Mise à mort des Conseillers d'orientation-psychologues.

L’adolescence est au cœur de nombreux colloques. Parmi ceux qui interviennent auprès des adolescents, il y a les Conseillers d’orientation-psychologue (en raccourci copsy). Les pouvoirs publics ont clairement choisi de ne retenir de la problématique de l’orientation que le volet de l’adaptation au marché du travail. Ils s’opposent aux professionnels qui mettent au contraire au centre de leurs préoccupations l’élaboration progressive avec l’adolescent d’une formation dans laquelle celui-ci puisse s’épanouir. Laure Minève et Lise Clairon expliquent ici le sens de leur travail.

LLV

Mise à mort des Conseillers d’orientation-psychologues.

Par Laure Minève et Lise Clairon, le 6 avril 2010

La psy du CMP :

Mme X : Allô ? Madame W ? Je suis Mme X, psychologue au CMP de Boum.

Je me souviens de vous ! Il y a quelques années, nous nous étions parlé d’un jeune homme que je n’ai rencontré que peu de fois au CMP. C’est vous qui me l’aviez adressé. Ce « pré ado » comme on dit aujourd’hui, passait toutes ses nuits, aux dires de sa mère, sur son ordinateur à chatter avec des inconnus. Il ne sortait jamais pendant le week-end, accumulait les mauvaises notes et tenait ses profs à distance. Madame B, sa mère, vivait seule avec lui et semblait perdue, ne savait que faire de lui. Tel était le tableau : un ado qui faisait des siennes, tenait sa mère en haleine, la tyrannisait. J’ai eu le sentiment que vous l’aviez tiré d’affaire. Vous en souvenez-vous ? Madame B. m’a longtemps parlé de vous avec émotion. Quelles furent vos armes, vos moyens ?

Mais qui êtes vous exactement ? Conseillère ? Copsy ? Pas psychologue scolaire ? Je voudrais vraiment savoir ce qu’est un « copsy » ? Est-ce un conseiller d’orientation ? Je ne saisis pas bien la nuance. Y-en-a-t- il une au collège ? Parce qu’il faudrait que je vous parle d’Alex, que je rencontre régulièrement au CMP depuis peu. Il a 15 ans, il est en 3ème. Hier soir, il m’a dit qu’il avait de trop mauvaises notes pour pouvoir passer en « générale ». Et cela l’ennuie beaucoup, malgré son niveau catastrophique, comme s’en plaint sa mère. Une lueur cependant s’est montrée dans ce désert, et d’ailleurs, c’est grâce à cette passion qu’il vient à présent me rencontrer régulièrement de lui-même : Alex fait du violon et il le travaille chaque jour davantage. Et plus : timide, murmurant sans oser affirmer le moindre désir, il précise aujourd’hui un peu rougissant cependant, qu’il peut passer des auditions, jouer devant des parents d’amis, et cela sans terreur. Depuis que j’ai pris l’option de m’intéresser particulièrement à sa passion et à sa façon d’en parler, depuis que je lui ai dit que son appétence au violon était un point précieux, Alex se présente à ses rendez-vous avec moi presque avec empressement alors qu’il m’arrivait, maintes fois de l’attendre... Alex m’a dit hier qu’il ne pourrait finalement pas du tout rencontrer le conseiller avec sa mère comme il le souhaitait car ce dernier ne peut le recevoir que le mercredi après-midi, et sa mère travaille...Le conseiller lui aurait dit d’aller sur un site Onisep ? C’est quoi ça ?

La conseillère d’orientation-psychologue :

Mme W : - C’est un site d’information sur les « métiers et les formations. Il y a aussi un « quiz métier ». Je suis assez sceptique concernant cette rubrique, car elle ne peut en aucun cas se substituer à un entretien mais parfois ça aide certains élèves. Mais parlons plutôt d’Alex qui peine à rencontrer sa conseillère d’orientation-psychologue. Je suis étonnée qu’un ou une de mes collègues lui ait dit d’aller, comme ça, sur le site, sans entretien. Ce n’est pas trop la politique de la maison... !!!

Quant à la conseillère d’Alex, elle a forcément une autre demi- journée de permanence que le mercredi après-midi même en alternance avec une autre collègue si elle ne travaille pas à plein temps. Par ailleurs, elle assure aussi une permanence au collège où est scolarisé Alex. Mais il est vrai que si Alex tient absolument venir consulter avec sa mère, c’est un peu problématique au regard des horaires d’ouverture des CIO et des établissements scolaires.

Mais pourquoi tient-il tellement à venir au CIO avec sa mère ? Qu’est-ce qui l’empêche de venir seul ? Que souhaite-t-il entendre, de la bouche du conseiller d’orientation-psychologue, qui fasse écho chez sa mère ?

Passons à vos autres questions : Non, je ne suis pas psychologue scolaire. Ceux-ci travaillent dans le 1er degré et ont dû exercer comme instituteurs ou profs des écoles avant de pouvoir prétendre à devenir psychologue scolaire. En ce qui concerne les conseillers d’orientation-psychologues, vous me demandiez très justement pourquoi les élèves, leurs familles n’entendaient pas le mot « psy ». Je vais essayer d’y répondre, car je crois qu’est là tout le nœud du problème...

Les élèves n’entendent pas qu’on est psychologues. Le terme est occulté. Certains s’étonnent même qu’on ait fait des études de psycho. D’autres ricanent quand on se présente en début d’année dans leur classe :

Mme W : - Bonjour, je suis Madame W, conseillère d’orientation - psychologue. Des élèves : - Vous êtes psychologue, Madame, mais on n’est pas fous ! Et faut combien d’années pour être psychologue ? 5 ans ? Pour faire ce que vous faites ?

Par ailleurs, les chefs d’établissement nous présentent comme conseillers d’orientation et les profs aussi. Cela n’arrange rien à la perception que les élèves ont de nous. Pour l’administration et les équipes éducatives, on est psychologue dans un cadre bien précis qui est celui de l’orientation. Beaucoup ignorent qu’on sort de formation à bac + 5 et que beaucoup d’entre nous ont un DESS ou un master de psychologie. Mais on a beau leur répéter, ça glisse... Cela dénote pour moi un total manque de respect à l’égard de ce que nous sommes, de nos compétences, de notre formation initiale ! Devenir conseiller d’orientation-psychologue se fait souvent après une période de chômage plus ou moins longue après l’obtention du diplôme. Quand on a déjà un DESS ou un master, passer un concours sur la base de la licence de psychologie, puis suivre 2 années de formation très lourdes pour obtenir le DECOP (diplôme d’état de conseiller d’orientation-psychologue) n’a rien de très attrayant. Mais je crois que le terme de psychologue au sein de l’éducation nationale dérange car deux logiques différentes, celle de l’Ecole et celle des conseillers d’orientation-psychologues s’opposent. L’une de ces logiques viendrait prendre sa place dans le signalement d’un « cas ». Là, l’institution scolaire attend du conseiller, que ce dernier confirme un diagnostic préalablement établi. On a alors recours au « spécialiste » de l’orientation pour justifier la légitimité de la demande, à savoir qu’un élève n’a pas sa place au collège mais qu’il serait mieux en EGPA (1) , qu’il n’a pas sa place en EGPA et serait bien plus à l’aise en IME (2) ou en IMPRO (3) quand il ne s’agit pas de l’envoyer en hôpital de jour... Les équipes éducatives nous placent dans la position de l’expert, c’est-a-dire qu’elles attendent qu’on abonde dans le même sens qu’elles. Ainsi on ne nous reconnait comme psychologue qu’au travers de l’expertise et, souvent, de l’outil test.

Mme X : - L’outil test ? Encore un gros mot ! Vous en faites beaucoup ? Car les parents nous demandent aussi d’en faire passer en CMP...

Mme W : - Là tout dépend du collège dans lequel on travaille et de la personnalité de chaque conseiller, de la manière dont on analyse la demande. Personnellement, la psychométrie n’est pas ma tasse de thé. Ajoutons que les CDO veulent des chiffres, un QI sans lequel le dossier d’un élève ne sera pas étudié. C’est toujours la primauté du chiffre, de l’évaluation... Pour le reste, ce qui relève de l’écoute d’un(e) adolescent(e) en difficultés, nous ne sommes jamais sollicités. Les chefs d’établissements font appel à des psychologues cliniciens, embauchés dans le cadre de la réussite éducative et financés par le Conseil Général. Ces psychologues, mettent en place « des points écoute » dans les établissements scolaires, alors qu’ils ont leur structure propre, où les élèves pourraient tout à fait se déplacer comme ils le font au CIO.

Quant aux profs, aux chefs d’établissement, ils n’ont cesse de répéter que « ce n’est pas le même travail, et vous n’avez pas le temps » et c’est pénible, parce que ... C’est méprisant. Et s’il n’y avait que ça...

Et pourtant ce n’est pas faute d’avoir défini mon positionnement de psychologue.

Mais tout ça est très complexe parce que, en fin d’année, les élèves doivent faire 4 vœux d’orientation et c’est encore plus compliqué pour ceux qui n’ont pas le niveau pour passer en filière générale. Quatre vœux et classés hiérarchiquement. L’adolescent va mettre en 1er vœu ce qui l’intéresse le plus. Par exemple : « bac pro commerce ». Le taux d’attractivité de ce bac est énorme. En gros, « taux d’attractivité énorme » signifie qu’il y a plus de demandes que de places disponibles. Les enseignants vont alors conseiller aux élèves dont les notes sont trop justes pour obtenir cette filière d’indiquer d’autres vœux qu’il aura plus de chances d’obtenir. Vous voyez la perversité du système.

Mme X : - Vous m’éclairez beaucoup car plusieurs adolescents qui viennent consulter en CMP témoignent de ce point, qui les serre à la gorge apparemment, très tôt dans l’année. Je viens de recevoir une jeune fille, qui régulièrement, m’évoque avec angoisse ses... quatre « vœux de fin d’année ».

Mme W : - Oui, dès le début de l’année l’adolescent est mis dans une situation que n’importe quel adulte vivrait comme insupportable. Je crois que les profs et, de manière générale, les adultes, transmettent leurs propres angoisses aux adolescents. Cela ne leur donne guère envie de venir nous voir ! Et vers la fin de l’année, les enseignants vont nous adresser des élèves en espérant qu’on va les convaincre d’indiquer un autre vœu. Les profs, les chefs d’établissement, pensent que nous sommes là pour donner des renseignements sur la bonne filière, celle qui correspondra le mieux au profil des élèves, alors que l’orientation est un PROCESSUS et que ça prend du temps. Mais en fin d’année, le spectre qu’un élève « n’ait aucune affectation à la rentrée » prédomine et l’élève va choisir une filière, n’importe laquelle pour répondre à une demande institutionnelle. C’est ainsi, que l’on entendra souvent : « j’ai été mal orienté ». Confusion constante entre l’orientation et l’affectation. Dans tout ça, la psychologie est totalement inexistante. On ne se préoccupe guère dans l’institution scolaire d’entendre à quel point il est difficile pour un collégien ou un lycéen de se projeter dans le futur. Et quand bien même un élève se présente : avec quelle demande le fait-il ? Et quelles questions non dites se cachent-elles derrière cette demande ? Quel besoin de réassurance pour son avenir l’adolescent (e) dépose-t-il (elle) dans le bureau du conseiller ? La question de l’orientation d’un élève apparaît à ce moment bien particulier l’adolescence, moment où il n’est pas aisé de faire des choix. Et il n’y a pas ou rarement de réponse immédiate à donner. Un entretien d’orientation déstabilise parfois car il ébranle des certitudes depuis longuement établies : parce que souvent un choix d’orientation ne peut se faire qu’en acceptant de dépasser son père ou sa mère et dans la psyché de l’adolescent, voire de jeunes adultes il y a là une trahison impossible à soutenir

A contrario de ceux qui n’entendent pas dans l’intitulé de conseiller d’orientation-psychologue le terme de psychologue, d’autres ne retiennent que ça. Et là aussi question ? Cet intitulé de conseiller d’orientation-psychologue est trop long. Ça laisse supposer à certains qu’on ne sait qu’informer... Il aurait fallu, comme le souhaitent toujours les psychologues du 1er degré, un corps unique de psychologues de l’éducation intervenant de la maternelle à l’université. Mais certains syndicats de copsys tenaient farouchement à ce que le terme d’orientation apparaisse. Je pense qu’ils ont eu tort.

Mme X : - Et actuellement quel est le problème des CIO et des copsy ?

Mme W : - Des CIO disparaissent ou fusionnent entre eux, ce qui rend caduque la logique d’un service de proximité pour le public. Prenons l’exemple de Paris. En 1989, il y avait 20 CIO de « secteur scolaire » soit un CIO par arrondissement auxquels il fallait rajouter des CIO spécialisés dans le domaine de la justice, du handicap et de la « communication ». Il ne reste plus sur Paris qu’une petite moitié des CIO de secteur. Le CIO de « jeunes diminués physiques » a été supprimé, comble de l’ironie, au moment même où la loi sur le handicap voyait le jour. Un peu partout, en France, on ferme des CIO et on regroupe le personnel sur un CIO qui reste ouvert. Cette situation est liée au fait que le processus d’étatisation des services engagé dans les années 70 est resté inachevé... (voir le n°9 du Snes copsy de mars 2010). En effet, les CIO qui ferment sont départementaux et financés par les conseils généraux qui ne veulent plus payer. C’est très inquiétant car Les CIO sont des lieux NEUTRES où toute personne peut venir. Les supprimer, les regrouper, dans des méga pôles à l’instar des hôpitaux, c’est leur faire perdre leur identité et la qualité du service rendu.

Ajoutons maintenant qu’en ce qui concerne les conseillers d’orientation-psychologues, sur 6 départs à la retraite, un seul poste est remplacé. Or, un conseiller d’orientation-psychologue qui travaille à plein temps partage son activité entre 3 établissements scolaires, sans compter des permanences d’accueil et de prise de rendez-vous au CIO.

Quant au recrutement des copsy : il y avait 250 postes au concours en 2000, le chiffre monterait à 65 cette année car le ministère a rétabli le concours interne... De plus, les conseillers ne recevraient plus d'enseignement de psychologie durant leur formation, l’Assemblée nationale et le Sénat, inspirés par les multiples rapports nous concernant ont considéré qu’il n’y avait pas besoin de connaissances en psychologie pour « faire de l’orientation »... Ainsi la formation des conseillers serait exclusivement centrée sur les métiers et la formation. Abandonner la psychologie dans la formation des conseillers c’est donner la primauté à l’économique, demander aux conseillers d’être dans la logique de l’adéquation formation-emploi au travers du dispositif « Parcours de Découverte des Métiers et des Formations » (circulaire du 17 juillet 2008) où on nous demanderait encore d’intervenir. Etre capables d’écouter et d’entendre au-delà des mots/maux relèverait encore plus qu’aujourd’hui du dérisoire. Or, quant on sait par un communiqué de presse, du 24 mars 2009, réalisé signé par 7 organisations professionnelles de psychologues, que la formation des psychologues scolaires (1er degré) se ferait désormais sur la base d’un master « métier de l’éducation et de la formation », qui ne leur donnerait pas le titre de psychologue, il n’y aurait plus à terme de psychologues au sein de l’éducation nationale.

1 Etablissement Général d’Enseignement Adapté

2 Institut Médico-Educatif

3 Institut Médico-Professionnel