociale des établissements sont dans le registre de l’économie générale, celui où les humains mettent en acte leur disparité subjective, inventent le monde avec les autres et retrouvent le sens de l’existence…
Dr Michel Lecarpentier
Le vendredi 5 juin 2020
michel.lecarpentier@wanadoo.fr
Psychiatre
Clinique de La Borde
120, route de Tour-en-Sologne
41700 COUR-CHEVERNY
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