Le point sur la réaction au brûlot de Sophie Robert contre la psychanalyse dans le"Nouvel Observateur"

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Soyons simple et pratique. Si l’on comprend bien le propos de Sophie Robert il parait urgent de bruler les livres de psychanalyse, d’exclure les psychanalystes des lieux d’enseignement et de tout autre lieux où ils pratiquent cette science perverse et dénuée de tout fondement et dans un deuxième temps de leur faire porter un signe d’infamie afin que chacun s’en tienne à l’écart.

 Bon, ça a le mérite de la simplicité et ça tient la route si l’on se réfère à l’histoire récente. Je ne sais pas ce que les psychanalystes ont fait ou pas à Sophie Robert parce que c’est en ce domaine, une récidiviste.  Pour ma part cette question de la scientificité de la psychanalyse m’a toujours laissé froid et je laisse à d’autres le soin d’y répondre. Ce que je sais, c’est que la lecture de Freud dans mon adolescence suivie de celle de bien d’autres psychanalystes, a profondément marqué ma réflexion, que mon expérience en tant qu’analysant m’a sorti d’une situation psychique dans laquelle je cherchai désespérément une issue, et qu’en tant que psychanalyste je retrouve à chaque rencontre à la fois des choses connues et des choses nouvelles qui enrichissent ma pensée et mon quotidien et aident je l’espère, mes patients comme je le fus par le passé.

S’agissant du Figaro, pas de surprise, encore que, mais pour ce qui concerne le Nouvel Observateur, qui le premier a choisi de publier ce brulot, je ne comprends toujours pas comment certains continuent à considérer cet hebdomadaire comme un journal de gauche et à s’abonner à sa lecture. J’y ai pour ma part renoncé depuis le départ de Michel Cournot de la rubrique cinéma et cela fait donc plus de 40 ans.

 

Mes amis du SIUEERPP ( ce sont les enseignants de l’université) m’ont invité à publier leur réponse. Elle me parait à la fois juste et concise: (https://www.nouvelobs.com/justice/20191101.OBS20581/la-psychanalyse-exclue-de-la-cite.html?cm_mmc=Acqui_MNR-_-NO-_-WelcomeMedia-_-edito&from=wm#xtor=EREC-10-[WM]-20191101)   et je m’associe évidemment à leur démarche ainsi qu’à la pétition qu’ils ont mis en place même si j’aurai préféré qu’elle passe par le site oedipe puisqu’il est fait pour cela, qu’il est sans visée mercantile ce qui n’est pas forcément le cas pour celui choisi. Voilà pour ce retour de vacances de Toussaint. Business as usual.

LLV

              Parfum d’enfance retrouvée. Cette fable – et sa morale cinglante.

 

—     —     —

 

              Les animaux vont mal. Il y a certainement une raison à cela. Quelque faute grave qu’il s’agit à présent d’expier. Voyons. Que chacun fasse son examen de conscience, son autocritique.

              On sait ce qui arrive. Les uns ont menti, les autres volé, les derniers tué. Peu importe ; ils ont des circonstances atténuantes. Ils sont les protégés du pouvoir.

              Et puis il y a l’âne. Il a mangé l’herbe d’un pré qui ne lui appartenait pas. Voilà la faute impardonnable, celle qui a tout déclenché, celle par qui le malheur est advenu. Celle qui explique les représailles du destin : que la peste ait frappé les animaux.

              Haro sur le baudet. Qu’on le lynche. Ou, du moins, qu’on l’exclue de la cité.

 

—     —     —

 

              Les psychanalystes sont-ils des ânes ? Leur dénomination pourrait bien le laisser entendre (des « âne-à-listes »). Et qu’ils soient censés transmettre la maladie infamante, on le savait depuis le mot que Lacan a prêté à Freud arrivant aux États-Unis (« ils ne savent pas que nous leur apportons la peste »).

              Mais voilà que cela se confirme : les psychanalystes sont responsables, sinon de tous les maux qui s’abattent sur Thèbes, du moins de dire des horreurs sur l’autisme, l’amour maternel, les femmes, la sexualité, les maladies neurologiques… les ratons laveurs. Qu’on les brûle ! Et si les bûchers de l’inquisition, ceux des autodafés, sont éteints, qu’à cela ne tienne : qu’on rallume les uns, ou qu’on boute les autres hors des hôpitaux, des tribunaux, des universités. Qu’on les excommunie, en un mot.

              Soyons sérieux : j’ai appris, quand j’étais petit, que lorsqu’on voulait tuer son chien, il fallait lui trouver la rage. Et qu’il valait mieux éviter alors de lui laisser établir qu’il ne l’avait pas. Un nouvel exemple se fait jour là.

              Qu’y faire ? Que faire ? Ne pas s’en soucier ? Protester ? Argumenter ? Rien de tout cela, et tout cela à la fois, certainement, à l’exemple du fameux chaudron.

Alain Abelhauser

Contre l’exclusion de la psychanalyse

Pour la diversité des méthodes de recherches et de soins

Un appel à la pensée

 

http://chng.it/VsrmkfJjjX

 

La « contre tribune »

 

Contre l'exclusion de la psychanalyse / Pour la diversité des recherches et des soins

Le SIUEERPP a lancé cette pétition adressée à Assemblée nationale / Sénat / Ministère de l'enseignement supérieur / de la santé / de la justice

                                Contre l’exclusion de la psychanalyse
                Pour la diversité des méthodes de recherches et de soins
                                         Un appel à la pensée
 
  « On » veut exclure la psychanalyse de la cité.
           

Cette volonté n’est pas nouvelle. Elle reprend un procédé déjà utilisé en 2004 lors de la publication d’un rapport sur l’évaluation des psychothérapies, lequel avait été le support d’une demande d’éviction de la psychanalyse en tous points similaire. (Précisons pour ceux qui l’ignoreraient que les biais méthodologiques grossiers de ce rapport ont aussitôt été démontrés et ses conclusions – si tant est qu’elles aient pu justifier quoi que ce soit – depuis longtemps rejetées, y compris par ce que mettent en lumière les études les plus récentes.)
            Un procédé également utilisé en attribuant régulièrement aux psychanalystes des discours et des positions ineptes (entre autres à propos de l’autisme), positions qui ne sont pas les leurs et n’ont pour autre fonction que celle de les stigmatiser.
            Et un procédé, enfin, employé au nom d’une autorité scientifique que certains croient être seuls à détenir, laquelle leur donnerait le droit de manier l’injure et le mépris (« obscurantisme », « sectarisme », « leur diplôme – quand ils en ont ») envers ceux dont ils méconnaissent pourtant si manifestement les travaux.
 
            Que répondre ? Qu’un tel discours et un tel procédé, qui se donnent la science pour caution, sont tout sauf scientifiques puisqu’ils ne cherchent pas le débat mais instruisent un procès idéologique aux forts relents d’inquisition. Puisqu’ils cherchent simplement à condamner, à exclure et à obtenir ce qu’il faut bien appeler une forme d’épuration. Puisqu’ils ne sont, en définitive, qu’injures à la pensée et à la raison.
            Comment se fait-il que l’on puisse s’en faire le relai ? Est-ce là un signe des temps ? Le signe que l’on peut désormais confondre impunément propos idéologique et rigueur scientifique ?
             Et de quelle haine profonde tout ceci est-il la marque ? Celle-ci a déjà été maintes fois explorée, n’y revenons pas. Sinon pour souligner que chaque retour du discours qui la met en scène est également l’indice d’un enjeu précis. Dans le cas présent, celui des jeux de force au sein de la section « psychologie » du Conseil National des Universités (CNU). Enjeu scientifique, alors ? Non, hélas. Et, à vrai dire, même pas politique non plus. Enjeu purement tactique, tout simplement…
 
             Cette dimension n’est pas la bonne, évidemment. Il importe de ne pas s’y laisser piéger. De ne pas accepter que des questions sociales essentielles se voient ainsi réduites à de pures manœuvres de pouvoir. Invoquer le devoir moral, comme il est fait dans cette tribune du 22 octobre, doit avoir ce corollaire : respecter soi-même une certaine éthique. En l’occurrence, ne pas appeler inconsidérément à une chasse aux sorcières là où la modestie s’impose, là où la diversité des savoirs et des pratiques constitue pour chacun, patients, familles et proches, la meilleure garantie de soins ou d’expertises.
              S’ériger en gardien de la science et de la santé implique en retour que l’on n’ignore pas le devoir de réserve auquel on est tenu par ses fonctions. Que l’on ne se fasse pas à la fois juge et partie. Et que l’on ne prêche pas aussi légèrement l’excommunication.
 
 
Signataires de la "contre-tribune", Bureau du SIUEERPP :
 Alain Abelhauser, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), ancien vice-président de l’université Rennes 2, président du SIUEERPP ;
Christine Arbisio, Maîtresse de conférences (psychopathologie et psychologie clinique), chargée de mission « Bien-être au travail » de l’université Paris 13 ;
Anne Brun, Professeure des Universités, (psychologie clinique et psychopathologie), directrice du Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique, université Lumière Lyon 2 ;
Danièle Brun, Professeure émérite des Universités (psychopathologie clinique), ancienne directrice du Centre de recherches « Psychanalyse et Médecine » (EA 3522), université Paris 7 ;
Albert Ciccone, Professeur des Universités, (psychologie clinique et psychopathologie), université Lumière Lyon 2 ;
Roland Gori, Professeur Honoraire des Universités (psychopathologie clinique – Aix-Marseille université), président d’honneur du SIUEERPP ;
Mohammed Ham, Professeur des Universités (psychopathologie clinique – université Nice-Sofia Antipolis), secrétaire général du SIUEERPP ;
François Pommier, Professeur des Universités (psychopathologie clinique – université Paris-Nanterre), ancien vice-président de la 16ème section du CNU ;
René Roussillon, Professeur émérite des Universités (psychologie clinique et psychopathologie), ancien directeur du Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique, université Lumière Lyon 2 ;
André Sirota, Professeur émérite des Universités (psychopathologie sociale clinique – université Paris-Nanterre), ancien secrétaire général du SIUEERPP ;
Alain Vanier, Professeur émérite des Universités (psychopathologie clinique), ancien directeur du Centre de recherches « Psychanalyse, Médecine et Société » (EA 3522), université Paris 7.
 
Membres :
Sidi Askofaré, Professeur des Universités (psychologie clinique), université de Toulouse-Le Mirail ;
Marie-Frédérique Bacqué, Professeure des Universités (psychologie et psychopathologie cliniques), Directrice de l’EA 3071 « SuLiSoM », université de Strasbourg ;
Céline Barriol, Maitresse de conférences (psychopathologie clinique), université Nice-Sofia Antipolis ;
Michèle Benhaim, Professeure des Universités (psychopathologie clinique), Aix-Marseille université ;
Jacques Cabassut, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université Nice-Sofia Antipolis ;
Jean-Yves Chagnon, Professeur des Universités (psychologie clinique et psychopathologie), université Paris 13 ;
Jessica Choukroun-Schenowitz, Maitresse de conférences (psychopathologie clinique), université Nice-Sofia Antipolis ;
Laurent Combres, Maître de conférences (psychologie clinique), université de Toulouse-Le Mirail ;
Laurence Croix, Maitresse de conférences, sciences psychologiques et sciences de l’éducation, université Paris-Nanterre ;
Vincent Estellon, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université Paul Valéry – Montpellier 3 ;
Jean-Luc Gaspard, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université Rennes 2 ;
Marie-José Grihom, Professeure des Universités (psychologie clinique et pathologique), directrice du Laboratoire Caps, université de Poitiers ;
Michel Grollier, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), directeur de l’Unité Multi-sites de Recherches « Psychopathologie, nouveaux symptômes et lien social », université Rennes 2 ;
Lyasmine Kessaci, Maîtresse de conférences (psychopathologie clinique), université de Bretagne Occidentale, Brest ;
Dimitra Laimou, Maîtresse de conférences (psychologie clinique), université de Picardie Jules-Verne ;
Alexandre Lévy, Maître de conférences (psychopathologie clinique), université Catholique de l’Ouest ;
Pascale Macary-Garipuy, Professeure des Universités (études psychanalytiques), université Paul Valéry – Montpellier 3 ;
Jean-Claude Maleval, Professeur émérite des Universités (psychopathologie clinique), université Rennes 2 ;
Jean-Baptiste Marchand, Maître de conférences (psychologie clinique), université de Caen Normandie ;
Patrick Martin-Mattera, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université Catholique de l’Ouest ;
Céline Masson, Professeure des Universités (psychopathologie clinique), référent « Racisme et antisémitisme » à l’université de Picardie Jules-Verne ;
Denis Mellier, Professeur des Universités (psychologie clinique et psychopathologie),  directeur du Laboratoire de psychologie (EA3188), université de Bourgogne Franche-Comté ;
Claire Metz, Maîtresse de conférences HDR (psychologie et psychopathologie cliniques), université de Strasbourg ;
Élise Pelladeau, Maîtresse de conférences (psychologie clinique), université de Poitiers ;
Pascale Peretti, Maitresse de conférences (psychopathologie clinique), université Catholique de l’Ouest ;
Rémy Potier, Maître de conférences HDR (psychopathologie clinique), université de Paris ;
Olivier Putois, Maître de conférences (psychologie et psychopathologie cliniques), université de Strasbourg ;
Magali Ravit, Professeure des Universités (psychologie clinique et pathologique – université Lumière Lyon 2), expert près la Cour d’Appel de Lyon ;
Marjorie Roques, Maîtresse de conférences (psychologie clinique), université de Caen Normandie ;
Ouriel Rosenblum, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université de Paris) ;
Marie-Jean Sauret, Professeur émérite des Universités (psychologie clinique, université de Toulouse-Le Mirail) ;
Anne Thévenot, Professeure des Universités (psychologie et psychopathologie cliniques), vice-doyenne de la Faculté de psychologie, université de Strasbourg ;
Giorgia Tiscini, Maîtresse de conférences (psychopathologie clinique), université Rennes 2 ;
Yohan Trichet, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université Rennes 2 ;
Sarah Troubé, Maitresse de conférences (psychopathologie clinique), université Nice-Sofia Antipolis.

 

Autre réaction :

Le nouvel Observateur soutient depuis le 22/X/2019 une diatribe contre la psychanalyse dans les institutions dont les motivations profondes échappent, y compris pour ce qui concerne la justice.

A l’heure où les tribunes dénonciatrices se multiplient, celle-ci, en ses diktats irrecevables, prône une illusion scientiste falsificatrice, alors même que désormais à l’EBM (Evidence Based Medecine) la science et la médecine associent une autre EBM (Experience Based Medecine.

 

Les progrès thérapeutiques et technologiques que l’on voit croissant aujourd’hui exigent encore et toujours de la part des soignants un compagnonnage différent avec les malades à tous les âges de la vie et avec leurs familles. La problématique ne fait que se diversifier et se sophistiquer avec les nouvelles façons de prévenir, de soigner et de guérir ainsi qu’avec la mondialisation de l’application des protocoles de soins.

 

La santé

Des colloques annuels se tiennent en France de façon bi-disciplinaire sur des thèmes d’actualité tels que l’annonce, le consentement, l’invasion du numérique dans les soins, dont on voit accroître l’impact sur le devenir des malades et sur leur qualité de vie. Pédiatres, cancérologues, généticiens, gynécologues obstétriciens échangent régulièrement sur ces questions avec des praticiens, psychanalystes, psychologues, psychiatres ainsi qu’avec des philosophes ou des anthropologues.

 

Il s’agit là d’une voie de transmission centrée sur l’expérience (E.B.M.) et sur la recherche qui se mène sur le terrain et qui, depuis une dizaine d’années, se fait de plus en plus exigeante et participative. La présence des psychanalystes aux côtés des soignants dans l’univers hospitalier se fonde sur le respect des patients et sur leur accompagnement face aux douloureux événements psychiques et somatiques que la vie parfois leur réserve.

Jeter le discrédit sur l’exercice de ces pratiques porte dès lors atteinte aux représentations de l’humain de notre patrimoine.

 

On peut dès lors estimer qu’en son fond, la tribune et ses signataires se réclament d’une rupture culturelle avec des valeurs, celles de la psychanalyse, qui sont inscrites dans celles qui font la démocratie depuis plus d’un siècle.

 

Danièle Brun (Pr. Emérite Paris-Diderot), Alain Vanier (Pr. Paris-Diderot), Franck Dugravier (pédiatre Bordeaux), Caroline Eliacheff (pédopsychiatre Paris), Michèle Lévy-Soussan (PH Pitié-Salpêtrière), Marie-Armelle Roquand, psychologue en cancérologie, Geneviève Wrobel (Psychologue en néonatalité, Paris), Nathan Wrobel (Gynécologue-obstétricien, Paris)

À propos de Sophie Robert & Co

 

Notre « communauté » est donc en émoi. À moins qu’elle ne soit occupée à se distraire. Quoi qu’il en soit, Madame Sophie Robert a réussi à faire que de nombreux psychanalystes croient devoir (et donc pouvoir) se référer à l’identité de quelque chose comme « la psychanalyse » et la défendre.

Je crains que l’on ne puisse, à s’alarmer ainsi, que donner des primes à la platitude et à la boursouflure. Non qu’il faille s’interdire de prendre des positions publiques: tout au contraire, il le faut parfois, et même quand il n’y a pas le moindre espoir d’être entendu; mais, me semble-t-il, autrement. En essayant, par exemple, de rester vigilant à l’égard de la masse de préjugés, d’intérêts et de fantasmes solidifiés à l’intérieur comme à l’extérieur de ladite « communauté » à l’endroit de ce qu’on appelle, comme de ce qui s’appelle, « la psychanalyse ». Nous pourrions, par exemple, nous qui nous appelons psychanalystes, nous demander ce que nous avons à faire dans les différentes institutions où nous tenons à intervenir: hôpital, université, médias, Institutions européennes, théâtre, etc. Non que nous n’ayons par définition rien à faire en-dehors de nos cabinets, ou qu’il serait nécessairement préférable que nous nous abstenions d’en sortir. Mais enfin, le minimum serait tout de même que celles et ceux qui tiennent à le faire se demandent ce qu’ils veulent à vouloir, et donc à prétendre, ici soigner, là enseigner, là offrir une « expertise », chaque fois au nom de « la psychanalyse ».

La psychanalyse, me semble-t-il, devrait obliger à repenser beaucoup d’assurances, et d’abord quant à ses propres limites, aux limites de son champ, et donc se demander où elle peut avoir lieu. Car à force de militer pour l’extension et la multiplication des tribunes sur lesquelles les psychanalystes pourraient (voire devraient) prendre la parole, ils mettent leurs soi-disant compétences au service parfois de la niaiserie la plus criante, en l’occurence celle de Madame Robert. La bêtise crasse et la malhonnêteté répugnante

 

dont celle-ci fait preuve devraient les laisser indifférents, car il s’est toujours trouvé, depuis les tout débuts de l’histoire de la psychanalyse, des personnes qui ont voué leur vie à tenter de la discréditer - et cela continuera. So what? Ça n’est pas de ces mouvements de résistance là que pourrait venir la fin de la psychanalyse, mais bien plutôt de la résistance que lui opposent les psychanalystes eux-mêmes et leurs institutions. Il faut dire ces choses-là, il ne faut pas faire semblant de croire que cette résistance-là n’existe pas, il ne faut pas passer le temps à passer des compromis, il ne faut pas se raconter d’histoire à ce sujet. Bref, les inepties de Madame Robert n’ont pas plus d’intérêt ou d’importance que n’en ont celles de Monsieur Onfray, ou que Le livre noir, pour ne parler que des tentatives les plus récentes de jeter le discrédit sur la psychanalyse.

A-t-on peur de Madame Robert, des effets que pourraient produire - mais où? chez qui? quels types d’effets? - les niaiseries qu’elle porte sur la place publique? Et pourquoi, surtout, a-t-on besoin de se défendre, de protester du sérieux, de l’importance, même de la scientificité (et ce, parfois, avec les arguments les plus ridicules) de ce que l’on fait, du danger qu’il y aurait à interdire que ce que l’on fait continue d’être fait? Les psychanalystes n’ont pas davantage à être intimidés, ni même impressionnés, par les brûlots de Madame Robert, qu’ils n’ont à l’être par les neurosciences, la pharmacologie, le marché ou la religion (toutes choses au demeurant fort respectables). Comme le suggère Adam Phillips, les psychanalystes devraient s’intéresser davantage à de nouvelles manières de vivre, plutôt qu’à des manières de guérir. Et ils ne devraient pas perdre leur temps à essayer de convaincre qui que ce soit de la valeur de ce qu’ils font.

Michael Larivière, 8.XI.2019

 

Post-scriptum
Je lis ce matin un entretien qu’avait accordé Adam Phillips au journal The Paris
Review. Cet entretien fut publié en 2016 dans un livre intitulé In Writing, chez Penguin
Books. Je n’ai pas trouvé de traduction française de cet entretien, ni de ce livre. Vers la fin
de l’entretien, il est demandé à Phillips s’il pense que la perte d’engouement pour la
psychanalyse est une bonne ou une mauvaise chose. Sa réponse, me semble-t-il, devrait
être méditée par tous ceux qui croient devoir à tout prix défendre la psychanalyse contre
les attaques dont elle fait l’objet. La voici:
« Je pense que c’est la meilleure chose qui pouvait arriver à la psychanalyse, car cela veut
dire qu’il n’y a maintenant plus aucun prestige à l’exercer, aucun glamour, pas d’argent à y gagner,
qu’elle n’a plus de public, de telle sorte que vous ne déciderez d’en faire votre métier que si vraiment
vous l’aimez, que si vraiment elle vous intéresse (if it really engages you). J’espère que la
désaffection à son endroit - même si, de toute évidence, c’est une mauvaise chose pour ceux qui y
gagnent leur vie - rendront les gens capables de librement essayer de comprendre en quoi elle
consiste. Elle est encore trop nouvelle pour que nous le comprenions vraiment. Je ne crois pas du
tout qu’il y eut un âge d’or de la psychanalyse, suivi d’une défaite. Je pense que quelques personnes
commencent à percevoir à quoi elle pourrait servir, s’aperçoivent qu’elle pourrait les aider à vivre
autrement, à découvrir des manières de vivre jusque-là inaperçues. En ce qui me concerne, c’est
l’une des meilleurs choses qui soit. Je n’ai pas besoin que l’on soit d’accord avec moi, mais il me
semble que c’est vrai. Et je pense que c’est une excellente chose que les gens soient devenus très
sceptiques à son égard. Les psychanalystes avaient l’habitude de se cacher derrière des
mystifications de langage, ils se cachaient dans leurs sociétés, ils ne parlaient à personne d’autre.
Dès qu’ils commencèrent à parler avec d’autres gens, toute l’affaire parut vulnérable, ce qui était la
meilleure chose qu’elle pouvait être.
Vous ne pouvez plus maintenant pérorer sur la nature humaine. Vous devez parler avec des
anthropolgues et des sociologues et des historiens et des philosophes, avec des patients et des
critiques, avec quiconque est intéressé. En réalité, avec quiconque a un point de vue et est prêt à le
partager. La psychanalyse est faite de tout ce que tous disent à son propos. Je pense qu’à terme elle
deviendra meilleure, ou elle disparaîtra. »
Michael Larivière

La légitimité de l’acte psychanalytique

(à propos de la polémique ouverte par la pétition de nos collègues)

Par Miren Arambourou, psychanalyste.

 

Merci à Michaël Larivière de son intervention du 8 novembre pour remettre un peu de ‘penser’ dans l’affolement collectif – qui n’est jamais bon conseiller.

Il faudrait déjà se rappeler que ce n’est pas en tant que psychanalystes que certains collègues qui pratiquent la psychanalyse enseignent à l’Université, prodiguent des soins à l’hôpital et des expertises auprès des tribunaux, mais parce qu’ils possèdent un doctorat, un diplôme de psychologue clinicien ou de psychiatre qui leur ouvre ces carrières. La psychanalyse, qui se transmet par l’expérience de la cure et l’élaboration de cette expérience dans les transferts de travail à l’intérieur des associations où les jeunes analystes reçoivent leur formation, ne qualifie personne pour autre chose que l’exercice de la psychanalyse. Il fut un temps où L’Université offrait une palette de savoirs multiples qui permettait aux futurs psychologues et psychiatres de choisir en toute connaissance de cause d’aller se former à la psychanalyse dont ils avaient entendu parler. Il semble que ce soit de moins en moins le cas et nos associations doivent tenir compte de cette réalité pour proposer l’accès aux grands textes fondateurs de notre discipline qui ne sont plus étudiés à l’Université. Il y a certainement un combat à mener à l’Université pour la pluralité des savoirs. Et un combat à mener dans la médecine pour s’extraire de la référence religieuse à La Science : la médecine qui soigne (c’est le malade qui guérit...) n’est pas une discipline scientifique et toutes les singeries qui veulent nous faire croire le contraire ont pour unique fonction d’aliéner les sujets humains à un discours formaté, qu’il s’appelle DSM, molécule pharmaceutique, TCC ou « méditation de pleine conscience »… La preuve qu’un énoncé est scientifique, disait Karl Popper, c’est qu’il peut être réfuté lorsque la recherche produit de nouveaux savoirs… Nos thuriféraires du « penser droit » l’auraient-ils oublié ?

 La psychanalyse ne saurait s’assimiler à un corpus de savoirs au nom duquel un citoyen intervient dans la cité : il est fallacieux de vouloir débattre de la scientificité de la psychanalyse, car – n’en déplaise à Freud – la science n’a pas fondé la psychanalyse. Cela ne la renvoie pas pour autant, comme le craignait l’inventeur de notre pratique clinique, dans le champ des religions, soutenues par la seule croyance. Ou plutôt, si la croyance du patient fonde le transfert, notre outil clinique, elle est cadrée par l’éthique du psychanalyste dont le désir, au-delà de ses appétits d’humain (sexe, gloire, reconnaissance narcissique, pouvoir, argent) vise … la psychanalyse. Le désir de l’analyste, c’est que la psychanalyse ait lieu. Et je ne connais rien de plus porteur de joie que lorsqu’une séance a été le lieu et le moment où de la psychanalyse a eu lieu.

La psychanalyse, c’est d’abord une rencontre. La rencontre d’un sujet en souffrance avec un autre sujet, qui accepte de lui prêter son écoute.

Ici s’inscrit la différence de la pratique analytique avec l’enseignement à l’Université, la pratique du soin ou de l’expertise : ces trois pratiques se font au nom d’un savoir reconnu : les étudiants sont les objets de la transmission de ce savoir par celui qui le possède, comme les patients du médecin sont les objets du soin et les justiciables les objets de l’expertise. Après mai 68 les étudiants ont eu un certain mot à dire, et il existe des comités de patients qui tentent d’entamer le pouvoir absolu de la médecine hospitalière, mais tout cela se déroule toujours au nom de collectifs, dont un petit nombre d’individus se fait le porte-parole. Telle est notre conception actuelle de la démocratie, et la modifier relève du champ politique, pas du champ de la psychanalyse.

Les praticiens de la psychanalyse sont évidemment des citoyens comme les autres, mais ne prétendons pas que nous pratiquons la psychanalyse lorsque nous prenons des positions politiques ! Y compris à l’intérieur des institutions où nous inscrivons notre travail !

   L’écoute de l’analyste, c’est une écoute bien particulière, différente de celle de l’ami(e), qui donne son opinion, du psychologue qui donne des conseils, ou du psychiatre, qui prescrit des molécules. Encore moins de « l’expert », qui cherche une « vérité » audible pour le système judiciaire… Elle ne saurait se pratiquer dans le tumulte d’une assemblée générale, ou l’excitation des tribunes libres sur internet. Pendant que j’écris ce texte, je ne pratique pas la psychanalyse : j’essaye de penser ce qui, depuis toujours, fonde la spécificité de notre pratique, ce cap qu’il est si difficile de maintenir parce qu’il ne cesse de nous échapper, tel l’inconscient qui se dérobe au moment où nous croyons le saisir… pour mieux se manifester l’instant d’après (relire l’article de Freud sur la dénégation) !

L’écoute de l’analyste, c’est une disposition somato-psychique (qui engage le corps et la psyché de l’analyste). Elle exige des conditions particulières d’abstinence de mouvement corporel (c’est le dispositif divan-fauteuil, en ce qu’il supprime même le mouvement du regard vers l’autre) mais aussi d’abstinence de l’activité intellectuelle logique que l’individu met en œuvre lorsqu’il parle en public ou rédige un article (ou lorsqu’il enseigne, applique un protocole ou émet une expertise…) Une disposition somato-psychique qui se met en place à chaque rencontre, étayée par la répétition des séances dans un cadre toujours identique : c’est elle qui permet à l’analyste d’entendre (avec la « troisième oreille ») les manifestations de l’inconscient alors même qu’elles sont consciemment déniées par le discours du patient. Ce que l’analyste entend va orienter son mode d’être dans la rencontre, il va en dire ou ne pas en dire quelque chose au patient en fonction de ce qu’il perçoit des transferts à l’œuvre au moment de l’énonciation. Savoir se taire …

Ah, ce silence qui nous est parfois reproché ! Winnicott, au fil de sa pratique, apprit à retenir les interventions qui le démangeaient, en repérant que toute explication prématurée faisait effraction dans la construction subjective du patient. Le plus bel exemple nous en est donné par l’un des grands classiques de notre littérature psychanalytique, le cas Dora, où les interprétations brillantissimes de Freud sur les rêves de la patiente adolescente provoquent … sa fuite : « elle m’a donné mes quinze jours comme à un domestique » …  Ni lui, ni elle, ne comprennent alors pourquoi elle fuit, mais cet acting out est bien une manifestation de l’inconscient…

C’est en effet la manifestation de l’inconscient que nous visons par notre écoute, et ce que nous en faisons ; mais la manifestation à l’intérieur du transfert, de sorte que la rencontre des sujets produise un évènement psychique (et pas un passage à l’acte). L’évènement psychique ne se manifeste pas nécessairement par un acte de parole. Il y a parfois un soupir, une détente physique, voire une certaine qualité du silence du patient qui en disent long. Cela pourra être parlé – plus tard. S’il y a des transferts dans toute rencontre humaine, il n’y a pas de psychanalyse sans un analyste qui toujours de nouveau les reconnait, et en tient compte dans son mode d’être dans la rencontre. Les transferts du patient, mais aussi les siens propre. Ce que Lacan nommait « le maniement » du transfert présuppose l’éthique du psychanalyste, qui commence par cette exigence de prendre en compte les transferts à l’œuvre dans la rencontre. Et de savoir s’abstenir de toute intervention prématurée.

Si la psychanalyse est thérapeutique c’est que le psychanalyste n’a pas en tête un protocole ni une vision de la santé à atteindre lorsqu’il écoute un sujet singulier. Elle ne saurait donc s’inscrire dans aucune visée épidémiologique, ni être prescrite, évaluée ou limitée en durée par un tiers non impliqué dans la rencontre : qui serait légitime, dans un pays qui se prétend démocratique, à s’arroger un tel pouvoir sur la parole des individus ? C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles elle fait l’objet actuellement d’attaques de si bas niveau, mais si virulentes.

Car cette pratique ne peut avoir lieu qu’en dehors du système capitaliste d’accumulation (richesse, mais aussi savoirs et pouvoir) et de la mainmise du pouvoir. Les moyens de la production de l’acte de parole ne peuvent être appropriés par un autre que les deux seuls partenaires de la séance d’analyse (même au nom d’un prétendue garantie scientifique) puisque c’est la rencontre qui produit l’acte analytique. (Lire les témoignages de nos collègues psychanalystes qui eurent affaire à la dictature dans leurs pays). En cela notre pratique est bien plus proche de l’acte créateur que de l’acte producteur, raison pour laquelle elle dérange profondément ceux qui tirent bénéfice de la production (de savoir, de soin, d’expertise comme de biens de consommation) et ceux qui veulent l’encadrer pour s’assurer l’appropriation de cette plus-value.

La psychanalyse ne se consomme pas puisqu’elle engage l’un et l’autre partenaires dans le moment de la rencontre (le paiement de la séance garantit l’engagement minimum du patient, même lorsque sa résistance inconsciente est si grande qu’il ne parvient pas à produire le moindre énoncé). Les bénéfices de la psychanalyse ne s’accumulent pas (même si certains disent avec assurance « j’ai fait une analyse » comme si cet énoncé garantissait quoi que ce soit pour l’interlocuteur) et ne sauraient faire l’objet de commercialisation ni de décrets lois. Si les analystes ont dû parfois, dans des moments tragiques de l’histoire, passer les frontières et exiler leur pratique, il n’y a pas de « mondialisation » de la psychanalyse sur le modèle de la production à bas coût d’objets destinés à envahir le marché pour faire chuter les prix… S’il y a des pratiques à bas coût et de basse valeur qui se prétendent thérapeutiques, cela ne saurait mettre en danger la psychanalyse, à moins que les psychanalystes oublient ce qui fait le fondement de leur art : la rencontre entre deux sujets humains et le bénéfice subjectif immatériel que produit, pour l’un et l’autre, cette rencontre, parce que le psychanalyste a su reconnaître les transferts à l’œuvre et prêter son écoute somato-psychique à l’énonciation du patient, le temps qu’il faut à celui-ci pour s’approprier son énonciation.

Ce n’est donc pas au niveau des instances du pouvoir ni sur les réseaux sociaux que se situe la reconnaissance de notre pratique singulière et sa transmission aux patients qui souhaitent reprendre le flambeau et devenir des praticiens de la psychanalyse. Dans les associations de psychanalystes où nous inscrivons notre travail, et où se transmet l’expérience des analystes qui nous ont précédés par l’étude de leurs écrits et de l’histoire du mouvement psychanalytique, les questions qui s’échangent produisent des rencontres fécondes qui relancent le désir des analystes : que la psychanalyse ait lieu. Rien de plus, mais rien de moins.

L’efficacité de l’acte psychanalytique ne se mesurera jamais « scientifiquement » (essais randomisés en double aveugle…) puisque l’évènement subjectif partagé ouvre sur la désaliénation du sujet et son avènement : on comprend que cela dérange ceux qui voudraient transformer les sociétés d’humains, dont l’essence est la relation, en une juxtaposition de consommateurs de biens matériels, liés (et même ligotés) par leur dépendance au discours de l’Autre (réseaux dits « sociaux » et « évaluation » chiffrée).

L’article du Nouvel Observateur dans son intégralité : https://www.nouvelobs.com/justice/20191022.OBS20163/tribune-pourquoi-les-psychanalystes-doivent-etre-exclus-des-tribunaux.html

 

 

Une tribune signée par soixante psychiatres et psychologues appelle à exclure l’approche freudienne des expertises judiciaires et de l’enseignement à l’université.

Par Véronique Radier

Publié le 22 octobre 2019 à 18h27

   

Il faut bouter la psychanalyse hors des tribunaux : tel est le nouveau combat de Sophie Robert, jeune réalisatrice en lutte contre l’influence de cette discipline depuis plusieurs années, car il y a, dit-elle, urgence. « Il est insupportable d’entendre des experts judiciaires prétendre que les bébés ont des intentions sexuelles, mettre en cause le désir des victimes d’agressions sexuelles, d’inceste ou que des parents d’enfant autistes se voient retirer la garde de leurs enfants au nom de pseudo-expertises ! »

« L’inceste, ça ne fait pas tellement de dégâts. » Ce docu dézingue la psychanalyse

Elle lance aujourd’hui une tribune en ce sens (voir ci-dessous), déjà signée par soixante psychiatres et psychologues. Parmi eux, on trouve, notamment, des responsables de services hospitaliers ou des membres du Conseil national pour les Universités (CNU). « Les familles, les associations, les avocats que je côtoie au quotidien n’en peuvent plus des dégâts, des drames humains provoqués par cette discipline qui prétend être reconnue comme médicale mais ne repose sur aucun fondement scientifique sérieux », assure-t-elle.

Familles révoltées

Auteure du documentaire choc « le Mur » qui, en 2011, dénonçait la vision psychanalytique de l’autisme et ses effets au sein du milieu hospitalier, la jeune femme a fait avancer en France le regard porté sur ce trouble et sa prise en charge. Grâce à elle, la parole des autistes et de leurs familles, révoltées par des pratiques telles que « l’enveloppement » dans des linges glacés, par des théories mettant systématiquement en cause l’environnement familial, ont pu se faire entendre.

L’Inserm met désormais clairement hors de cause les parents et en particulier les prétendues « mères réfrigérateurs » dans la survenance de l’autisme. La France est l’un des rares pays à ne pas s’être aligné sur les classifications internationales des troubles psychiatriques, avec une persistance de l’approche freudienne. Ses tenants réfutent notamment la pertinence de l’évaluation des psychothérapies.

Sophie Robert vient de signer un nouveau documentaire, « le Phallus et le néant », actuellement accessible en VOD après plusieurs mois de tournée dans des salles de cinéma. Elle s’en prend cette fois à la vision des femmes et de la sexualité défendue par les tenants de l’orthodoxie freudo-lacanienne et aux dégâts qu’elle provoque sur les victimes de violences sexuelles, d’inceste.

C’est à cette occasion qu’elle a été confrontée aux effets délétères de certaines expertises lors de procès. La tribune qu’elle lance aujourd’hui demande donc l’éviction des tenants de la psychanalyse à des fins d’expertise judiciaire.

Les signataires appellent également à ce que cesse son enseignement au titre de discipline médicale à l’université. Et met en cause, à cet égard, la responsabilité des présidents d’université, appelant à une pratique de la psychiatrie et de la psychologie fondée sur « les preuves et les données acquises par la science ».

Voici cette tribune :

« Nous affirmons que la psychiatrie est une discipline médicale, fondée, comme la psychologie, sur des connaissances scientifiques, devant s’exercer dans le respect du patient et la recherche de son mieux-être, conformément au code de santé publique et au code de déontologie des professionnels de la santé mentale. L’exercice de la psychanalyse à titre privé, pour des requêtes d’ordre existentiel ou philosophique, n’est pas critiquable, sous réserve que cela n’ait pas de conséquences pour la santé physique ou psychique de la personne. Face aux troubles mentaux, cependant, d’autres exigences s’imposent. Notre premier devoir est de proposer un accompagnement adapté, fondé sur les preuves et les données acquises de la science.

Nous refusons que soient utilisés les diplômes de médecine et de psychologie pour diffuser à l’université un enseignement en violation avec la médecine et l’état des connaissances en santé mentale, au profit de dogmes idéologiques, fondés sur des postulats obscurantistes et discriminants sans aucune validation scientifique. Aujourd’hui la psychanalyse a pratiquement disparu dans le monde. En France, des étudiants en psychologie et des internes en médecine reçoivent encore fréquemment à l’université un enseignement psychanalytique livré avec le mépris de la médecine, le rejet de la nosographie internationale des maladies mentales, le refus des traitements adaptés recommandés par la Haute Autorité de Santé, la défiance envers les politiques de santé et le rejet de tout contrôle ou évaluation de leur pratique. Dans certaines universités, les étudiants apprennent à contester le principe même de la démarche scientifique au motif que la science serait une croyance. Ils sont ensuite attirés à l’extérieur pour y recevoir une formation obscurantiste où les pathologies sont réduites au complexe d’Œdipe ou à la mère pathogène, l’ensemble étant masqué sous une rhétorique absconse qui déstabilise ses auditeurs. Nous estimons que ces étudiants sont placés en danger d’emprise sectaire et, plus important, que les patients en psychiatrie paient le prix fort d’une prise en charge digne d’un autre âge.

Contrairement aux patients en soins somatiques, les personnes atteintes de troubles mentaux sont souvent à la merci de la formation de leur clinicien. Le refus de nombre de psychanalystes de poser un diagnostic, l’ignorance volontaire des symptômes, la chosification et la maltraitance des patients et leur famille au nom de dogmes psychosexuels freudo-lacaniens obsolètes sont monnaie courante aujourd’hui. Le traitement de ces personnes comme des patients de “seconde zone” n’est plus tolérable en France.

Dans les tribunaux, les psychanalystes peuvent aujourd’hui utiliser leur diplôme de psychologie ou de médecine (quand ils les ont) pour émettre des expertises qui n’ont aucun fondement médical ni scientifique, en violation complète avec le code de la santé publique. Les conséquences sociales peuvent être dramatiques : diagnostics fantaisistes et non reconnus par les nosographies internationales en vigueur, non prise en compte des besoins des personnes handicapées ou des malades psychiatriques, exclusion scolaire et sociale, culpabilisation des victimes de violences sexuelles et des personnes qui les protègent au nom de l’idéologie psychanalytique selon laquelle la vérité se situe toujours à l’envers de la réalité tangible.

Nous affirmons qu’il existe une santé sexuelle. La sexualité est un don de soi entre adultes consentants – quel que soit leur sexe – dont la pratique harmonieuse participe au bon équilibre psychologique d’une personne. Nous refusons que soient instrumentalisées la psychiatrie et la psychologie pour légitimer des dogmes aussi néfastes que prêter des intentions sexuelles aux bébés, prétendre qu’un enfant puisse être consentant à un inceste ou un rapport sexuel avec un adulte, affirmer que tout rapport sexuel serait du registre de la perversion et du rapport de force, prétendre qu’un crime sexuel n’aurait pas de conséquence grave sur sa victime, et déresponsabiliser les auteurs de violences sexuelles. Ceci n’est pas compatible avec notre rôle de médecins, de psychiatres et de psychologues.

Nous dénonçons également des pratiques de non-confraternité généralisées : des psychiatres et des psychologues sont quotidiennement harcelés dans les établissements où ils travaillent (ainsi qu’en libéral) par des croisés du freudo-lacanisme qui utilisent parfois leur titre pour lutter contre toute démarche thérapeutique fondée sur les preuves ; par des personnes qui s’arrogent l’humanisme et n’hésitent pas à recourir à l’anathème, aux attaques personnelles pour faire taire ceux qui ne pensent pas comme eux.

Nous sommes opposés à ce que la psychiatrie et la psychologie soient instrumentalisées pour servir les intérêts d’une corporation engagée dans une démarche antisociale : pathologisant l’amour maternel, enseignant le mépris des règles et des lois, en opposition idéologique avec toute demande extérieure, fût-elle médicale, familiale, scolaire, ou judiciaire. Nous refusons que les psychanalystes se servent de la psychiatrie et de la psychologie pour investir les universités, les comités d’éthique, les institutions de soin et les prétoires au bénéfice de praticiens opposés à la médecine et la science. Ces actes mettent les patients en danger, ils engagent la responsabilité de l’Etat et des tribunaux. Cela doit cesser.

Les présidents des universités portent une lourde responsabilité dans ces problèmes graves de santé publique en continuant d’accorder des postes de maîtres de conférences et de professeurs aux filières qui affichent une orientation exclusivement psychanalytique. La justice, quant à elle, doit changer la procédure de listage de ses experts pour en exclure tout référentiel psychanalytique dans l’intérêt de l’objectivité. »

Les signataires :

Pr Joël SWENDSEN, directeur de recherche, CNRS DECU, Ecole Pratiques des Hautes Etudes membre senior, Institut universitaire de France
Pr Christine ROLAND-LEVY, professeure de psychologie, université de Reims. Vice-Présidente de la Section 16, Psychologie et Ergonomie, du Conseil national des Universités (CNU 16). Présidente de l’Association internationale de Psychologie appliquée 
 International Association of Applied Psychology (IAAP)
Pr Franck RAMUS, professeur au laboratoire de Sciences cognitives et Psycholinguistique à l’Ecole normale supérieure
Pr Stacey CALLAHAN, psychologue clinicienne, professeur des universités, université de Toulouse-2
Didier PLEUX, psychologue psychothérapeute, docteur en psychologie, directeur Institut Ellis France
Pr Milena KOSTOVA-DIMITROV, professeure de psychologie à l’université Paris-8, membre du laboratoire Paragraphe (neurosciences cognitives, psychopathologie et psychologie du développement)
Dr Gabriel WAHL, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, essayiste
Pr Abdel Halim BOUDOUKHA, psychologue clinicien et professeur des universités
Pr Marie-Carmen CASTILLO, professeure de psychologie clinique, directrice du laboratoire de psychopathologie et neuropsychologie, université Paris-8
Pr Jacques VAN RILLAER, professeur de psychologie émérite à l’université catholique de Louvain, ancien psychanalyste
Pr Esteve FREIXA I BAQUE, professeur des universités, titulaire de la chaire d’Epistémologie et Sciences du Comportement de l’université de Picardie Jules-Verne
Pr Pierluigi GRAZIANI, professeur des universités en Psychologie clinique et Psychopathologie, université de Nîmes et Aix-Marseille université
Pr Christophe LANÇON, professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’APHM
Pr Nouchine HADJIKHANI, professeur en psychiatrie expérimentale de l’enfant et de l’adolescent, professeur associé en radiologie, titulaire de la chaire d’excellence Pierre de Fermat en 2013
Pr Wissam EL HAGE, professeur de psychiatrie, praticien hospitalier au CHRU de Tours
Pr Patrick CHAMBRES, professeur de psychologie cognitive, université Clermont-Auvergne
Pr Yehezkel BEN-ARI, neurobiologiste, directeur émérite Inserm et grand prix Inserm
Nicolas STEFANIAK, maître de conférences en psychologie
Dr Djea SARAVANE, praticien hospitalier, médecin spécialiste de la douleur
Aude FIEVET, docteure en psychologie sociale, université Paris-V René-Descartes
Stuart SCHNEIDERMAN, psychothérapeute, ancien psychanalyste
Pierre BORDABERRY, docteur en psychologie, psychothérapeute
Françoise MARIOTTI, docteure en psychologie et psychologue, Montpellier
Dr Gisèle GEORGE, pédopsychiatre, psychothérapeute et enseignante en psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent
Dr Igor THIRIEZ, psychiatre, praticien hospitalier en psychiatrie adulte
Ludivine BONNEFOY, psychologue clinicienne en développement
Nicolas GAUVRIT, chercheur en sciences cognitives, laboratoire Chart, EPHE, Paris
Sarah THIERRÉE, chercheuse en neurosciences
Dr Vincent GIRARD, psychiatre, praticien hospitalier, Marseille
Séverine ROSSET, psychologue-psychothérapeute TCC et EMDR, praticien hospitalier
Dr Ludovic PETIT, psychiatre, ancien praticien hospitalier
Thomas VILLEMONTEIX, psychologue-clinicien, maître de conférences en psychologie clinique à l’université Paris-8
Nathalie GIORGI, psychologue TCC
Dr Alain PERROUD, psychiatre spécialiste des troubles alimentaires
Dr Joachim MÜLLNER, psychiatre, praticien des hôpitaux, Paris
Olivier BOURGUEIL, psychologue BCBA
Jérôme LICHTLE, psychologue, psychothérapeute, doctorant Université Paris
Dr Jean-Pierre LEDRU, psychiatre, ancien psychanalyste
Laure BARREAULT, psychologue praticienne hospitalier en psychiatrie adulte
Dr Coraline HINGRAY, psychiatre praticien hospitalier
Simon DEJARDIN, psychologue BCBA
Dr Charly CUNGI, pédopsychiatre
Audrey HENRY, maître de conférence en psychologie, université de Reims
Dr Karina ALT, anthropologue, analyste du comportement
Julia GUEDES DA ROCHA, docteure en psychologie à l’Université Pontificale Catholique de Sao Paulo, Brésil, psychologue en France depuis 2014
Illel KIESER, psychologue spécialisé en psychotraumatisme
Morgane HUET, psychologue, neuropsychologue
Dr Cécile LAFITTE, psychiatre Bayonne
Stéphanie DUCROT, chargée de recherches CNRS en psychologie cognitive, spécialisée dans les apprentissages scolaires et les troubles neuro-développementaux
Boris GUIMPEL, psychologue psychothérapeute TCC, superviseur de l’AFTCC et sexologue
Louise DANELUZZI, psychologue BCBA, spécialisée autisme
Serge CHRISTIN, psychologue
Fabrice GUILLAUME, enseignant-chercheur en psychologie à l’université d’Aix-Marseille
Patricia BOURNIER, psychologue
Edith HOUSPIC, psychologue, praticien hospitalier
Marjorie CAMUS CHARRON, psychologue de l’Education nationale, spécialisée en neuropsychologie
Dr Yann HODE, psychiatre, ancien praticien hospitalier
Christine DESCAMPS, ancienne maître de conférences neurosciences Lille
Nathalie DESSEAUX, psychologue, psychothérapeute TCC, responsable pédagogique du DIU de sexologie de Nantes
Pr Daniel RIGAUD, médecin spécialiste des troubles du comportement alimentaire, membre de la Société française de nutrition et de gastro-entérologie

Véronique Radier