Sur quelques maîtres du cognitivo-comportementalisme

J’avais déjà évoqué lors d’un colloque du journal des psychologues (10 et 11 décembre 2004, la Rochelle) dans quel contexte se déploie aujourd’hui l’exercice de notre profession :

Chosification de l’humain

Instrumentalisation adaptative de la psychologie

Eradication du symptôme

Transparence de l’intériorité

Je rappelle ici pour mémoire une phrase du futur président de la république de l’époque, J. Chirac, qui répondant à une question du journal des psychologues (n°56 le sujet de la politique) sur la place de la psychologie dans son projet politique, répondait : « Pour que chacun joue le rôle qui lui incombe dans la société libérale que nous souhaitons mettre en place il faut que chacun soit bien dans sa peau ».

Voila donc ce qui nous est demandé, adapter chacun a la société qui se profile sans reconnaître les souffrances et dégâts humains produit par une telle orientation. Les techniques cognitivo – comportementales qui semblent aujourd’hui recueillir un certain assentiment, semblent en adéquation avec cette orientation actuelle de la société. Elles nous viennent essentiellement des pays Anglo-saxons et j’ai pu en observer la pratique lors d’un voyage d’étude au Québec en 1982.

A/HOPITAL DOUGLAS

Je voudrais décrire ici ce que j’ai pu observer concernant ces techniques.

Nous (ce voyage s’est déroulé sous l’égide d’une association, l’asepsi, avons été reçus par le professeur Poser et le professeur Katchanoff, qui ont bien voulu nous exposer le fonctionnement de leur service et les fondements théoriques de leur approche.

1/SERVICES DU PROFESSEUR POSER

Le professeur Poser est docteur en psychologie et dirige un service de consultation externe du centre psychiatrique Douglas à Montréal.

Il met en œuvre des protocoles utilisant le conditionnement opérant :

Renforcement positif pour récompenser un bon comportement

Renforcement négatif pour décourager la reproduction d’un mauvais comportement

Il emploie aussi la méthode de désensibilisation systématique dans le traitement des phobiques et l’emploi de la théorie par aversion pour le traitement des alcooliques et des homosexuels.

Pour l’alcoolisme il utilise la chimiothérapie aversive : on donne un cachet vomitif au buveur impénitent qui boit son alcool favori ce qui provoque des vomissements. Cela se pratique en groupe dans une salle carrelée. Ils sont laissés quelque temps dans leurs vomis (cela s’appelle une cure de dégoût).

Pour l’homosexualité le protocole suivant est établi : est projetée une diapositive représentant un stimuli approprié (homme vêtu ou nu) et on laisse au « malade » un laps de temps pendant lequel il peut regarder la diapositive aussi longtemps qu’il la trouve attrayante ; s’il sort des limites imparties du temps il reçoit un choc électrique.

2/SERVICES DU PROFESSEUR KACHANOFF

Le professeur Katchanoff introduit dans les années 1970 une unité de thérapie béhaviorale. Il y reçoit les cas les plus « récalcitrants » (terme qui signifie résister avec opiniâtreté ; nous parlerions de cas… difficiles…) : psychotiques chroniques et débiles profonds.

Il utilise l’économie à jetons et nous spécifie que sa méthode est scientifique, qu’elle s’appuie sur des critères objectifs et qu’il mesure des comportements observables.

C’est le principe du conditionnement opérant qui constitue la base de ce système.

L’attribution de jetons est tributaire du comportement de l’hospitalisé qui lui permettent d’accéder à une variété de renforcements secondaires (repas, friandises, cigarettes, sorties : bien se laver = + X jetons ; manger sa merde = - X jetons).

Les groupes sont hiérarchisés : un groupe inférieur reçoit un minimum de renforçateurs. Il est possible de passer aux échelons supérieurs et d’obtenir aussi « des bonus supplémentaires ».

B/UN DOCUMENT D’ARTE1

Le lundi 8 octobre ARTE nous propose un documentaire d’Alex Gibney sur le décès d’un chauffeur de taxi Afghan, en fait assassiné (son innocence a été prouvée… ensuite) après qu’il eut subi de nombreuses séances de tortures, non pas des tortures qui laissent des traces mais des tortures « psychologiques » :

Privation de sommeil et privations sensorielles

Station debout en équilibre instable

Contentions

Humiliations sexuelles

Loin d’être un cas isolé, le documentaire démontre que ce genre de pratiques existe depuis les années soixante et loin d’être l’apanage de quelques « égarés », ces techniques de « destruction de l’individu » suivent une logique implacable. D’où viennent elles ?

Le professeur Donald O Hebb, neuropsychologue est un des maîtres du cognitivo - comportementalisme empirique.

Apres une thèse sur « l’effet de la privation sensorielle chez le rat » (1936) il étudie « l’effet des lésions cérébrales sur l’intelligence et le comportement » et un peu plus tard « les émotions chez le chimpanzé ».

Il s’installe à l’université Mc Gill et défend une conception « biologique de la psychologie » qu’il réduit à « l’étude du système nerveux ».

C’est là qu’il mène des expériences sur le psychisme humain, particulièrement sur les conséquences de l'isolement sensoriel sur l'individu.

En fait ses recherches sont financées dès les années 1950 par la CIA, organisme qui perçoit l’intérêt d’affaiblir les détenus en détruisant leur conscience pour les pousser « aux aveux » (la CIA a investi 1 milliard de dollars ; quant aux soviétiques, ils avaient de l’avance… dans ce domaine).

Le protocole est le suivant : Il allonge ses cobayes humains dans des chambres insonorisées en faisant en sorte qu’ils reçoivent le moins possible de stimuli sensoriels.

Au bout de quelques heures les cobayes sont en proie à des hallucinations et autres perturbations mentales. Le professeur Hebb se vante alors de « provoquer un état apparenté à la psychose en moins de deux jours ».

Le professeur d’histoire MacCoy (qui vient d’écrire un livre : interrogatoire de la CIA, de la guerre froide à la guerre sur la terreur) a retrouvé les cobayes de l’époque désormais âgés de 70ans et qui subissent encore aujourd’hui des dommages psychologiques dus à ces deux jours d’expérience.

Après avoir observé les photographies des tortures (publiées sur le site Voltaire) il a déclaré : « je n’ai pas vu d’abus individuels mais les techniques psychologiques d’interrogatoire de la marque déposée CIA paru dans deux manuels techniques »

Certains prisonniers de Guantanamo (Nous ne nous faisons aucune illusion sur la bonté des talibans et autres militants d’Al quaïda. que BHL qualifie à juste titre de facislamique) ont subi des isolements de plusieurs dizaines de jours et le professeur Mc Coy indique « qu’il s’agit d’un laboratoire de perfectionnement de la torture (avec présences de psychologues militaires) : Guantanamo est un système de torture psychologique total et systématique.

Que ce soit en Amérique du sud dans les années 70, ailleurs depuis, en Irak et en Afghanistan ces dernières années, il s’agit d’un système logique de torture psychologique tiré directement des recherches des psychologues cognitivo – comportementalistes financées par la CIA

CONCLUSION

Dans les années quatre-vingt, en France, ce sont les psychologues cliniciens qui se sont mobilisés pour donner un titre et un statut à la profession.

Ces psychologues souhaitaient soutenir une certaine idée de la pratique et la possibilité de la mettre en œuvre.

Cela ne s’est pas fait sans souffrance du fait de l’hétérogénéité de notre position et de nos orientations et de ce que j’ai appelé le transfert a priori sur le signifiant psychologue qui nous fait l’objet de projection de l’ambivalence fondamentale de l’individu.

Nombreux sont ceux qui n’en sont pas resté là et se sont donné une formation personnelle psychanalytique (pour comprendre entre autre qu’elle était leurs part dans la jouissance institutionnelle ! Ils accèdent ainsi à ce que j’ai appelé le sujet de la pratique.

Ils maintiennent aujourd’hui la tension inhérente a la trilogie clinique/institution/psychologue dans le but de soutenir une pratique autour de l’accueil et du déploiement de la subjectivité.

C’est autour de cette trilogie que nous avons formé des psychologues d’abord dans le cadre de l’ANREP (hommage à R. Clément) puis ailleurs en d’autres lieux.

Nous avons soutenu l’idée d’un excentrement fondamental de la dimension psychologique dans la civilisation occidentale et donc par voie de conséquence d’un excentrement de notre position.

Pour assouvir un désir de reconnaissance, qui, pensent ils les remettraient au centre du jeu, les cognitivo-comportementalistes sont prêt à développer des pratiques qui rabaisse l’homme au niveau du chien de Pavlov ou du rat de Hebb.

Nous ne nous sommes pas investis dans l’histoire de la profession pour laisser se développer une telle orientation.

Georges Schopp

Psychologue clinicien, psychanalyste

11/10/2007

schopp.georges@neuf.fr

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