Les psychothérapies et la Loi (suite) décembre 2003

décembre 2003

LES PSYCHOTHÉRAPIES ET LA LOI (suite)

ENTRE FOIRE D'EMPOIGNE ET TRAVAIL D'ÉLABORATION

Oui, c'est presque fait (cf. LLPF no 129,

p. 10-11): l'amendement Accoyer est

bien sur les rails de sa maturation définitive.

C'est dire si les confirmations et

modifications qui seront apportées lors

de sa lecture par les Sénateurs (1), avant son deuxième passage au

Parlement, seront particulièrement importantes puisque les

décrets d'application qui suivront leur intelligibilité et leur acceptation,

dépendront de la qualité de la formulation de l'esprit de la

loi, son intention première.

Or, à lire et à entendre les réactions des uns et des autres, sans

compter les manipulations politico-médiatiques (2) de quelques

habitués, il semble que son intention première n'a pas été perçue

ou, au contraire, a bien été entendue mais c'est là que le bât

blesse. Rappelons le fond que l'amendement déclare et qui

devient une affaire : toute personne qui veut faire profession de

soignant en utilisant les outils de traitement médico-psycho-

logiques que sont les psychothérapies doit avoir préalablement

reçu une formation théorique et clinique à la psychopathologie

que, pour l'instant, seuls les psychiatres et les psychologues

cliniciens peuvent, et pour cause, garantir.

Jusque-là, il n'y a pas d'erreur d'interprétation possible :

l'amendement pose un fondamental qui demeurera incontournable

jusque dans cent ans et plus. En effet, avant de travailler à

l'évolution d'un objet, il faut savoir ce qui le constitue ; c'est

élémentaire, dans quelque apprentissage que ce soit. Bien sûr, et

afin qu'aucune ambiguïté demeure, l'apprentissage de la psychopathologie

clinique est celui qui s'acquiert à la clinique de la

psychopathologie, c'est-à-dire « au lit du malade » (hôpitaux,

CMP, policliniques, etc.) sous la conduite de seniors, maîtres,

patrons, praticiens avertis ayant eux-mêmes connu la même

expérience professionnelle. Il s'agit bien d'un corps à corps avec

l'univers de la maladie mentale et de l'institution soignante ;

d'une immersion.

Ce ne peut être qu'après l'acquisition de ce tronc commun des

bases de la formation, que chacun pourra s'orienter vers les

différentes possibilités de traitement psychothérapique. Pour

l'instant, seuls les psychiatres et les psychologues cliniciens

peuvent garantir à la société la capacité de diagnostiquer des

symptômes, des syndromes, des structures et des maladies, mais

aussi celle de pronostiquer ; ce qui préside à la décision thérapeutique

de telle ou telle orientation thérapeutique.

Ne pas imposer ce minimum à tous les « professionnels » qui

s'engagent socialement dans la responsabilité de soigner, serait de

la part de l'État un comportement à risques inexcusable, voire

irresponsable, surtout lorsqu'on sait les lois d'encadrement des

pratiques auxquelles sont soumis les médecins et bientôt les

psychologues cliniciens (cf. devoir d'information…).

C'est la position que nous avons défendue tant auprès de

B. Accoyer que de l'Ordre des Médecins et de l'Académie de

Médecine.

À relire la dernière formulation de l'Amendement voté, il est

clair que nous n'avons pas été les seuls interlocuteurs du législateur

car, en se voulant déjà mise en oeuvre des principes, le

texte perd de sa qualité de référence en donnant des orientations

insuffisamment discutées.

C'est pourquoi nous soutenons auprès de B. Accoyer ce qui

précède et, avant la mise en place de toute commission d'accré-

ditation, l'institution d'un Collège scientifique dont les membres,

proposés par les sociétés savantes et nommés par décret, auront à

qualifier les contenus, les processus, les instituts et les filières de

formation. L'accréditation des personnes qui ne sont ni psychiatres

ni psychologues cliniciens pourra alors se faire par des

commissions régionales qui recevront leurs directives de ce

Collège scientifique. Celui-ci travaillera en recevant des incitations

des pouvoirs publics comme des enseignants et des

praticiens. Pour le mieux, sa situation d'interface devra être

pondérée par une Commission spécialisée du CCNE ayant

fonction d'arbitrage et de médiation des relations de travail entre

les Pouvoirs publics, le Collège scientifique, les praticiens et les

patients-usagers.

Ainsi posée, la proposition de B. Accoyer redeviendrait davantage

un outil législatif dynamique et toujours évolutif pour aider à

la vie des individus et de la société. Sa reformulation – amendement

de l'amendement – possible par le Sénat (3) serait plus précise quant

à la justification première : les savoirs obligatoires qui justifient le

crédit de compétence donné à un soignant qui s'affiche comme tel

dans la société. De plus, elle ouvre une aire évolutive, espace de

réflexion éthique qui s'offre aux potentialités actuelles et à celles que

proposera l'avenir.

Cette ouverture de la législation de la pratique des psychothérapies

reprend globalement la structuration de l'espace de

notre démocratie, de sa topique, et devrait donc avoir des accents

familiers pour les gardiens de la législation, sans que nous ayons

à leur rappeler ces bases élémentaires.

C. V.

Président Association Française de Psychiatrie

(1) La Conférence des Présidents au Sénat, qui est chargée d'établir les

ordres du jour, a refusé début décembre de valider le principe d'une

Mission d'information sur les psychothérapies, proposée par Claude

Estier. La Commission des Affaires sociales du Sénat avait, pour sa

part, entamé ses auditions sur le projet de loi relatif à la Santé

publique et, notamment, sur la question des psychothérapies.

(2) Cf. sur notre site internet : www.psychiatrie-francaise.com, divers

articles qui, sous l'alibi de l'affirmation canonique de l'analyse laïque,

c'est-à-dire la psychanalyse pratiquée par des non-médecins que

personne ne conteste, ont en commun de tenter de promouvoir et

de faire légaliser le principe des psychothérapies pratiquées par

des non-psychiatres, non-psychologues, non-psychopathologues.

Paradoxe ou totale imposture, les actuels donneurs de leçons en psychiatrie

(et c'est une des perversions de la confusion psychiatrie/

santé mentale) sont philosophes, écrivains, journalistes, acteurs

(eh oui !), mais médiatiques. Dit autrement, en France, pour avoir

quelque chance d'atteindre les représentants du pouvoir (députés,

sénateurs, ministres), mieux vaut être coutumier de Star Academy

ou de Loft Story. Ça porte un nom, çà ! À Vienne, Freud aurait parlé

de Schlamperei !

(3) AMENDEMENT de l'AMENDEMENT

Les psychothérapies constituent des outils thérapeutiques utilisés dans le traitement des pathologies mentales. Leur mise en oeuvre

ne peut relever que de psychiatres ou de psychologues cliniciens dont seules leurs formations sont actuellement à même de garantir

l'acquisition des connaissances psychopathologiques théoriques et cliniques indispensables au respect de leurs indications thérapeu-

tiques et de leur pratique, en pleine responsabilité professionnelle, morale et juridique, auprès des personnes souffrantes.

Les professionnels en activité non titulaires de ces qualifications, qui mettent en oeuvre des psychothérapies depuis plus de cinq ans

à la date de promulgation de la présente loi, pourront poursuivre cette activité thérapeutique sous réserve de satisfaire dans les trois

années suivant la promulgation de la présente loi à une évaluation de leurs connaissances devant un jury d'accréditation régional.

La composition, les attributions et les modalités de fonctionnement de ce jury seront fixées par arrêté conjoint du ministre chargé de la

santé et du ministre chargé de l'enseignement supérieur, après avis d'un Collège scientifique national, dont les membres seront proposés

par les Universitaires de psychiatrie et de psychologie, les Sociétés psychanalytiques, les Fédérations de psychiatres et de psychologues,

et par les Ministères de la Santé et de l'Éducation nationale. Il reviendra à ce Collège de qualifier les instituts de formation.

La psychanalyse et ses diverses applications doivent garder leur qualité de référence indispensable et singulière. L' enseignement de

la psychanalyse, la formation et la reconnaissance de la qualification de ses membres relèvent de la seule responsabilité des sociétés de psychanalyse

Les relations entre le Collège scientifique, les pouvoirs publics, les professionnels et les patients-usagers s'appuieront sur la médiation d'une commission compétente du Conseil Consultatif national d'Éthique.