Lettre aux psychanalystes français

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un de nos collègues italiens, participant à l'Aire Méditerranéenne de psychanalyse, nous a transmis ce texte.

Lettre aux psychanalystes français

Giovanni Sias

[... ] si nous pouvons apporter une vérité d'une rigueur plus juste, n'oublions pas que nous le devons à la fonction privilégiée : celle du recours du sujet au sujet, qui inscrit nos devoirs dans l'ordre de la fraternité éternelle: sa règle est aussi la règle de toute action à nous permise.

J. Lacan

Chers amis et collègues,

J'ai suivi avec attention vos débats et vos positions autour de la loi sur les psychothérapies.

Il y a quinze ans en Italie nous avons vécu la même passion, les mêmes préoccupations et les mêmes inquiétudes. Le débat était serré et beaucoup d'entre nous produisirent des documents, firent des déclarations, dénoncèrent l'homogénéisation qu'aurait subie la pratique analytique normativée par une loi d'état. On dénonçât avec clarté l'impossibilité de régler la relation analytique par une loi d'état en affirmant que la spécificité de la psychanalyse qui résulte de la reconnaissance de l'Inconscient, ne peut être ramenée à celle d'une des nombreuses psychothérapies. Beaucoup d'entre nous se sont alors souvenu des préoccupations de Freud qui, jamais comme en ce moment, furent présentes en Italie avec tant de vérité.

"Nous désirons moins que tout au monde que la psychanalyse soit engloutie par la médecine et finisse par trouver une place dans les traités de psychiatrie au chapitre thérapeutique [...] Elle mérite un meilleur destin et j'espère qu'elle l'aura […] L'usage thérapeutique de la psychanalyse est seulement une de ses applications [...] mais les possibilités internes de développement de la psychanalyse qui sont celles qui comptent, ne peuvent être frappé par des obligations ou des interdits." (Die Frage der laienanalyse, 1926)

Je retrouve dans votre débat tout ce que nous avons vécu alors avec beaucoup d'appréhension pour le futur de la psychanalyse et des psychanalystes. Je retrouve aussi les même positions que vous soutenez aujourd'hui rigoureuses, précises et justes, sur le plan théorique et sur le plan des idées en soutien du discours analytique et de la liberté de sa pratique.

Comme vous savez, à la fin, toutes ces précisions et ces déclarations n'eurent aucun effet, la proposition de loi suivit son cours et l'Etat italien décréta la loi sur la reconnaissance légale des psychothérapies.La loi appelée "Loi Ossicini", du nom de son promoteur fut approuvée en juillet 1989. Ainsi fut constitué l'Ordre des psychothérapeutes et furent décidées les règles permettant d'accéder à la reconnaissance des psychothérapeutes et de leur formation. Mais en attendant beaucoup de psychanalystes soit adhérents à l'I.P.A. soit lacaniens, avaient témoigné de leur présence et énoncé la réalité qui les concernait

La loi italienne sur les psychothérapies n'est pas mal. Elle est peut-être ce qu'une loi peut produire de mieux et juste assez confuse pour provoquer quelques tourments aux juristes. Aux premiers procès faits aux psychanalystes qui ne s'étaient pas mis en règle en demandant leur inscription sur la liste des psychothérapeutes, les juges ne sachant pas bien comment se comporter au regard de la loi, les ont acquittés.

Un cas curieux si vous voulez, mais la loi italienne ne tient pas compte de la psychanalyse et avec l'introduction de cette loi sur les psychothérapies la psychanalyse n'existe plus et le psychanalyste non plus au niveau social juridique, fiscal et civil. Au mieux il a la même citoyenneté qu'un chercheur non inscrit dans une quelconque institution professionnelle ou commerciale. Son statut est semblable au statut de l'artiste dont la présence est liée à son discours uniquement.

Giancarlo Ricci, dans sa «Préface » à la traduction italienne du livre d'Elisabeth Roudinesco Pourquoi la Psychanalyse écrit que, suivant la loi Ossicini où la psychanalyse n'est jamais mentionnée dans l'énumération des orientations de la psychologie et de la psychothérapie, celle-ci restait abandonnée dans une « terre de personne ». Référence intéressante qui postule la frontière, lieu dans lequel coexistent deux langues, deux monnaies, deux législations.

Quoi qu'il en soit, la loi italienne contient de nombreux paradoxes : la psychanalyse n'étant jamais nommée, elle n'existe donc pas et seules existent les psychothérapies auxquelles on reconnaît un statut scientifique, critère qui légitime leur usage dans un lieu privé ou institutionnel.

Et le psychanalyste ? Il n'existe tout simplement pas. En Italie personne ne peut mettre une plaque ou imprimer une carte de visite avec l'inscription "psychanalyste" et la rendre publique. Le faire signifie être immédiatement traduit en justice pour abus de profession par l'ordre des psychothérapeutes. La seule indication autorisée est celle de psychologue psychothérapeute ou de médecin psychothérapeute. Ceux qui, au moment où la loi est entrée en vigueur, n'étaient ni médecin ni psychologue et n'ont pas demandé à être inscrit, à une date donnée, sur la liste des psychothérapeutes n'ont de fait et de droit plus d'existence. Tout cela, vous le comprenez, introduit à une situation extraordinaire, exceptionnelle. La devise redevient après Freud, pour être le voeu des psychanalystes: navigare necesse est, vivere non necesse. Le voeu et le pari de piloter un navire toujours assailli par les vagues du pouvoir sans faire naufrage.

Quand la loi est entrée en vigueur, j'ai vécu des jours de grande inquiétude et de grand embarras. Je ne savais plus quoi faire et j'interrogeais les amis et les collègues. Cette année là j'avais un séminaire sur le cas clinique de Dora à l'Université de Gènes. Je craignais comme tout te monde ce que l'avenir allait me réserver. Je n'avais plus que quelques jours pour me décider à adhérer à l'acte de régularisation de l'article 32 de la loi qui autorisait les personnes qui, ayant travaillé dans le champ des disciplines psychologiques à un titre quelconque, diplômé ou non, voulaient demander leur inscription sur la liste des psychothérapeutes. Nous étions alors à la fin de l'année universitaire et nombre d'amis me poussaient à demander mon inscription. Je me souviens encore de la soirée au cours de laquelle, à table avec le président de l'ordre des psychologues de Gènes, il me poussait à m'inscrire en m'offrant l'inscription au tableau de Gènes alors que j'habitais Milan. Le changement de lieu de résidence n'étant qu'un petit ennui et je serai ainsi devenu un psychothérapeute de plein effet. Durant ces semaines il s'était produit une pagaille intéressante et divertissante dans les milieux analytique et psychologique. Laissons de côté les psychologues pour nous intéresser au pli bizarre que prenait le débat chez les analystes. Après les déclarations, les analyses, les débats et les contre-débats, les affirmations convaincues sur la spécificité de l'analyse, l'angoisse du lendemain prenait le dessus. La peur de ne plus pouvoir travailler, la crainte d'être exclus de possibles charges institutionnelles, la vision d'épouvante d'un futur incertain servirent pour oublier toutes ces déclarations qui, jusqu'aux quelques jours précédents étaient si convaincues, déterminées, intransigeantes. Pas assez déterminée sans doute mais certainement trop intransigeantes comme s'il s'agissait d'exorciser leurs propres craintes. Mais ceux aussi qui n'avaient rien à craindre dans le futur, ayant celui-ci garanti par des patrimoines personnels ou familiaux, couraient aux abris avec la justification qu'ainsi ils n'auraient plus à verser l'I.V.A (impôt sur la valeur ajoutée de la loi fiscale italienne) et qu'ainsi ils auraient simplifié leur comptabilité. Mais aussi bien cette justification trahissait la peur qui tramait en ces jours de ne plus pouvoir ouvrir leur cabinet. Peu importait à la fin que les factures se transforment en honoraires médicaux.

Toutes ces craintes comme toutes ces déclarations intransigeantes, replacées dans une rétrospective historique, ne représentaient rien que la conscience, à laquelle on aurait préféré n'être jamais confronté que, avec l'entrée en vigueur de la loi sur les psychothérapies, la charge de la démonstration qu'on pratiquait la psychanalyse et non la psychothérapie était proposée à chaque analyste au cas où il serait cité en justice, pour répondre de son activité propre : pourquoi et de quelle façon est-on analyste et non psychothérapeute? Quelle est la distinction à établir pour qu'un juge, un quelconque juge d'un tribunal d'état reconnaisse que l'activité de psychanalyste est réellement étrangère à l'activité du psychothérapeute et que, de plus, les deux activités ne sont pas seulement incommensurables entre elles mais qu'il n'y a aucune confusion à craindre, ni théorique ni pratique par rapport à ceux qui s'adressent à l'analyste et non pas au psychothérapeute? Où se reconnaît, dans la théorie et là pratique, qu'une analyse différemment d'une psychothérapie, ne rentre pas dans les critères de soin et de guérison selon une pratique médicale? Et pourquoi donc celui qui pratique la psychanalyse ne serait-il pas tombé dans le délit d'abus professionnel ou même d'abus de la profession de médecin ?

Ce fut peut-être par un sursaut d'orgueil ou peut-être un lapsus que la journée de la date limite de l'échéance pour la demande d'inscription qui m'aurait fait entrer dans le rang dans l'acte de régularisation du fameux article 32 passa... Et s'acheva sans que j'expédie à l'autorité compétente apte à la recevoir ma demande d'adhésion. Ce soir là, mon ami président de Gènes me téléphona pour me proposer à nouveau de lui envoyer la documentation et me dire qu'il aurait tenu en réserve un numéro d'ordre valable pour l'enregistrer. Ce fut alors la première fois que je dis, et je m'entendis le dire: Non ! Merci; j'avais décidé de ne pas m'inscrire au tableau des psychothérapeutes. Je perçus un certain souci à l'autre bout du fil : comment allais-je faire ? Quel sens cela avait-il de courir de tels risques ? Pourquoi justement moi vu que tous avaient couru se faire inscrire? J'aurais très bien pu faire l'analyste tout en étant inscrit à l'ordre des psychothérapeutes, tout le monde le sait ! Et au fond que change une inscription quand sa pratique est authentique? Et puis j'aurais eu ainsi de meilleures garanties non seulement institutionnelles mais aussi professionnelles ! Quel médecin dans ces conditions m'aurait adressé des patients ?

Je répondis en remerciant mais que désormais j'avais décidé. De plus il ne m'était jamais arrivé de recevoir aucun patient adressé par un médecin ! Ma pratique s'était constituée ailleurs, en dehors des canaux médicaux ou psychiatriques et j'aurais pu continuer à vivre avec le peu de patients qui seraient parvenu jusqu'à moi. Je le dis puis... je ne pus dormir deux nuits d'affilée. Par la suite j'appris que je n'était pas le seul à avoir assumer une position aussi radicale et que d'autres, peu nombreux il est vrai, membres de l'I.PA. ou lacaniens avaient pris la même décision.

Il m'arrivait ainsi une chose que, jusque peu de temps avant je n'aurais pas cru possible : reconnaître l'existence de la psychothérapie à travers une de ses particularités qui la fait dériver du discours scientifique occidental. Au fond j'acceptais la loi pour autant qu'elle instituait et ainsi, en l'acceptant je m'en déclarais étranger. Accepter l'existence de la psychothérapie voulait dire entrer dans une nouvelle conscience : pour le moins la conscience, soulignée par la loi italienne, que la psychanalyse n'existait pas. Et ainsi nous voilà ramenés aux travaux d'Hercule de Freud que Lacan a plusieurs fois soulignés. La pensée occidentale et particulièrement son rationalisme ne peut accueillir la psychanalyse dans son système. Ceci doit nous convaincre que la psychanalyse n'est jamais donné une fois pour toutes, et qu'il n'est pas suffisant de citer Freud, Lacan, Klein, Bion ou tout autre faisant partie de notre patrimoine théorique ou intellectuel pour affirmer que la psychanalyse existe. Ces noms qui appartiennent à notre histoire sont condition nécessaire pour l'existence de la psychanalyse et des psychanalystes mais non condition suffisante. En ce moment de notre histoire, personne n'avait envisagé cette éventualité tout au moins en Italie : la psychanalyse existait et personne ne nourrissait de doute à ce sujet. La loi sur les psychothérapies au contraire a mis en évidence que la psychanalyse n'existe que si elle est dans le discours de l'analyste. Elle n'existe pas si le psychanalyste ne la fait pas exister dans son langage et dans sa pratique. La psychanalyse n'existe pas sans la pratique analytique et sa production théorique. Freud, Lacan, Jones, Ferenczi et tous nos possibles maîtres ne suffisaient plus. Il y fallait - et Lacan fut en cela un précurseur précis et rigoureux de la réalité - du psychanalyste.

Ceci était rendu évident par le fait que la loi reconnaissait sur le plan juridique et formel la psychothérapie comme partie du discours scientifique et médical; à partir de sa pratique et de ses techniques on pouvait ainsi instituer une déontologie et donc reconnaître aux disciplines psychothérapiques une importance sociale. Tout ceci ne faisait que confirmer que la psychothérapie existe en tant que telle, conforme aux critères de scientificité du discours occidental alors que, la psychanalyse n'existe pas, n'a pas d'existence scientifique en Occident. Elle existe pour autant que l'analyste assume la responsabilité de la faire exister. D'autre part comme nous l'avait dit Lacan dans son troisième séminaire, l'aversion à l'encontre de Freud ne pouvait en aucune façon être déterminée par son discours sur la sexualité (y compris la sexualité infantile) ni la psychanalyse être accusée d'irrationalité, en ces temps de diffusion de théories irrationnelles et intuitionnistes. Non ! La vérité est que Freud introduisait un autre critère de rationalité scientifique, une autre rationalité et un tel critère n'est pas applicable à la science occidentale et ne peut avoir aucune possibilité de reconnaissance.

Donc quelle science pour la psychanalyse si le discours scientifique reconnaît comme son émanation les seules psychologies, psychothérapies et la psychiatrie ? Sur cette question les textes de Lacan sont indispensables pour la pensée occidentale mais plus suffisante. La Weltanschauung scientifique à découvert son jeu et si nous avions nourri l'illusion de lui appartenir désormais nous voilà éclairés sur le seul niveau possible de cette appartenance. Tout reste encore à élaborer et de nouveau la psychanalyse doit re-élaborer son existence à l'intérieur du discours occidental. Sinon elle déchoit et meurt exactement comme Freud l'avait dit à propos d'une espèce qui succombe par les défaites subies, alors que le monde se transforme au point que les adaptations atteintes par l'espèce ne sont plus suffisantes (Abriss der psychoanalyse, 1938).

Ainsi accepter l'existence de la psychothérapie voulait dire pour moi ne pas pouvoir me reconnaître dans ce statut et donc je déclarais mon extranéité théorique, pratique et technique, mon impossibilité structurale à être inscrit au tableau des psychothérapeutes.

Un mois après le lapsus (ou le sursaut d'orgueil) je décidai de commencer à réunir mes notes et mes leçons universitaires. Je recommençais à travailler et me lançais dans la rédaction de l'inventaire de psychanalyse traduit en France sous le titre de Cinq propos sur la psychanalyse aux Editions Eres et dont les traducteurs Danielle et Patrick Faugeras furent récompensés avec le «Prix pour la traduction» pour leur sensibilité théorique et linguistique.

Le devoir était assez clair désormais : je devais préciser, pour moi-même en premier, ce qui fait la différence entre psychanalyse et psychothérapie, entre psychanalyste et psychothérapeute. Et ce que je compris est que le psychanalyste n'est pas un thérapeute quoi que nous entendions sous ce terme et cette fonction et par exemple l'interprétation qui est en psychanalyse un événement qui répond à une logique littéraire et théâtrale. Je ne sais pas si je suis parvenu à le démontrer dans mon travail et peut-être assez peu finalement au vu du nombre d'essais écrits par la suite qui retournent sur de tels sujets. Avant de m'inscrire au tableau des psychothérapeutes, j'avais décidé d'en écrire la différence, dans un travail qui m'appartenait, et ainsi retrouver le sens de ma pratique. Quelque chose de particulier s'est alors produit dans le langage qui n'était plus freudien ni lacanien mais devint un langage répondant au critère de ma langue en ce qu'elle pouvait construire un discours qui n'avait pas besoin de répéter des formules toute prêtes ou d'assumer comme définitives les expressions d'autrui. Si on devait parler de théorie je ne pouvais la chercher que dans ma pratique.

J'ai voulu porter ce témoignage avec l'intention de faire oeuvre utile pour ceux qui veulent écouter.

Le temps des déclarations et des proclamations est passé et la loi d'état nous presse ; elle sera approuvée et chaque psychanalyste sera requis d'y répondre. Il devra décider de rentrer dans l'ordre médical ou de pratiquer selon sa propre spécificité de psychanalyste. Car la différence est énorme. Par dessus tout, en relation avec la formation des analystes, si d'une façon ou d'une autre celle-ci doit en passer par un programme d'état, au moins comme propédeutique comme certains collègues italiens le pensent et l'ont pensé, ou au contraire si cette formation doit être réintégrée dans l'expérience analytique; il ne sera alors plus possible de proposer aux candidats de s'inscrire dans une école de psychothérapie, quand bien même elle serait dirigée par des analystes et qu'on prétende - ou qu'on croie - y enseigner Freud et Lacan. Et ainsi on se demandera s'il est bien licite pour la psychanalyse de demander aux candidats à la pratique de s'assurer préventivement par une garantie d'état. En Italie les grands centres lacaniens (dirigés en particulier par Jacques-Alain Miller, Colette Soler, Charles Melman) ont choisi la constitution d'écoles de psychothérapie reconnues par l'état Italien. A l'évidence ils ont pensé qu'en enseignant Freud et Lacan, ils auraient assumé leur fonction. Les écoles de psychothérapie ayant un certain nombre d'heures de leçons et de training avec un analyste, la question se pose de savoir s'il s'agit d'une solution satisfaisante pour la formation des analystes. Est-il juste de penser que la formation de psychothérapeute soit une propédeutique à la formation d'analyste? Un analyste peut-il se former dans une école quand bien même il y étudierait Freud et Lacan dans ce haut lieu du discours universitaire ?

Je crois qu'il s'agit de questions essentielles à se poser avant toute adhésion individuelle à une loi sur les psychothérapies. Je crois que les lacaniens en Italie ont pensé qu'ils pouvaient surfer sur la vague et parvenir à des positions importantes dans le secteur de la formation d'état et de la demande de formation en psychothérapie. Mais tout cela est-il licite pour une association de psychanalyse ? Et que vont devenir ces candidats qui fréquentent les quatre années de cours réglementaires en psychothérapie ?

Une autre expérience est née en Italie portée par quelques analystes qui se qualifiaient de laïques, lacaniens ou venant de l'I.P.A, et nommée Mouvement pour une psychanalyse laïque Espace Zéro. A sa naissance ce mouvement semblait intéressant et réaffirmait par des prises de position décidées (tout au moins dans l'intention) que la loi sur les psychothérapies lui était étrangère. A l'aide d'une sorte de document constitutif on décrétait que la formation analytique passait par une analyse personnelle mais aussi on confirmait que l'enseignement universitaire n'était ni nécessaire ni suffisant à la formation de l'analyste. Puis, petit à petit, se fit jour l'idée que la psychanalyse n'était qu'une psychothérapie et de plus, en tant qu'idéal, comme le point le plus haut d'une psychothérapie qui ainsi rejoindrait sa propre pureté dans la psychanalyse. Mais par dessus tout, ceux qui donnèrent vie à ce soi-disant mouvement avaient auparavant assuré leurs arrières en s'inscrivant dans les rang de l'ordre des psychothérapeutes mis à part les psychiatres qui se sentaient déjà largement garantis dans leur niche institutionnelle. A la fin il n'y eut aucun Mouvement et leurs bavardages s'effondrèrent en s'enroulant autour de leurs visions (qu'on voit sur Internet le funambule jeu de marionnettes que représente l'échange de lettres entre Antonello Sciacchitano et Ettore Perrella). Ce mouvement fini dans le vide car il ne répondait en aucune façon aux critères d'un mouvement, à la nécessité de construction d'un langage qui élabore le lieu de la psychanalyse et une authentique réflexion sur la formation. Il finit dans le vide car encore une fois, on se mit à courir derrière une reconnaissance d'état de la psychanalyse, en se contentant de la création d'un nouvel Ordre ou d'un pseudo ordre des psychanalystes dont le fantomatique Mouvement Espace Zéro aurait assumé le pouvoir de représentation en se constituant comme garantie des psychanalystes eux-mêmes.

Choisir sa propre solitude et nouer des relations avec ceux des analystes à qui on reconnaît une authenticité dans le discours (soit ceux dont la vérité les distingue un par un et qui ne sont pas tous issus de la même réalité), ou alors entrer dans les ordres professionnels (où la réalité identique pour tous butte sur la vérité en voulant la faire taire) et ainsi se trouver garanti par une déontologie professionnelle en se berçant d'illusoire certitude dans le fonctionnement de ses propres études professionnelles ?

La solitude est difficile, très difficile mais j'ai toujours pu travailler malgré tout. Tout au long d'une production théorique constante, j'ai toujours pu rencontrer les analysants en nombre suffisant et mon cabinet a toujours fonctionné. Et à travers ma production théorique j'ai rencontré beaucoup d'analystes, en Italie et ailleurs avec lesquels les échanges sont fertiles et avec lesquels j'ai la certitude de renforcer ma formation. Certes assumer le risque de ma propre parole, risque réel et toujours présent, alors qu'un quelconque individu, psychologue ou non, peut me dénoncer pour abus professionnel est chose ardue, déplaisante et fatigante. Tout ceci peut constituer un gros obstacle que je cherche à dépasser toujours et encore avec ma production théorique à travers laquelle je cherche à faire comprendre aux autres et à moi-même, pourquoi je ne suis pas et ne peux pas être un psychothérapeute. Je ne peux pas faire de psychothérapie car je n'en possède ni n'en connais la technique. Parce que ce que requiert la formation d'un psychanalyste n'a rien à voir avec ce que requiert la formation d'un psychothérapeute et que rien ne permet de confondre, dans leur statut scientifique, les deux pratiques.

Pour les psychanalystes, il devient urgent et important de repenser la formation en psychanalyse car alors il sera possible de repenser la structure associative et l'institution analytique pour autant que le mouvement psychanalytique aura retrouvé dans le langage ses présupposés.

En France à l'heure actuelle la profession de psychothérapeute est en passe d'être réglementée à l'aide d'une réglementation très dure et défavorable aux psychanalystes. Mais l'issue véritable de cette loi dépendra seulement de la position que les analystes auront assumée par rapport à elle, de façon personnelle, un par un, en sachant déjà que les centres lacaniens qui ont oeuvré d'une certaine façon en Italie feront de même en France. Votre position sera plus difficile que la notre, mais tout se jouera sur votre riposte et aussi le destin de la psychanalyse, pas seulement en France. Beaucoup en Europe vous regarde avec attention et non seulement les pays, comme l'Espagne, où la pratique psychothérapeutique n'a pas encore été réglementée, mais aussi en d'autres pays où une telle réglementation existe comme en Italie ou en Allemagne.

La désobéissance à la loi peut être la sauvegarde de la psychanalyse même si d'autres, certainement les plus nombreux, vont croire trouver leur compte dans cette loi.

Une loi plus haute nous convoque à laquelle nous devons répondre sous peine de nous voir disparaître ou bien nous retrouver enfermés avec nos textes sacrés dans un réduit comme au Zoo (ou à l'Université). Le renvoi à la fraternité auquel Lacan nous a plus d'une fois conviés doit être pour nous le guide de nos décisions politiques et cliniques, cette fraternité discrète à laquelle nous nous dérobons volontiers et qui nous lie à qui frappe à notre porte. Ainsi et seulement ainsi nous trouverons le sens de notre action mais aussi notre fragile garantie sociale et une plus solide sincérité intellectuelle.

Giovanni Sias.

(Traduction G. Verdiani)

Giovanni Sias

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