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Anti freudisme et/ou antisémitisme : les leçons d'un procès
Anti freudisme et/ou antisémitisme : les leçons d'un procès
Les attendus que l'on lira ici sont ceux d'un procès attenté pour diffamation par le « Club de l'Horloge » et Jacques Bénesteau à l'encontre d'Élisabeth Roudinesco. Au centre de cette accusation l'article qu'Élisabeth Roudinesco a publié dans la revue « Les Temps Modernes » sous le titre « Le club de l'horloge et la psychanalyse : chronique d'un antisémitisme masqué ».
Le club de l'Horloge se veut un laboratoire d'idées pour l'extrème droite, quant à Jacques Bénesteau il est l'auteur d'un ouvrage intitulé « mensonges freudiens ».
En s'attaquant à la psychanalyse et à Freud Jacques Bénesteau s'est-il contenté d'exercer son droit à une libre critique ou s'agit-il de bien autre chose comme le soutient Élisabeth Roudinesco ? . Le tribunal en tout cas a donné en première instance raison à Élisabeth Roudinesco. Le club de l'Horloge a fait appel.On s'instruira utilement en lisant ce qui suit :
Le club de l'Horloge
délibéré du 2 juin 2005
PROCÉDURE D'AUDIENCE
Par actes des 23, 25 et 27 août 2004, l'association LE CLUB DE L'HORLOGE a fait
citer devant ce tribunal, À l'audience du 30 septembre 2004, Claude
LANZMANN, “ directeur de la publication ” de la revue LES TEMPS
MODERNES, Élisabeth ROUDINESCO, historienne, et la société LES
EDITIONS GALLIMARD, pour y répondre, en qualités respectivement
d'auteur, de complice et de civilement responsable, du délit de diffamation
publique envers un particulier, prévu et réprimé par les articles 29 alinéas 1er*,
32 alinéas 1er, 42,43,44 et 48 6 de la loi du 29 juillet 1881, a la suite de la
publication dans le numéro des mois d'avril-mai-luin 2004 de la revue LES
TEMPS MODERNES d'un texte intitulé “ LE CLUB DE L'HORLOGE ET LA
PSYCHANALYSE : CHRONIQUE D'UN ANTISÉMITISME MASQUÉ ”
La partie civile a sollicité la condamnation solidaire des prévenus au
paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts et de
celle de 2.285 euros en application de l'article 475-1 du Code de procédure
pénale, ainsi que l'insertion du jugement dans la revue LES TEMPS
MODERNES et dans une outre publication de son choix, en demandant en
outre que la société LES EDITIONS GALLIMARD soit déclarée civilement
responsable et que l'exécution provisoire soit ordonnée sur les intérêts civiIs.
À l'audience du 30 septembre 2004, le tribunal a fixé le montant de
la consignation à 1.000 euros, somme payée le 9 novembre suivant, et a
renvoyé l'affaire aux audiences des 25 novembre 2004 et 17 février 2005
pour fixer et à celle du 14 avril 2005 pour plaider.
À cette dernière audience, la partie civile a comparu en lu personne de
son président Henry de LESQUEN et était assistée de son avocat ; Élisabeth
ROUDINESCO était présente et assistée de ses conseils, tandis que Claude
LANZMANN et la société civilement responsable étaient représentés par
leur avocat.
Au début de l'audience, les conseils de la défense ont soulevé plusieurs
moyens de nullité : après avoir entendu les explications des parties sur les
exceptions, les avocats des prévenus ayant eu la parole en dernier, le tribunal
a décidé de joindre les incidents au fond.
Après le rappel des faits et de la procédure, le tribunal a procédé à
L'interrogatoire de la prévenue présente, à l'audition du représentant de la
partie civile, ainsi qu'à celle des témoins cités au titre de la bonne foi par
Mme ROUDINESCO/à savoir Fethi BENSLAMA, Élisabeth BOURDEAU de
FONTENAY, Jean-Pierre SUEUR, Jacques PEYROLLES et Roland Gori puis
il a entendu/dans l'ordre prescrit par la loi, le conseil de la partie civile, le
ministère public en ses réquisitions et les avocats de la défense qui ont
demandé la relaxe.
À l'issue des débats et conformément aux dispositions de l'article 462,
alinéa 2, du Code de procédure pénale, les parties ont été informées que le
jugement serait prononcé le 2 juin 2005.
À cette date, lu décision suivante a été rendue ”
Sur la nullité de la citation délivrée a Claude LANZMANN :
Attendu que ce prévenu soutient que l'acte du 23 août 2004 est nul,
faute pour lui d'etre le directeur de la publication de la revue LES TEMPS
MODERNES, alors que cette citation lui a été délivrée, en son absence, à
l'adresse des bureaux de cette revue, en violation des articles 550, 555 a
558 du Code de procédure pénale et 55 de la toi du 29 juillet 1881 ;
Attendu qu'il résulte des articles 7 à 13 et 42 de la loi du 29 juillet
1881 que le directeur de ta publication peut, par délation aux articles 555
et suivants du Code de procédure pénale, être cité au siège de l'entreprise
éditrice, à raison des écrits publiés par l'organe de presse dont il est
responsable ; mais qu'une telle dérogation ne s'applique qu'au directeur de la
publication ;
Attendu que Claude LANZMANN faisant valoir qu'il n'a pas cette
qualité, mais celle de directeur de la rédaction, et l'adresse des bureaux de
la revue ne pouvant être considérée comme celle de son domici le au sens des
articles 556 et 557 du Code de procédure pénale, la citation qui y a été
délivrée est nulle ; qu'en effet, le prévenu a ainsi été privé du bénéfice des
dispositions de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, puisque la date de
délivrance de la citation détermine le point de départ du délai de dix jours
prévu par ce texte pour faire signifier une offre de preuve de la vérité des
faits diffamatoires et qu'il a donc été porté atteinte aux droits de la
défense ;
Sur l'exception de nullité fondée sur l'article 53 de la loi du 29
juillet 1881 :
Attendu que mme ROUDINESCO prétend que l'ambiguïté de la
citation l'empêche de savoir si elle doit se défendre sur les seules
imputations analysées particulièrement ou sur l'ensemble du texte ;
Attendu que l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 exige que (a
citation précise et qualifie le fait incriminé et qu'elle indique le texte de loi
applicable à la poursuite ; quelle a ainsi pour rôle de fixer définitivement
l'objet de la poursuite, afin que le prévenu puisse connaître les faits dont il
aura exclusivement à répondre ; que les formalités prescrites par ce texte
sont substantielles aux droits de la défense et que leur inobservation
entraîne la nullité à la fois de la citation et de la poursuite elle-même ;
Attendu que la citation délivrée à la requête du CLUB DE l'HORL06E
commence par indiquer que le titre de l'article est "particulièrement
diffamatoire ; qu'elle reprend ensuite trois passages du texte en expliquant
en quoi ils sont diffamatoires ; Qu'elle ajoute en page 6 “ que l'ensemble de
l'article est diffamatoire ainsi quil a été démontré; que l'analyse particulière
de certains extraits dudit article n'a été opérée qu'aux seules fins d'en
démontrer le caractère hautement attentatoire à l'honneur et à la
considération de la partie civile ” :
Attendu que les termes du dispositif confirment que c'est bien
l'article en son entier qui est poursuivi, dès lors qu'il y est précisé qu'il est
demandé au tribunal de déclarer les prévenus coupables du délit de
diffamation publique envers un particulier "à raison des propos publiés dans
le numéro des mois d'avril-mai-juin 2004 dans la revue LES TEMPS
MODERNES imprimée en juin 2004, en pages 242 à 254, sous le titre “ LE CLUB DE L'HORLOGE ET LA PSYCHANALYSE : CHRONIQUE D'UN
ANTISÉMITISME MASQUE"et commençan t par "en mai 2003 ,j'apprends
avec stupéfaction... ” et terminant par "dans le discours anti-freudien ” ;
Attendu que la citation est donc régulière au regard des exigences de
L'article 53 de le loi du 29 juillet 1881 puisque, d'une part, elle a précisé que
le texte exactement désigné était poursuivi dans son intégralité et que,
d'autre part, en raison de la longueur de l'article, elle a articulé les
imputations diffamatoires afin de permettre aux prévenus de pouvoir
préparer utilement leur défense ;
Sur le pouvoir d'agir en justice du représentant de la partie
civile :
Attendu qu*Élisabeth ROUDINESCO invoque par ailleurs la nullité de
la citation du 25 août 2004 ou, à défaut, l'irrecevabilité de l'action du CLUB
DE L'HORL06E, aux motifs que l'association ne justifie pas du pouvoir d'agir
en justice de son représentant, que la citation n'est donc pas conforme aux
dispositions de l'article 551 alinéa 4 du Code de procédure pénale et qu'Henry
de LESQUEN n'a pas qualité à agir en son nom :
Attendu que lacitation introductive de la présente instance a été
délivrée À la requête du CLUB DE L'HORLOGE, “ association régie par la loi
du 1er Juillet 1901", "prise en la personne de Son président. Monsieur Henry
de LËSQUEN", l'état civil, la profession et le domicile de ce dernier étant
précisés;
Attendu qu'en cours de délibéré, le conseil de la partie civile a justifié
de ce que Henry de LESQUEN est bien le président de l'association (cette
qualité ressortant notamment du procès-verbal du conseil d'administration
du 10 janvier 2003) et de ce que, en vertu de l'article 15 des statuts du
CLUB DE L'HORLOGE, le président a "qualité pour ester en justice au nom de
l'association, tant en demande qu'en défense.,. "\
Attendu, en conséquence, que la citation est régulière et l'action
recevable ;
Sur les propos poursuivis ;
Attendu qu'en pages 242 à 254 de son numéro des mois d'avril-mai-
juin 2004, la revue LES TEMPS MODERNES -fondée en 1945 par Jean-Paul
SARTRE-a publié un texte écrit par Élisabeth ROUDINESCO et intitulé "LE
CLUB DE L'HORLOGE ET LA PSYCHANALYSE : CHRONIQUE D'UN
ANTISÉMITISME MASQUE" :
Attendu que l'auteur, historienne dont tes travaux portent
essentiellement sur l'histoire de la psychanalyse, y indique d'abord qu "en mai
2003, [elle a appris] avec stupéfaction que la Société française d'histoire de
la médecine (SFHM) [venait] de décerner à l'unanimité son prix scientifique
à un étrange ouvrage dont le titre est à lui seul révélateur des calomnies qu'il
contient : Mensonges freudiens” Histoire d'une désinformation séculaire",
(publié en Belgique en 2002) dont l'auteur est Jacques BENESTEAU et le
préfacier Jacques CORRAZE, et qu'elle-même étant membre de la SFHM et
ayant été lauréate de ce prix dix ans plus tôt, elle a décidé d'écrire au
président de cette société pour lui signaler son “ embarras ”
Attendu qu'Elisabeth ROUDINESCO se livre à une vive critique de ce
livre, expliquant en particulier que J.BENESTEAU présente la psychanalyse
“ comme une Invention mensongère ”, une “ escroquerie ” une “ prodigieuse
rhétorique de désinformation ” et qu'il compare ses représentants à une
cohorte de gangsters psychopathes" : qu'elle considère que “ le vocabulaire
utilisé ici renvoie à une méthodologie conspirationniste ” et critique "la
manière dont procède Jacques Bénesteau quand il cite les travaux des
"auteurs anglophones anti" freudiens ”; qu'elle lui reproche de détourner de
leur signification les travaux mentionnés dans ses notes et sa bibliographie,
de procéder par amalgame pour affirmer “ qu'il n'existait aucun antisémitisme
à Vienne "entre la fin du XIXe siècle et l'AnschIuss ” et "accuse r Freud
d'être l'inventeur d'une persécution antisémite", pour en conclure que
l'ouvrage de Bénesteau mêle donc la démarche scientiste à la pire
rhétorique d'inspiration antisémite et négationniste"
Attendu que se situe alors le premier passage particulièrement cité
par la partie civile ;
“ Pour bien comprendre la signification de ces attaques, il faut se
livrer à un travail d'interprétation. En France, différentes lois interdisent
l'expression directe de propos antisémites. En conséquence, les auteurs de
livres négationnistes ou antisémites, proches de l'extrême droite française
et notamment du Club de l'horloge, ont pris l'habitude, pour désigner leur
"ennemi", de remplacer le mot "juif par celui de "bolchevik" ou de
"communiste". Ils inscrivent alors cet ennemi" dans des "listes" et les
accusent de complots “ communautaristes ” de création de " fausses sciences"
ou de constitutions de “ réseaux médiatico-politiques ” Ainsi renouent-ils
avec l'héritage d'un discours classique qui depuis l'entre-deux-guerres,
associe toujours le Juif au bolchevik pour faire de ce nouveau Janus le
personnage paradigmatique d'une formidable entreprise de destruction de
la nation,
Autrefois qualifié de "youpin", I' “ ennemi invisible ” le Juif, peut donc
prendre tantôt le visage du “ Judéo-maçonnique ”, tantôt celui du "Judéo-
bolchevik" et enfin celui du bolchevik diabolisé pour cause de
désinformation" ou de “ fausse science ”,
Attendu qu'Elisabeth ROUDINESCO indique ensuite que “ dans la
France qui est la nôtre, de nouveau en proie à la montée d'un antisémitisme
fort il n'est donc pas étonnant que le Club de l'Horloge, organe intellectuel
de la droite extrême, ait pu me décerner, pour l'année 2004, au titre de
"disciple de Freud et de Lacan", un prix d'infamie.' le prix Lyssenko''; [qu'il
convient de préciser que selon le communiqué de presse du CLUB DE
L HORLOGE, ce prix * (au nom du biologiste soviétique qui imposa à la biologie
la tyrannie de l'idéologie) "créé en 1990, est attribué chaque année par le
Club de l'horloge à un auteur ou à une personnalité qui a, par ses écrits ou par
ses actes, apporté une contribution exemplaire à la désinformation en
matière scientifique ou historique, avec des méthodes et arguments
idéologiques"]
Attendu que la prévenue relate les conditions dans lesquelles le “ prix ”
lui a été “ attribué officiellement ” le 14 janvier 2004 devant cent cinquante
personnes, H. de LESQUEN ayant salué les mérites de Jacques Bénesteau((...) dont le livre est désormais recommandé par le Club de l'Horloge*'e t le
préfacier de Mensonges freudiens, Jacques Corraze, "ayant été acclamé et
ayant insulté Freud pendant une demi-heure", qu'elle ajoute quelle n'aurait
jamais porté cette affaire à la connaissance du public si le livre de Jacques
Bénesteau n'avait pas été primé par la SFHM, puis accueilli avec ferveur par
une grande partie de la presse scientifique et médicale française et
anglophone"
Attendu que l'auteur de l'article s'interroge sur les raisons de cet
accueil ; que les passages suivants, qui clôturent pratiquement te texte, sont
spécialement visés par la partie civile :
“ Mais pourquoi ? dans les deux cas, ils sont coupables de ne pas avoir
informé le public du contenu véritable de cet ouvrage, lequel, après avoir été
couronné pur des historiens de la médecine, a pu servir de modèle de
référence à l'une des officines les plus dangereuses de l'extrême droite
française.
On parle beaucoup aujourd'hui de l''antisémitisme des islamistes qui
fait des ravages dans les rangs d'une certaine ultra-gauche, Et si je me
félicite que l'on ait pu enfin démasquer l'antisémitisme de Tariq Ramadan,
"théologien "d'allure modérée,je souhaite néanmoins que L'on demeure vigilant
en ce qui concerne l'autre antisémitisme dont on affirme un peu trop vite qu'il
se serait éteint"
Sur le caractère diffamatoire des propos :
Attendu que le CLUB DE L'HORL0GE fait valoir que Mme
ROUDINESCO lui prête "des idées antisémites ” qu'il serait obligé de
masquer, qu'elle lui impute de contourner la loi pénale en évitant d'affirmer
au grand jour ses prétendues convictions antisémites", d'être "le laboratoire
d'idées de l'extrême droite" et " l'instigateur de l'autre antisémitisme" -
“ l'antisémitisme étant l'expression d'un sentiment ou d'une opinion contraire
à la loi"- et qu'elle lui attribue un "antisémitisme masqué" et " dangereux" :
Attendu que la prévenue répond que ses propos s'inscrivent dans un
débat purement doctrinal à caractère polémique et n'excèdent pas le cadre
du simple exercice de la liberté d'expression et de critique garantie tant par
le droit national que par la Convention européenne des droits de l'homme :
Attendu que l'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 définit
la diffamation comme “ toute allégation ou imputation d'un fait qui porte
atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel
le fait est imputé” qu'il doit s'agir d'un fait matériel précis, susceptible de
faire l'objet d'un débat sur la preuve de sa vérité, qui se distingue ainsi de
l'expression d'une opinion ou d'un jugement de valeur, autorisée par le libre
droit de critique, celui-ci ne cessant que devant des attaques personnelles ;
Attendu que Le CLUB DE L'HORLOGE, que ses statuts définissent
notamment comme “ cercle de réflexion politique ” et qui se présente
comme "un cercle de réflexion indépendant des partis politiques" et “ un
laboratoire de pensée parmi les plus actifs et les plus productifs de la droite
française ” articule et expose lui-même, à juste titre, que la prévenue lui
attribue des idées antisémites, l'obligeant à masquer sa pensée ;
qu'Elisabeth ROUDINESCO allègue que la partie civile est proche d'auteurs
de livres négationnistes ou antisémites dont elle critique vivement les
thèses et méthodes, en particulier celle consistant à remplacer le mot "juif"
par un autre terme ;
Attendu que la prévenue exprime ainsi son opinion personnelle sur les
idées et les méthodes de la partie civile ; qu'elle réagit à l'attribution du prix
de la SFHM au livre de J.BENESTEAU, recommandé par le CLUB DE
L'HORLOGE, et à celle du "prix" Lyssenko, en se livrant à une analyse
critique des modes de pensée et positions de l'association, qui peut être
librement publiée s'agissant de la mise en cause d'attitudes, de nature
intellectuelle, de la partie civile -qui relève donc du domaine des idées et
des opinions- et non d'une imputation relative a un fait matériel précis
susceptible de preuve ;
Attendu que le fait d'appartenir à l'extrême droite française ne porte
pas atteinte à l'honneur ni à la considération, s'agissant d'un courant politique
autorisé ; que la connotation “ dangereuse ” ne rend pas les propos
diffamatoires, dès lors qu'elle ne s'applique qu'aux idées dénoncées par la
prévenue ; que, dans le contexte de polémique politique et littéraire
entourant ce sujet d'actualité et d'interêt général, la prévenue n'a pas
dépassé les limites autorisées du droit de libre critique dans le cadre d'un débat d'idées ;
Attendu, ainsi, que les propos poursuivis ne sont pas diffamatoires ;
que le délit n'est pas constitué ;
Sur l'action civile :
Attendu que l'association LE CLUB DE L'HORLOGE est recevable en
sa constitution de partie civile, mais qu'elle doit être déboutée de ses
demandes, en raison de la relaxe prononcée ;
PAR CES MOTIFS
y :
Statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et
par jugement contradictoire a l'encontre d'Elisabeth ROUDINESCO et
(article 411 du Code de procédure pénale) à rencontre de Claude
LANZMANN, prévenus, par Jugement contradictoire (article 415 du Code
de procédure pénale) à l'égard de la société EDITIONS GALLIMARD,
civilement responsable, et par jugement contradictoire à l'égard de
l'association LÉ CLUB DE L'HORL0GE partie civile, et après en avoir
délibéré conformément à la loi ;
Prononce la nullité de la citation délivrée le 23 août 2004 à Claude
LANZMANN;
Rejette les exceptions de nullité et le moyen d'irrecevabilité soulevés par
Élisabeth ROUDINESCO ;
Renvoie Élisabeth ROUDINESCO des fins de la poursuite ;
Reçoit l'association LE CLUB DE LHORL06E en sa constitution de partie
civile ;
La déboute de toutes ses demandes
.
BENESTEAU ROUDINESCO
délibéré du 2 juin
PROCÉDURE D'AUDIENCE
Par acte en date du 3 septembre 2004, M. Jacques BENESTEAU a fait citer
devant ce tribunal, à l'audience du 30 septembre 2004, Mme Élisabeth
ROUDINESCO pour y répondre du délit de diffamation publique envers un
particulier, prévu et puni par les articles 29, alinéa premier, et 32, alinéa
premier, de la loi du 29 juillet 1881, à la suite de la publication dans la revue
Les Temps Moderne n° 627 avril, mai, juin 2004, parue le 17 juin 2004,
d'un article intitulé " Le Club de l'horloge et la Psychanalyse Chronique d'un
antisémitisme masqué*” en raison de passages qu' il juge attentatoires à son
honneur et à sa considération.
La partie civile sollicitait la condamnation de la prévenue a lui payer un euro
de dommages et intérêts et que soit ordonnée la publication d'un communiqué
judiciaire dans trois revues ou Journaux de son choix, outre sa condamnation
a lui verser une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de 1 article 475-1
du code de procédure pénale .
Lors de la première audience, le tribunal a fixé à 1.000 euros le montant de
la consignation qui a été versée le 23 novembre 2004, et renvoyé l'affaire aux
audiences des 25 novembre 2004 et 17 février 2005, pour relais, et 14 avril
2005, pour plaider.
La partie civile a fait citer à titre de témoins MM. Michel RONGIERE et
Jacques CORRAZE et la prévenue les témoins suivants au titre de la bonne
foi : Mme Élisabeth BOURDEAU DE FONTENAY, MM, Fethi BENSLAMA,
Jean-Pierre SUEUR, Jacques PEYROLLES et Roland GORI.
A l'audience de plaidoiries, M. BENESTEAU était présent, assisté de son
conseil, Mme ROUDINESCO comparante, assistée de son avocat.
Le conseil de la prévenue ayant soulevé avant tout débat au fond une
exception de nullité de la citation au motif qu'elle ne satisfaisait pas aux
exigences de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, le tribunal a d'abord
entendu ses explications sur cet incident, puis celles du conseil de la partie
civile, enfin les observations du ministère public, la prévenue ayant eu la
parole en dernier. Après en avoir délibéré le tribunal a joint l'incident au
fond.
Il a alors examiné les faits, interrogé la prévenue, entendu la partie civile et
procédé a l'audition des témoins cités par les parties, tous présents.
Il a ensuite entendu, dans l'ordre prescrit par la loi, le conseil de la partie
civile, le ministère public en ses réquisitions et le conseil de la prévenue qui
a eu la parole en dernier
À l'issue des débats l'affaire a été mise en délibéré et les parties ont été
informées, conformément aux dispositions de l'article 462, alinéa 2, du code
de procédure pénale, que le jugement serait prononcé le 2 juin 2005.
L'article poursuivi
La partie civile vise un article publié par Mme Élisabeth ROUDINESCO dans
la revue “Les Temps Moderne” - livraison des mois d'avril-mai-juin 2004,
parue le 17 juin 2004- sous le titre " Le Club de l'Horloge et la Psychanalyse-
Chronique d'un antisémitisme masqué" principalement consacré a la critique
d'un ouvrage de M. Jacques BENESTEAU, psychologue, spécialisé en neuropédiatrie et neuropsychologie, intitulé « mensonges Freudiens/Histoire d'une désinformation séculaire »
[Les passages cités dans l'exploit introductif d'instance sont figurés en gros]
Mme ROUDINESCO y fait part de sa " stupéfaction " d'avoir appris que
l'ouvrage de M. BENESTEAU avait été récompensé par le prix, décerné à
l'unanimité, de la Société française d'histoire de la médecine (SPMH) dont
elle avait été, dix ans auparavant, la lauréate,. et entend en dévoiler les
ressorts qui lui paraissent relever, sous couvert d'une « tradition
historiographique » de l'analyse critique du freudisme et « sous l'alIure
respectable » d'un travail universitaire apparemment documenté, d'une
réthorique antisémite qui s'efforce désormais d'avancer dissimulée.
Elle souligne d'abord que M « BENESTEAU présente la psychanalyse “comme
une invention mensongère » une "escroquerie” une « prodigieuse rhétorique
de désinformation » ajoutant : « comme on peut le constater le vocabulaire
ici renvoie à une méthodologie conspirationniste qui tend à réduire toutes
les formes d engagement a des stratégies policières fomentées par des
lobbies, et qui s'apparente à celle bien connue de Roger GARAUDY dont
le livre, Les mythes fondateurs de la politique israélienne, fut retiré de
la vente en France en 1995, en application de la loi Gayssot du 13 janvier
1990.
Relèverait selon Mme ROUDINESCO de cette “ théorie du complot ” que M
BENESTEAU chercherait à alimenter le fait qu'il se présente comme le
premier chercheur français à faire connaître des travaux anglophones
supposés inaccessibles alors que " plus de 60% de ces travaux étrangers sont
traduits en français, et que ceux qui ne le sont pas peuvent être consultés
dans toutes les bibliothèques spécialisées”.
Elle souligne ensuite que l'auteur des “Mensonges freudiens... ” aurait mêlé
deux textes du célèbre psychanalyste, écrits a la même époque mais dans des
cadres intellectuels fort différents - le premier est la conférence sur
l'hystérie masculine prononcée par FREUD le 15 octobre 1886 et la relation
que ce dernier en a fait dans son autobiographie publiée en 1925 en se
présentant comme ayant alors été victime d un ostracisme intellectuel de la
part des membres de la société savante; le second, un article de La Revue
juive dans lequel FREUD écrivait que " sa qualité de juif refusant de masquer
sa judéité a joué un rôle dans l'antipathie générale contre la psychanalyse” -
en en tirant la conclusion que FREUD se serait fait passer pour la victime de
persécution antisémite dont il aurait été, en réalité, l'inventeur
Mme ROUDINESCO cite alors un passage de l'ouvrage de M. BENESTEAU
dans lequel ce dernier précise qu'à VIENNE entre la fin du XIXéme siècle
et l'AnschIuss " plus de la moitié des médecins et des avocats étaient juifs,
et que la plupart des banques et la quasi-totalité de la presse étaient
contrôlés par des juifs.
Mme ROUDINESCO poursuit en dénonçant “Écrit par un adepte du courant
cognitivo-comportementaliste l'ouvrage de Benesteau mêle donc la démarche
scientiste à la pire rhétorique d'inspiration antisémite et négationniste : “ (…) ils sont partout, ils fabriquent des complots, se regroupent en réseaux pour infiltrer la société et y propager leurs mythes fondateurs”.
C'est à ce stade que se situe le cœur de la thèse défendue par Mme
ROUDINESCO :
« En France, différentes lois interdisent l'expression directe de propos
antisémites. En conséquence “les auteurs de livres négationnistes ou
antisémites, proches de l' « extrême droite française » et notamment du Club de l'HORLOGE ont pris l'habitude de remplacer le mot "juif" par celui de bolchevik ou de communiste. Ils inscrivent alors cet "ennemi dans les listes et ils l'accusent de
complots "communautaristes” de création de “ fausses sciences” ou de
constitution de "réseaux médiatico-politiques". Ainsi renouent” ils avec
I'héritage d'un discours classique qui, depuis l'entre-deux-guerres,
associe toujours le juif au bolchevik pour faire de ce nouveau Janus le
personnage paradigmatique d'une formidable entreprise de destruction de
la nation ».
“Autrefois qualifié de “youpin” I' "ennemi invisible", le juif, peut donc
prendre tantôt le visage du “judéo-maçonnique” tantôt celui ou “Judéo-
bolchevik” et enfin celui du "bolchevik" diabolisé pour cause de
"désinformation" ou de "fausse science” Ces désignations ne sont pas
nouvelles, depuis plus de deux siècles” elles ont trouvé place dans tous
les discours de la Contre-Révolution qui, de l'abbé Augustin Barruel aux
théoriciens de la Révolution nationale, ont toujours fait de la Révolution
de 1789 “ et donc de la Révolution "bolchevique" d'Octobre “ tantôt un
"complot maçonnique” fomenté par " une “conspiration" d'illuminés, tantôt
une “affaire juive" visant à inoculer le virus du "cosmopolitisme” dans le
corps sain de la Nation.
“Héritier de cette configuration, Jacques Benesteau effectue une
synthèse entre ce discours de la prétendue conspiration judéo-bolchevique
et le scientisme dominante. Et en cela, il se situe dans la droite ligne de
l'enseignement de Pierre Debray Ritzen, lequel avait publié il y a trente
ans, un livre tristement célèbre : “ La Scolastique freudienne”
"Pédopsychiatre, médecin des hôpitaux, doctrinaire de la Nouvelle droite,
l'auteur prétendait démontrer a l'époque que Freud s'était écarté des
sciences de la nature pour enfanter une escroquerie pratiquée par des
charlatans plus soucieux de faire proliférer le divorce et l''avortement que
de soigner des personnes en souffrance. Et il ajoutait à sa diatribe une
virulente attaque contre la religion Judéo-chrétienne hostile selon lui, à
l'éclosion d'une vraie science matérialiste. D'où la revendication, contre
la “ judéité" de la psychanalyse, d'un athéisme forcené fondé sur le culte
du paganisme “
“ Debray-Ritzen traitait la psychanalyse de "science juive" là où ses
actuels détracteurs la définissent comme une "science bolchevique”
L'ouvrage de Benesteau n'est donc rien d'autre que l'expression masquée
d'un nouveau retour du refoulé d'une certaine France chauvine et
réactionnaire qui, durant l'entre "deux-guerres” appelait "science boche"
la doctrine inventée par Freud laquelle deviendra ensuite, dans le
discours nazi une "science juive” et enfin, dans le contexte
d'aujoud'hui, une fausse science propageant des complots bolcheviques”
La psychanalyste rapproche alors les tendances quelle voit à l'œuvre dans
l'ouvrage de M. BENESTEAU de l'initiative que le Club de l'Horloge a pris à
son égard en lui décernant un “ prix Lyssenko” destinée à la stigmatiser en
sa qualité de seule femme et seule adepte des "mensonges freudien” et
qui fut l'occasion d'une "cérémonie " en plein cœur de PARIS, devant un
parterre de cent cinquante personnes bien encadrées par des gardes du
corps au crâne rasé" au cours de laquelle M. Jacques Corraze, membre du
jury du Club de l'Horloge" et, par ailleurs préfacier de “ Mensonges
freudien”, insulta Freud ses concepts, ses oeuvres et ses disciples".
Revenant alors sur les critiques louangeuses dont avait fait l'objet l'ouvraqe
qu'elle conteste, Mme ROUDINE5CO s'offusque que son "contenu véritable”
ait pu ne pas être percé à jour alors qu'il a pu servir de modèle de référence
à l'une des officines les plus dangereuses de “l'extrême droite française” et
conclut par ces mots
“On parle beaucoup aujourd'hui de l'antisémitisme des islamistes qui fait
des ravages dans les rangs d'une certaine ultra-gauche. Et si je me
félicite qu'on ait pu enfin démasquer l'antisémistisme de Tariq
Ramadan “théologien” d'allure modérée, je souhaite néanmoins que l'on
demeure vigilant en ce qui concerne l'autre antisémitisme dont on affirme
un peu trop vite qu'il se serait éteint. Car c'est bien ici, en France et
nulle part ailleurs, dans la France de Freud et de Lacan, que s'accomplit
sous nos yeux une jonction renouvelée entre ce qu'il y a de pire dans le
scientisme et ce qu'il y a de plus abject dans le discours anti-freudien".
Sur l'exception de nullité
La prévenue excipe de la nullité de la citation qui ne répondrait pas aux
exigences de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 par défaut de précision
sur les passages poursuivis.
L'article 53 dispose que la citation doit préciser et qualifier le fait incriminé
et indiquer le texte de loi applicable à la poursuite, l'objet de ce texte étant
de permettre à la personne poursuivie de connaître exactement et sans
aucune équivoque préjudiciable aux intérêts de sa défense, les éléments de
fait ou de droit dont elle va devoir répondre.
Or il convient de constater que l'exploit introductif d'instance paraît viser,
au premier abord, et comme cela résulte de la page 3 de ses motifs, l'article
de Mme ROUDINESCO dans son ensemble ("Cet article est parfaitement
diffamatoire à l'égard de M Jacques BENESTEAU". Il débute en rappelant
que etc,) tandis que le dispositif ne vise plus que les “ passages sus cités
sans que, de surcroît, la présentation formelle adoptée dans la citation qui
recourt à des caractères gras pour un seul des passages sur les treize cités
( “ l'ouvrage de BENESTËAU mêle donc la démarche scientiste à la pire
réthorique d'inspiration antisémite et négationniste”) ne permette de savoir
si celui-là seul serait poursuivi ou, comme l'indiquerait plutôt le pluriel du
dispositif, si tous le seraient.
La lecture de l'acte ne permet en aucune façon de dissiper l'imprécision qui
en résulte sur le champ des poursuites.
Ainsi, la phrase figurant en page 4 de la citation évoque-t-elle à nouveau
L'article dans son ensemble dans la rédaction suivante "en vérité, cet article
poursuit un objectif qui est principalement de décrire Jacques BENESTEAU
comme un antisémite forcené a l'occasion de ses critiques à l'égard de
FREUD et de ses adeptes et les conclusions de la partie civile sur l'incident
paraissent confirmer que telle était, en effet, son intention puisqu'elle écrit
en page 3 “en réalité l'ensemble de l' article doit être considéré" (souligné
par la partie civile), tout en ajoutant “en droit strict, le passage qui impute
directemen t à Jacques BENESTEAU des faits précis contraires a son
honneur et à sa considération est le suivant " l'ouvrage de BENESTEAU
mêle donc sa démarche scientiste à la pire rhétorique d'inspiration antisémite
et négationniste ce qui se trouve alors en contradiction avec ta référence
faite aux « passages sus-visés »dans le dispositif de l'exploit introductif
d'instance lequel fixe en tout état de cause, les poursuites.
L'incertitude qui résulte pour la prévenue des contradictions qui affectent
la citation quant au nombre de propos dont elle doit répondre (un seul, les
treize cités, ou l'article dans son entier, lequel comporte 13 pages) est, dès
lors, contraire à l'exigence de précision des poursuites que le principe de la
liberté d'expression commande et que l'article 53 de la loi sur la presse a
entendu consacrer, sous peine de nullité.
La nullité de la citation sera, en conséquence, constatée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier
ressort et par jugement contradictoire à l'encontre d'Elisabeth
ROUDINESCO, prévenue à l'égard de Jacques BENESTEAU, partie civile,
et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Prononce la nullité de la citation.
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