"Se faire le zéro en place de la femme" à propos du livre de Philippe Lacadée, Robert Walser, Le promeneur ironique

le livre de Philippe Lacadée, Robert Walser, Le promeneur ironique

m’a paru d’un enseignement précieux à plusieurs titres : d’abord pour situer Walser comme paradigme de ce qu’il faut bien désigner comme une certaine position autistique ; ensuite par les résonnances qu’il peut provoquer dans notre clinique quotidienne. Ce qu’il m’en reste c'est enfin le sentiment d’une logique à l’œuvre dans le trajet de Walser, logique que je voudrais tenter de restituer.

Un « zéro tout rond ». Nous sommes d’emblée et tout du long face aux problèmes les plus cruciaux de la reprise pour Lacan de la logique de Frege pour répondre à la question de ce qui peut faire 1 pour un sujet, de la théorisation de l’autisme et de son choix éthique d’incarner l’inexistence. Au cœur aussi de nos préoccupations cliniques quotidiennes : zéro comme incarnation du rien et refus d’aliénation qui évoque les refus de présentation, plutôt la présentation par le refus, de tel sujet autiste, Damien, qui ne peut se présenter que par la négative : « il n’y a pas de Damien à la Demi-lune », « je n’ai pas de père », « j’ai infini ans ».

Soit l’impossible nomination de l’autiste et ses conséquences, le repli dans une incarnation de l’inexistence, de ce qui est en moins.

Le zéro c'est me semble-t-il l’épure du nom propre, c'est la case vide qui situe le rien, l’absence la plus proche du néant pour désigner l’inexistence qu’est l’être du sujet. Vous le situez dans le cadre d’un refus d’aliénation. Là où le trait unaire couvrirait la marque invisible, la béance, voire la « néance » (néant d’où ça nait) même issue du rapport au signifiant. Lui par un singulier retournement prend cette néance pour sa marque même, il prend son refus de blason pour son blason même.

Nous situons mieux la fonction de ce « zéro tout rond » quand vous en restituez sa généalogie, soit les créations qui viennent à sa place, le « Lac acoustique » et l’usage de la neige : surface blanche qui vient recouvrir les voix féminines, ce qui de la voix La femme vient faire effraction. En place de cette jouissance s’offre un zéro tout rond ou une couche de neige vierge : la où c’était la voix féminine, la neige fait place nette pour construire une « maison du silence ». La neige s’offre alors comme une page blanche dans le Réel, une négation du paysage. Ce qui permet de passer du territoire à une surface pour inscrire la carte, ce qui fait toute la différence entre un vide et un espace. Cela est équivalent pour Jonas, autre sujet autiste qui ne peut consentir à rentrer dans notre institution qu’en laissant des inscriptions sur les murs, dans les trous de la tapisserie : « la virginité murale est dégradante » dit-il, avec le projet de transformer l’institution en « caverne ou tombeau », lieu vidé de jouissance. Il s’applique ainsi au ravalement de ce qui fait trou dans le mur vers une « virginité murale », qui devient surface d’inscription : c'est-à-dire à couvrir la béance par une surface, un vide d’inscription. Là où la virginité murale est dégradante, s’honorer d’en faire un lieu d’écriture, une page blanche. C'est là où Walser s’honore de créer un lac acoustique comme surface ondoyante et sensible où inscrire le sonore.

Surface sur laquelle il sera tenté de s’écrire comme « blanche neige » : comment trouver plus proche incarnation, visage, corps, de La femme ? Ce point de blanche neige recouvre la femme en étant tout de même très près d’une figuration la plus pure. Les voix féminines, disiez-vous, ne cessent de s’incarner dans des personnages féminins qui commentent la vie du brigand. Edith serait le « Sinthome de Walser », pour « sustenter son être », « Donner corps à ses voix » et « les limiter ». Comment alors ne pas voir dans cet usage de la neige ce que disait Zéno Bianu1 de Ghérasim Luca à propos de son poème « Pendre corps »2 : en fixant ce qui sonne il « blasonne à l'infini le corps de la femme ».

Je te narine

je te chevelure

je te hanche tu me hantes

je te poitrine

je buste ta poitrine puis te visage

je te corsage

La fraicheur nait alors de l’usage d’un nom à la place d’un verbe, transmutation qui saisit l’être inexistant en train de se révéler, en fixe le vertige dirait Rimbaud. De se voir offrir de quoi prendre corps, comme le disait Walser, la Dame prend corps de phrase qui n’avait jamais été lue, ni prononcée ; si neuve et pourtant, si simple.

A travers la neige et ses microgrammes, la pratique topologique de Walser c'est donc me semble-t-il après vous avoir lu de créer une « Surface poétique », une parenthèse pour se présenter. Lieu où s’inscrit la « réson » ce qui résonne, où il blasonne ce qui de La femme sonne. Cela nécessite bien un silence préalable, le silence comme forme donnée au néant, au néant qu’il est. Le silence est un fond sur lequel peut émerger une sonorité, il devient le fond d’absence à partir de quoi écouter une présence, faute d’un Nom-du-Père qui place l’absence dans la présence.

Cette surface sonore, étendue de l’entendu, d’abord muette évoque aussi Schreber et sa fameuse « pensée de ne penser à rien » : construction artificielle du manque là où il fait défaut.

Si lui fait le choix de se faire le zéro en place de la femme, c'est là une Nécessité, qui se répète sans cesse : n’a de cesse de devoir s’écrire, toujours à reproduire.

Ecrire les microgrammes s’offrirait alors comme écriture dans le Réel de ce point zéro. Un point, comme un zéro, existe mais n’a pas de corps. C’est un point autant qu’une limite.

C'est dans la lignée, à la place et dans la filiation de ce « zéro tout rond » qu’il faut placer comme vous le suggérez ses microgrammes, eux qui en prolongent la jouissance : eux qui permettent « la joie d'être caché ». C’est-à-dire d’incarner le point d’exclusion de l’Autre, du regard de l’Autre : être illisible, être invisible : déclinaisons du néant qu’il est, sur le papier. Une façon d’écrire un « ne pas » sur l’Autre, un – 1. Soit le signifiant dans sa pure valeur de différence.

Comme ce patient Damien, évoqué plus haut, qui au cours de son parcours institutionnel en viendra à se prévaloir de la dimension du secret, jusqu’à tenter d’inventer une langue privée, codée, langue du « Damientrius » qui transforme chaque mot par l’adjonction d’une terminaison, comme ce qui le soustrait au tout regard de l’Autre.

Cette mise en jeu du secret, c'est bien un territoire volé, un territoire sonore, qui nous place dans un problème de surface (et fait de nous des « techniciens de surface »). La source où puiser l’écrit devient ce « lac acoustique », ou « lack acoustique » pourrions-nous dire pour jouer de l’équivoque avec le lack anglais, le manque : espace dérobé, Zone Autonome Temporaire dirait Bey3, point d’exclusion, point trou qui fait limite à l’illimité de la jouissance ou de la femme. Lack acoustique qui forme manteau fini, de neige ou de papier, sur l’infini.

Car comme vous le soulignez avec finesse c'est bien d’un traitement des Epiphanies dont il s’agit, d’un Dieu invisible qui s’offre à la vue de son témoin dans une incarnation. « Ce qui du Réel s'offre à la révélation de l'être »

Lacan Jacques, Les écrits techniques de Freud, Le seuil, 1975.

. Ici ce qui n’a pas de corps s’offre à la vue par la plume, ange annonciateur de ces « choses incongrues » qui s’imposent. Walser les restitue et s’offre ainsi sous forme miniaturisée comme peut être lui-même est miniaturisé, réduit à néant par cette irruption de « choses incongrues », comme Schreber l’était aussi sous la forme des « petits hommes ». Son traitement est aussi peut-être de se faire miniature : s’appuyer sur le fait qu’il est pensé comme miniaturisé pour démontrer qu’il pense en miniaturisant. Il fixe l’épiphanie dans un lack ou « lac acoustique » comme lui même est « épiphanisé », créé, troué, violé, par la langue, en tant qu’elle porte ces « Choses incongrues ».

Quand il traverse sa crise on voit le ressort de l’Acte de création : inscrire une béance dans le monde là où lui même est « béantifié » ou béatifié par une effraction. Instrumentaliser, par la plume, la béance qu’il est : s’en faire passeur, dans le jeu d’une plume « pointue, tranchante et cruelle ».

La main n’est pour un temps alors plus nouée au corps, c'est-à-dire ne peut plus faire trou, car elle est elle-même trouée. Elle n’obéit plus à ce maitre qu’est l’image du corps. C'est je crois le sens de la clinique borroméenne : si les ronds se nouent pour serrer un trou, leur enjeu devient : comment passer, pour un être, d'être trou à faire trou. La main ne fait plus trou, elle est trou, il y a trou dans le corps en place de la main.

C'est bien dans cette dimension pragmatique d’un usage de forage dans la jouissance là où c’était un trou dans le corps que peut se conquérir un organe, se décerner un corps, et c'est tout l’intérêt de votre collecte précise de le démontrer. Ce type d’exemple permet d’aller plus loin que de constater que les organes font problème au parlêtre, en montrant à partir de quoi ils sont intégrés au corps. C'est qu’un retournement d’un néant en pratique de la négation peut conférer des organes. La main ne consent à redevenir outil, organe du corps, qu’à partir du microgramme, soit de la mise en jeu de l’invisible, point qui troue le regard dans le Réel : faire trou là où elle était trou. C'est un enseignement clinique qui montre comment le corps nait en acte de l’absence de regard, non du regard. Le corps est un voile au point aveugle. Cette béance il faut la garder ouverte, et ne pas rabattre le sujet sur un « Tu es ton corps ». Là où dans la névrose la négation instaure la béance entre corps et être, dans la psychose cette négation (tu n'es pas ton corps ; l'Autre ne parlais pas de toi) étant forclose il s’agirait comme l’enseigne Walser de la soutenir.

Le nouage ici c'est aussi de passer d’entendre à écrire : d’être troué par l’entendu, épiphanisé, à s’en faire celui qui le dit. Retournement « d’être effracté » à « faire effraction », dans cette pratique d’abnégation qu’est se faire le « commis aux écritures » d’un maitre.

Aussi nous enseigne-t-il par votre voix ce qui après Heidegger peut faire maison pour l’être, allant même plus loin en démontrant en acte à partir de quoi une langue peut-être habitable…ou pas.

Cela m’invite à un rapprochement avec un autre patient autiste, Dylan : dans un moment de crise il renverse tout dans la cuisine de l’institution, tente de casser divers objets ou d’arracher des affiches, soit d’inscrire une négation dans le Réel. Je choisis de reprendre cette crise à mon compte et de renverser les objets à sa place, théâtraliser cette mise en acte du trou là où lui y est soumis comme impératif. Après ce jeu de déconnade très sérieuse où je reprends à mon compte ce qu’il nomme ses « bêtises » de la cuisine, ce qui surgit, ce sont des cases de BD qu’il me demande de dessiner. Il veut dessiner en BD « Gilles casse assiette » ou « Gilles casse verre », mais dans un cadre particulier : « Gilles dessiner casse », dit-il pour désigner…la case de BD. La case, il la nomme aussi : la casse. Cela me semble répondre à une logique de fond, où ce qu’il chercherait à capter dans la bêtise c'est le point de casse, d’éclatement, pour de la casse faire le pas de la case. Car si on prend sa généalogie la case ressurgit d’une prise à mon compte de la casse, je l’assume à sa place. Comme si à travers la casse ce qu’il cherchait c'est capter le vide fait dans l’espace, capter une absence à l’état naissant dans le Réel, épiphanie de la négation, qui deviendra ensuite surface d’inscription.

Je m’étonne aussi qu’à partir de cet instant il commence à m’installer en position de double, de personnage à qui il commande d’exécuter un scénario, ou qu’il met en scène comme celui qui l’accompagne dans ces voyages (dans la Bd c'est l’histoire de la paire Kevin/Gilles qui se ballade, part à l’aventure dans le monde).

Cela rejoint un autre moment clinique où il me commande de faire des « bêtises » (jeter les fauteuils en tas dans la salle des casiers) pour ensuite s’y jeter pour s’y loger en disant « maison ». Il s’adresse alors directement à Heidegger : plus précisément que le langage, c'est la « bêtise » dans le langage, ce qui porte la casse, qui fait pour lui maison de l’être.

Il nous indique en quoi la case survient comme négation de la casse, reprise sur un autre plan. La casse s’avère là passage nécessaire, à ne pas éviter mais plutôt à reprendre, si on veut franchir le « Pas de la case » : « Passage de la maison » en catalan, car s’y trouvait la seule maison de ce passage. Lui aussi en étant pas sage, dans la casse (ou quand il se casse) il se fraie un passage vers la case. Faut-il le détourner de cette voie, le mettre en impasse ?

Pour Walser ce pas de la case, c'est de se choisir une écriture habitable en tant que « pas » lisible. Il loge lui aussi dans ce « pas », ce passage frayé dans un bégaiement du lisible vers l’illisible. C’est son habitat. Il « labite » dans ce pas, il réside dans un préfixe privatif. Celui qui s’accole à « lisible » pour donner « illisible », dans ce point en négativité au regard, qui lui ek-siste. Lui, pour qui le langage ne néantise pas, est condamné à « labiter » des négations de fortune, comme autant de radeaux de la méduse.

Comme ce Bartleby que vous citiez, qui n’a d’autre lieu de résidence que la négation de son « I prefer not to ». To be…in the not.

Ou, comme l’écrivait Ghérasim Luca, ce poète du bégaiement, que Lacan a vu en récital4 : « il est né […] de la négation ». Dans son poème « Passionnément »5, il donne à sentir ce bégaiement générateur du pas de la langue, ce Pas originel, Pas qui se décline en d’infinies épiphanies, mots nouveaux-nés, autant de renaissances dans le bégaiement de la négation. Ce qui du Réel fait le pas de s’offrir à la révélation de l’être.

[…] passionné né il est né

à la nage à la rage il

est né à la né à la nécrophage cra rage il

il est né de la né de la néga

néga ga cra crachez de la né

de la ga pas néga négation passion […]

Lui qui se voulait apatride, refusant toute assignation identitaire, plutôt attaché à son « éthique phonétique », quand il fut forcé de prendre une carte d’identité pour se loger fit à plus de 80 ans un dernier pas pour se laisser glisser dans la Seine, et être emporté hors de tout territoire. Car pour lui aussi, hors de question de laisser l’Autre choisir à sa place où diriger ses pas pour établir sa case. Le caser d’autorité, c'était le contraindre au Pas vers le pire, au trépas ; ce pas par où, faute d’espace de mise en scène, il fut contraint d’offrir sa vie pour se faire Autre, Autre Absolu, Autre malgré la loi, et dans la réelle, de Seine.

Walser, c'est une écriture choisie pour le vide qu’il y inclut, grâce au microgramme ; qui aurait pu l’y contraindre ou lui suggérer, pour son bien, comme s’il le « connaissait », cette pratique ? C’eut été lui voler son invention à l’état naissant. La tuer avant même qu’elle ait vécu.

Car Walser est « l'être qui ne peut pas être » disiez-vous en citant Giorgio Agamben ; « sa position ironique lui permet d'affirmer la suprématie de la jouissance positive du zéro sur l'acte d'être « Un quelqu'un » ». Il faudrait là convoquer encore Frege pour saisir comment le Un n’advient que du zéro, et peut être comment il s’agit pour lui de récupérer à travers le zéro même ce qui le fera Un. Dans la clinique il nous invite à la prudence de ne pas opérer à l’envers de cette logique : ne pas le pousser au Un mais l’accompagner dans la quête d’un zéro à capter, soit comment le un nait du zéro. Comme pour Kevin où il faut bien cerner la bêtise avant une case.

« Walser n'écrit rien d'autre que sa puissance justement de ne pas écrire comme acte pur ». Voilà pourquoi j’en déduis qu’il ne cesse pas d’écrire ce Pas inaugural, comme Zéro, sur sa feuille ou dans l’espace : le « pas quelqu’un » du zéro, le « pas lisible » du microgramme, le « pas » dans la neige, elle même niant le paysage en place de la négation forclose.

Aussi y-a-t-il dans son trajet comme un dénuement progressif, un dénudement de ce pas : du commis aux écritures qui tire une jouissance de ne pas être dans le zéro - « Commettre l'ivre délit du refus d'être » disait Luca, au microgramme - acte de se faire pas lisible, jusqu’à incarner lui même ce pas dans le Réel, marchant jusqu’à y dis-pas-raitre. Comme si une logique commune sous-tendait ce parcours : celle de ce pas à incarner, l’une venant en place de l’autre au secours de ce pas quand il défaille à être porté. Car comme vous le disiez avec Rimbaud, dans ses pas il emporte sa place sous ses semelles.

Aussi nous enseigne-t-il aussi par contrecoup sur ce que peut être le « bord » de l’autiste : c'est le bord du concept, de l’ensemble vide au sens de Frege, le bord de l’invisible ou de l’inaudible. C'est peut être ce pas de création du bord que Walser répète sans cesse : mettre en jeu dans un zéro puis dans ses microgrammes et enfin dans la marche et son lac acoustique, et jusqu’au point final de sa perte, ce point trou, ce trou-limite qui passerait d’un espace illimité à un espace limité. On passe d’une sphère, espace illimité, à un plan, limité, par une seule opération : faire un trou. L’extraction d’un seul point suffit. On étale cette sphère trouée on obtient un disque, dont le périmètre, le bord, n’est que ce trou étalé. Son lieu de résidence est perpétuellement dans ce passage du bord, ouvrier de la digue de son lac acoustique.

Un pas de plus nous permet de saisir sous un autre angle un usage de la lettre dans ce passage, ce que démontrait très simplement Johann le Guillerm à sa dernière exposition - « Monstrations » - à Bègles : il écrit un mot sur une mandarine, puis au scalpel coupe la peau en repassant sur le trait de la lettre. Il étale la peau, et obtient une forme, une « flaque », dont le bord est la coupure de la lettre. Le mot est illisible mais fait bord à un espace limité, son tracé a fait coupure à l’illimité de la sphère. « Le mot est le bord de la flaque » disait-il. Il nous enseigne là très précisément sur un usage de la lettre non comme trace mais comme coupure, comme « pas » qui crée un espace, un ensemble vide, un zéro, un case vide ou pourra s’écrire quelque chose. Il ne s’agit donc pas tant d’un problème de production d’un texte que d’une pragmatique de la production d’une surface où écrire ce texte.

Je pense ici à Yvan, autre patient, qui un jour perdit un double contre lequel il se soutenait mais qui l’envahissait, « La brute » prélevée sur le film « Le bon, la brute et le truand ». A partir de cette perte il a pu nous aborder de façon plus directe. Cela me pose la question de son enferment dans la sphère du double, de la brute qu’il voyait partout, qui était aussi bien lui que tous les autres. Reflet infini vu depuis l’intérieur d’une sphère. Comment en est-il sorti, a-t-il perdu ce double, ce qui lui a permis de s’adresser plus directement à nous ? Comme il en a témoigné, au cours d’une cette soirée où sur appel de sa mère qu’il menaçait comme « La brute » son père vient le chercher avec pertes et fracas : « j'ai cru que je n'allais jamais revoir ma mère ». Si Lamartine dit « Un seul être vous manque est tout est dépeuplé », ici l’inverse se produit : le monde s’est repeuplé à partir d’une absence, de la possibilité d’une absence, et nous existons pour lui à partir du manque d’un regard, d’un point-trou qui fait bord dans la sphère de cette illimitée présence.

Aussi il m’emmène, avec le Walser dont nous parle Philippe Lacadée, à me demander si l’autiste n’est pas celui incarne ce point-trou dans le Réel, cette exclusion du pas, comme un perpétuel point final sans texte.

  • 1.

    André Welter, Ghérasim Luca, Passio passionnément, Jean Michel Place/poésie.

  • 2.

    Ghérasim Luca, La fin du monde, éd. Petithory, Paris, 1969.

  • 3.

    Hakim Bey, TAZ Zone Autonome Temporaire, éd. De L’éclat, 1997.

  • 4.

    Emission de France Culture du 16 janvier 2005, Une vie, une œuvre : Ghérasim Luca.

  • 5.

    Ghérasim Luca, Héros Limite, éd. Le soleil noir, Paris, 1953.