Mouvement de protestation en Belgique autour d'un projet de loi concernant le statut des psychologues

Nous avons reçu un certain nombre de textes et pétitions au sujet d'un projet de Loi en Belgique concernant le statut des psychologues. Ci-dessous la petition et un texte de commentaires. D'autres textes se trouvent sur differents sites en Belgique, notamment sur le site : www.psyapsy.net

La rédaction

Un projet de loi remettant gravement en question le statut et le travail des psychologues cliniciens risque d'être voté prochainement au parlement.

Le titre de psychologue étant protégé sur le plan légal, les patients bénéficient depuis quelques années d'une meilleure visibilité et de garanties concernant les compétences de ceux à qui ils s'adressent. Cependant, dans l'intention (louable) d'harmoniser les statuts des professions de la santé, la Ministre de la Santé Publique a résolu de paramédicaliser les psychologues cliniciens. Ceux-ci, jusqu'à présent autonomes dans leurs compétences et pratiques, risquent l'assujettissement de fait à une autorité et à une logique purement médicales. Il s'ensuivrait que désormais ce ne serait plus le patient mais le médecin (peu importe sa formation) qui déciderait de la marche à suivre pour aborder les difficultés psychiques. Or, il est essentiel que les patients aient un libre choix entre une médication et un entretien «psy» et que, de plus, ils bénéficient d'une totale discrétion concernant cette dernière démarche.

Le projet de loi sur l'exercice de la psychologie clinique, déposé sur le bureau du Conseil d'État malgré l'avis unanimement négatif des instances compétentes francophones en matière de santé mentale, constitue, quant au fond, une régression grave et, quant aux façons d'agir, un coup de force inacceptable. Il présente, en outre, de graves incohérences.

Dans l'optique du ministère de la Santé Publique, il s'agit de faire de la psychologie clinique - et ensuite de la psychothérapie - une sous-spécialité de la médecine sous son aspect le plus réducteur.

Cette hiérarchisation et cette technicisation vont à l'encontre de cinquante années de pratique en matière de santé mentale. Elles représentent un recul dramatique par rapport à la position de complémentarité et de collaboration fécondes entre les champs de la médecine technicisée et de la santé mentale. Elles ne peuvent que semer la zizanie entre praticiens de disciplines différentes. Ce sont les patients qui en pâtiront.

Si vous êtes d'accord de soutenir ce point de vue, nous vous demandons de bien vouloir signer cette pétition et de la faire circuler tout azimut.

IL Y A URGENCE, sans réaction massive du public, ce projet sera voté en février.

N.B. La pétition est à renvoyer soit :

à l'Association des Psychologues Praticiens d'Orientation Psychanalytique, 53, rue du Président, 1050 Bruxelles
soit, par courriel, à app.psy@skynet.be

REGARD CRITIQUE SUR LE PROJET DE LOI RÉGLEMENTANT L'EXERCICE DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE

(par insertion dans l'Arrêté Royal n°78 d'un chapitre 1er quater)

Façon de faire : le cabinet Aelvoet a élaboré ce projet dans la plus grande opacité, n'en faisant pas même part à ses alliés politiques les plus proches et faisant fi de toute autre concertation que de façade (ne tenant aucun compte, tout particulièrement, de l'avis négatif de la plupart des instances compétentes en matière de santé mentale, réunies par les soins de la Fondation Julie Renson). Le projet a été accepté par le Conseil des Ministres et soumis au Conseil d'État (procédure d'urgence) qui devrait se prononcer en février. Il sera soumis ensuite à la Commission de la Santé de la Chambre puis au vote de cette dernière, à moins que 15 sénateurs ne décident de son examen et de son amendement éventuel par le Sénat (procédure d'évocation).

Incohérence : le projet de loi scelle la dépendance des psychologues cliniciens par rapport aux médecins en les privant de toute autonomie dans le champ de la psychopathologie et en ne leur réservant l'approche autonome que des "problèmes" psychiques ' le domaine des "troubles" impliquant, pour le patient, le passage obligé par un praticien du corps médical. La distinction entre "trouble" et "problème" se réfère, selon le cabinet, au DSM (Diagnostical and Statistical Manual of Mental Disorders, progressivement imposé par la psychiatrie américaine en synergie avec les firmes pharmaceutiques). Les "troubles" (disorders) représentent près de 99% des codes du DSM. Les codes V du DSM-III (ou Z du DSM-IV), qui correspondent aux "problèmes", ne font que 4 pages sur 340 pages de codes. En outre, dans le champ de la clinique réelle, la distinction entre "trouble" et "problème" est factice et pratiquement inapplicable de l'aveu même du cabinet. Mais, soumis aux pressions, "il n'a pu faire mieux" (sic). Exemple de "problème" laissé au psychologue au sens du DSM : le "deuil non compliqué" (sic). Par ailleurs, la spécificité du DSM, invoqué par le cabinet pour baliser le champ de la psychopathologie en le réservant aux médecins, est précisément d'exclure du diagnostic psychiatrique la notion même de psychopathologie (sic).

Confusion : bien que le projet ait pour objet explicite l'exercice de la psychologie clinique et non la protection du titre de psychologue clinicien, la confusion titre - exercice, dans les textes, est constamment entretenue. La protection du titre de psychologue clinicien, pourtant en harmonie avec celle du titre de psychologue (votée en 1993), est la solution simple et efficace explicitement refusée par le cabinet de la Santé Publique, sous le motif que la protection du titre relève du ministère des Classes Moyennes (sic) et que la ministre de la Santé Publique ne veut pas se déposséder de ce dossier.

Argumentaire et définition :

- une loi verrouille une situation pour longtemps

- mieux vaut donc un bon statu quo qu'une mauvaise loi

- les psychologues cliniciens sont reconnus de facto par les pouvoirs publics et les instances privées à tous les échelons de la santé mentale

- la philosophie générale des textes réglementant l'"art de guérir" date d'une époque où la psychologie clinique n'existait pratiquement pas

- l'enseignement de la médecine - progrès technique obligeant - est devenu de plus en plus celui d'une ingéniérie bio-médicale. Les considérations anthropologiques et psychologiques ont pratiquement déserté le champ des programmes universitaires médicaux (même la psychiatrie tend à réintégrer le giron d'une pratique biologique au sens étroit du terme : c'est notamment le credo du DSM)

- complémentairement, mais dans un espace bien distinct, la psychologie a ouvert un large espace qui vient équilibrer le champ de la santé en réinterrogeant, de façon innovante et rationnelle, les registre oubliés par la médecine technologique de pointe

- une nouvelle loi ne peut faire l'impasse sur cette réalité

- basée sur l'étude scientifique des fonctions psychiques conscientes et inconscientes, de leur développement, de leurs interactions systémiques individuelles et groupales, la psychologie clinique applique ses connaissances à l'accompagnement du sujet humain dans un but d'allègement de ses souffrances, d'amélioration de sa qualité de vie et d'autonomisation de ses comportements

- elle n'est pas assimilable à la pratique de "soins de santé" au sens médical du terme

- l'Arrêté Royal n°78 sur l'"art de guérir" (Moniteur Belge du 14 novembre 1967) rebaptisé "arrêté relatif à l'exercice des professions des soins de santé" (Moniteur Belge du 1er septembre 2001) se base sur une logique purement médicale et organise le contrôle de son exécution par des instances essentiellement médicales

- ce cadre, historiquement révolu, ne convient pas aux psychologues cliniciens, qui participent d'une tout autre approche que celle régissant l'abord des maladies somatiques (gestion des dossiers, par exemple)

- les médecins (certains psychiatres exceptés) n'ont aucune formation consistante, ni théorique ni pratique, en psychologie clinique. En leur permettant de la pratiquer sans restriction, le projet confirme une situation de fait antérieure au développement scientifique et à l'enseignement systématisé de la psychologie clinique

- il n'est dès lors concevable d'entrer dans le cadre de l'Arrêté n°78 que via une refonte permettant la mise sur pied d'égalité des psychologues et des médecins, dans la complémentarité, la réciprocité et le respect des compétences de chacun

- le projet, au contraire, inféode la pratique de la psychologie clinique au feu vert ou clignotant du pouvoir médical. L'autonomie professionnelle des psychologues n'est en rien respectée par cet écrit ne correspondant nullement à la réalité du terrain (autonomie de fait du psychologue en exercice privé, Service de Santé Mentale, Centre de Planning, etc.)

- en outre, le pouvoir de décision laissé aux institutions universitaires est excessif (représentation à plus de 50% - 9 académiques, 7 cliniciens - au sein du Conseil National de la Psychologie Clinique, alors qu'il s'agit de pratique clinique et non de formation)

- ajoutons que les actes de la psychologie clinique, tels qu'énumérés par le texte, couvrent de fait le champ entier de la pratique psychothérapeutique (diagnostic et traitement) qui se voit dès lorsentièrement paramédicalisée. En conséquence, il ne faut rien attendre de bon d'un projet de loi (annoncé) sur la psychothérapie s'il prend appui sur un terrain à ce point miné

- last but not least : exposés aux contraintes d'une paramédicalisation de fait dénuée de fondements cliniques et scientifiques, les psychologues cliniciens et leurs patients ne bénéficient même pas du "lot de consolation" que serait, dans ce cas, leur entrée dans le système de remboursement de l'INAMI. Afin de ne pas effaroucher le législateur, le texte de présentation du projet a soin de préciser qu'il n'en est pas question

- en bref, cette proposition de loi, quelles que soient ses intentions affichées, ne peut que nuire aux patients en semant la zizanie entre psychologues et médecins. Il constitue une régression grave par rapport à la situation globalement satisfaisante des pratiques réelles en psychologie clinique. Il crée arbitrairement, en outre, deux catégories de psychologues : les paramédicalisés de fait et les autres. Le Ministère de la Santé nous ramène aux jours les plus agressifs du corporatisme médical. Quotidiennement pourtant, les psychologues cliniciens collaborent spontanément et efficacement avec leurs collègues médecins. Il y va d'un sens élémentaire de la responsabilité clinique et de l'application de leur propre déontologie. Cela se passe ordinairement fort bien : dans la réciprocité et le respect de la spécificité de chacun ' pour le plus grand bénéfice du patient.

Francis Martens,
Président de l'Association des Psychologues Praticiens d'Orientation Psychanalytique ( APPPsy ), membre du Bureau de l'Association des Services de Psychiatrie et de Santé Mentale de l'UCL ( APSY-UCL ), membre de la Fédération Belge des Psychologues - Belgische Federatie voor Psychologen ( FBP-BFP, ASBL ).