Rapport commandé à INSERM : Troubles spécifiques des apprentissages

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Expertise collective - 66 - 28/01/2007

Troubles spécifiques des apprentissages

Synthèse et recommandations

Document confidentiel

Centre d’expertise collectiveDécembre2006

Groupe d’experts et auteurs

Pierre barrouillet, laboratoire d’étude de l’apprentissage et du développement, LEAD, Université de Bourgogne et CNRS, Dijon

Catherine billard, centre de référence sur les troubles des apprentissages, neuropédiatrie, Hôpital Bicêtre, Le Kremlin Bicêtre

Maria de agostini, recherche en épidémiologie et biostatistique Inserm U780, CNRS, Villejuif

Jean-François demonet, service de neurologie, Inserm U455, Hôpital de Purpan, Toulouse

Michel fayol, laboratoire de psychologie sociale et cognitive, Université Blaise Pascal et CNRS, Clermond-Ferrand

Jean-Émile gombert, Centre de recherche en psychologie, cognition et communication, CRPPC, Université Rennes 2, Rennes

Michel habib, service de neurologie pédiatrique, Hôpital des enfants de la Timone, Marseille

Marie-Thérèse le normand, physiologie et neurologie du développement, Inserm E9935, Hôpital Robert Debré, Paris

Franck ramus, laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique, UMR8554, EHESS, CNRS, ENS, Paris

Liliane sprenger-charolles, Laboratoire de psychologie de la perception, Université René Descartes et FRE 2929 CNRS, Paris

Sylviane valdois, Laboratoire de psychologie et neurocognition, UMR5105, Université Pierre Mendès France et CNRS, Grenoble

Coordination scientifique et éditoriale

Fabienne bonnin, chargée d’expertise, Centre d’expertise collective de l’Inserm, faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Catherine chenu, attachée scientifique, Centre d’expertise collective de l’Inserm, faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Jeanne étiemble, directrice, Centre d’expertise collective de l’Inserm, faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Anne-Laure pellier, attachée scientifique, Centre d’expertise collective de l’Inserm, faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Assistance bibliographique

Chantal rondet-grellier, documentaliste, Centre d’expertise collective de l’Inserm, faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Avant–propos

Apparu avec l’obligation scolaire, l’échec scolaire se manifeste de manière particulièrement visible au début du 20e siècle après que le système scolaire ait fonctionné pendant une vingtaine d’années. Dans l’ensemble de la population scolarisée une partie ne parvient pas, pour des raisons diverses mal cernées, à acquérir les savoirs et savoir-faire définis par les programmes ou considérés comme indispensables. La question qui se pose est celle du devenir de ces enfants. Cette question prend deux dimensions. La première concerne les sujets eux-mêmes : que faire ? Faut-il les maintenir dans le système « normal » ou vaut-il mieux les en écarter, quitte à renoncer à leur enseigner les rudiments des apprentissages de base (lecture, écriture, calcul) ? La seconde a trait à leurs pairs : ces enfants en situation d’échec gênent le déroulement des enseignements et ralentissent le rythme du travail. Aménager pour eux des enseignements spéciaux délivrés dans des classes elles-mêmes spéciales pourrait constituer une solution acceptable aux plans éthique, institutionnel et social. Telle sera la voie retenue à l’époque. Toutefois, cette voie restera largement théorique dans la mesure où la société du début du 20e siècle et son école supportent sans grande difficulté la présence d’élèves en échec scolaire. Ceux-ci s’intègrent socialement du fait qu’ils trouvent des emplois.

C’est essentiellement au cours des années 1950-1970 que l’enseignement spécialisé se met en place et se développe sous des formes qui évoluent, mais dont le principe demeure : il s’agit de concevoir et délivrer une instruction adaptée à des populations en difficulté d’apprentissage. Il contribue à exclure du système scolaire général des élèves présentant des difficultés qui sont très variables : certaines sont très spécifiques, par exemple les altérations sensorielles (vision et audition entre autres) ; d’autres affectent l’ensemble de la personnalité (troubles émotionnels et comportementaux) ou des capacités cognitives spécifiques (insuffisance de développement intellectuel). Au fil du temps, et probablement en raison de l’accroissement des exigences et du passage de la totalité des élèves vers le collège, le nombre de classes spécialisées augmente en même temps que celui des élèves concernés. Pourtant, au cours de cette même période, les procédures d’évaluation et d’orientation restent relativement générales et les difficultés d’apprentissage sont envisagées de manière globale.

Les années 1980-1990 marquent un changement fondamental dans les orientations qui s’inscrit à la fois dans le champ politique et scientifique. Les grandes démocraties mettent en avant les droits des individus et en particulier, le droit à disposer de tous les moyens permettant de réaliser ses potentialités. Il s’ensuit que les systèmes scolaires, comme d’autres institutions, sont amenés à proposer des aménagements susceptibles de favoriser la réussite de tous. L’école est tout particulièrement concernée : l’annonce d’une société de la connaissance fait craindre l’exclusion de certaines populations, notamment celles qui se trouvent en échec scolaire. En conséquence, la politique de mise en place de filières spécialisées pour les élèves en difficulté d’apprentissage scolaire se trouve remise en question : les pouvoirs publics défendent désormais une politique d’intégration. Celle-ci repose sur la conviction que, pour la plupart des élèves ayant des difficultés d’apprentissage et quelle que soit l’origine de ces dernières, le maintien dans l’institution scolaire, éventuellement associé à une prise en charge complémentaire, est préférable et plus efficace que l’insertion dans des filières spécialisées. Par ailleurs, les avancées des connaissances scientifiques mettent en évidence l’existence de troubles dits spécifiques des apprentissages (en premier lieu la dyslexie, trouble relatif à la lecture). Ces troubles concernent des acquisitions spécifiques (lecture, calcul, orthographe) dont le niveau de performance n’atteint pas chez certains élèves celui qu’on pourrait attendre compte tenu de leurs aptitudes dans les autres domaines de l’enseignement scolaire.

La mise en place en 2001 d’un plan national d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage traduit une volonté d’agir pour améliorer la situation de ces enfants et de leur famille. Les difficultés scolaires conduisent souvent à la marginalisation voire à la stigmatisation des enfants et les échecs cumulés aboutissent, dans bien des cas, à des difficultés d’insertion sociale à l’âge adulte.

Cependant, malgré le progrès des connaissances, la frontière entre une difficulté scolaire et un trouble spécifique des apprentissages reste parfois difficile à déterminer notamment dans le domaine du langage écrit qui retentit sur l’ensemble des apprentissages académiques. Par ailleurs, l’amélioration des contenus de la prise en charge dépend non seulement du développement de la recherche fondamentale mais également d’une meilleure articulation avec la recherche clinique et appliquée, la recherche en santé publique, en sciences de l’éducation et en sciences humaines et sociales.

La Canam a souhaité que l’Inserm réalise, à travers la procédure d’expertise collective, un état des connaissances scientifiques relatives aux troubles spécifiques des apprentissages, à leur repérage, leur caractérisation et leur prise en charge.

Pour répondre à cette demande, l’Inserm a réuni un groupe pluridisciplinaire regroupant 11 experts ayant des compétences dans les domaines de la psychologie cognitive, la psychologie du développement, la neuropsychologie de l’enfant, la pédiatrie, les neurosciences, la psycholinguistique, la linguistique et l’épidémiologie. Le groupe a structuré sa réflexion autour des questions suivantes :

Que sait-on à l’heure actuelle de l’apprentissage « normal » du langage, de la lecture, de l’orthographe et du calcul, pouvant éclairer la compréhension des troubles spécifiques des apprentissages ?

Quelles sont les définitions et classifications des Troubles spécifiques des apprentissages utilisées dans les différentes études pour en déterminer leur fréquence et leur démographie ?

Qu’est-ce que la dyslexie, quelles sont ses principales manifestations et leur fréquence ?

Quels sont les autres Troubles spécifiques des apprentissages (calcul, orthographe) et leurs relations avec la dyslexie ? Quels autres troubles sont fréquemment associés ?

Quelles sont les principales pistes explicatives de la dyslexie et quel a été l’apport dans ce domaine des nouvelles technologies scientifiques (neuro-imagerie, génétique, neurosciences cognitives) ayant permis les avancées récentes ?

Quelles sont les différentes approches de soins et comment s’articulent-elles avec les théories actuelles ? Quel est l’état actuel des recherches scientifiques en matières d’indications thérapeutiques et d’évaluation des méthodes proposées ?

Quels sont les outils et stratégies disponibles en termes de repérage, dépistage, diagnostic et prise en charge ? Quelles sont les perspectives dont les enseignants, les familles et les enfants eux-mêmes pourraient tirer bénéfice ?

Le groupe d’experts a réalisé une analyse critique de la littérature scientifique récente, principalement du champ des neurosciences cognitives, pour aborder ces questions et pour dégager ensuite quelques principes d’actions et propositions de recherche nécessaire avant une mise en œuvre. En aucun cas ce rapport ne prétend aborder l’ensemble des problématiques relatives à l’échec scolaire ou à se substituer aux autorités compétentes pour valider en pratique clinique ou en population, les outils et stratégies de dépistage, de diagnostic et de soin. Il se veut plus modestement un bilan des connaissances et des méconnaissances dans certains champs de recherche et ouvre sur des pistes à expérimenter qui nécessiteront de multiples partenariats.

Synthèse

L’objectif de cette expertise est de réaliser un bilan des travaux scientifiques menés au cours des dernières années pour faire émerger des éléments de connaissance pouvant contribuer à une meilleure façon d’envisager la prévention, le repérage et la prise en charge des Troubles spécifiques des apprentissages scolaires.

Le développement des connaissances dans le domaine des troubles des apprentissages a été particulièrement fécond au cours des dernières années et s’étend à plusieurs disciplines. Ce domaine brasse de nombreux champs : psychologie, neurosciences, sciences cognitives (linguistique, psycholinguistique, neurobiologie et neuropsychologie).

Certaines de ces disciplines ont permis de différencier et spécifier des troubles focalisés du langage oral et écrit, du graphisme, de l’écriture, de l’orthographe, du calcul, et de formuler des interprétations fonctionnelles. Dans certains domaines, l’avancée des connaissances a permis d’aller jusqu’à une mise en relation avec l’organisation cérébrale des systèmes de traitement de l’information.

Les troubles qui sont abordés dans cette expertise sont les Troubles spécifiques des apprentissages scolaires c’est-à-dire ceux qui ne proviennent pas d’une déficience avérée qu’elle soit sensorielle, motrice ou mentale, d’un traumatisme ou d’un trouble envahissant du développement ni ceux qui peuvent relever d’une origine culturelle, sociale, économique, pédagogique et/ou psychologique. Il existe un consensus international pour réserver les termes de dysphasie (Trouble spécifique du langage oral), dyslexie (Trouble spécifique du langage écrit), dysorthographie et dyscalculie à la désignation de troubles primaires dont l’origine apparaît indépendante de l’environnement socioculturel et qui représente environ un quart des enfants en échec scolaire.

Cependant, le caractère spécifique des troubles d’apprentissage, qui les différencie radicalement des retards généraux d’apprentissage, n’implique pas qu’ils soient monofactoriels ou isolés. Si de nombreux enfants sont en échec scolaire du fait de conditions socioculturelles ou linguistiques défavorables, cette réalité n’écarte pas l’existence de troubles spécifiques chez ces mêmes enfants. En outre, le fait de trouver des enfants atteints de troubles du langage écrit dans tous les milieux, y compris dans les milieux les plus favorisés, et ce quelles que soient les méthodes d’enseignement utilisées infirme les seules explications sociologiques et pédagogiques de ce type de trouble. Par ailleurs, certaines difficultés d’apprentissage peuvent s’inscrire dans une psychopathologie avérée ou dans des interactions précoces perturbées. Il faut cependant noter qu’une souffrance psychique relevée chez bon nombre d’enfants atteints de Troubles spécifiques des apprentissages est souvent la conséquence, et non la cause, de leur échec scolaire.

Les recherches des trente dernières années ont exploré différents secteurs de développement qui pouvaient être impliqués dans les troubles des apprentissages. Elles ont surtout porté sur les mécanismes cognitifs sous-jacents aux Troubles spécifiques du langage écrit et conduit à l’élaboration de différentes théories. Par ailleurs, le développement récent de l’imagerie fonctionnelle et des techniques de biologie moléculaire a apporté des éclairages complémentaires sur les relations entre les troubles et leurs substrats cérébraux.

La littérature scientifique faisant état de ces travaux a été passée en revue dans le présent rapport. En termes de recherche, il reste à explorer l’intégration des différentes théories en une conception globale pouvant expliquer les manifestations comportementales de ces troubles. L’équipement biologique, le fonctionnement cognitif, la structuration du psychisme, les systèmes familiaux et sociaux contribuent ensemble au développement des compétences de l’enfant. Cette complémentarité des approches devrait permettre à terme une prise en charge de l’enfant dans sa globalité et sa diversité tant au plan cognitif, qu’au plan de sa relation à son environnement.

L’acquisition du langage oral : repères chronologiques

La capacité d’un nouveau-né à apprendre sa langue maternelle ne cesse d’étonner. En quelques années, il va pouvoir maîtriser la complexité des différentes composantes du langage. Les études linguistiques et cognitives abordent la question de l’acquisition de la parole et du langage en se référant à un système en trois composantes : la forme, le contenu et l’usage. Les aspects formels du langage relèvent de la phonologie (l’ensemble limité des sons d’une langue qui peuvent se combiner pour former un nombre infini de mots) et de la syntaxe (qui organise l’ordre des mots). Le contenu renvoie au domaine de la sémantique (sens des mots et des énoncés). L’usage est du domaine de la pragmatique, qui étudie l’ensemble des codes qui régissent les intentions de communication des locuteurs.

Sémantique/Pragmatique(étude du sens et de l’usage d’un motou d’un énoncé dans un contexte de communication)

Syntaxe (ordre des mots)

Lexique et morphologie(dictionnaire mental des mots et de leur formation)

Phonologie/PhonétiqueClassification des sons perçus et organisés dans la syllabe et le mot

Composantes du langage

Les études sur l’émergence des acquisitions et ses corrélats neurophysiologiques apportent aujourd’hui une conception assez claire de la spécialisation très précoce du traitement de la parole perçue, et des trajectoires développementales rapides du traitement du lexique et de la morphosyntaxe chez l’enfant. Dès les premiers mois, une capacité perceptive des sons de la parole permet au bébé de discriminer, de catégoriser les sons élémentaires puis de reconnaître certains mots de sa langue par la prosodie (l’enveloppe « musicale » de la parole avec ses aspects de rythme, de tempo, de mélodie, d’accent, d’intonation). Vers 7-8 mois, le bébé est capable de reconnaître et de mémoriser des formes syllabiques de type « mot » avec des séquences consonnes-voyelles bien définies appartenant aux particularités de sa langue. Vers 9-10 mois, c’est la période des premiers mots avant l’explosion lexicale vers 18 mois. Les assemblages de mots apparaissent vers 24 mois, et enfin l’expansion grammaticale apparaît à partir de 30 mois. Même si la variabilité interdividuelle est très importante, la période 0-3 ans est décisive dans le déroulement rapide du processus d’acquisition de la parole et du langage chez l’enfant.

Entre 3 et 4 ans, l’enfant n’utilise pas encore correctement les « connecteurs » du langage qui relient les phrases en propositions. Il emploie encore beaucoup de mots adverbiaux temporels comme « ici », « là », « maintenant » ou de simples mots de coordination comme « et », « mais ». Au cours de cette période, il s’agit de marquer l’ajout d’un événement plutôt qu’une relation particulière entre les différents événements. Cette stratégie souligne deux aspects de la production de l’enfant. D’une part, il a quelques difficultés à construire un récit et d’autre part, il réalise plus une sorte d’énumération de différents états qu’un texte cohérent. À 5 ans, l’enfant commence à établir des liens plus clairs et plus variés entre les événements qui se déroulent dans un récit. Ce sont surtout des relations de simultanéité : conjonction de coordination « et », conjonction de coordination et adverbe de temps « et puis », conjonction de subordination « quand » et de séquentialité, adverbes temporels « après », « puis ». La coordination domine la subordination. Elle est représentée principalement par des locutions adverbiales et des propositions relatives. Pour l’enfant de 5 ans, l’auditeur a encore besoin de fournir des efforts d’interprétation des formes.

À 7 ans, l’enfant utilise plusieurs « connecteurs temporels » exprimant la séquentialité. Le regroupement de ces mots de liaison est introduit par quelques expressions temporelles au début de l’histoire. La simultanéité est exprimée par des subordonnées temporelles qui restent néanmoins très rares. La hiérarchisation des événements est également peu fréquente. La compétence narrative d’un enfant de 7 ans n’est pas encore maîtrisée.

Bien que l’enfant de 10-11 ans préfère la coordination à la subordination, cette dernière prend une place non négligeable dans ses productions, signe d’une complexification syntaxique et d’une certaine mise en relief d’événements particuliers, voire d’épisodes narratifs. L’enfant de 10-11 ans ne possède pas encore une compétence narrative similaire à celle de l’adulte. Les connecteurs qu’il utilise permettent de produire des histoires cohérentes à tous les niveaux d’analyse. Il a, à sa disposition, un éventail varié de formes dont il maîtrise les différentes fonctions.

L’ensemble des données sur la chronologie des acquisitions de la parole du langage et de la construction du récit devrait permettre aux praticiens (pédagogues et cliniciens) de repérer les asynchronies de développement. L’évaluation précoce des capacités de segmentation, de l’émergence du babillage, de l’apparition des premiers mots et de la mise en texte à partir des récits dans sa dimension conceptuelle et linguistique se justifie en raison de la valeur prédictive que ces capacités présentent par rapport à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

L’apprentissage de la lecture

La finalité de la lecture est la compréhension. Pour pouvoir atteindre cette finalité, l’enfant doit acquérir un haut niveau d’automaticité dans l’identification des mots écrits. C’est en effet le développement d’une telle compétence qui lui permettra d’atteindre un niveau de compréhension écrite égal à celui de sa compréhension orale.

Dans une écriture alphabétique, comme dans une écriture syllabique, deux procédures permettent l’identification des mots écrits : la procédure sub-lexicale (procédure phonologique ou encore décodage) et la procédure lexicale (ou procédure orthographique). La procédure sub-lexicale s’appuie sur des unités sans signification, les syllabes écrites qui, dans une écriture syllabique, codent les syllabes orales ou les graphèmes (composés d’une seule ou de plusieurs lettres) et qui, dans une écriture alphabétique, codent les phonèmes. La procédure lexicale s’appuie sur des unités qui ont un sens : les mots. Le décodage s’automatise progressivement. Cette procédure ne fait donc pas seulement référence à la lecture lente et laborieuse du débutant : le lecteur expert peut en effet identifier très rapidement des mots qu’il ne connaît pas. Par ailleurs, la procédure lexicale n’est pas une procédure visuelle globale : le lecteur expert a accès en quelques millisecondes aux codes orthographique, phonologique et sémantique des mots écrits.

SÉMANTIQUE

Unités qui ont un sens : procédure lexicale de lecture

Mot (et morphème)

Mot (et morphème)

Unités sans signification : procédure sub-lexicale de lecture (ou procédure phonologique)

Ecriture syllabique

Syllabe écrite

Syllabe orale

Ecriture alphabétique

Lettre ➔ Graphème

Phonème

ORTHOGRAPHE(langue écrite)

PHONOLOGIE(langue orale)

Opérations impliquées dans l’identification des mots écrits dans une écriture syllabique et dans une écriture alphabétique

Le lecteur qui apprend à lire dans une écriture alphabétique est confronté à trois types de problèmes. Le premier problème vient de ce que, avant l’apprentissage de la lecture, il ne dispose pas de représentations orthographiques, à part pour quelques mots qu’il a pu apprendre par cœur. De même, il n’a pas forcément accès de façon explicite à certaines unités phonologiques, en particulier, au phonème, qui est le trait distinctif minimal permettant de différencier – dans une langue donnée – deux mots, par exemple « bol » et « vol » en français. Or la prise en compte du phonème, indispensable pour comprendre le principe d’une écriture alphabétique, et donc pour apprendre à lire dans ce type d’écriture, nécessite de se focaliser sur des éléments du langage parlé abstraits et, en plus, difficilement accessibles pour des raisons de co-articulation (le mot « calcul » est prononcé /kal/+/kül/ et non /k+a+l+k+ü+l/, ce qui rend difficile leur identification). Le second problème auquel le lecteur débutant est confronté est lié au degré de transparence des relations entre les unités de l’écrit et de l’oral, qui varie en fonction des langues. Ainsi, en espagnol, à la différence de l’anglais, les relations entre graphèmes et phonèmes sont très consistantes, le français étant plus proche de l’espagnol que de l’anglais pour la consistance des relations graphèmes-phonèmes (utilisées pour lire) alors qu’il est plus proche de l’anglais pour celle des relations phonèmes-graphèmes (utilisées pour écrire). Les problèmes de consistance s’expliquent par l’histoire des langues (alors que l’oral évolue, l’écrit est plus conservateur) mais aussi par le fait que les lettres de l’alphabet ne permettent pas de transcrire les phonèmes des différentes langues. Par exemple, on ne dispose que de 5-6 lettres pour les voyelles, ce qui ne permet pas de transcrire les 16 voyelles du français. Il a donc fallu utiliser une combinaison de lettres, ou une lettre à laquelle s’ajoute une marque spécifique, pour transcrire certaines voyelles (par exemple, le « é » qui s’oppose au «  è » et au « e » ou encore le « ou » par opposition au « u », et les lettres « a, o, u, i » suivies par « n », qui indique une voyelle nasale : « an », « on », « un », « in »). L’unité de base d’une écriture alphabétique n’est donc pas la lettre, mais le graphème qui renvoie au phonème, unité de base du système phonologique. Enfin, le dernier problème est lié à la taille des unités. Il y a beaucoup plus d’unités orthographiques à apprendre dans les écritures qui utilisent des unités de large taille (par exemple, le mot) que dans celles qui utilisent des unités de petite taille (par exemple, le graphème qui correspond au phonème). Toutefois, les unités de grande taille ont un sens, pas celles de petite taille. Il en découle que les unités de petite taille sont moins facilement accessibles que celles de grande taille1.

Les travaux de recherches sur l’apprentissage de la lecture ont montré que la facilité de cet apprentissage dépend du degré de transparence des correspondances grapho-phonémiques qui est très élevé en espagnol et plus faible dans d’autres langues comme l’anglais, le français occupant une position intermédiaire. De fait, les scores de lecture les plus mauvais se retrouvent chez les anglophones et les meilleurs chez les hispanophones. Ces résultats s’expliquent bien à la lumière de ceux obtenus en français. En effet, en milieu de CP, les scores en lecture de mots réguliers (par exemple « table ») et de pseudo-mots (des mots réguliers qui n’existent pas, par exemple « tople ») ne diffèrent pas et sont supérieurs aux scores relevés pour les mots irréguliers (par exemple « sept »), alors très faibles. En quelques mois (fin CP), le tableau se modifie fortement. Une progression est relevée chez l’enfant pour tous les items mais elle est plus marquée pour les mots réguliers, qui sont alors mieux lus que les pseudo-mots, eux-mêmes mieux lus que les mots irréguliers. Cela provient probablement de ce que les mots réguliers bénéficient à la fois de la régularité et de la fréquence d’exposition. Ni la fréquence d’exposition seule, ni la régularité seule suffisent, comme en témoigne la progression plus faible pour les mots irréguliers d’une part, et pour les pseudo-mots d’autre part. Ces données permettent de comprendre pourquoi les progrès des enfants espagnols, qui ne rencontrent pratiquement que des mots réguliers, sont rapides alors que l’apprentissage de la lecture est lent et laborieux pour les enfants anglais.

Les facteurs linguistiques induisent non seulement des différences quantitatives, mais également qualitatives sur les procédures d’identification des mots écrits. Ainsi, la procédure lexicale est davantage utilisée quand l’orthographe est opaque, probablement pour compenser les difficultés de mise en œuvre du décodage. Ce n’est pas le cas quand l’orthographe est plus transparente.

Les facteurs linguistiques induisent aussi des différences dans les unités de lecture utilisées. Par exemple, l’anglais favorise une plus grande utilisation d’unités telles que les rimes des mots parce que, dans cette langue, la prononciation des voyelles dépend largement des consonnes qui suivent. Ce n’est pas le cas dans des langues qui ont des voyelles clairement articulées, comme en espagnol, en allemand ou en français.

En revanche, les (rares) études dans le domaine de la morphologie2 indiquent que, quelle que soit l’opacité de l’orthographe, les enfants utilisent des unités morphologiques quand ils lisent. Toutefois, cette capacité qui ne semble s’acquérir que progressivement est sous la dépendance de facteurs phonologiques jusqu’à une période tardive.

Enfin, quelle que soit l’opacité de l’orthographe, c’est la capacité de décodage grapho-phonémique qui détermine le succès de l’apprentissage de la lecture. En effet, les lecteurs qui, au départ, sont les meilleurs décodeurs, sont également ceux qui progressent le plus, y compris en lecture de mots irréguliers et en compréhension de texte.

Ces constats permettent de comprendre :

pourquoi l’enseignement systématique et précoce (dès le début du CP) des correspondances grapho-phonémiques est celui qui aide le plus efficacement les élèves. Lorsque cette méthode est introduite plus tardivement, son impact est plus faible. De plus, ce type d’enseignement se révèle particulièrement bénéfique pour les enfants de milieu socioéconomique défavorisé, pour ceux pouvant présenter des difficultés dans l’apprentissage de lecture, que le facteur de risque soit d’origine socioculturelle ou linguistique, ou encore pour ceux susceptibles de développer une dyslexie.

pourquoi ce sont essentiellement les entraînements à l’analyse phonémique qui ont un effet sur l’apprentissage de la lecture. Cet effet est toutefois plus notable chez les enfants à risque pour cet apprentissage (facteurs socioculturels ou linguistiques) que chez les lecteurs en difficultés, ce qui souligne qu’il est plus facile de prévenir que de guérir. L’effet de ce type d’entraînement est néanmoins plus important si, en plus, les enfants peuvent manipuler les lettres qui correspondent aux phonèmes, ce qui suggère que le développement des capacités d’analyse phonémique est un facteur important dans l’apprentissage de la lecture, mais pas une condition suffisante ;

pourquoi les prédicteurs les plus fiables de l’apprentissage de la lecture sont les capacités d’analyse phonémique et le niveau de connaissance des lettres, auxquelles s’ajoutent les capacités de mémoire à court terme phonologique et de dénomination rapide. Ces prédicteurs permettent de repérer précocement (dès la grande section de maternelle) les enfants susceptibles d’avoir des difficultés d’apprentissage de la lecture, avec une fiabilité élevée. En comparaison, le poids des habiletés non verbales, tout comme celui des facteurs socioculturels, est moindre. De même, les preuves à l’appui d’une contribution précoce des capacités d’analyse d’unités plus larges que les phonèmes (syllabe, attaque-rime et morphème) sont faibles. Ces résultats proviennent sans doute de ce que les capacités d’analyse phonémique sont cruciales au début de l’apprentissage de la lecture dans une écriture alphabétique, parce qu’elles permettent à l’enfant d’accéder au principe de ce type d’écriture. Le niveau d’intervention des compétences impliquées dans les épreuves qui évaluent à la fois la rapidité et la précision de l’accès au lexique oral (dénomination rapide d’images d’objets, de couleurs…) est moins clair. On peut toutefois supposer que, dans un premier temps, quand l’enfant utilise essentiellement le décodage, cette capacité lui permettrait d’accéder de façon rapide et précise au mot oral qui correspond à la chaîne de lettres qu’il a décodée, ce qui faciliterait la création de liens entre code orthographique et code phonologique des mots.

L’apprentissage de la production écrite et de l’orthographe

L’apprentissage de l’écriture est relativement long et pose à tous les enfants des problèmes qui apparaissent dominés en moyenne vers la troisième année primaire chez la majorité des enfants. Pendant la phase de mise en place de cet apprentissage pour tous les enfants et encore au-delà de cette période pour ceux qui peinent à automatiser la graphie, les difficultés soulevées par l’écriture rejaillissent sur la quantité et, de manière moins assurée, sur la qualité des productions textuelles ainsi que sur les performances orthographiques.

Dans toutes les écritures alphabétiques, dont le français, l’étape cruciale de l’apprentissage réside dans la compréhension du fait que les séquences de lettres entretiennent des correspondances régulières – parfois complexes – avec les séquences sonores, ce qu’on appelle le principe alphabétique. En production, cela nécessite que l’enfant soit parvenu à une certaine maîtrise de sa langue maternelle et puisse la traiter comme un objet d’observation lui permettant, par exemple :

de segmenter les énoncés ;

de conserver en mémoire cette segmentation tout en transcrivant, même de manière non conventionnelle ;

de contrôler ultérieurement par la lecture, l’exactitude (relative) de ce qu’il a fait.

Dans les systèmes orthographiques dits transparents, l’accès au principe alphabétique suffit pratiquement à permettre de transcrire tous les mots nouveaux, quels qu’ils soient. Il n’en va pas ainsi en français car les relations entre phonèmes et graphèmes sont irrégulières.

Comme la transcription du français ne peut s’effectuer en référence aux seules associations phonèmes-graphèmes des informations lexicales spécifiques aux mots (par exemple l’écriture du mot « thym »), des informations orthographiques générales (par exemple l’absence de consonnes doubles en début ou en fin de mots), enfin des informations relatives à la morphologie (par exemple les pluriels nominaux se font en ajoutant « s ») doivent être acquises et mobilisées selon les circonstances. Se pose donc la question de leur acquisition.

Dès les tout-débuts de l’apprentissage de la lecture, les enfants sont en mesure de mémoriser des formes orthographiques, et au moins certaines des spécificités de celles-ci, cela sans attendre de maîtriser l’ensemble des correspondances phonèmes-graphèmes. On sait peu de choses sur les différences interindividuelles, sur le nombre d’expositions nécessaires à ces apprentissages de mots écrits et sur la manière dont l’orthographe se fait plus conventionnelle.

Très tôt également, dès la première année primaire, les enfants exposés à l’écrit en extraient des régularités orthographiques qui ne se réduisent ni à celles qui correspondent à des régularités phonologiques ni à la simple mémorisation d’instances. Ils sont en mesure de les mobiliser dans des tâches de production orthographique, manifestant ainsi très précocement l’acquisition de certaines conventions orthographiques, qui ne vont toutefois pas jusqu’à l’extraction de règles, même lorsque ce serait possible. Trop peu de ces régularités ont été étudiées pour qu’on puisse déterminer les conditions de leur prise en compte et les éventuelles différences interindividuelles affectant leur apprentissage.

On relève très précocement des traces d’utilisation de marques relevant de la morphologie. Toutefois, les recherches dissociant les effets des contraintes graphotactiques de celles associées à la morphologie font apparaître que l’utilisation de la morphologie est relativement tardive, au moins si on considère qu’elle correspond à des règles dont l’application ne doit pas dépendre de la fréquence. Or, de nombreux exemples attestent que l’emploi des marques morphologiques n’est pas initialement indépendant de la fréquence de rencontre des items. Par ailleurs, comme la morphologie est corrélée à d’autres types d’informations, phonologiques, orthographiques et sémantiques, il se pourrait que des effets qui lui sont attribués soient dus aux autres facteurs. Une certaine prudence est donc nécessaire pour interpréter en particulier les données issues des seules études de corpus.

Les rares recherches relatives à la production de la morphologie dérivationnelle montrent la persistance d’effets des contraintes graphotactiques en dépit de la possibilité de recourir à une règle orthographique. Ainsi, même après plusieurs années de pratique de l’écrit, les élèves ne recourraient pas à une règle spécifiant comment transcrire par exemple /o/ lorsqu’il correspond à un suffixe diminutif. Ceci conduit à s’interroger sur ce qui se produit lorsque des règles sont explicitement enseignées, et sur la possibilité de le faire de manière systématique, ce qui est le cas avec la morphologie flexionnelle.

La morphologie flexionnelle porte sur un nombre restreint de domaines : le genre et le nombre des noms, adjectifs et verbes (les accords), le système verbal (la conjugaison). Elle est très productive : par exemple, les accords nominaux en « s » s’appliquent à la plupart des noms et adjectifs. Elle utilise un nombre restreint de marques pour le nombre et le genre : « s », « -e », « -nt ». S’y ajoutent les flexions verbales plus nombreuses, dont beaucoup soit n’ont pas de correspondant phonologique (« -s », « -nt ») soit sont associées à une même forme phonologique (par exemple /e/ associé à « é », « -er », « -ait »…). Elle est en principe systématiquement enseignée. Son utilisation semble tardive et très dépendante de l’enseignement dispensé ; elle passe par des étapes pouvant à tort laisser penser que les règles morphologiques sont précocement maîtrisées.

L’enseignement consiste en la formulation de règles suivie d’exercices d’application. Les élèves apprennent ainsi à mettre en œuvre une procédure qui au début mobilise du temps et de l’attention. Elle conduit parfois à des erreurs de surgénéralisation, par exemple mettre un « s » aux verbes au pluriel. Sous l’effet de la pratique fréquente et du feed-back des enseignants, ces erreurs disparaissent et l’application de la procédure s’accélère, ce qui diminue d’autant l’attention requise. Lorsque certaines formes sont fréquentes, elles sont alors mémorisées comme telles. Les élèves les récupèrent donc directement, ce qui conduit dans certaines conditions à de nouveaux types d’erreurs présentes même chez les adultes et qui consistent par exemple à écrire « il les timbres ». La connaissance des règles d’accord intervient ainsi lors du contrôle des productions beaucoup plus qu’au cours de l’application de la procédure.

Les données relatives à l’apprentissage de l’orthographe montrent que plusieurs processus y sont impliqués. Le premier a trait à l’apprentissage des associations entre phonèmes et graphèmes : il est de ce fait très lié à l’apprentissage de la lecture, même si le sens des relations entre écriture et lecture reste à étudier plus en détail. Le deuxième fait encore appel à la lecture et sans doute à la pratique de l’écriture. La rencontre fréquente des mots écrits conduit à deux acquisitions : d’une part, certains mots sont mémorisés et donc récupérables directement ; d’autre part, des régularités « graphotactiques », c’est-à-dire d’associations entre lettres ou graphèmes sont extraites ainsi que les contextes de leurs occurrences, ceci par apprentissage implicite (sans conscience de disposer de cette connaissance). Troisièmement, certaines de ces régularités peuvent être formalisées et conduire à l’énoncé et à l’application de règles plus ou moins assorties d’exceptions (par exemple, tous les diminutifs en /o/ se transcrivent « eau », sauf « chiot »). Or, ces règles ne paraissent pas spontanément accessibles aux élèves : leur prise de conscience et leur généralisation semblent requérir un enseignement. Quatrièmement, l’enseignement des règles de la morphologie flexionnelle amène la constitution de procédures dont la mise en œuvre mobilise fortement l’attention, ce qui rend fragile leur application, au moins initialement. Seule la pratique régulière et prolongée est susceptible de diminuer l’attention requise. Cette pratique, en lecture comme en écriture, aboutit à ce que les formes fléchies les plus fréquentes sont mémorisées et récupérées directement, ce qui entraîne parfois l’apparition de nouvelles erreurs. La disponibilité des règles formelles d’accord permet alors le contrôle des productions et la correction des erreurs.

Si les principaux processus d’apprentissage de l’orthographe ont été identifiés, l’étude de leurs interactions, notamment au cours de la scolarité et en fonction des enseignements dispensés ou non, reste à conduire.

L’apprentissage du calcul

Les questions relatives à l’acquisition puis à l’apprentissage de l’arithmétique élémentaire se posent à trois niveaux. Premièrement, les nouveau-nés sont, comme les animaux, en mesure de mobiliser deux systèmes différents pour le traitement des quantités et des transformations qui les affectent (ajouts, retraits). L’un, précis mais ne s’appliquant qu’aux petits ensembles discrets (1, 2 et 3) ; l’autre, extensible aux très grandes quantités, opérant sur les dimensions continues ou traitant comme tels les ensembles d’éléments discrets, fournissant une évaluation approximative selon laquelle les erreurs croissent en même temps que la taille des quantités évaluées (loi de Weber). La question du caractère spécifiquement numérique des traitements correspondants reste posée, tout comme celle des caractéristiques des représentations sur lesquelles ils pourraient s’effectuer. Ces capacités ne sont qu’un point de départ mais elles pourraient constituer les fondements de la sémantique des nombres. Les connaissances mathématiques plus complexes que l’être humain a développées au cours de son histoire vont bien au-delà et font appel à des systèmes numériques symboliques.

Deuxièmement, à partir de 12-18 mois les enfants s’approprient le système propre à leur culture permettant de déterminer précisément la numérosité des collections. Cette acquisition comporte deux dimensions : d’une part, celle du système de dénomination verbale des quantités propre à leur culture (quand elle en a un) ; d’autre part, les pratiques de dénombrement, qui pourraient reposer sur des principes universels. Cette acquisition est lente et difficile pour des raisons partiellement connues.

Les systèmes verbaux sont des systèmes conventionnels reposant sur deux grands principes :

la lexicalisation qui associe à une cardinalité une dénomination et une seule (cinq, seize) ;

des règles combinatoires permettant d’élaborer une infinité de formulations complexes correspondant à n’importe quelle cardinalité (six cent soixante-quinze millions trois cent dix mille deux).

Ces règles permettent des combinaisons de type additif (cent trois) ou multiplicatif (trois cents). Le système numérique oral français lexicalise les cardinalités allant jusqu’à seize, les dizaines de vingt à soixante, cent, mille, million et milliard. La combinatoire code des relations exclusivement additives jusqu’à 79 (vingt-cinq=vingt+cinq) puis des relations additives et multiplicatives (quatre cent six=quatre x cent+six).

L’évaluation des quantités peut se faire de manière globale ou précise. Dans le premier cas, comme nous l’avons vu précédemment, les erreurs augmentent avec la taille des collections à évaluer : elles sont rares pour les petites collections (1, 2 ou 3, voire 4), pour lesquelles un mécanisme de traitement spécifique pourrait exister (le subitizing) ; elles s’accroissent ensuite. Dans le second cas, il faut recourir au dénombrement, c’est-à-dire repérer chacune des entités de la collection en la traitant une fois et une seule et lui assigner une étiquette verbale et une seule de sorte que la dernière corresponde à la cardinalité de la collection. Le bon déroulement du dénombrement requiert de l’attention, la connaissance du lexique numérique et la capacité de mettre en œuvre des habiletés motrices et de les coordonner avec la récupération en mémoire des formes verbales. Grâce au dénombrement, les enfants parviennent à affecter à chaque collection une cardinalité unique et précise, cela quelles que soient les formes perceptives des collections.

Troisièmement, les enfants repèrent très tôt les modifications de quantités associées aux ajouts, retraits voire au fractionnement. La maîtrise du dénombrement leur permet de quantifier précisément ces transformations. Ils peuvent donc effectuer en action ce qui correspond à des opérations arithmétiques, mais qui n’en sont pas encore : ils le font en rassemblant ou séparant des collections et en dénombrant à la fois les collections de départ et le résultat des transformations. C’est très progressivement qu’ils vont passer d’une résolution en action à un traitement portant sur les seuls symboles. Il se pourrait que l’usage des doigts ait à cette phase un rôle important dans la mesure où les collections de doigts sont à la fois analogiques et abstraites (elles se substituent à tous les objets quels qu’ils soient). L’évolution se traduit par le passage des actions externes à des actions intériorisées puis à des traitements réalisés sur les formes verbales (4+3 → 4, 5, 6, 7). Il n’est pas facile de déterminer comment les enfants réalisent qu’opérer sur les seuls symboles permet d’aboutir à des résultats aussi fiables que ceux qui sont obtenus à partir des manipulations.

Quatrièmement, l’entrée à l’école se traduit par l’enseignement systématique d’un nouveau code – le code indo-arabe – et des algorithmes qui lui sont associés et qui donnent à la résolution des opérations une puissance que le code verbal ne peut assurer. Cet apprentissage est à la fois facile (le code indo-arabe ne comporte que dix items : 0,...9) et difficile, notamment du fait de la notation positionnelle (la valeur d’un chiffre change avec sa position). Le transcodage, passage de l’oral au code indo-arabe ou l’inverse, s’appuie initialement sur les connaissances verbales, ce qui explique que, par exemple en français, la transcription de quantité telle que soixante quinze puisse donner lieu à des erreurs telles que 6015. Quant aux algorithmes, ils concernent la résolution des additions, soustractions, multiplications complexes et, dans une moindre mesure à l’école élémentaire, des divisions. Ils nécessitent que les enfants aient mémorisé certaines associations entre opérandes et résultats (3+2=5), de sorte qu’ils n’aient plus à les calculer et qu’ils puissent consacrer leur attention à la gestion de l’algorithme. Ils exigent aussi un minimum d’attention et de maîtrise de l’espace. Ils requièrent enfin un enseignement systématique et vigilant afin d’éviter l’installation d’erreurs de procédures difficiles à éradiquer. L’introduction des fractions et des décimaux pose de nouveaux problèmes, parce que, d’une part, la représentation des quantités change (encore que le fractionnement des quantités soit précoce) et, d’autre part, les algorithmes de traitement des opérations diffèrent de ceux qui s’appliquent aux entiers naturels (l’addition des fractions ; celle des décimaux…).

Cinquièmement, la résolution de problèmes arithmétiques reste un problème majeur, comme l’attestent les évaluations nationales ou internationales. L’une des difficultés relève de l’activité de compréhension en lecture plus que des traitements arithmétiques eux-mêmes, au moins à l’école élémentaire ; une autre tient à « l’arithmétisation » des situations. Les enfants doivent en effet élaborer à partir de l’énoncé une représentation de la situation décrite puis passer de cette représentation à une mise en forme arithmétique. Or, selon la formulation, la familiarité avec le domaine, le nombre d’entités impliquées, la fréquence de rencontre des situations, l’élaboration de cette représentation et son « arithmétisation » peuvent être très difficiles et conduire à une interprétation, et donc une résolution erronées. La question essentielle est ainsi de rechercher des situations permettant aux élèves de rencontrer souvent des situations problèmes variées, de sorte qu’ils se familiarisent à la fois avec la diversité des modalités de présentation des énoncés, celle des situations décrites, celle enfin des modes de résolution.

On peut dire en résumé que les enfants disposent sans doute à la naissance de capacités de traitement des quantités biologiquement déterminées, sur lesquelles se greffent des pratiques culturelles qui exploitent et amplifient les capacités initiales. Les systèmes scolaires eux-mêmes installent des apprentissages nouveaux, de savoirs (les décimaux), d’activités (la résolution de problèmes), de codes (le code indo-arabe, les signes opératoires) et de procédures de traitements (les algorithmes de résolution des opérations). Chacune de ces dimensions soulève des problèmes particuliers, certains restant encore mal connus.

Les définitions et classifications des troubles des apprentissages

Les troubles qui font l’objet de cette expertise sont ceux qui sont liés aux acquisitions scolaires : les troubles de la lecture, de l’écriture et du calcul. Ces troubles peuvent apparaître dans un contexte de retard global ou plus spécifique en cas de déficits limités à certains processus cognitifs. Il sera question ici essentiellement de définitions et de critères des Troubles spécifiques des apprentissages présents en dehors d’un retard global du développement.

On peut définir ces troubles comme un ensemble de difficultés d’apprentissage qui ne peuvent être attribuées ni à un retard intellectuel, ni à un handicap sensoriel, ni à des conditions défavorables de l’environnement. Ces difficultés sont donc inattendues compte tenu des autres aspects du développement. Elles apparaissent très tôt dans la vie, interfèrent avec l’intégration scolaire et sociale et persistent souvent jusqu’à l’âge adulte.

Les principaux critères des Troubles spécifiques des apprentissages (qu’il s’agisse de troubles de la lecture, de l’écriture ou du calcul), qui sont à la base des définitions proposées dans les dernières années sont les suivants :

critère de « discordance » (discrepancy) entre les difficultés à des épreuves liées au trouble en question et les bonnes performances à d’autres épreuves cognitives (il s’agit souvent du QI3) ;

critère d’exclusion : le trouble ne doit pas avoir comme cause primaire ni un retard global, ni un handicap sensoriel, ni un environnement défavorable (pédagogie inadaptée, niveau socioculturel insuffisant, diversité linguistique), ni des troubles mentaux avérés ;

le trouble est dû à des facteurs intrinsèques à l’enfant (ce point dérive directement des deux précédents et met l’accent sur l’origine neurobiologique des troubles).

Ces critères sont retrouvés dans la classification internationale des maladies, la CIM-104 et dans la quatrième édition du Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM-IV)5, classification également largement utilisée au plan international.

Critères diagnostiques communs aux Troubles des acquisitions scolaires de la CIM-10

La note obtenue aux épreuves, administrées individuellement, se situe à au moins deux écarts-types en dessous du niveau escompté, compte tenu de l’âge chronologique et du QI ;

Le trouble interfère de façon significative avec les performances scolaires ou les activités de la vie courante ;

Le trouble ne résulte pas directement d’un déficit sensoriel ;

La scolarisation s’effectue dans les normes habituelles ;

Le QI est supérieur ou égal à 70.

Selon une tendance récente, l’appellation « Troubles des apprentissages » ne devrait pas être attribuée seulement sur la base des résultats à différentes épreuves, mais elle devrait être réservée aux enfants dont les troubles résistent à un traitement conséquent (prise en charge pédagogique et/ou orthophonique). Par ailleurs, les progrès des connaissances des dernières années ont amené à évoquer dans les définitions l’origine neurobiologique voire héréditaire des troubles des apprentissages ainsi que leurs mécanismes cognitifs, même si ces processus cognitifs font encore l’objet de discussions et d’explorations. Il faut également souligner que dans le cadre des travaux de recherche, les critères adoptés peuvent varier en fonction du nombre de sujets observés. En effet, les études qui portent sur des effectifs importants utilisent, pour des raisons de faisabilité, des critères moins stricts et moins nombreux que les études sur des petits groupes d’enfants.

Le trouble de la lecture ou dyslexie est de loin le Trouble spécifique des apprentissages le mieux exploré. D’une façon générale, il se manifeste par une difficulté à apprendre à lire, malgré un enseignement adapté, une intelligence adéquate et un bon environnement socioculturel.

Critères diagnostiques du Trouble spécifique de la lecture selon la CIM-10

La note obtenue à une épreuve standardisée d’exactitude ou de compréhension de la lecture se situe à au moins deux écarts-types en dessous du niveau escompté, compte tenu de l’âge chronologique et de l’intelligence générale de l’enfant

La présence d’antécédents de difficultés sévères en lecture à un âge antérieur et des résultats à un test d’orthographe se situant à au moins deux écarts-types en dessous du niveau escompté, compte tenu de l’âge chronologique et du QI

En cas de comorbidité, le diagnostic de Trouble spécifique de la lecture est prédominant par rapport aux autres troubles spécifiques (troubles du calcul et de l’écriture) dans la CIM-10, tandis que le DSM-IV permet de porter plusieurs diagnostics.

Dans les définitions récentes de la dyslexie, il est question des mécanismes cognitifs perturbés (souvent un déficit dans la composante phonologique du langage) et de l’étiologie des troubles (origine neurobiologique).

Le Trouble spécifique de l’acquisition de l’arithmétique, ou trouble du calcul ou encore dyscalculie, se réfère à un trouble des compétences mathématiques présent chez des enfants avec une intelligence normale. Malgré une avancée certaine des études lors des dernières années, les perturbations des mécanismes cognitifs à la base de la dyscalculie sont encore objets d’études, même si de nombreuses classifications de sous-types de dyscalculie ont été proposées. L’étiologie était déjà au centre des premières définitions proposées de la dyscalculie ainsi que l’origine génétique ou congénitale des troubles.

Critères diagnostiques du Trouble spécifique de l’acquisition de l’arithmétique selon la CIM-10

La note obtenue à une épreuve de calcul se situe à au moins deux écarts-types en dessous du niveau escompté, compte tenu de l’âge chronologique et de l’intelligence générale de l’enfant

Les notes obtenues à des épreuves de lecture et d’orthographe se situent dans les limites de la normale

L’absence d’antécédents de difficultés significatives en lecture ou en orthographe

Dans la définition de la dyscalculie, comme dans celles des autres troubles des apprentissages, une pédagogie inadaptée vaut critère d’exclusion.

Le trouble de l’écriture pose plus de problèmes de définition que les autres troubles. L’écriture étant un processus multidimensionnel, différentes composantes peuvent être à l’origine d’un trouble de l’écriture : difficulté d’écriture liée à l’aspect moteur ; difficulté à terminer la tâche écrite ; orthographe insuffisante ; problèmes avec la composition écrite tels que la planification, le choix des mots, la construction de phrases et l’organisation du texte. Le terme de dysgraphie, qui renvoie plutôt à un trouble de la calligraphie touchant également la réalisation de formes géométriques, a été parfois utilisé pour représenter un trouble général de l’écriture ; cependant dans la littérature, il est plus souvent question de dysorthographie.

La dysorthographie est un Trouble spécifique de l’orthographe, qui accompagne la dyslexie, le dysfonctionnement cognitif à la base des deux troubles étant probablement commun. Dans la dysorthographie, l’orthographe des mots est très déficitaire, conséquence directe du trouble phonologique des dyslexiques.

Il n’y a donc pas une seule définition du trouble de l’écriture et les classifications internationales l’illustrent bien : la définition de la CIM-10 correspond à la dysorthographie, tandis que celle du DSM-IV correspond plutôt à un trouble plus général de l’expression écrite.

Critères diagnostiques du Trouble spécifique de l’orthographe selon la CIM-10

La note obtenue à une épreuve standardisée d’orthographe se situe à au moins deux écarts-types en dessous du niveau escompté, compte tenu de l’âge chronologique et de l’intelligence générale de l’enfant

Les notes obtenues à des épreuves de lecture et de calcul se situent dans les limites de la normale

L’absence d’antécédents de difficultés significatives en lecture

Bien qu’insuffisantes et critiquées, les définitions et les classifications internationales (CIM-10 et DSM-IV) présentent l’avantage de permettre, lorsqu’elles sont appliquées, des comparaisons entre différentes études menées au plan international et d’utiliser un langage commun. Cependant, elles sont souvent ignorées sur le terrain, aussi bien par les cliniciens que par les chercheurs qui utilisent leurs propres classifications.

Ainsi, du choix du seuil à partir duquel on définit le trouble (de 1 à 2 écarts-types au-dessous de la moyenne) dépend la prévalence du trouble. Si le choix se porte sur 1 écart-type, dans une distribution normale on trouve 16 % d’individus sous le seuil. Si on choisit 2 écarts-types (comme proposé par la classification internationale CIM-10), on n’en trouve plus que 2,5 %. Le trouble devient ainsi une entité en partie arbitraire, puisque dépendante du seuil choisi a priori.

Les questions suscitées par le concept de « discordance » ainsi que la comorbidité assez fréquente de plusieurs troubles des apprentissages entraînent pour certains auteurs la mise en question du concept de spécificité. À titre d’exemple, la classification du DSM-IV, postérieure à celle de la CIM-10 a abandonné le terme « spécifique » présent pourtant dans la version DSM-III, 1989 : « Troubles spécifiques du développement ».

Il serait important d’établir une classification des troubles des apprentissages fondée sur des critères communs, partagés à la fois par les chercheurs, les cliniciens et les professionnels de l’éducation.

Les données de prévalence des Troubles spécifiques des apprentissages

S’il y a un certain accord sur la définition générale des Troubles spécifiques des apprentissages, le diagnostic opérationnel « d’un cas » peut être très différent d’un auteur à l’autre. Les critères peuvent varier et les seuils choisis également. Il n’est donc pas surprenant que les chiffres publiés de prévalence soient très variables. Néanmoins, d’après l’ensemble des études internationales méthodologiquement les plus rigoureuses, provenant en grande partie des pays anglophones, nous pouvons estimer que la dyslexie concerne au minimum entre 3 et 5 % d’enfants.

Les études qui utilisent la même méthodologie pour comparer des populations ayant des langues différentes permettent de mettre en évidence les caractéristiques propres à chaque langue. En effet, les langues ont des systèmes d’écriture différents et à l’heure actuelle, les variations dans la forme de la dyslexie ainsi que dans sa prévalence sont considérées comme étant dépendantes de facteurs tels que la transparence ou l’opacité de l’orthographe de chaque langue. Ainsi, une étude utilisant trois définitions différentes de la dyslexie a montré que la prévalence variait, comme attendu, en fonction de la définition et des critères de discordance plus ou moins stricts, mais aussi en fonction de la langue. Elle montre que, selon les définitions, les taux varient de 3,6 % à 8,5 % en Italie et de 4,5 % à 12 % aux États-Unis. Ainsi, les taux plus élevés aux États-Unis par rapport à ceux de l’Italie sont liés à l’orthographe : l’orthographe de la langue italienne est transparente à l’opposé de celle de la langue anglaise.

En France, en l’absence de données épidémiologiques, les données disponibles respectant les critères de caractérisation de la dyslexie suggèrent que la proportion d’enfants présentant une dyslexie avérée ne diffère pas de celle des grandes études anglophones.

Bien qu’on ne puisse pas assimiler tous les troubles de la lecture même graves à la dyslexie, les données issues de deux études épidémiologiques récentes réalisées chez l’adulte en France aboutissent à des données compatibles avec les estimations ci-dessus : l’une concerne des jeunes appelés du contingent et l’autre a été conduite auprès de 10 000 adultes de 18 à 65 ans (Insee). Ces deux études constatent que 7 % des 18-29 ans éprouvent des difficultés graves ou importantes en lecture.

Certaines études ont mis en évidence des liens entre l’environnement socioéconomique pendant la petite enfance (souvent à l’entrée de l’école maternelle) et les performances en lecture plusieurs années plus tard. À titre d’exemple, les études portant sur les populations anglaises de l’Ile de Wight et de Londres sont représentatives des différences géographiques et sociales. En effet, avec la même définition de la dyslexie, la prévalence trouvée était de 3,6 % sur l’Ile de Wight et de 9,3 % à Londres, où les sujets étaient en moyenne de milieux moins favorisés. Il reste à s’interroger plus précisément sur les éventuelles interactions entre le milieu socioculturel et les facteurs biologiques de la dyslexie et à propos de leurs effets sur les manifestations des Troubles spécifiques des apprentissages.

La prévalence de la dyscalculie est fréquemment considérée comme équivalente à celle de la dyslexie. Cependant, les études les plus rigoureuses suggèrent que la dyscalculie, en tant que trouble isolé, est plus rare que la dyslexie. Il n’existe à notre connaissance pas d’étude épidémiologique de la dyscalculie en France. Il y a cependant peu de raisons de penser que sa prévalence y diffère beaucoup des autres pays, la langue semblant avoir peu d’impact sur le trouble comme en atteste la convergence des résultats obtenus dans différents pays.

Le sexe est l’un des facteurs de variation souvent associé aux Troubles spécifiques des apprentissages. Le programme international pour le suivi des acquis des élèves (OCDE, 2003) montre que les filles de 15 ans de 32 pays ont des performances de lecture supérieures à celles des garçons, alors que les garçons ont des performances supérieures en mathématiques. D’après les données d’études épidémiologiques les plus récentes, il apparaît que les problèmes de lecture sont de 1,5 à 3 fois plus fréquents chez les garçons que chez les filles. En général, le rapport garçon/fille est estimé à 2 pour la dyslexie, tandis qu’il est probable que la dyscalculie affecte autant les filles que les garçons. En France, cette différence est illustrée par les résultats des élèves de CE2 et de sixième aux évaluations menées par la Direction de l’évaluation et de la prospective (DEP) en septembre 2004.

Pourcentage de réussite aux items de français et de mathématiques à l’entrée au CE2 et en sixième chez les garçons et les filles (France métropolitaine, septembre 2004)

Réussite aux items de français (%)

Réussite aux items de mathématiques (%)

Classe

Garçons

Filles

Garçons

Filles

Élèves de CE2

71,14

75,81

70,25

68,73

Élèves de sixième

61,86

67,78

65,10

63,43

Cette différence est également indirectement marquée par le fait que plus de garçons que de filles consultent des spécialistes pour des problèmes de lecture ou d’écriture. Les causes de cette différence entre garçons et filles restent à explorer.

Les études longitudinales indiquent que la dyslexie persiste avec l’âge et représente donc un déficit non transitoire du développement même si le suivi longitudinal des enfants dyslexiques pose un problème de stabilité des classifications dans le temps. Ces classifications étant établies à partir d’un seuil, de petites variations dans les scores sur un continuum peuvent faire passer certains enfants d’un côté ou l’autre des limites pré-définies.

Les études longitudinales décrivent également la dyscalculie comme un trouble persistant. Toutefois, les formes isolées de dyscalculie (non accompagnées de dyslexie) apparaissent moins persistantes et sont considérées par certains comme relevant davantage d’un retard de développement que d’une réelle différence individuelle.

Le trouble des apprentissages est abordé dans de nombreuses études comme une entité d’origine génétique et cognitive. On peut regretter les études trop peu nombreuses sur les interactions entre facteurs génétiques, cognitifs et environnementaux, ainsi que sur l’influence des méthodes de lecture.

La dyslexie à travers les études de groupes et de cas multiples

La caractérisation des déficits en lecture des dyslexiques s’appuie sur le fait que, pour pouvoir comprendre des textes, l’enfant doit acquérir un haut niveau d’automaticité dans l’identification des mots écrits. C’est le développement d’une telle compétence qui lui permettra d’atteindre un niveau de compréhension écrite égal à celui de sa compréhension orale, en le dégageant du poids d’un décodage lent et laborieux ou du recours à des anticipations contextuelles hasardeuses, la manifestation de la dyslexie étant justement l’incapacité à développer ce type de compétence.

Le bilan des données relatives à la dyslexie qui a été effectué a pris en compte des études réalisées dans diverses langues (anglais, français, allemand, entre autres), soit avec des groupes indifférenciés de dyslexiques, soit avec des groupes de dyslexiques présentant des profils contrastés de dyslexie.

Les résultats des études de groupes indifférenciés de dyslexiques indiquent tout d’abord que les déficits phonologiques se retrouvent dans pratiquement toutes les études et chez pratiquement tous les individus, à la fois en lecture et hors lecture.

Ainsi, les performances en lecture des dyslexiques sont particulièrement déficitaires quand ils ne peuvent pas s’appuyer sur leurs connaissances lexicales, en l’occurrence quand ils doivent lire des mots rares ou des mots qui n’existent pas (pseudo-mots). Ce déficit de la procédure sub-lexicale (phonologique) de lecture a été relevé de façon convergente dans pratiquement toutes les études, y compris dans les comparaisons avec des enfants plus jeunes mais de même niveau de lecture. En outre, ce déficit est plus sévère quand les dyslexiques sont confrontés à une écriture opaque (par exemple, en anglais comparativement au français). Enfin, quand l’orthographe est transparente, ce déficit se note principalement par la lenteur en lecture de pseudo-mots, non par la précision de la réponse.

Outre les déficits de la procédure sub-lexicale (phonologique) de lecture, des déficits de la procédure lexicale de lecture ont également été relevés chez les dyslexiques, ce qui se comprend bien à la lumière des travaux qui ont montré que la mise en place de la procédure lexicale dépend de l’efficience de la procédure sub-lexicale (phonologique). En conséquence, les dyslexiques présentent le plus souvent un double déficit en lecture, le déficit de la procédure sub-lexicale (phonologique) étant toutefois plus sévère que celui de la procédure lexicale. Il est en effet le seul à être relevé par rapport à des normolecteurs plus jeunes mais de même niveau de lecture, ce qui signale qu’il ne s’agit pas seulement d’un retard d’apprentissage.

Les dyslexiques ont également des compétences particulièrement déficitaires dans des tâches qui impliquent des traitements phonologiques en dehors de la lecture : en analyse phonémique, en mémoire à court terme phonologique ainsi que dans des épreuves de dénomination qui permettent d’évaluer la précision et la rapidité de l’accès au lexique. Comme pour les déficits relevés en lecture, les déficiences dans ces trois domaines ont été rapportées dans la plupart des études et chez la plupart des dyslexiques, y compris par rapport à des sujets plus jeunes mais de même niveau de lecture. Enfin, les compétences dans ces trois domaines sont les prédicteurs les plus fiables du futur niveau de lecture des enfants. En comparaison, le poids des habiletés non verbales, tout comme celui des facteurs socioculturels, est moindre. Les déficits relevés dans ces trois domaines peuvent entraver la mise en place de la procédure phonologique de lecture. En effet, pour utiliser cette procédure, il faut d’abord passer du code écrit au code oral, ce qui, dans une écriture alphabétique, nécessite d’associer les graphèmes aux phonèmes correspondants. Il faut ensuite assembler les unités résultant de cette opération de décodage afin de pouvoir accéder aux mots stockés dans le lexique oral. La première opération nécessite des habiletés d’analyse phonémique, la seconde implique la mémoire phonologique à court terme, et la troisième un accès précis et rapide au lexique oral.

D’autres travaux, également effectués avec des groupes indifférenciés de dyslexiques, ont examiné les déficits dans les traitements séquentiels visuels. Les résultats qui ont pour le moment été publiés ne sont pas concluants et ce pour trois principales raisons. D’une part, ce type de déficit se révèle plus fortement marqué sur les pseudo-mots que sur des mots ou sur des suites de lettres non prononçables. D’autre part, ces déficits peuvent être la conséquence des difficultés de lecture des dyslexiques. En effet, dans pratiquement toutes les études qui ont mis en relief ce type de déficit (à la différence de celles ayant mis en relief des déficits phonologiques), les dyslexiques ont été comparés à des normolecteurs de même âge.

Enfin, dans la plupart de ces études, les habiletés visuelles des dyslexiques ont été évaluées en tenant compte de la vitesse de traitement et/ou avec des tâches comportant des contraintes temporelles (durée très brève d’exposition des stimuli). En revanche, seule la précision de la réponse a été examinée pour les évaluations des habiletés phonologiques et non pas la vitesse de traitement. Les résultats peuvent donc s’expliquer par les différences de mesures. Une des rares études dans laquelle les déficits des traitements séquentiels visuels et des traitements phonologiques ont été évalués intensivement et avec une méthodologie comparable a permis de noter que les dyslexiques souffrant sélectivement de déficits visuels de ce type sont très peu nombreux.

Enfin, il est à signaler qu’un certain nombre de travaux récents ont évalué une nouvelle hypothèse selon laquelle les problèmes typiques de lenteur relevés chez les dyslexiques non anglophones s’expliqueraient par leurs difficultés à mémoriser la forme visuelle des mots, alors que le déficit de précision de la réponse relevé chez les dyslexiques anglophones proviendrait d’une déficience phonologique. Il est toutefois difficile d’imaginer que le phénotype de la dyslexie puisse diamétralement différer en fonction de la transparence de l’orthographe et de la mesure utilisée. De plus, les résultats de ces études, obtenus à partir de l’analyse des mouvements oculaires, ne permettent pas de valider cette nouvelle hypothèse étant donné que les dyslexiques ont été comparés à des enfants de même âge : la spécificité de leurs mouvements oculaires peut donc n’être que la conséquence de leurs difficultés de lecture. Enfin, certains résultats de ces études sont compatibles avec l’hypothèse phonologique : par exemple, l’impact négatif de l’opacité de l’orthographe sur la durée des fixations oculaires, le fait que les différences les plus notables entre dyslexiques et normolecteurs aient été relevées en lecture de pseudo-mots et la présence dans certaines de ces études, de déficits phonologiques chez de futurs dyslexiques comparativement à de futurs normolecteurs, avant l’apprentissage de la lecture.

En plus des études de groupes indifférenciés de dyslexiques, d’autres études ont examiné des sujets présentant des profils différenciés de dyslexie de type dyslexie phonologique (caractérisée par un déficit sélectif de la procédure phonologique de lecture, entre autres), dyslexie de surface (caractérisée par un déficit sélectif de la procédure lexicale de lecture, entre autres) et les profils mixtes, qui ont un double déficit. Ces travaux indiquent que les profils mixtes prédominent, ceux de type « surface » étant les moins nombreux. Cependant, des déficits phonologiques ont très souvent été rapportés chez des dyslexiques de surface en lecture de pseudo-mots et dans des tâches orales d’analyse et de mémoire phonologique ou de dénomination. Les compétences phonologiques des dyslexiques de surface sont donc loin d’être préservées. De plus, les études qui ont comparé les performances de dyslexiques avec un profil mixte à celles de dyslexiques phonologiques, indiquent que les capacités phonologiques de ces deux groupes sont également détériorées. Enfin, dans les comparaisons avec des normolecteurs plus jeunes mais de même niveau de lecture, seule la proportion des dyslexiques phonologiques reste élevée, ce qui suggère que la plupart des dyslexiques de surface souffrent d’un simple retard d’apprentissage, puisqu’ils se comportent comme des normolecteurs plus jeunes qu’eux, les dyslexiques phonologiques ayant pour la majorité d’entre eux une trajectoire développementale atypique.

Les stratégies compensatoires développées par les dyslexiques ont pu toutefois masquer certaines réalités. En particulier, il a été montré que, chez le lecteur expert, l’identification des mots écrits est un acte quasi réflexe, qui n’est que peu influencé par les informations contextuelles. Ce sont les lecteurs les moins habiles, particulièrement les dyslexiques, qui utilisent le plus le contexte pour identifier les mots écrits. C’est vraisemblablement grâce à de telles stratégies que les dyslexiques arrivent à surmonter leur déficit phonologique. Le fait que les dyslexiques lisent mieux les mots qu’ils ont déjà rencontrés que des mots nouveaux est probablement le résultat de stratégies compensatoires ; ils utilisent plus que les normolecteurs l’information lexicale contenue dans les mots. Des évidences indirectes de la mise en place progressive de ces stratégies compensatoires proviennent de données longitudinales. En effet, la plupart des dyslexiques âgés chez lesquels il n’a pas été possible de mettre en relief la présence de troubles phonologiques ont en fait souffert de tels troubles dans les périodes précoces de leur développement.

En conclusion, les études passées en revue indiquent qu’un déficit des compétences phonologiques est la caractéristique majeure de la dyslexie. Le fait que ce type de déficit est le plus souvent rapporté y compris par rapport à des normolecteurs plus jeunes mais de même niveau de lecture est le signe d’une atypie développementale et non d’un simple retard d’apprentissage. En outre, l’opacité de l’orthographe est un facteur environnemental aggravant. En l’état de la recherche, les preuves à l’appui d’un déficit visuel à l’origine de la dyslexie (ou de certaines formes de dyslexie) sont encore fragiles.

Les sous-types de dyslexies à travers les études de cas unique

La plupart des recherches effectuées tant en neuropsychologie qu’en neurosciences ou en génétique sur les Troubles spécifiques d’acquisition de la lecture ont conclu à une forte hétérogénéité de la population dyslexique. Or, cette hétérogénéité ne peut pas être mise en évidence dans le contexte des études de groupe qui cherchent à montrer les tendances générales caractéristiques de la population dyslexique sans prise en compte de la variabilité observée au sein de cette population. De nombreuses études de cas ont cependant été publiées qui témoignent de la diversité des formes de dyslexies. Ces études permettent non seulement de dresser le profil cognitif d’un individu spécifique mais également d’identifier la (ou les) composante(s) cognitive(s) dont le dysfonctionnement rend compte de la performance déficitaire observée. Elles sont donc particulièrement pertinentes pour le praticien qui se trouve confronté à des cas particuliers et doit être en mesure à partir des éléments de l’évaluation neuropsychologique de faire des hypothèses sur la nature du déficit cognitif sous-jacent afin d’orienter au mieux la prise en charge. Sur le plan théorique, les études de cas sont indispensables à la validation des modèles théoriques ; elles peuvent conduire également à identifier de nouvelles composantes cognitives potentiellement impliquées dans les troubles dyslexiques et dont la pertinence pourra ensuite être testée sur de plus larges populations.

Plusieurs formes nettement différenciées de dyslexies ont été observées chez l’enfant. Bien que très rarement décrites, les formes de dyslexies développementales périphériques – dyslexie visuelle (essentiellement caractérisée par la production préférentielle d’erreurs visuelles) et dyslexie par négligence (erreurs portant sur la partie initiale ou finale du mot indépendamment de ses caractéristiques linguistiques) – suggèrent que des troubles intéressant les traitements visuels dans leur composante attentionnelle peuvent interférer avec l’apprentissage de la lecture.

Les dyslexies phonologiques se caractérisent par un trouble sélectif en lecture de pseudo-mots et la production d’erreurs phonémiques. Elles s’accompagnent d’une dysorthographie du même type caractérisée par de faibles performances en dictée de pseudo-mots. Tous les cas répertoriés dans les travaux présentaient un trouble associé des capacités métaphonologiques et plusieurs démontraient un déficit de mémoire verbale à court terme. Ces formes de dyslexies semblent donc associées à un dysfonctionnement phonologique probablement à l’origine des troubles d’apprentissage de ces enfants. Les études de cas de dyslexie phonologique corroborent donc l’hypothèse classiquement admise selon laquelle un déficit phonologique est à l’origine des troubles dyslexiques. Cependant, certains cas prototypiques conduisent à nuancer l’idée selon laquelle les compétences phonologiques permettraient, via la procédure analytique, l’établissement des représentations orthographiques en mémoire. En effet, la mise en évidence de cas démontrant d’excellentes performances en lecture de mots réguliers et irréguliers malgré un trouble phonologique massif et une procédure analytique très déficitaire suggère que des mécanismes d’une autre nature contribuent également à la mémorisation des connaissances lexicales.

Les dyslexies de surface présentent un profil radicalement opposé, les difficultés se manifestant en lecture de mots irréguliers uniquement et conduisant à des erreurs de régularisation. La dysorthographie est massive : les mots sont écrits tels qu’ils se prononcent sans prise en compte de leurs caractéristiques orthographiques. En fait, ces enfants ne semblent disposer d’aucune information mémorisée sur la séquence orthographique des mots. Dans la plupart des cas répertoriés, l’absence de trouble d’analyse phonologique a été démontrée (au moins en ce qui concerne les scores de précision de la réponse) ; les capacités de langage oral et de mémoire verbale à court terme étaient également normales chaque fois que ces dimensions ont été évaluées. Il semble donc que l’hypothèse d’un trouble phonologique sous-jacent ne puisse le plus souvent être retenue dans le contexte des dyslexies de surface. Dans un seul cas, un déficit de la mémoire visuelle a été révélé. Concernant les traitements visuels, les résultats suggèrent que ces enfants ne présentent pas de trouble visuel avéré dans le cadre des épreuves cliniques classiques. En revanche, des déficits touchant les capacités de traitement visuo-attentionnel ont été montrés dans les quelques cas où cette dimension a été évaluée. L’ensemble des données suggère clairement que ce type de dyslexie ne peut être interprété comme résultant d’un trouble phonologique. Il se pourrait que divers types de dysfonctionnements (atteinte de la mémoire visuelle ou trouble visuo-attentionnel par exemple) puissent conduire à des formes de dyslexies de surface. Il faut toutefois souligner que les capacités visuelles ont été généralement évaluées avec des tâches qui n’ont pas tenu compte des scores de rapidité de la réponse alors que pour les capacités phonologiques, seuls les scores de précision de la réponse ont été examinés.

Les dyslexies mixtes caractérisées par des difficultés sur tous les types d’items ont été très peu étudiées, malgré leur fréquence dans la population dyslexique. Deux cas décrits suggèrent qu’un dysfonctionnement soit phonologique soit visuo-attentionnel pourrait conduire à ce type de trouble, ceci n’excluant pas la possibilité de rencontrer ces deux déficits associés chez certains sujets.

Les troubles de l’apprentissage de l’orthographe

Alors que l’orthographe du français est particulièrement difficile en production (mais pas en perception) et qu’elle est socialement valorisée et défendue, peu d’études approfondies existent sur les difficultés qu’elle soulève et sur les troubles qui l’affectent. Le bilan des rares travaux, réalisés sans perspective normative, met pourtant clairement en évidence l’existence de « zones de fragilité » « induisant » en quelque sorte les erreurs. Toutefois, les mécanismes impliqués dans la survenue des erreurs et les interventions susceptibles d’en réduire la fréquence restent largement méconnus et remarquablement non étudiés.

La littérature disponible sur les difficultés et les troubles de la production orthographique est rare en ce qui concerne le français écrit. Elle ne permet pas actuellement de répartir de manière rigoureuse les erreurs rencontrées dans les différentes dimensions impliquées dans la maîtrise de la production orthographique. En conséquence, il est actuellement impossible de déterminer s’il existe des patrons différenciés d’erreurs et de savoir si certains d’entre eux caractérisent telle ou telle pathologie. Les seules données suffisamment nombreuses, mais elles restent là encore globales (à notre connaissance aucune étude ne répertorie les types d’erreurs), concernent les individus dyslexiques.

Les données disponibles s’appuient donc prioritairement sur les recherches effectuées sur d’autres systèmes orthographiques. L’acquisition du principe alphabétique pose problème, mais elle est surmontable, comme l’attestent les données portant sur les systèmes orthographiques transparents (espagnol, italien...) : les enfants dyslexiques parviennent à orthographier les mots. Les difficultés sont plus importantes avec les systèmes opaques, en raison des confusions induites dans les associations phonèmes-graphèmes (à un phonème correspondent plusieurs graphèmes). Les systèmes opaques ne codent pas que la phonologie, mais aussi les dimensions lexicale et morphologique. Certains individus éprouvent des difficultés à se constituer un lexique orthographique. Parfois, celui-ci paraît très réduit. Parfois, les difficultés tiennent non à sa taille mais au caractère approximatif ou erroné des formes orthographiques mémorisées. À notre connaissance, aucune donnée n’est disponible relativement à la distribution de ces différentes possibilités, de même concernant leur prévalence ou leur(s) comorbidité(s). L’extraction des régularités orthographiques (doubles consonnes, associations fréquentes de lettres...) n’a pas (encore) donné lieu à des recherches publiées : on ignore donc si certains troubles les affectent particulièrement. Enfin, les difficultés relatives à l’utilisation de la morphologie touchent à des degrés divers toute la population : même les grands journaux comportent des erreurs d’accord que des auteurs éminents commettent. La fréquence de ces erreurs dans la population tout-venant est inconnue, et donc la distribution qui permettrait de soupçonner l’existence de troubles et de mettre en relation ceux-ci avec d’autres caractéristiques des individus concernés. Comme, par ailleurs, ces erreurs se révèlent très sensibles à la mobilisation de l’attention, on ignore si leur survenue tient à des méconnaissances, à des fausses connaissances ou à des difficultés de mise en œuvre (en raison par exemple de la charge attentionnelle associée à la graphie, comme chez les jeunes enfants). Tout ou presque est donc à faire.

Au total, en l’absence de données précises portant sur les erreurs commises par le tout-venant des enfants ou des adultes, il est difficile de déterminer dans quelle mesure le nombre et la nature des erreurs relèvent de performances normales nécessitant par exemple une pratique plus fréquente et régulière de certains exercices ou, au contraire, conduisent à soupçonner un trouble nécessitant alors une prise en charge spécifique. C’est sans doute là que réside la cause de deux faits qui ressortent du bilan de la littérature relative aux difficultés et troubles de la production orthographique. Premièrement, aucune étude de prévalence des troubles d’apprentissage de l’orthographe n’est disponible : leur étude est presque systématiquement associée à celle des troubles de la lecture (dyslexie), ce qui constitue, au moins a priori, une négligence d’autres hypothèses. Deuxièmement, les études portant sur les éventuelles associations (comorbidités) avec des troubles autres que ceux de la lecture sont extrêmement rares : une avec les troubles du calcul, quelques unes avec les troubles de l’attention. Il faut ajouter que, contrairement à ce qui vaut pour d’autres domaines de l’apprentissage, certaines des spécificités de l’orthographe du français (la rareté des marques morphologiques à l’oral et leur caractère systématique à l’écrit) interdisent qu’on attende que les indispensables recherches soient conduites sur d’autres systèmes orthographiques et que les solutions aux problèmes qui se posent soient en quelque sorte importées. En d’autres termes, il apparaît urgent, si l’on souhaite conserver en l’état l’orthographe du français, un changement radical relevant de choix politiques, de s’interroger sur la nature et la fréquence des difficultés, cela dans une perspective non normative, ainsi que sur les mécanismes impliqués dans l’apprentissage et la mise en œuvre des différentes composantes de l’orthographe. Il est tout aussi urgent de s’attacher aux caractéristiques de l’instruction dispensée et à l’évaluation de ses effets, à court et à moyen termes. Enfin, les études de prévalence et de comorbidité devraient être conduites sans considérer a priori que les difficultés et troubles de la production orthographique se posent de manière sinon unique tout au moins privilégiée chez les enfants dyslexiques. Même si cela est vrai, personne ne peut exclure l’existence de troubles dans d’autres populations.

En résumé, les difficultés de la production orthographique du français sont telles qu’on aurait pu s’attendre à ce que les recherches sur les difficultés, leurs distributions, les mécanismes sous-jacents et sur les effets de l’instruction dispensée, y compris à des populations présentant des troubles spécifiques, fussent nombreuses et précises. Les données montrent que tel n’est pas le cas, et que les rares données sont récentes. Elles portent par ailleurs surtout sur des aspects descriptifs : l’étude des mécanismes cognitifs et de leurs déterminants, mais aussi et surtout celle des apprentissages font encore largement défaut.

La dyscalculie

Les études sur la dyscalculie n’en sont qu’à leurs débuts et notre degré de connaissance dans ce domaine ne peut être comparé à celui que nous avons acquis concernant la dyslexie. Il n’existe même pas de définition ni de critère diagnostique universellement admis de la dyscalculie. Le plus souvent, sont considérés dyscalculiques les enfants obtenant une performance s’éloignant fortement de la moyenne des enfants de leur âge à une batterie d’évaluation standardisée, alors que le niveau intellectuel ne s’écarte pas trop de la normale. Ces critères ne permettent pas de distinguer la dyscalculie de ce que d’autres auteurs appellent les learning disabilities in mathematics. L’analyse des études de prévalence conduit à penser que, si les enfants présentant des difficultés en arithmétique semblent approximativement aussi nombreux que ceux ayant des difficultés en lecture, les Troubles spécifiques du calcul se rencontrent plus rarement que les troubles isolés de la lecture. Dans plus d’un cas sur deux, et même chez les enfants d’efficience intellectuelle normale, les difficultés en calcul s’accompagnent de difficultés en lecture. À la différence de ce qui s’observe pour la dyslexie, la dyscalculie affecte de façon équivalente les garçons et les filles. Les études génétiques conduites selon la méthode des jumeaux convergent pour montrer qu’il s’agit d’un trouble héritable qui affecte souvent plusieurs enfants de la même fratrie ainsi que leurs parents.

Le consensus le plus large s’établit autour de la description du trouble et des secteurs des activités numériques les plus déficitaires. Bien avant le début des apprentissages systématiques, les enfants dyscalculiques développent une mauvaise compréhension des principes qui régissent les activités de dénombrement (compter en pointant avec le doigt un ensemble d’objets), lesquelles constituent le socle sur lequel se construiront toutes les habiletés arithmétiques ultérieures. Ces enfants se distinguent des autres par une utilisation plus fréquente et plus prolongée au cours du développement de procédures immatures de comptage pour effectuer les calculs simples. Par dessus tout, les enfants dyscalculiques se distinguent par des difficultés atypiques de mémorisation des faits arithmétiques et d’apprentissage des tables d’addition et de multiplication. Ainsi, ils recourent moins souvent que les autres et de façon moins sûre à la récupération directe du résultat en mémoire lorsqu’ils résolvent des opérations. Cette difficulté s’avère étonnamment persistante au cours de leur développement. Ces troubles dans les activités élémentaires se répercutent sur les activités de résolution de problèmes et d’opérations complexes. Dans ces dernières, l’utilisation des retenues demeure difficile. Ces difficultés sont par ailleurs d’autant plus importantes que les enfants présentent en outre des difficultés en lecture.

Un autre point d’accord concerne l’évolution du trouble. Bien que peu d’études se soient penchées sur cette question, toutes rapportent que la dyscalculie est un trouble persistant. Toutefois, les formes « pures » où les difficultés en arithmétique sont les plus isolées sont aussi les plus instables, principalement chez les jeunes enfants à l’entrée de l’école primaire. Ainsi, certains considèrent ces formes isolées comme un retard de développement plus qu’une véritable différence entre individus. Au cours du développement, et à l’exception des difficultés mémorielles concernant les faits numériques, les enfants dyscalculiques parviennent à rejoindre leurs pairs sur les activités les plus simples (les additions).

En revanche, il n’existe pas de consensus en ce qui concerne le profil cognitif accompagnant la dyscalculie. À quelques exceptions près, la plupart des auteurs rapportent de faibles capacités en mémoire de travail chez les enfants dyscalculiques. Il est fréquemment considéré que la dyscalculie s’accompagne aussi de déficits sur le plan visuo-spatial sans pour autant que ce point fasse l’unanimité. Certes, ces aspects sont fréquemment déficitaires chez les dyscalculiques mais il n’est pas clairement établi ni universellement reconnu qu’ils le sont de façon spécifique ou plus prononcée. Les enfants dyscalculiques présentent fréquemment des troubles du langage écrit affectant la lecture comme l’écriture. Plus souvent que les autres, ils présentent aussi des troubles de l’attention.

Les incertitudes concernant le profil cognitif pourraient s’expliquer par l’existence de plusieurs sous-types différents de dyscalculie. Bien que plusieurs classifications aient été proposées, elles diffèrent parfois largement les unes des autres. Rarement fondées sur l’analyse approfondie de larges échantillons, leur pertinence est douteuse et leur nombre plaide d’ailleurs contre leur validité. Même les classifications ou distinctions les plus intuitivement attractives ont été démenties par les analyses rigoureuses : par exemple, il semble ne pas exister de différences qualitatives dans les difficultés rencontrées par les enfants présentant des Troubles spécifiques du calcul et ceux ayant des troubles de la lecture associés.

De même, les causes de la dyscalculie demeurent pour l’instant inconnues. Il n’est pas même établi s’il s’agit d’un trouble primaire pouvant exister de manière isolée ou s’il s’agit d’une manifestation d’un trouble plus général affectant un ensemble plus large de fonctions et d’activités. Parmi les troubles généraux qui entraîneraient la dyscalculie, on a évoqué de faibles capacités en mémoire de travail ou bien un dysfonctionnement de l’hémisphère droit entraînant une déficience des habiletés visuo-spatiales. Une hypothèse plus récente suggère que la dyscalculie résulterait du dysfonctionnement de structures cérébrales spécialisées dans les traitements numériques. Issues de l’évolution, ces structures confèreraient aux êtres humains un « sens » des nombres et des relations géométriques qui ferait défaut aux dyscalculiques. Cette hypothèse séduisante demande cependant à être étayée empiriquement. Bien que l’on ne sache pas quelles sont les causes de la dyscalculie, toutes les hypothèses avancées s’accordent sur le fait que la dyscalculie se manifeste bien avant que l’enfant ne s’engage dans les apprentissages systématiques de l’école primaire.

Les études sur les interventions et les programmes de remédiation n’en sont qu’à leurs débuts. Portant souvent sur de faibles effectifs, elles sont en général moins bien contrôlées que les études explorant les manifestations ou les causes du trouble. Bien que la littérature rapporte quelques succès dans les interventions (les enfants dyscalculiques en ayant bénéficié voient leur performances en arithmétique s’améliorer), il est encore trot tôt pour se déterminer sur leurs mérites et intérêts respectifs.

En résumé, nos connaissances concernant la dyscalculie sont lacunaires et incertaines. Ceci est dû à la fois au faible nombre d’études, relativement à la dyslexie par exemple, qui lui sont consacrées, mais aussi à l’ampleur et à la difficulté même de l’objet d’étude, le nombre et l’arithmétique, sans parler des mathématiques, recouvrant des activités très diverses qui impliquent un grand nombre de fonctions cognitives différentes. Toutefois, les difficultés d’étude que pose la dyscalculie pourraient être compensées par le fait qu’elle n’est pas seulement un trouble des apprentissages. En effet, comme l’a montré la psychologie cognitive, il existe chez les êtres humains un développement spontané des activités numériques et de leur compréhension qui fait que, bien avant les premiers apprentissages systématiques, l’enfant a constitué un répertoire de savoirs et savoir-faire concernant le nombre et ses utilisations. Cette particularité rend possible la détection précoce d’enfants qui non seulement présentent des risques de troubles des apprentissages ultérieurs, comme c’est le cas pour la lecture, mais qui manifestent avant tout apprentissage scolaire un développement atypique des compétences numériques auquel il est peut-être possible de remédier avant même que la dyscalculie comme trouble de l’apprentissage n’apparaisse.

Les troubles des acquisitions associés

Une caractéristique commune aux Troubles spécifiques des apprentissages (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie…) est que ces entités se rencontrent souvent associées entre elles chez une même personne, ce qui pour le clinicien, le rééducateur ou le pédagogue est riche d’enseignements quant à la sévérité du trouble, et donc à ses répercussions en termes de rééducation tout autant que de pédagogie. Mais l’existence de troubles associés à la dyslexie constitue également un puissant outil théorique pour le chercheur, lui fournissant autant de pistes vers où orienter ses recherches.

Dans le contexte d’un centre de référence pour les troubles des apprentissages, il n’est pas étonnant de constater une nette prédominance de dyslexies, ou de troubles sévères de l’acquisition du langage écrit (puisqu’on ne peut en théorie commencer à parler de dyslexie qu’après un certain temps d’apprentissage).

Inventaire des diagnostics portés lors de 209 cas successifs reçus dans un centre de référence pour les troubles d’apprentissage (CHU de Marseille, d’après Habib, 2003*)

Diagnostic

Nombre d’enfants atteints (N=209)

Dyslexie, dysorthographie

177

Troubles du langage oral

84

Dyscalculie

48

Dysgraphie

37

Trouble déficit de l’attention/hyperactivité

32

Dysphasie

26

Précocité intellectuelle

21

Dyspraxie

19

Trouble des conduites

11

Autisme**

2

Dyschronie

45

* habib m. La dyslexie à livre ouvert. Résodys, Marseille, 2003 : 171 p

** Les enfants atteints d’un trouble envahissant du développement (autisme) ne sont pas abordés dans cette partie car leur prise en charge ne relève pas d’un centre de référence pour troubles des apprentissages. Ce sujet est traité dans l’expertise « Troubles mentaux, dépistage et prévention chez l’enfant et l’adolescent » Inserm, 2002

La dyscalculie isolée donne rarement lieu à consultation dans un centre de référence, ce qui voudrait dire que la fréquence réelle de dyscalculie dans la population est plus élevée que celle indiquée. La dyschronie (trouble du repérage temporel) est moins connue que les autres syndromes, sans doute, ici encore, parce que le trouble ne constitue pas, en tout cas à première vue, un réel handicap pour la poursuite de la scolarité. En tout état de cause, la dyslexie apparaît plus souvent associée qu’isolée (seulement 10 % dans la population présentée). Cependant, il n’existe pas de données permettant d’évaluer la prévalence des comorbidités au sein de l’ensemble de la population dyslexique.

La dyslexie fait suite dans plus de la moitié des cas à des troubles du langage oral, eux-mêmes de présentation diverse. Le terme « dysphasie » utilisé en France pour les troubles sévères du langage oral est assez rarement utilisé dans la littérature anglo-saxonne qui préfère regrouper sous celui d’altération spécifique du langage (Specific language impairment, ou SLI), tous les troubles du langage oral, sans présumer de leur sévérité.

Nombre d’enfants d’intelligence normale ayant des difficultés d’apprentissage de l’arithmétique présentent aussi des difficultés d’apprentissage du langage écrit. Selon certains auteurs, dans une population d’enfants dyscalculiques, 17 à 64 % sont atteints de dyslexie. Toutefois, la dyscalculie existe également comme trouble isolé. Il semble que les enfants présentant des difficultés spécifiques en arithmétique se distinguent de ceux présentant des difficultés dans les deux domaines. La plupart des études distinguant les deux populations font état de différences dans la sévérité des troubles, des différences concernant la nature ou l’étendue des difficultés étant moins certaines. La plupart des auteurs s’accordent sur le constat que les enfants qui présentent une comorbidité avec des troubles de la lecture ont un handicap plus important en arithmétique et dans les tests neurologiques que les enfants atteints de dyscalculie seule. Cependant, les raisons de la fréquente comorbidité entre troubles de l’arithmétique et de la lecture demeurent obscures. De fait, dans de nombreuses études, les groupes avec une comorbidité manifestent un niveau intellectuel inférieur (au moins de manière descriptive et parfois statistiquement significative) à celui des groupes avec un déficit simple.

Les troubles de la coordination, qui représentent environ 6 % de la population générale, avec ici encore une nette prédominance de garçons, comportent divers symptômes aisément reconnaissables, mais qui se regroupent entre eux de manière très variable. Schématiquement, on reconnaît des troubles des « praxies », c'est-à-dire de la capacité à choisir, planifier, séquencer, et exécuter le mouvement, avec des conséquences d'importance variable sur les actes de la vie quotidienne. L'incidence de ces troubles sur les apprentissages peut être majeure. Mais les troubles chez le dyspraxique ne se résument pas à des troubles moteurs, ou même de coordination sensori-motrice : des troubles de nature purement sensorielle peuvent sans doute être intégrés dans le concept de dyspraxie, de manière plus ou moins franche, intéressant de manière variable les principaux systèmes sensoriels impliqués dans la motricité : système proprioceptif, visuel et vestibulaire. En fait, toute action impliquant la gestualité et/ou la posture nécessite également des capacités perceptives et visuo-spatiales intactes, de sorte qu’il est difficile de dissocier ce qui est purement praxique, de ce qui relève de capacités perceptives.

Il pourrait exister un « fond de comorbidité » entre les troubles développementaux de coordination (DCD), les troubles déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH), les troubles de la lecture et les troubles du langage oral (SLI). La question des liens entre troubles de la coordination et difficultés de lecture a fait l’objet d’un intérêt particulier. Une des questions majeures encore non résolues est de savoir s’il existe une forme particulière de dyslexie qui accompagnerait de façon spécifique les troubles de la coordination sensori-motrice chez le dyspraxique. Dans la plupart des travaux sur le sujet, il est rapporté que plus de la moitié des dyspraxiques ont également des troubles d’apprentissage de la lecture. Cette coïncidence entre troubles moteurs et troubles de l’apprentissage en général, et de la lecture en particulier, a été un des supports de la théorie cérébelleuse qui représente l’une des pistes dans la quête actuelle des chercheurs pour une meilleure compréhension des déficits neurocognitifs sous-jacents aux troubles des apprentissages.

L’expérience clinique montre qu’il est rare qu’un enfant dyspraxique ait une écriture intacte. À l’inverse, il existe beaucoup de dysgraphiques chez qui on ne met pas en évidence de signes francs de dyspraxie. Les liens entre DCD et troubles des apprentissages peuvent répondre à deux cas de figure : soit il s’agit d’une dyspraxie avec ses conséquences multiples et variables sur la réalisation des gestes, incluant l’écriture, soit le trouble est plus circonscrit au domaine de l’écriture elle-même et apparaît alors comme en lien étroit avec les performances dans le domaine linguistique.

Les travaux statistiques sur l’association entre précocité et troubles d’apprentissage sont rares. Il n’y a pratiquement aucun article scientifique consacré à l’étude de l’association précocité/trouble d’apprentissage alors que paradoxalement, les commentaires de nature pédagogique abondent sous forme non scientifique, par exemple dans des dizaines d’articles ou de témoignages recueillis sur Internet. Les estimations les plus basses indiquent que 2 à 10 % des enfants enrôlés dans les études américaines sur les surdoués souffrent également de Troubles spécifiques d’apprentissage ce qui n’est pas significativement plus fréquent que dans la population générale, mais environ 40 % des écoliers surdoués ne sont pas diagnostiqués avant le lycée. Incontestablement, la littérature est encore insuffisamment précise dans le domaine pour permettre de mesurer la fréquence exacte de l’association entre précocité et trouble d’apprentissage, et de nouvelles études sont nécessaires. Mais si le fait se confirme, considérer la précocité intellectuelle comme une comorbidité de la dyslexie et des autres troubles d’apprentissage serait d’une importance théorique indéniable, fournissant un puissant instrument de réflexion pour aborder la question des mécanismes sous-jacents. Dans ce cas, il est nécessaire d’imaginer qu’un processus commun ait été capable de provoquer à la fois la dysfonction d’un module et le meilleur fonctionnement d’un autre, ce qui contraint considérablement les modèles explicatifs potentiels.

Les troubles comportementaux ou émotionnels associés

Plusieurs travaux de la littérature apportent des preuves significatives de l’association fréquente entre les difficultés d’apprentissages et les troubles du comportement ou émotionnels. Les troubles émotionnels ou comportementaux peuvent alors être secondaires à la situation d’échec scolaire et/ou aux conditions environnementales sociales, familiales ou psychoaffectives aggravant le trouble cognitif ou bien s’inscrire, au contraire, dans une réelle comorbidité, avec un lien, peut-être d’ordre génétique, entre les deux affections. La prise en charge des deux types de troubles peut être réalisée même si la question du mécanisme sous-jacent à leur association est loin d’être résolue.

Les grandes études de cohortes d’enfants utilisant comme méthodologie les questionnaires étalonnés de type CBQ (Child Behavior Questionnaire) montrent que les enfants présentant un trouble psychopathologique (externalisé ou internalisé) ont un niveau en lecture et/ou en mathématiques inférieur aux enfants sans trouble psychopathologique. Ces études ne décrivent pas le profil cognitif des enfants ou les indices de sévérité des troubles des apprentissages et ne permettent pas de reconnaître une population d’enfants qui du fait d’une dyslexie-dysorthographie mal prise en compte, et en situation d’échec scolaire, présentent des troubles psychologiques secondaires.

L’anxiété, l’humeur dépressive, le trouble déficit de l’attention/hyperactivité, le trouble des conduites sont fréquemment rencontrés chez les enfants mauvais lecteurs. Cette association peut être mise en évidence dès la première évaluation dans les suivis longitudinaux de 7 à 10 ans, et la possibilité d’un traitement précoce peut être envisagée. L’association existe indépendamment des autres facteurs environnementaux familiaux et sociaux en cause dans les troubles émotionnels et comportementaux.

Les troubles comportementaux sont plus fréquents chez les enfants dyslexiques ou dyscalculiques que chez les enfants sans trouble des apprentissages, mais moins fréquents que dans une population d’enfants référés en psychiatrie. L’anxiété de performance, les difficultés de relations avec les pairs, les relations familiales conflictuelles et la faible estime de soi sont également fréquemment rencontrées dans cette population. À titre d’exemple, un Centre de référence sur les troubles du langage français trouvait, lors de l’examen médical, psychologique et orthophonique, des difficultés psychoaffectives chez 28 % des 173 enfants porteurs d’un trouble des apprentissages. Ceci souligne que le clinicien doit être attentif, aux aspects cognitifs et également émotionnels ou comportementaux dans l’évaluation diagnostique et la prise en charge des troubles des apprentissages.

Une littérature abondante concerne l’association entre les troubles des apprentissages (la dyslexie en particulier) et le trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Toutes les études convergent sur le fait qu’un enfant ayant une dyslexie ou un TDAH, présente un risque élevé d’avoir l’autre trouble. Cependant, le choix des instruments de mesure et, des critères de définition pour le TDAH et les troubles des apprentissages, l’âge de l’enfant et le lieu de recrutement peuvent expliquer la disparité dans la fréquence de cette comorbidité. Plusieurs hypothèses de causalité sont évoquées et la question du mécanisme sous-jacent à cette association est loin d’être résolue. Pour certains, les troubles comportementaux peuvent être une conséquence de l’échec scolaire, ou à l’inverse pour d’autres les difficultés de lecture des enfants hyperactifs peuvent s’expliquer par les troubles attentionnels. Pour d’autres enfin, il existerait un lien, sans doute d’ordre génétique, entre les deux affections, comme l’évoque l’étude de jumeaux du Colorado Learning Disabilities Research Center. La fréquence plus importante de troubles comportementaux chez les dyslexiques semble directement liée à la comorbidité entre dyslexie et hyperactivité et spécifique des garçons alors que l’association entre troubles anxieux ou de l’humeur d’une part, et dyslexie d’autre part est indépendante de l’hyperactivité et plus fréquente chez les filles.

Il apparaît indispensable d’évaluer chez les enfants porteurs d’un trouble des apprentissages, les compétences attentionnelles et le degré d’hyperactivité, ainsi que les autres symptômes psychopathologiques associés afin d’assurer une prise en charge complète.

Enfin, plusieurs équipes ont largement décrit leur expérience de pédopsychiatre ou psychologue de formation ou d’orientation psychanalytique avec les enfants porteurs de troubles des apprentissages. Sollicités par les rééducateurs et les pédagogues, les psychiatres et psychanalystes se sont intéressés au fonctionnement psychique dans lequel s’inscrivaient les difficultés d’apprentissage de l’enfant afin de mieux cerner les approches thérapeutiques à proposer. Les études utilisant les tests projectifs dans des populations d’enfants dyslexiques ne montrent pas une organisation univoque de la personnalité de ces enfants comparés à des témoins sans dyslexie, excluant une relation unique de causalité entre personnalité et dyslexie. Néanmoins, lorsque l’enfant et sa famille sont en souffrance, et/ou lorsque la rééducation ne donne pas les résultats escomptés, l’analyse du développement psychique de l’enfant et de ses interactions avec son environnement, en utilisant les approches psychanalytiques, peut venir compléter l’approche cognitive. Ces deux approches peuvent, à condition que l’une n’exclue pas l’autre, permettre une prise en charge de l’enfant dans sa globalité et sa diversité.

La théorie phonologique de la dyslexie

Parmi les hypothèses explicatives de la dyslexie, la théorie phonologique est largement étayée par des travaux expérimentaux.

Le fondement de la théorie phonologique repose sur le fait que la lecture est une activité langagière. Cette théorie s’appuie sur le constat que la langue écrite, qui s’est mise en place après la langue orale dans la phylogenèse (le développement de l’espèce humaine) se met également en place après la langue orale dans l’ontogenèse (le développement de l’individu). De plus, quel que soit le système d’écriture, la langue écrite est, de façon intrinsèque, un système second par rapport à l’oral : même si la perception de l’écrit dépend de la vision alors que celle de l’oral dépend de l’audition, le lecteur peut donc toujours avoir accès à la forme sonore des mots qu’il lit. Enfin, la théorie phonologique s'appuie sur la définition de la dyslexie, qui est un Trouble spécifique d’apprentissage de la lecture ne résultant pas, entre autres, de déficiences sensorielles avérées. Ces différentes explications permettent de comprendre pourquoi l’activité de lecture implique surtout les réseaux neuronaux utilisés pour traiter le langage oral.

Quel que soit le système d’écriture, l’unité de base de l’écrit ne va pas au-delà du mot. Cela peut expliquer pourquoi les compétences spécifiques à la lecture se situent au niveau des procédures d’identification des mots écrits. Le développement d’automatismes dans cette identification permet à l’enfant d’atteindre un niveau de compréhension écrite égal à celui de sa compréhension orale, en le dégageant du poids d’un décodage lent et laborieux. Dans une écriture alphabétique, cette identification peut être obtenue soit par le décodage, qui s’appuie sur les correspondances grapho-phonémiques, soit par la procédure lexicale, qui s’appuie sur les mots. Toutefois, le décodage ne renvoie pas seulement à la lecture laborieuse du débutant : le lecteur expert peut en effet identifier en quelques millisecondes des mots qu’il ne connaît pas. D’autre part, la procédure lexicale n’est pas une procédure visuelle globale : l’expert ayant accès, également en quelques millisecondes, aux codes visuel, phonologique et sémantique des mots.

L’hypothèse phonologique part du constat que les performances en lecture des dyslexiques sont notoirement faibles quand ils ne peuvent pas s’appuyer sur leurs connaissances lexicales, en l’occurrence quand ils doivent décoder des mots rares ou des mots qui n’existent pas (des pseudo-mots). Un tel déficit a été relevé de façon convergente dans les études de groupes indifférenciées de dyslexiques, y compris par rapport à des enfants plus jeunes de même niveau de lecture. En outre, ce déficit, qui est plus marqué quand les dyslexiques sont confrontés à une écriture opaque, se note principalement par la lenteur de la réponse lorsque l’orthographe est transparente. Enfin, les études qui ont examiné des sujets ayant des profils différenciés de dyslexie indiquent que les habiletés phonologiques de lecture des dyslexiques phonologiques, mais pas celles des dyslexiques de surface, sont inférieures à celles d’enfants plus jeunes mais de même niveau de lecture. Cependant, des déficits en lecture de pseudo-mots ont souvent été rapportés chez des dyslexiques de surface. En plus, les comparaisons entre dyslexiques souffrant d’un double déficit et dyslexiques phonologiques indiquent que les capacités phonologiques de ces deux groupes sont également détériorées. Ces résultats suggèrent que le déficit de la procédure phonologique de lecture est robuste et prévalent.

L’hypothèse phonologique classique explique les difficultés de lecture des dyslexiques par la faiblesse de leurs habilités phonologiques en dehors de la lecture, entre autres, en analyse phonémique et en mémoire à court terme phonologique. Ces déficits peuvent entraver le décodage vu que, pour utiliser cette procédure, il faut mettre en correspondance les graphèmes avec les phonèmes, ce qui implique des capacités d’analyse phonémique. Il faut ensuite assembler les unités résultant du décodage pour accéder aux mots, ce qui nécessite un recours à la mémoire phonologique à court terme. Plus récemment, des déficits d’accès au lexique oral ont été relevés chez les dyslexiques. Partant de ce constat, certains chercheurs assument que l’origine des déficits en lecture des dyslexiques serait double : l’une reliée aux compétences d’analyse et de mémoire phonologique, l’autre reliée à l’accès lexical, généralement évaluée par le temps de réponse dans des tâches de dénomination rapide d’images d’objets ou de couleurs. Cette hypothèse est étayée par le fait que la réussite à ce type de tâches explique une part unique de la variance en lecture, en plus de celle expliquée par les capacités phonologiques. De plus, les capacités phonologiques et celles de dénomination rapide ne sont pas corrélées aux mêmes compétences de lecture, les premières expliquant la précision de la réponse, les secondes le temps de traitement. Ces résultats peuvent toutefois être dus au type de mesure utilisé (précision pour les tâches phonologiques, temps de traitement pour les autres), et non au type de tâche. Il est actuellement admis que les tâches de dénomination rapide évaluent des compétences phonologiques qui, lorsque l’enfant utilise surtout le décodage, lui permettraient d’accéder rapidement et précisément au mot oral qui correspond à la chaîne de lettres qu’il a décodée.

L’hypothèse phonologique classique est robuste : dans la plupart des études de groupes, des déficits phonologiques ont été relevés chez les dyslexiques et dans les études qui ont examiné les données individuelles, un déficit phonologique a été identifié dans la majorité des cas de dyslexie. Enfin, ces capacités phonologiques sont les seules qui expliquent les performances en lecture des dyslexiques, qu’il s’agisse de leurs performances concomitantes (mises en évidence par des analyses de régression) ou futures (mises en évidence dans des études longitudinales). En outre, des dysfonctionnements neuronaux ont principalement été relevés dans les aires cérébrales impliquées dans le traitement du langage (aires périsylviennes gauche), ces dysfonctionnements se manifestant surtout par des hypo-activations des aires dédiées aux traitements phonologiques, ce qui est un argument fort à l’appui de cette hypothèse. Dans ces études toutefois, le facteur « phonologie » intègre des capacités diverses. Les déficits dans ces différents domaines pourraient, en fait, s’expliquer par un facteur sous-jacent, soit un déficit des traitements auditifs rapides, soit un déficit de discrimination des phonèmes.

L’hypothèse auditive stipule que le déficit phonologique des dyslexiques provient d’une déficience de perception auditive affectant le traitement des sons brefs et des transitions temporelles rapides, qu’il s’agisse ou non de sons du langage. En l’état actuel de la recherche, les troubles auditifs, lorsqu’ils sont présents, ne semblent pas liés à la rapidité de la succession des stimuli, pas plus qu’à leur ordre d’apparition. De plus, par rapport aux déficits phonologiques classiques, ces déficits ne sont pas fréquents. Enfin, ils ne permettent pas d’expliquer le déficit des compétences de lecture des dyslexiques d’après les analyses de corrélation et de régression.

Une autre hypothèse est que les dyslexiques auraient des difficultés de discrimination des phonèmes. Cette explication s’appuie sur le fait que, pour relier les graphèmes aux phonèmes, il faut non seulement pouvoir isoler les phonèmes, mais il faut également bien les discriminer. Si de nombreux travaux ont porté sur les liens entre apprentissage de la lecture et la première capacité (évaluée par des tâches de comptage ou de suppression de phonème), peu ont évalué l’incidence de la qualité des représentations phonémiques sur cet apprentissage. Or, le phonème est le résultat d’un découpage arbitraire et spécifique à une langue. En effet, d’une part, dans un continuum acoustique, on catégorise, ce qui veut dire que l’on perçoit toute une gamme de sons acoustiquement différents comme /p/ et d’autres comme /t/ ou /k/. D’autre part, le répertoire des phonèmes diffère d’une langue à l’autre, le phonème étant l’unité minimale qui permet de différencier deux mots. Ainsi, /b/ et /v/ sont deux phonèmes différents en français, qui permettent de distinguer « bol » de « vol », mais pas en espagnol. En revanche, /r/ simple et /r/ roulé sont deux phonèmes différents en espagnol permettant de distinguer « pero » (« mais ») de « perro » (« chien ») alors qu’en français, ces deux /r/ ne sont que des variantes dialectales, des allophones, d’un même phonème. Il a été montré que le nouveau-né perçoit différentes oppositions phonétiques susceptibles d’intervenir dans les langues du monde. En fonction de son environnement linguistique, ce répertoire va très rapidement se restreindre aux catégories phonémiques utiles pour traiter sa langue, ce qui implique un processus de sélection, et de restructuration, des catégories phonétiques initiales. C’est ce processus qui n’aurait pas été bien mené à terme chez les futurs dyslexiques, tout au moins chez certains d’entre eux.

De fait, les études disponibles indiquent que les catégories phonémiques des dyslexiques ne sont pas aussi bien spécifiées que celles des normolecteurs. En effet, ils discriminent moins bien des phonèmes appartenant, dans leur langue, à différentes catégories phonémiques. En revanche, ils perçoivent mieux certaines différences phonétiques qui ne sont pas utiles pour traiter leur langue (on parle de perception allophonique). Ce double déficit, qui ne proviendrait pas de déficiences des mécanismes auditifs, peut n’avoir que des conséquences mineures sur l’acquisition de la langue orale. L’accès au lexique mental peut en effet s’opérer à partir de représentations allophoniques, quoique de manière moins économique que s’il s’effectue à partir de représentations phonémiques, au moins en termes de volume d’information à traiter. En revanche, ce type de déficit peut gravement entraver l’acquisition du langage écrit : pour relier les graphèmes aux phonèmes correspondants, il faut des catégories phonémiques bien spécifiées. Ces résultats peuvent expliquer les difficultés d’analyse phonémique mais aussi celles de mémoire à court terme phonologique, dues à l’accroissement de la charge mnésique provenant d’un répertoire phonologique élargi, allophonique plutôt que phonémique. Ils peuvent aussi expliquer les difficultés d’accès au lexique, en particulier celles mises en relief par les tâches de dénomination sérielle rapide, d’où la possibilité d’un syndrome sous-jacent aux différents déficits intégrés dans le cadre de l’explication phonologique classique de la dyslexie.

Les résultats obtenus dans des tâches de discrimination phonémique apportent des arguments nouveaux à l’appui de l’hypothèse explicative de la dyslexie par un déficit phonologique. Des études complémentaires sont toutefois nécessaires, pour évaluer, d’une part, la fréquence de ces déficits, d’autre part, leur pouvoir explicatif ainsi que les relations qu’ils entretiennent avec les déficits phonologiques classiques (entre autres, déficits de segmentation phonémique et de mémoire à court terme phonologique).

Les dimensions visuelles de la dyslexie

Une autre hypothèse explicative de la dyslexie porte sur les dimensions visuelles. Apprendre à lire nécessite de mettre en relation une information orthographique issue de l’analyse visuelle de la séquence du mot écrit et une information phonologique dérivée du traitement auditif de la séquence orale correspondante. De nombreuses études se sont intéressées à la nature des traitements visuels impliqués dans cet apprentissage et ont fait l’hypothèse que certains dysfonctionnements des traitements visuels pourraient induire des troubles dyslexiques.

Les travaux menés dans ce cadre suggèrent que certains dyslexiques présentent effectivement un déficit des traitements visuels (indépendamment de toute atteinte perceptive). Il est important de noter cependant que ces troubles visuels ne sont jamais mis en évidence sur la base d’épreuves cliniques mais nécessitent le recours à des épreuves psychophysiques informatisées.

Les résultats d’un certain nombre d’études expérimentales et neurophysiologiques plaident en faveur d’une atteinte du système visuel magnocellulaire chez les personnes (adultes ou enfants) présentant une dyslexie développementale. Cette conclusion est basée sur la mise en évidence dans certaines études d’un trouble de la sensibilité aux faibles fréquences spatiales et aux hautes fréquences temporelles ainsi qu’une sensibilité réduite aux points en mouvement : les dyslexiques sont moins performants que les normolecteurs pour détecter le mouvement d’un ensemble de points ; ils ont une moindre discrimination de la différence de vitesse entre deux cibles en mouvement. Certaines recherches ont par ailleurs montré l’existence de corrélations entre les performances obtenues sur les épreuves visuelles psychophysiques et diverses mesures de lecture. Par ailleurs, l’hypothèse magnocellulaire, initialement limitée au système visuel, a peu à peu évolué pour tendre vers l’hypothèse d’un trouble amodal des systèmes magnocellulaires : les enfants dyslexiques auraient du mal à traiter les informations temporelles rapides dans l’une ou l’autre modalité (visuelle ou auditive) suite à l’atteinte conjointe des systèmes magnocellulaires visuels et auditifs. Des résultats d’études expérimentales et neurophysiologiques semblent conforter cette hypothèse et ainsi rendre compte de la co-occurrence chez certaines personnes dyslexiques de troubles à la fois phonologiques et visuels.

Cependant, l’hypothèse magnocellulaire est aujourd’hui controversée. Les limites méthodologiques de certaines études ayant conclu à un déficit visuel magnocellulaire ont été soulignées et l’hypothèse souffre d’un manque de duplication des résultats. L’hypothèse amodale doit également être reconsidérée à la lumière des résultats suggérant que seule une faible proportion de dyslexiques porteurs de trouble phonologique présente à la fois des difficultés de traitement des sons de parole et des difficultés de traitement visuel magnocellulaire. Cependant, les recherches menées dans ce cadre ont conduit à entrevoir l’extrême complexité de ce type de trouble dont on peut penser aujourd’hui qu’il se manifeste dans certaines conditions expérimentales particulières qui restent encore largement à définir et qu’il ne s’observe que dans une sous-population d’enfants dyslexiques, elle-même non clairement identifiée.

Les études les plus récentes suggèrent notamment que le trouble magnocellulaire pourrait ne se manifester que lorsque la tâche implique un traitement attentionnel spécifique. Ceci rejoint les résultats d’un certain nombre d’autres travaux montrant l’existence de troubles de l’attention visuelle en contexte dyslexique. Des difficultés de focalisation attentionnelle, de désengagement attentionnel et des problèmes d’orientation automatique de l’attention se traduisant par un phénomène de mini-négligence gauche ont notamment été décrits chez les dyslexiques. Cependant, l’hypothèse d’un trouble de l’attention visuelle tout comme l’hypothèse d’une atteinte magnocellulaire se heurte au fait que ces déficits ont été le plus souvent rencontrés en association avec les troubles phonologiques. Ainsi, les troubles de l’attention visuelle seraient à replacer dans le contexte d’un trouble amodal des traitements attentionnels, s’étendant aux modalités auditives et peut être également haptiques en plus de la modalité visuelle. Il est important de noter cependant que les déficits mis en évidence chez les dyslexiques ne se situent pas pour autant dans le contexte d’un trouble attentionnel général (TDAH par exemple). Peu d’études ont par ailleurs apporté des éléments explicitant le lien entre déficit de l’attention visuelle et profils de lecture des enfants dyslexiques.

Le plus souvent, les dysfonctionnements visuels ou de l’attention visuelle ont été décrits dans le contexte de troubles phonologiques. Des travaux récents suggèrent cependant qu’une forme particulière de dysfonctionnement, un trouble de l’empan visuo-attentionnel, pourrait être associée à certaines dyslexies et s’observer indépendamment de toute atteinte phonologique. La notion d’empan visuo-attentionnel renvoie au nombre de lettres qui peuvent être traitées simultanément au sein de la séquence du mot lors de chaque fixation. Une réduction de l’empan visuo-attentionnel a été mise en évidence dans certains cas de dyslexie de surface sans trouble phonologique associé. Des études de groupes suggèrent que le nombre d’enfants présentant ce type de déficit serait, tant dans la population anglophone que francophone, au moins égal au nombre d’enfants présentant un trouble phonologique isolé. Les études devront être poursuivies afin de tester l’hypothèse d’une relation causale entre déficit de l’empan visuo-attentionnel et trouble d’apprentissage de la lecture.

Tous les professionnels s’accordent pour dire que le diagnostic de dyslexie ne peut être posé qu’après avoir vérifié l’absence de trouble de la perception visuelle : un examen ophtalmologique s’impose donc de façon à estimer l’acuité de l’enfant et éliminer tout problème de type hypermétropie, myopie ou astigmatisme. Il convient également d’interroger l’enfant quant aux sensations éprouvées lors de la lecture. Certains enfants dyslexiques ont l’impression que les lettres bougent et se chevauchent pendant la lecture. Ceci traduirait une instabilité du contrôle binoculaire. Tout témoignage de ce type ainsi qu’un certain nombre de signes d’alerte (erreurs visuelles, difficultés à suivre les lignes, problème de sauts de lignes) doivent conduire à demander des examens complémentaires (examen orthoptique et évaluation des capacités de convergence de l’enfant). L’examen clinique doit également s’assurer de l’absence de troubles oculo-moteurs (type nystagmus ou exophorie par exemple). Des propositions de prise en charge telles que le port de verres de couleur, le port de prismes ou l’occlusion temporaire d’un œil ne font pas l’unanimité, ni parmi les chercheurs ni parmi les cliniciens spécialistes de la vision. Force est de constater que ces « traitements » manquent encore de validations solides et de cadre théorique explicatif convaincant. Nous manquons également d’outils pour le diagnostic clinique des troubles magnocellulaires ou visuo-attentionnels. Les recherches devront également être poursuivies afin de développer les entraînements nécessaires à la prise en charge de ces troubles.

L’hypothèse cérébelleuse

Toujours, pour tenter de rendre compte de la complexité des symptômes cliniques observés, et en particulier de l’association fréquente, au sein des troubles des apprentissages, de déficits touchant des domaines aussi divers que la lecture, le langage, le calcul, et même les systèmes sensori-moteurs, les scientifiques ont recherché des explications et proposé des modèles tendant à extraire les caractéristiques communes aux divers domaines perturbés.

C’est ainsi que certaines associations rencontrées chez le dyslexique ont attiré l’attention des chercheurs : un retard dans les étapes du développement moteur, des troubles de nature séquentielle et temporelle (dire l’heure, se rappeler les mois de l’année), et surtout la présence de troubles de la coordination motrice et de troubles de l’équilibre, tous ces éléments évoquant une dysfonction du cervelet. Cet organe, longtemps considéré comme jouant un rôle purement moteur, a fait l’objet de travaux récents montrant en fait son implication dans de nombreux processus cognitifs et dans les apprentissages en général.

Plusieurs éléments expérimentaux sont venus à l’appui d’une théorie essentiellement basée sur l’intuition clinique : en premier lieu, des travaux anatomiques, sur le cerveau humain post-mortem et à l’aide de diverses méthodes d’imagerie ont pointé une anomalie au niveau du cervelet chez le dyslexique.

Assez paradoxalement, c’est une étude démontrant une hypoactivation cérébelleuse lors de tâches purement motrices (apprentissage d’une série de mouvements des doigts) chez l’adulte dyslexique, qui a véritablement fait connaître la théorie cérébelleuse. En revanche, bien que le cervelet soit classiquement activé lors de la lecture chez le sujet normolecteur, il n’a pratiquement jamais été publié de déficit d’activation du cervelet lors de la lecture chez le dyslexique.

De fait, le cervelet peut affecter la lecture de différentes manières. Il est impliqué dans le contrôle des mouvements oculaires, dans l’attention visuo-spatiale, dans la vision périphérique, tous ces aspects étant des composantes essentielles de la lecture. En tant que structure cruciale dans la gestion du temps par le cerveau, le cervelet peut contribuer aux problèmes de coordination sensori-motrice et d’intégration intersensorielle observés chez les dyslexiques.

Selon ses défenseurs, la théorie cérébelleuse suppose que le déficit est présent très précocement, dès la naissance, et va interférer avec la mise en place normale des aptitudes tant auditives qu’articulatoires nécessaires à la constitution du système phonologique, comme aux aptitudes visuelles telles que les mouvements oculaires et la reconnaissance des lettres, donnant lieu à la fois aux difficultés phonologiques et orthographiques caractéristiques de l’enfant ou de l’adulte dyslexique.

Mais, aussi séduisante soit-elle, cette théorie a été vivement critiquée ces dernières années. Ses détracteurs remarquent tout d’abord que les troubles moteurs sont loin d’être la règle chez tous les dyslexiques, et que beaucoup d’entre eux, même avec des difficultés majeures dans l’apprentissage de la lecture, n’ont manifesté aucune difficulté motrice, voire même se sont montrés très tôt particulièrement doués pour les activités motrices, qu’il s’agisse de motricité proximale et d’équilibre ou de motricité distale. Certains ont même proposé que les troubles moteurs parfois observés chez les dyslexiques ne soient qu’un artéfact lié à la comorbidité avec des troubles d’hyperactivité. Alors que plusieurs études ont ainsi minimisé l’incidence de tels troubles moteurs, au moins deux études récentes, utilisant des dispositifs sophistiqués de mesure de l’équilibre et de la posture, ont apporté des arguments positifs pour soutenir l’hypothèse cérébelleuse. Les dyslexiques étaient ainsi significativement moins aptes que les témoins à tenir en équilibre sur un pied, en particulier les yeux ouverts, et leur performance dans l’épreuve posturale était corrélée à leur performance en lecture et en orthographe. Enfin, si, comme cela a été signalé, les troubles de type cérébelleux sont moins fréquents chez des adultes que chez des enfants dyslexiques, cela signifie peut-être que les déficits initialement observés chez l’enfant se stabilisent durant l’adolescence pour ne plus apparaître une fois le dyslexique devenu adulte. En définitive, il est très peu probable que l’on puisse expliquer la dyslexie par un dysfonctionnement du cervelet. En revanche, les arguments sont suffisamment nombreux pour inciter à inclure le cervelet parmi les systèmes cérébraux qui sont perturbés chez le dyslexique, ou du moins pour une partie d’entre eux. En tout état de cause, l’hypothèse cérébelleuse aura eu le mérite de proposer une alternative plausible aux thèses faisant du trouble de la lecture le seul objet d’intérêt des chercheurs et d’avoir ouvert la voie à une véritable prise en compte des comorbidités dans l’explication de la dyslexie.

L’hypothèse du traitement temporel

Non sans rapport avec la théorie cérébelleuse, une hypothèse avait été proposée il y a plus de 30 ans par une scientifique américaine Paula Tallal, sous l’appellation de « théorie du déficit du traitement temporel ». L’enfant dyslexique, et plus généralement l’enfant souffrant de Trouble spécifique d’apprentissage, a très souvent des problèmes avec le temps en général, qu’il s’agisse de la gestion des aspects temporels liés à la réalisation des actes quotidiens, de la conscience et/ou la perception de la durée d’événements, ou encore de la discrimination d’événements brefs, tels que ceux constitutifs de la parole humaine. De très nombreuses études, utilisant des approches diverses, se sont penchées sur cette étrange caractéristique, dans le but de trouver un point commun entre cette dernière et les difficultés d’apprentissage.

Selon la théorie initialement proposée par Tallal, le cerveau des enfants souffrant de troubles du langage oral et écrit serait constitutionnellement incapable de traiter spécifiquement les stimuli de son environnement qui possèdent des caractéristiques de brièveté et de succession rapide, qui sont précisément les deux caractéristiques de la parole humaine. Cette constatation prend tout son sens lorsqu’on observe les confusions auditives que font beaucoup d’enfants dyslexiques, entre des phonèmes acoustiquement proches, en particulier les paires telles que /t/-/d/; /ch/-/j/…qui semblent particulièrement difficiles à discriminer par le système auditif du dyslexique. Parmi les épreuves permettant de mettre en évidence le déficit du traitement auditif temporel, le « repetition test » de Tallal est sans doute le plus largement utilisé. Il consiste à présenter au sujet des paires de sons différents donnés dans un ordre aléatoire que l’enfant doit reproduire par l’appui successif sur deux touches de l’ordinateur. En faisant varier l’intervalle entre les deux sons, depuis quelques millisecondes, jusqu’à quelques secondes, on s’aperçoit que le sujet dyslexique éprouve d’importantes difficultés à en reproduire l’ordre, mais seulement pour les intervalles brefs, en dessous de 150 millisecondes. Au-delà, sa performance rejoint celle des témoins non dyslexiques. Ce trouble du jugement d’ordre temporel est présent chez les enfants souffrant de troubles du langage en général, mais également chez une partie au moins de ceux souffrant de dyslexie. En outre, le même effet peut être démontré chez le dyslexique en utilisant des paires de syllabes telles que /ba/-/pa/ ou /da/-/ga/. Un vaste débat s’est instauré autour de ce simple test, entre les tenants de l’hypothèse temporelle, qui en font la preuve que le dyslexique souffre d’une difficulté d’ordre à la fois perceptive et temporelle, et ses détracteurs, qui soulignent que cet effet n’est pas présent chez tous les dyslexiques, et surtout qu’il varie selon le caractère linguistique ou non des stimuli : si l’on propose aux enfants une tâche de jugement d’ordre temporel (JOT) utilisant des paires de phonèmes plus faciles à discriminer, le déficit disparaît ; de même si l’on utilise des stimuli faits de parole artificielle.

Une autre considération importante a trait à l’éventuelle hétérogénéité des concepts sous-tendus par le terme « déficit temporel ». En effet, si le JOT a été le plus étudié, et en général retrouvé déficitaire chez le dyslexique, il a été rarement mis en relation avec d’autres aspects du traitement temporel, comme par exemple le jugement de durée relative d’un stimulus. Par ailleurs, il est important de s’interroger sur les liens entre l’éventuel trouble temporel et l’intensité du trouble phonologique, considéré comme le mécanisme crucial dans l’apprentissage de la lecture. Une étude récente a démontré que le déficit du JOT est corrélé de manière significative avec le trouble phonologique, de même qu’une mesure de jugement de durée d’un stimulus auditif. Toutefois, les deux déficits ne sont pas inter-corrélés, suggérant qu’il s’agit de deux dimensions séparables du déficit temporel.

Un autre postulat de la théorie temporelle prédit que le déficit doit se retrouver dans différentes modalités. Plusieurs travaux, dont une étude de l’équipe même de Tallal, ont démontré que des dyslexiques éprouvent des difficultés à discriminer deux stimuli dans la modalité tactile (identifier lequel de deux doigts d’une même main étaient touchés simultanément). Plus récemment, divers travaux ont mis en évidence chez le dyslexique des déficits de jugement d’ordre de stimuli visuel et tactiles, y compris chez le même individu, ce qui conforte l’idée d’un trouble supra-modal, c’est-à-dire indépendant de la modalité sensorielle. Enfin, plusieurs auteurs ont récemment insisté sur une difficulté particulière chez le dyslexique à discriminer des stimuli non plus seulement dans plusieurs systèmes perceptifs chez un même sujet, mais dans des tâches impliquant la confrontation de plusieurs modalités dans une même tâche, réalisant une condition de transfert intermodalitaire.

Tant chez des enfants que des adultes dyslexiques, ces protocoles ont mis en évidence des différences très nettes dans la majorité des combinaisons étudiées. Pour les auteurs, ces résultats permettent d’affirmer qu’au-delà de l’altération multimodalitaire suspectée par Tallal dès les premières formulations de sa théorie, il existe chez le dyslexique un déficit du traitement temporel nécessitant la mise en commun d’information provenant au cerveau par divers canaux sensoriels. Une étude récente utilisant un paradigme de jugement d’ordre temporel visuel associé à un facilitateur sonore, suggère chez les dyslexiques un problème d’élargissement de la « fenêtre temporelle ». L’extension anormale de cette fenêtre temporelle chez le dyslexique aurait alors pour effet d’altérer les processus dépendant du couplage rapide et précis de deux informations provenant de modalités différentes, comme par exemple ceux mis en jeu lors de la conversion grapho-phonémique.

On voit donc qu’après une période de vive contestation, remettant sérieusement en doute les théories faisant appel à un trouble temporel supra-modal, les recherches les plus récentes, grâce à l’affinement des protocoles expérimentaux, semblent aller à nouveau dans le sens d’un déficit de certains aspects très spécifiques du traitement de l’information sensorielle, en particulier lorsque deux informations différentes doivent être mises en relation. Les caractéristiques temporelles de cette mise en relation pourraient être déterminantes. Ces constatations rappellent en effet une théorie déjà ancienne de l’apprentissage, dite « synapse de Hebb » : lorsque deux neurones A et B sont en situation de proximité et que le neurone A décharge alors que B est activé, alors les liens réciproques entre A et B seront renforcés. À l’inverse, si A décharge alors que B est inactif, même à quelques millisecondes près, les liens entre les deux neurones sont inhibés. Ce principe général, qui a reçu depuis sa première formulation dans les années 1940, diverses confirmations expérimentales, pourrait fort bien s’avérer, d’après les données les plus récentes, un cadre très fructueux pour expliquer diverses constatations encore mal élucidées en matière de troubles des apprentissages.

Dans la modalité auditive, un grand nombre d’études ont utilisé la méthode des potentiels évoqués, particulièrement intéressante dans ce contexte pour ses propriétés de sensibilité temporelle : divers travaux ont montré que le cortex auditif du dyslexique traite de manière imparfaite les stimuli auditifs, avec spécifiquement, au moins dans certains cas, des preuves d’une anomalie de traitement de la succession temporelle des éléments acoustiques composant les unités linguistiques. Ainsi, la différence acoustique entre les phonèmes /ba/ et /pa/, correspondant à la notion de voisement, se traduit au niveau de l’activité électrique enregistrée en regard du cortex auditif, par une différence subtile de la succession temporelle d’événements strictement alignés temporellement avec les événements acoustiques. Chez des adultes dyslexiques, le même stimulus est traité de manière temporellement anarchique, de sorte qu’on ne reconnaît plus au niveau électrique la succession habituelle des différents événements acoustiques. On peut alors présumer qu’une perturbation minime de la simultanéité d’activation des différents éléments cellulaires du système, en réduisant la force de leurs connexions réciproques, serait suffisante pour l’empêcher d’acquérir sa fonction de perception spécifique du voisement, simplement parce que cette dernière est, parmi les caractéristiques de la parole humaine, la plus dépendante de l’organisation temporelle du stimulus.

Les bases neurologiques de la dyslexie

L’approche neurologique des dyslexies dans la recherche contemporaine a été initiée par les travaux fondateurs de Galaburda et ses collaborateurs, montrant dans une étude anatomo-pathologique, non reproduite depuis lors, l’existence d’anomalies micro-structurales du cortex péri-sylvien (ectopies et dysplasies) et une réduction de la taille des neurones dans le ganglion géniculé. Ces résultats suggèrent l’existence d’anomalies de la migration et de la maturation neuronale dans certaines zones du cortex essentielles pour l’automatisation des mécanismes de la lecture.

Sur ces bases, des études morphométriques en imagerie par résonance magnétique (IRM) ont eu pour but d’identifier l’existence d’anomalies macroscopiques de la structure du cortex chez les dyslexiques. Menées au sein de régions d’intérêt définies a priori (cortex pariétal, temporal, frontal inférieur, cérébelleux, corps calleux), des anomalies structurales ont été décrites mais sans grande reproductibilité d’une étude à l’autre. Des avancées techniques ont permis des analyses dans tout le volume cérébral : voxel-based morphometry, imagerie en tenseur de diffusion. Des résultats obtenus avec cette dernière technique ont identifié des particularités du signal dans une zone de substance blanche sous-jacente à la jonction temporo-pariétale gauche suggérant une connectivité anormale entre ces zones du cortex ; en outre, des corrélations existaient entre l’intensité de l’anomalie et les scores en lecture.

L’imagerie fonctionnelle cérébrale (tomographie par émission de positons ou PET, imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ou IRMf) et les techniques électromagnétiques (potentiels évoqués en électro-encéphalographie ou PE, magnéto-encéphalographie ou MEG) ont permis de révéler des anomalies d’activité de régions impliquées dans la lecture et les autres processus cognitifs associés, chez les sujets dyslexiques par rapport à des normolecteurs. Il faut noter cependant que ces expérimentations sont sensibles à de nombreux biais expérimentaux susceptibles de rendre compte de discordances entre études.

Dans le domaine électrophysiologique, des anomalies ont été rapportées aussi bien dans les composantes précoces que tardives, en fonction des paradigmes expérimentaux et des modalités explorées, visuelle ou auditive.

Dans le domaine de l’imagerie TEP ou IRMf, l’anatomie fonctionnelle normale de la lecture de mots isolés comprend 3 zones majeures : la jonction temporo-occipitale gauche, la jonction temporo-pariétale gauche, l’aire de Broca. L’activation de ces 3 régions est anormale chez le sujet dyslexique, de même que la connectivité fonctionnelle de ces régions entre elles. Les deux régions temporales et/ou pariétales sont très généralement hypofonctionnelles, ce qui a été confimé par des études en MEG. Une hyper-activation de l’aire de Broca chez les patients a souvent été considérée comme le témoignage d’une compensation prémotrice de déficits du cortex postérieur. Des effets compensateurs ont été invoqués également pour rendre compte des activations plus importantes chez les dyslexiques dans le cortex périsylvien droit.

Ces résultats chez l’adulte ont été largement confirmés par les études en IRMf et en MEG chez l’enfant. Au total, ils suggèrent une anomalie de la connectivité au sein des circuits temporo-pariéto-frontaux qui sous-tendent le langage et particulièrement le circuit sous-jacent à la boucle phonologique en mémoire de travail ainsi que l’interaction entre les « circuits dorsal et ventral de la lecture ».

Les nombreuses hypothèses physiopathologiques concernant l’origine des dyslexies ont toutes reçues un support empirique d’études de neuro-imagerie confirmant l’existence d’effets différentiels prédits. Ces hypothèses peuvent être classifiées en deux types. Le premier type suppose l’existence d’un déficit affectant des représentations phonologiques ou lexicales stockées en mémoire à long terme (hypothèse phonologique). Le second type recouvre de nombreuses hypothèses supposant des anomalies diverses dans les processus sensori-moteurs de traitement en temps réel de l’information perceptive.

L’hypothèse phonologique, prédominante, est massivement confortée par l’existence de déficits d’activation de régions péri-sylviennes gauches normalement impliquées dans l’analyse phonologique et la mémoire de travail phonologique.

Certaines études ont suggéré un dysfonctionnement des voies visuelles magnocellulaires mais d’autres ont montré que ces effets n’étaient mis en évidence que sous certaines contraintes expérimentales. Dans le domaine auditif, plusieurs travaux ont montré un déficit dans le traitement, de type magnocellulaire, des variations acoustiques ou linguistiques rapides. Cependant, des données récentes suggèrent que ces effets n’existent que dans des sous-groupes de sujets et ils ne concernent que certains secteurs (prémoteurs gauches) du cortex, d’autres secteurs (supra-marginal gauche) montrant une hypoactivation constante quel que soit le rythme de variation du signal de parole.

Enfin, des anomalies d’activation du cortex cérébelleux droit ont été observées au cours de tâches d’apprentissage d’une séquence de mouvements des doigts.

Les techniques de neuro-imagerie ont été appliquées plus récemment à l’étude des corrélats cérébraux des améliorations des performances induites par diverses méthodes d’intervention ou d’entraînement intensif dans des groupes d’enfants dyslexiques. La plus grande influence sur les performances et les signaux neurofonctionnels d’une intervention phonologique intensive par rapport à une prise en charge conventionnelle a été montrée dans certaines de ces études. Dans d’autres travaux, des corrélations positives étaient retrouvées entre l’accroissement du signal d’activation en IRMf dans les régions temporo-pariétale gauche et frontale droite et les améliorations des scores en langage et phonologie, sans généralisation au score de lecture. Les différentes techniques d’imagerie fonctionnelle sont certes suffisamment sensibles pour mettre en évidence des modifications de l’activité cérébrale après des remédiations, mais la spécificité des mécanismes à l’origine des effets obtenus tant au niveau cognitif que cérébral doit être discutée.

Enfin, l’imagerie fonctionnelle pourrait avoir un rôle dans l’identification très précoce de profil d’activité cérébrale faisant prédire la survenue d’un handicap d’apprentissage de la lecture, particulièrement au sein de famille « à risque » génétique du développement de ce trouble. Une interrogation éthique autour de cet axe de recherche est à mener en raison des risques de stigmatisation alors même que les moyens nécessaires à la prise en charge du handicap ne seraient pas assurés.

Les facteurs génétiques

L’hypothèse de la nature familiale de la dyslexie est évoquée depuis longtemps et un faisceau de présomptions rassemblées depuis une vingtaine d’années fait en effet penser que la dyslexie possède une origine génétique.

Le meilleur indice d’une composante familiale est l’augmentation du risque chez les apparentés d’un sujet atteint. Il s’agit d’un risque relatif comparant le risque des apparentés d’individus sains au risque du trouble chez les apparentés d’individus malades. On utilise en général les antécédents familiaux du premier degré (parents, frères et sœurs). Pour la dyslexie, le risque de retrouver le trouble chez un apparenté de l’individu atteint est de 8 à 10 fois plus élevé que ce même risque dans la parenté d’un individu non atteint. Cela n’exclut pas l’observation par ailleurs de cas sporadiques, dans la mesure où les mêmes dysfonctionnements cérébraux et cognitifs peuvent survenir de novo. L’agrégation familiale suggère, mais ne prouve pas l’origine génétique. En effet, les familles partagent non seulement une partie de leurs gènes, mais également un certain environnement. On peut imaginer que des parents qui ne lisent pas constituent, pour leurs enfants, un environnement peu favorable à l’apprentissage de la lecture.

Ce sont les études de jumeaux qui permettent le mieux d’apprécier le poids des facteurs génétiques par rapport aux facteurs environnementaux. Ces études ont précisément comme objectif de calculer l’héritabilité, c’est-à-dire le pourcentage de la variance expliquée par les facteurs génétiques. On mesure pour cela la concordance des pathologies chez les jumeaux monozygotes et dizygotes. On observe que lorsqu’un jumeau monozygote est dyslexique, la probabilité que l’autre le soit également est d’environ 70 %. En revanche, la probabilité n’est plus que de 45 % pour les jumeaux dizygotes. Comme on peut penser que les jumeaux monozygotes partagent entre eux les mêmes facteurs environnementaux que les jumeaux dizygotes, la différence de concordance s’explique donc par le fait que les jumeaux monozygotes sont similaires génétiquement à 100 % alors que les jumeaux dizygotes ne le sont qu’à 50 % (pour les gènes qui varient) ; les données de concordance permettent ainsi de calculer l’héritabilité.

L’héritabilité de la dyslexie est comprise entre 50 et 65 % d’après les plus grandes études sur les jumeaux. Des donnés similaires ont été collectées concernant les difficultés en mathématiques, aboutissant à une héritabilité d’environ 50 %. Les études de jumeaux permettent également de distinguer les facteurs partagés (facteurs d’environnement familial) et non partagé (environnement social, scolaire…). Dans le cas de la dyslexie, les facteurs environnementaux non partagés sont prédominants par rapport aux facteurs environnementaux partagés.

Toutes ces données permettent d’établir qu’il y a bien une contribution génétique à la dyslexie mais n’expliquent pas la nature de cette contribution génétique. En ce qui concerne les autres troubles spécifiques des apprentissages, la recherche en génétique en est encore à ses balbutiements. On ne sait de la dyscalculie que la forte héritabilité des difficultés en mathématiques. En ce qui concerne la dysorthographie, les études génétiques ne l’ont en fait pas vraiment distinguée de la dyslexie, beaucoup d’études utilisant des mesures d’orthographe aussi bien que de lecture pour définir le phénotype. Pour l’instant aucune étude n’a recherché des facteurs génétiques qui pourraient distinguer dyslexie et dysorthographie.

Les analyses de liaison génétique ont montré des régions chromosomiques transmises par les parents significativement plus souvent aux enfants avec troubles qu’aux enfants sans trouble. Le lien entre la dyslexie et des régions sur les chromosomes 1, 2, 3, 6, 15 et 18 a été rapporté par des équipes indépendantes dans plusieurs études. La multiplicité des sites chromosomiques impliqués suggère que les troubles spécifiques des apprentissages sont, dans la plupart des cas, des déficits ayant une composante génétique complexe dans laquelle plusieurs gènes sont impliqués.

Les régions chromosomiques liées indiquent les régions du génome au sein desquelles se trouvent très probablement des gènes associés à la dyslexie. Néanmoins, ces régions peuvent abriter des centaines de gènes, qui sont catalogués mais qui pour la plupart n’ont jamais été étudiés. Il y a donc un fossé énorme entre l’identification d’une région liée, et l’identification au sein de cette région, d’un gène associé. Les progrès de la biologie moléculaire permettent de réduire de jour en jour ce fossé.

Au sein de ces six régions, quatre gènes candidats ont été étudiés. Deux d’entre eux (DYX1C1, ROBO1) présentent des mutations chez des cas ou familles rares, mais on ne sait pas si des allèles de ces gènes augmentent le risque de formes plus courantes de dyslexie. Pour les deux autres (KIAA0319 et DCDC2), des haplotypes de susceptibilité au sein de grandes populations ont été proposés. Ces haplotypes restent néanmoins à confirmer. Hormis les cas rares de mutation radicale invalidant la fonction de la protéine (DYX1C1 dans une famille finlandaise), il semble que les allèles de susceptibilité produisent leurs effets par une altération de l’expression de la protéine (certains haplotypes sont d’ailleurs situés dans des régions régulatrices). Néanmoins, les données d’expression restent fragmentaires et demandent à être confirmées.

Le résultat le plus remarquable sur les propriétés fonctionnelles de ces gènes provient des études sur l’animal en cours de développement. Ces études montrent que les quatre gènes candidats pour la dyslexie sont impliqués dans la migration des neurones au cours du développement cérébral, trois dans la migration radiaire des corps cellulaires vers le cortex, et un (ROBO1) dans la migration des axones et des dendrites. Il paraît peu probable qu’une telle convergence de fonctions soit due au hasard. De plus, ces résultats permettent d’établir un lien entre les gènes associés à la dyslexie et les anomalies cérébrales qui ont été observées dans les cerveaux de certaines personnes dyslexiques.

Il est important de souligner que, si l’usage en génétique veut qu’on désigne ces gènes comme des « gènes de la dyslexie », il s’agit là d’un abus de langage, en fait d’un raccourci pour désigner des « gènes dont certains allèles augmentent le risque de dyslexie ». Il va de soi qu’aucun de ces gènes n’est spécifique à la dyslexie, et qu’il ne s’agit pas non plus de gènes de la lecture, ni même du langage oral. Comme presque tous nos gènes, ceux-ci existent dans des formes voisines chez les autres mammifères, voire même chez la drosophile (ROBO1). Ces gènes exercent, chez tous ces animaux, des fonctions multiples, et sont d’ailleurs exprimés dans de nombreux organes différents au cours du développement et de la vie. Ce qui les relie plus spécifiquement à la dyslexie, c’est le fait d’être aussi impliqués dans un stade particulier du développement cérébral, et notamment dans la mise en place de certaines aires cérébrales qui seront bien plus tard recrutées par l’apprentissage de la lecture.

Dans certains cas rares, il semble qu’une mutation d’un gène unique soit suffisante pour provoquer la dyslexie. L’identité du gène responsable peut varier d’un cas à l’autre. Le plus souvent, les personnes dyslexiques ne semblent pas porteuses d’une mutation rare, mais plutôt d’allèles de susceptibilité. Ces allèles sont fréquents au sein la population normale, et ne constituent pas en soit une cause suffisante de la dyslexie. Chaque allèle de susceptibilité augmente un peu le risque de dyslexie, le trouble ne se révélant que lors de combinaisons particulièrement défavorables d’allèles de susceptibilité, et/ou d’interactions de ces allèles avec des facteurs non génétiques augmentant également le risque. Un grand nombre de facteurs environnementaux (familiaux, socio-culturels, pédagogiques) peuvent moduler l’expression des facteurs génétiques, positivement ou négativement.

Enfin, il est fort probable que dans un certain nombre de cas, la cause primaire puisse résider dans des facteurs non génétiques, à savoir typiquement d’autres facteurs biologiques, notamment ceux entraînant des lésions ou malformations cérébrales à la naissance.

Chaque individu dyslexique possède donc son propre profil cognitif et ses propres particularités cérébrales, qui sont le résultat de la combinaison spécifique de facteurs génétiques dont il est porteur, et des facteurs non génétiques auxquels il a été exposé.

Une analyse critique des différentes théories pour la dyslexie

Il existe une grande diversité de théories explicatives de la dyslexie : théorie du déficit phonologique, théorie du traitement auditif temporel, théories visuelles, théorie cérébelleuse, théorie magnocellulaire… Cette diversité est due à plusieurs facteurs :

il existe sans doute plusieurs causes distinctes de la dyslexie, et donc plus d’une théorie pourrait être correcte, chacune pour un sous-ensemble de la population dyslexique ;

la présentation clinique de la dyslexie est complexe, incluant de nombreux symptômes autres que la lecture, notamment phonologiques, auditifs, visuels, spatiaux, moteurs et autres. Chacun de ces symptômes a donné lieu à des spéculations théoriques ;

la dyslexie est fréquemment comorbide avec d’autres troubles développementaux (trouble du langage oral ou dysphasie, dyspraxie, troubles de l’attention…). Dans les études de groupes, des symptômes d’autres troubles développementaux peuvent ainsi sembler liés à la dyslexie, engendrant de nouvelles hypothèses théoriques.

Cette grande diversité de symptômes associés à la dyslexie ne facilite pas l’identification des causes réelles par rapport aux simples comorbidités. Néanmoins, à l’issue d’un très grand nombre d’études, plusieurs points ressortent clairement.

Une grande majorité d’enfants dyslexiques souffrent d’un déficit cognitif spécifique à la représentation et au traitement des sons de la parole : c’est ce que l’on appelle le déficit phonologique. Ce déficit entrave l’apprentissage, la maîtrise, et l’automatisation de l’usage des relations graphèmes-phonèmes, et par la suite l’ensemble de l’apprentissage de la lecture y compris la voie orthographique ; il n’y a donc pas lieu de distinguer dyslexie phonologique et dyslexie de surface.

Une minorité d’enfants dyslexiques semblent présenter des troubles de nature visuelle, à l’exclusion de tout déficit phonologique. Il semble même qu’il existe plusieurs sous-types de dyslexies visuelles. Cependant, les recherches empiriques dans ce domaine sont pour l’instant insuffisantes et n’ont pas conduit à des théories suffisamment abouties.

Au niveau des causes neurobiologiques de ces déficits cognitifs, deux grands types d’explications restent envisageables : celles centrées sur les causes biologiques du déficit phonologique, directement responsable du trouble de lecture, et celles cherchant plutôt à rendre compte de l’association à des troubles sensori-moteurs. Les premières postulent une atteinte spécifique du développement précoce des aires périsylviennes gauches impliquées dans l’acquisition du langage. Cette hypothèse a été confortée récemment par des données issues de la génétique. L’origine ultime de la dyslexie pourrait ainsi résider dans un certain nombre d’allèles de susceptibilité sur de multiples gènes. Ces allèles, agissant seuls ou en combinaison, augmentent le risque de perturbation de la migration neuronale dans les aires périsylviennes gauches.

À l’inverse, les hypothèses telles que la théorie cérébelleuse ou la théorie du traitement temporel fournissent une explication plus directe de ces associations comorbides ; en revanche, elles restent encore insuffisamment etayées par les données empiriques et nécessitent de nouvelles études, en particulier concernant leur capacité à rendre compte des liens entre les déficits sensoriels et le trouble de la lecture.

Au-delà de leurs divergences sur les causes neurobiologiques ultimes, ces deux types de théorie convergent sur la présence d’un dysfonctionnement du développement d’aires cérébrales normalement impliquées dans la représentation et le traitement des sons de la parole (la « phonologie »). Ce dysfonctionnement entraîne un déficit cognitif dont les principales manifestations sont une faible conscience phonologique, une faible mémoire verbale à court-terme, et une lenteur dans la récupération des représentations phonologiques. Ce déficit cognitif a en général peu d’influence sur l’acquisition du langage oral (sauf très grande sévérité ou troubles de langage additionnels). En revanche, il se révèle pleinement lors de l’acquisition du langage écrit, qui recrute de manière particulièrement intense ces capacités phonologiques. Enfin, les symptômes observés en lecture sont le produit à la fois de ces facteurs cérébraux et cognitifs, et de nombreux facteurs environnementaux parmi lesquels la richesse de l’environnement linguistique (qui influence notamment le vocabulaire), la régularité du système orthographique, la méthode d’enseignement de la lecture, et sans doute d’autres facteurs environnementaux.

Représentation schématique des différents facteurs impliqués dans la dyslexie

Le repérage, le dépistage et le diagnostic

Repérage, dépistage et diagnostic se distinguent par des dispositifs, des acteurs et des outils différents. À la différence du dépistage et du diagnostic, le repérage peut ne pas être effectué par des professionnels de santé. Dans le cas des troubles des apprentissages, l’enseignant, en lien avec les parents, est le plus à même de repérer un enfant qui présente des difficultés d’apprentissage. Au niveau de la maternelle, l’enseignant peut repérer les troubles du langage oral, prédictifs de difficultés ultérieures éventuelles dans l’acquisition du langage écrit, ou les difficultés de graphisme ou d’entrée dans le code numérique. À partir du CP, les difficultés d’apprentissage de la lecture, de l’orthographe, du calcul et du graphisme peuvent être repérées. L’enseignant est capable de décrire précisément le tableau des acquis et des manques sans toutefois être en mesure de qualifier ce qu’il observe. Les parents et le médecin de famille peuvent également alerter sur des difficultés constatées.

Le dépistage concerne en principe une procédure qui s’adresse à une population donnée. Puisqu’elle accueille tous les enfants de la tranche d’âge, l’école est un lieu d’intervention privilégié pour les professionnels qui ont vocation, avec des outils particuliers, à détecter les problèmes d’acquisition et d’apprentissage. L’article 85 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale prévoit l’organisation d’un dépistage des troubles du langage au cours du bilan obligatoire de la 6e année. Ce dépistage est en principe réalisé par les médecins scolaires. Cependant, un dépistage des troubles des apprentissages scolaires ne peut se situer qu’après le début des apprentissages c’est-à-dire après l’entrée au CP. Le dépistage lors de l’examen obligatoire de 6 ans est donc, le plus souvent, un dépistage de facteurs de risque de Troubles spécifiques des apprentissages. Un dépistage de facteurs de risque (comme les troubles du langage oral) peut être également effectué par les médecins de PMI lors de l’examen en petite ou moyenne section. Des médecins ayant reçu une formation dans le domaine peuvent être sollicités. Au cours de la scolarité, le RASED (réseau d’aide spécialisé d’aide aux élèves en difficulté), structure interne à l’Education nationale (qui rassemble psychologue et enseignants spécialisés) participe au repérage et au dépistage individuel.

Le diagnostic nécessite les compétences des professionnels spécialisés comme, par exemple les orthophonistes pour les troubles d’acquisition du langage écrit. Il nécessite souvent les compétences de différents professionnels parfois réunis au sein d’une équipe pluridisciplinaire compte tenu de la nature complexe des troubles et de l’existence fréquente de troubles associés. Les réseaux de professionnels libéraux permettent souvent cette pluridisciplinarité coordonnée par un médecin référent. Des centres de références ont été créés au sein des Centres hospitaliers universitaires (CHU). Il en existe 37 répartis sur tout le territoire. Ces centres offrent un plateau de consultations multidisciplinaires, au minimum médicale, orthophonique et psychologique et si nécessaire psychomotrice et neuropsychologique pour une évaluation globale.

Les outils sont différents selon qu’ils sont destinés à repérer, dépister ou diagnostiquer les Troubles spécifiques des apprentissages.

Avant le début des apprentissages scolaires (avant 6 ans) les outils sont destinés à repérer, dépister ou diagnostiquer des troubles du langage oral et à repérer des signes prédictifs de troubles des apprentissages scolaires. Après 6 ans, ils ont pour objectif de repérer, dépister ou diagnostiquer des troubles des apprentissages (le plus souvent les troubles du langage écrit).

La première catégorie d’outils permet d’identifier une population à risque de difficultés ultérieures de trouble de la lecture. Avant 5 ans, ces outils (par exemple l’ERTL4 : épreuve de repérage des troubles du langage et des apprentissages) peuvent repérer les troubles du langage oral. À 5–6 ans, les outils (par exemple BSEDS : bilan de santé évaluation du développement pour la scolarité 5-6 ans) explorent les troubles du langage oral et identifient des signes prédictifs de dyslexie. Les populations à risque repérées ne deviendront pas forcément pathologiques. La prise en charge des troubles du langage oral (selon sa sévérité) constitue en soi une prévention de dyslexie puisqu’il s’agit d’un facteur de risque.

Il existe des outils destinés au dépistage des troubles d’acquisition du langage écrit, soit en passation collective comme le Timé 2 de janvier CP à fin CE1, soit en passation individuelle, comme l’Odedys étalonné à partir du CE1, ou la Batelem-R dès le CP, ou les items d’apprentissages de la Brev du CP au CE2.

Un deuxième type d’outils permet d’effectuer un examen clinique neuropsychologique de première intention (par exemple : la BREV, batterie rapide d’évaluation des fonctions cognitives). Ces outils sont utiles pour préciser la réalité d’un trouble, son profil et sa gravité, comme par exemple un trouble spécifique du langage oral à 5 ans ou du langage écrit à 7 ans et demi ou du graphisme après 5 ans. Ils servent donc à définir les évaluations complémentaires nécessaires pour affirmer le diagnostic et les actions pédagogiques et de soins qui en découlent. Ils permettent par ailleurs au prescripteur d’apprécier l’évolution du trouble. Cet examen clinique doit également éliminer un trouble sensoriel, ou une pathologie neurologique ou psychiatrique avérée.

Enfin, le troisième type d’outils a pour objectif de confirmer un diagnostic évoqué à la suite de l’outil précédent. On peut citer par exemple : la N-EEL (Nouvelles épreuves pour l'évaluation du langage) ou l’Elola 5 (Batterie d'évaluation du langage oral de l'enfant aphasique) pour le langage oral, la Belec (Batterie d'évaluation du langage écrit) l’ODEDYS ou l’Evalec (Batterie d’évaluation diagnostique de la dyslexie), le BHK (échelle d’évaluation rapide de l’écriture) pour une dysgraphie, différentes batteries neuropsychologiques pour les fonctions attentionnelles. La batterie composite d’intelligence de Weschler permet de définir le profil des fonctions intellectuelles.

Ce troisième type d’outils très spécialisé est utilisé par le professionnel concerné : évaluation psychologique du fonctionnement comportemental, émotionnel et cognitif par un psychologue, évaluation du langage oral et écrit par un orthophoniste, évaluation des fonctions graphiques et praxiques par un psychomotricien ou ergothérapeute ou neuropsychologue, évaluation des fonctions attentionnelles et mnésiques par un neuropsychologue… Pour chacun des Troubles spécifiques des apprentissages, les outils de diagnostic permettent de comprendre précisément le trouble de l’enfant en référence aux modèles neuropsychologiques reconnus. Par exemple, pour les troubles du langage écrit, les outils doivent permettre non seulement de déterminer l’âge de lecture, mais aussi les stratégies utilisées par l’enfant en fonction de la précision et vitesse d’identification des mots réguliers, irréguliers et pseudo-mots, ainsi que les compétences cognitives sous jacentes et la compréhension.

L’utilisation de ces différents outils se réfère à des âges clés :

dès 3 ans, pour le repérage d’un trouble du langage oral pouvant amener à diagnostiquer un trouble secondaire (surdité, trouble du comportement ou communication, voire déficit intellectuel) qui nécessitera la prise en charge de la pathologie primitive et non uniquement du langage oral. Cette démarche préalable est indispensable au diagnostic de trouble spécifique. Jusqu’à environ 4 ans et demi, seuls les troubles spécifiques et sévères (un ou plusieurs critères de gravité : inintelligibilité, agrammatisme ou déficit de la compréhension) nécessitent une évaluation orthophonique détaillée et une rééducation dès que l’enfant coopère. Les troubles spécifiques sans critères de gravité sont suivis, avec une adaptation pédagogique et une guidance parentale ;

dès 5 ans, pour le dépistage d’un trouble spécifique du langage oral qui doit amener à une prise en charge par une orthophoniste pour le rééduquer et aussi préparer l’apprentissage du langage écrit ;

à 5 ans, pour le dépistage d’un trouble du graphisme et/ou une dyspraxie devant amener à une évaluation complémentaire psychologique pour affirmer son caractère spécifique et, si le trouble est spécifique, une évaluation en psychomotricité ou ergothérapie pour en préciser le profil, la gravité et les indications de soins ;

dès 5-6 ans, pour le dépistage des difficultés d’acquisition du code numérique (nom et construction des nombres, comptine numérique), ainsi qu’au CP-CE1 pour dépister les difficultés d’accès aux faits numériques (tables d’addition puis de multiplication), de transcodage des nombres. Ce dépistage peut conduire à une évaluation psychologique pour affirmer le caractère spécifique du trouble et une évaluation précise des difficultés en calcul ;

dès le CP, pour dépister les troubles d’acquisition du langage écrit. S’ils s’associent à un trouble persistant du langage oral, ils nécessitent une évaluation orthophonique associée ou non à une évaluation psychologique.

dès la seconde partie du CP, pour dépister les troubles sévères (non acquisition du processus de déchiffrement, non amélioration après un entraînement pédagogique…), nécessitant également une évaluation complémentaire des capacités cognitives dont celles du langage.

Cette diversité des situations selon les âges clés et la symptomatologie présentée donne toute son importance à l’examen de dépistage de première intention.

Les évaluations sont indispensables pour apprécier l’évolution d’un trouble six mois à un an après la mise en œuvre du projet éducatif et/ou de soins. Ces évaluations de suivi comportent, au moins, les tests dont les scores étaient déficitaires lors de l’évaluation initiale, afin d’effectuer une comparaison objective quantitative et qualitative et de réorienter le programme éducatif et de soins.

Par ailleurs, une commission d’experts a été mise en place (arrêté du 8 février 2002) pour élaborer au niveau national des recommandations sur les outils à usage des professionnels de l’enfance dans le cadre du plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage. Le rapport de cette commission qui aborde les outils cités ci-dessus, vient d’être mis à disposition des professionnels du secteur médical et de l’enfance et accessible sur le site du Ministère de la santé et des solidarités6.

La prévention en milieu scolaire

La prévention en milieu scolaire pourrait concerner trois populations d’enfants : les enfants repérés comme à risque de présenter des difficultés d’apprentissage de la lecture en grande section de maternelle ; les enfants en situation d’échec en lecture au CP ; les enfants dyslexiques devant bénéficier d’adaptations pédagogiques pour favoriser les apprentissages dans les domaines préservés.

De nombreuses études étrangères ont évalué les effets d’entraînements ayant pour objectif une réponse de première intention pédagogique effectuée à l’école, soit sur des enfants à risque de difficultés d’acquisition du langage écrit (issus de familles à risque génétique) soit le plus souvent sur des enfants en situation d’échec en lecture. Cette prévention n’est pas ciblée sur des enfants dyslexiques puisqu’elle intervient en amont de tout diagnostic.

Les bases scientifiques sous-tendant la nature de ces entraînements sont les connaissances acquises en recherche fondamentale sur l’apprentissage de la lecture. Toutes ces études concernent des populations anglophones, donc dans une langue encore moins transparente que le français.

Les enjeux de ces travaux sont essentiels : une réponse pédagogique effectuée en classe ne discrimine pas l’enfant qui en bénéficie, elle est réalisable pour tout enfant sans implication de son milieu socioculturel et n’entraîne pas de coût en terme de santé, à l’inverse d’une réponse de soins. Il est donc indispensable de tenir compte des résultats de ces études : quels sont les entraînements les plus pertinents ? Sur quels enfants agissent-ils ? Quelles sont les qualités et intensités de leurs effets ? Néanmoins, la particularité de notre langue et de notre système éducatif rendra nécessaires des études françaises.

L’intérêt des entraînements tient à la nécessité d’éviter chez les enfants mauvais lecteurs le « décalage » avec leurs pairs bons lecteurs. Ainsi, il s’agit de ne pas laisser un enfant s’enliser dans le cercle vicieux et agir le plus vite possible chez le mauvais décodeur, ou à risque de le devenir. Les questions à poser sont :

quels sont les enfants concernés par un entraînement phonologique ?

les entraînements doivent-ils concerner les déficits spécifiques du décodage ?

les effets se généralisent-ils sur la compréhension ?

En ce qui concerne les modalités d’entraînement (la taille des groupes, le type d’entraînement, sa durée, son mode – individuel ou en petit groupe –), les tests ou études déterminant l’efficacité de ces différentes modalités donnent des résultats très variables.

Les résultats des principales études montrent que les effets des entraînements à la conscience phonologique associant des modalités auditives et visuelles a un large impact statistique sur son développement, un effet plus modéré mais statistiquement significatif sur la lecture et l’écriture. Non seulement l’identification des mots, mais aussi la compréhension est améliorée. Un bénéfice plus ou moins grand sur la lecture est constaté dans toutes les conditions de l’entraînement. Les effets sont positifs aussi bien chez les enfants qui apprennent à lire normalement, que sur ceux à risque de difficultés et pour ceux qui ont des difficultés, en maternelle ou en CP, quel que soit le milieu socioculturel. Cet enseignement développe aussi l’écriture chez les enfants en difficultés.

Ainsi, l’enseignement de la conscience phonologique associé à la voie d’assemblage, intensif, spécifique, explicite, en petit groupe à besoin similaire, favorise la lecture et l’écriture chez les enfants en difficultés de décodage.

En France, les actions de prévention en milieu scolaire n’ont pas été recensées dans le cadre de cette expertise et très peu ont donné lieu à des études publiées dans la littérature scientifique.

Une étude française d’entraînement utilisant un logiciel de discrimination auditive et visuelle a été menée chez des enfants « mauvais décodeurs » en grande section de maternelle. Cet entraînement dure 10 heures réparties sur 5 semaines, deux fois 15 minutes par jour, 4 jours par semaine. Il a permis aux enfants de devenir meilleurs en moyenne que les enfants témoins décodant mieux au départ. Une autre étude française contrôlée étudie les effets d’un entraînement à l’école de 80 enfants mauvais décodeurs de CE1, en petit groupe à l’aide d’un logiciel spécifique. Elle a également montré que les enfants entraînés progressent plus vite en décodage que le groupe témoin non entraîné des mauvais décodeurs.

L’outil informatisé mérite de nouvelles évaluations rigoureuses pour préciser ses effets spécifiques et leurs limites ainsi que les modalités d’une généralisation de son utilisation en cas d’effets bénéfiques confirmés. Ce type d’outil ne peut pas se substituer à un véritable enseignant, mais peut seulement venir en complément.

Cependant, les études montrent que les entraînements au décodage n’améliorent pas ou peu la vitesse de lecture, qui nécessite d’autres types d’entraînements. D’après la littérature l’entraînement le plus reconnu comme efficace sur la fluidité (donc la rapidité de la lecture) est la technique de répétition de lecture : les lettres, mots et phrases lus sont répétés jusqu’à obtenir une certaine vitesse. Plusieurs auteurs décrivent les effets d’un tel entraînement sur la vitesse de lecture d’un texte (entraînement de 6 minutes par jour pendant 6 à 9 mois).

En termes de prévention, il faut souligner que les adaptations pédagogiques sont absolument indispensables. Elles ont pour objectif de permettre aux enfants de contourner leur handicap. Elles consistent à tenir compte des difficultés présentées par l’enfant du fait de son trouble et à lui permettre de faire les apprentissages dans les domaines préservés, sans être handicapé par son trouble (par exemple lui lire les énoncés ou lui donner un temps supplémentaire pour les mathématiques en cas de dyslexie, diminuer la charge d’écriture en cas de dysgraphie…). Ces adaptations sont répertoriées dans plusieurs travaux (Cd-Rom de sensibilisation, guides édités par les académies de Grenoble et de Rennes à l’usage des enseignants, livret de suivi de l’élève dyslexique). Une réflexion en France sur la nature de ces adaptations et sur les critères demandés pour que les enfants puissent en bénéficier est indispensable pour harmoniser ces mesures.

Bilan des méthodes de rééducation

Il existe une grande diversité de méthodes de rééducation et d’entraînement et une partie d’entre elles découle directement des différentes théories de la dyslexie. Cependant, un grand nombre de traitements préconisés pour la dyslexie n’ont fait l’objet d’aucune étude scientifique, ni d’un point de vue théorique, ni du point de vue de l’évaluation de l’efficacité du traitement. En effet, les critères scientifiques qui permettent d’évaluer l’efficacité d’un traitement ne sont pas toujours respectés totalement : études de groupes, fondées sur des observations objectives et quantifiées et appuyées par des statistiques rigoureuses (les comptes-rendus de cas individuels ne constituent pas une évaluation objective) ; constitution d’un groupe témoin qui reçoit un traitement placebo de durée et d’intensité comparable à celui reçu par le groupe expérimental ; procédure classique de l’essai clinique contrôlé randomisé en double aveugle ; plusieurs études indépendantes réalisées sur un grand nombre de personnes.

La plupart des rééducations actuellement pratiquées sont de type orthophonique. Elles portent sur : l’entraînement des capacités phonologiques de l’enfant ; la rééducation de la lecture avec des méthodes souvent différentes de celles possibles en classe ; la mise en place de stratégies de compensation pour permettre à l’enfant de contourner les déficits identifiés.

Bien que la rééducation orthophonique telle que pratiquée en France repose sur des principes généraux issus des connaissances scientifiques acquises et validées au cours des dernières années, elle n’a pas encore fait l’objet d’évaluation scientifique dans le traitement de la dyslexie. Cependant, le fait que la rééducation orthophonique se déroule individuellement, avec une orthophoniste ayant bénéficié d’une formation spécifique permet de développer un programme de rééducation sur mesure, fondé sur un bilan précis des compétences et des faiblesses de l’enfant, et d’exécuter ce programme dans des conditions optimales d’interactivité permettant une adaptation en temps réel aux besoins de l’enfant. Cette particularité essentielle de la prise en charge orthophonique ne peut a priori qu’augmenter son efficacité, par rapport aux programmes d’entraînement administrés en classes ou en groupes, qui sont évalués dans la littérature scientifique. Les travaux issus de la littérature internationale portant sur des programmes d’entraînement pédagogiques (informatisés ou non) appliqués à des enfants « mauvais lecteurs » montrent qu’une certaine intensité est requise pour atteindre une efficacité raisonnable (typiquement, 4 à 5 séances par semaine) et que, moyennant cette intensité, de bons résultats peuvent être obtenus sur des durées de rééducation relativement courtes (de l’ordre de 6 semaines). Néanmoins, il existe une grande diversité de pratiques orthophoniques qui devraient donc être évaluées et comparées entre elles, en prenant en compte les modalités de leur mise en œuvre (dont l’intensité, la durée, l’utilisation ou non d’outils informatiques) afin de mieux cerner les bonnes pratiques, et être en mesure de mieux guider la pratique orthophonique. Un entraînement informatisé utilisant le logiciel Play On (entraînement audiovisuel à l’identification des syllabes orales et écrites) a montré une certaine efficacité. Cependant, des études répondant aux critères requis pour une évaluation rigoureuse sont nécessaires pour considérer qu’il s’agit d’une technique utile avec un effet additif à la rééducation orthophonique.

Parmi les différentes théories explicatives de la dyslexie, la théorie selon laquelle les dyslexiques (et les dysphasiques) souffrent d’un déficit du traitement auditif temporel a naturellement engendré des entraînements visant à rééduquer leur perception auditive. C’est le cas du programme informatique américain Fast ForWord qui comporte un entraînement à la discrimination de séquences auditives temporelles, ainsi qu’un entraînement des capacités phonologiques. La particularité du programme est d’utiliser la parole modifiée pour la rendre plus intelligible aux enfants qui auraient un déficit de traitement auditif temporel (sons brefs et transitions rapides amplifiés et allongés de manière adaptative). Des évaluations ont montré une amélioration des performances auditives et des capacités de langage oral chez des enfants dysphasiques, mais pas d’effet sur la lecture chez des enfants dyslexiques. La méthode Tomatis de stimulation auditive repose sur une conception de l’audition qui n’a aucun fondement scientifique. Une méta-analyse de toutes les études ne permet pas de conclure à un effet positif de cette méthode.

La sémiophonie (ou méthode Lexiphone) est une méthode de rééducation intensive dont le principe fondamental est une stimulation auditive (le « son paramétrique ») qui ne repose sur aucun principe scientifique connu. Cette rééducation incorpore une exposition structurée à de la parole (syllabes, mots et pseudo-mots), de la musique, ainsi qu’à des textes lus, de la lecture guidée et de l’écriture. Un essai clinique est en cours en France et suggère un effet positif.

Plusieurs méthodes de rééducation de la dyslexie portent sur les capacités visuelles et visuo-attentionnelles. L’occlusion d’un œil sur des enfants à la fois dyslexiques et présentant une instabilité binoculaire a été testée lors d’essais cliniques contrôlés randomisés en double aveugle qui ont montré une amélioration significative.

Il a été suggéré que le port de lunettes ou lentilles teintées peut améliorer la lecture de personnes dyslexiques qui auraient des symptômes visuels. Un essai clinique a montré des effets modestes bénéfiques sur la lecture de l’utilisation d’un transparent dont la couleur a été optimisée individuellement pour les personnes qui souffrent d’un stress visuel.

Un traitement appelé « stimulation hémisphérique spécifique », consiste à stimuler spécifiquement celui des deux hémisphères cérébraux qui est présumé déficient chez un enfant donné, en présentant de manière brève (tachistoscopique) et répétée des mots dans le champ visuel opposé. Les données expérimentales suggèrent en fait que les effets observés seraient non spécifiques (par exemple attentionnels).

Un programme de rééducation audiovisuelle non linguistique inspiré par les théories sensorielles de la dyslexie et par le programme Fast ForWord impliquant notamment un entraînement purement auditif a été testé de façon insuffisamment rigoureuse pour juger de son efficacité.

Les systèmes moteurs et propriocepteurs ont aussi fait l’objet de méthodes de rééducation (motricité, équilibre, réflexes archaïques, proprioception). Les données disponibles actuellement sont insuffisantes pour répondre de l’efficacité de ces méthodes dans le traitement des troubles de la lecture.

Plusieurs médicaments et compléments nutritifs n’ont pas montré d’efficacité lors d’essais cliniques (méthylphénidate, antihistaminiques, piracétam, acides gras polyinsaturés).

Il n’existe pas de traitement psychothérapique de la dyslexie abordé dans la littérature scientifique. Lorsqu’un enfant présente des troubles anxieux, dépressifs ou divers troubles de comportement, cela peut engendrer dans certains cas, une difficulté à apprendre à lire, mais il s’agit de troubles de nature très différente de ceux qui rentrent dans le cadre de la définition de la dyslexie. Enfin, beaucoup d’enfants dyslexiques souffrent de leurs échecs scolaires, ce qui peut entraîner, de manière secondaire, des troubles anxieux, dépressifs ou de comportement. Dans tous les cas, ces troubles doivent être diagnostiqués et pris en charge de façon optimale.

La prise en charge individuelle en pratique clinique

Les soins consistent en une prise en charge individuelle de l’enfant, déterminée par l’évaluation précise des déficits en langage écrit, calcul et graphisme ainsi que des troubles associés (par exemple troubles du langage oral, émotionnels ou attentionnels). En France, cette prise en charge s’effectue par les professionnels spécialisés selon le diagnostic qui est porté (orthophonistes, neuropsychologues, psychologues, psychomotriciens, ergothérapeutes…) et dans le cadre de dispositifs et réseaux pluridisciplinaires de prise en charge des troubles spécifiques des apprentissages (centres de références, Rased,…). L’objectif de cette expertise n’est pas d’analyser la réalité des pratiques en France qu’il revient à d’autres instances d’effectuer dans le cadre de leurs missions, mais de présenter quelques principes d’action fondés sur l’analyse de la littérature dans le domaine du soin.

Quels que soient les soins prescrits, ils doivent toujours s’associer à la prise en charge pédagogique pour permettre à l’enfant de continuer ses apprentissages dans ses domaines de compétence, malgré son trouble et pour lui offrir une pédagogie adaptée à ses besoins et possibilités dans le domaine déficitaire.

Peu d’études scientifiques apportent des données objectives sur les indications de la rééducation orthophonique devant un trouble du langage écrit (à quel âge, devant quelle sévérité du trouble), ni sur ses axes, ou les outils à privilégier, la fréquence et la durée.

Les recommandations de l’Anaes (1997) sur l’orthophonie dans les troubles spécifiques du langage écrit comportent essentiellement des recommandations sans preuve scientifique, Cependant, la rééducation orthophonique est très largement pratiquée, et son intérêt est majeur pour permettre à l’enfant d’améliorer son déficit. Les données de la littérature sur le développement du langage écrit et ses facteurs prédictifs, les études d’évaluation d’entraînements spécifiques qui se multiplient, les études ouvertes sur les bénéfices de prises en charge intensives d’enfants sévèrement atteints, permettent de définir au moins certaines indications, axes et conditions pratiques.

Devant un Trouble spécifique d’acquisition du langage écrit, une rééducation orthophonique individuelle est préconisée dès le CP s’il persiste un trouble du langage oral, ou dès la fin du CP si la réponse pédagogique adaptée initiale s’est avérée insuffisante, ou en cas de signes de gravité comme l’absence de correspondance graphème-phonème ou syllabique (/b/a/→ /ba/), tout particulièrement s’il existe un antécédent familial de trouble du langage ou personnel de retard de langage oral. La rééducation de la lecture et de l’orthographe menée simultanément semble préférable. Ses axes sont déterminés par les résultats précis de l’évaluation individuelle des stratégies déficitaires et préservées, des fonctions cognitives sous-jacentes en langage oral, compétences phonologiques et traitement visuel, évaluation quantitative et qualitative à l’aide de tests étalonnés. Le décodage et l’encodage par assemblage et les compétences phonologiques sont le premier temps de la rééducation, s’ils ne sont pas suffisamment efficients et automatisés, ce qui est habituel dans la plupart des dyslexies.

Les supports visuels, kinesthésiques, sémantiques peuvent servir à pallier le déficit perceptif auditif. Le stock orthographique est en règle générale développé en différenciant les situations sans trouble visuel et celles avec un déficit du traitement visuel. Dans les dyslexies phonologiques, sans déficit du traitement visuel, les difficultés de décodage ralentissent la constitution du lexique orthographique qu’il s’agit de développer. Dans les cas où le traitement visuel est perturbé, il est rééduqué également pour permettre à l’enfant d’enrichir ce lexique orthographique. L’utilisation de ce lexique, une fois développé doit être favorisée en orthographe puis en lecture, en travaillant sur les mots isolément ou en contexte. L’utilisation de la morphologie est prometteuse chez le dyslexique pour aider au développement des connaissances orthographiques, indépendamment des compétences phonologiques. Enfin, la fluidité de lecture par la lecture répétée et surtout les habiletés de compréhension sont travaillées pour amener à un niveau de compréhension écrite au moins égal à la compréhension orale. Le projet définit généralement un nombre limité d’axes, pour un temps donné, en privilégiant les plus urgents en fonction de l’âge et du type de troubles des enfants, par exemple la correspondance graphème-phonème et la discrimination des sons. Ces axes sont revus par des évaluations régulières parcellaires quantitatives et qualitatives de la fonction déficitaire travaillée.

Les études sur les entraînements mettent en évidence que des programmes de travail intensif (une demi-heure par jour, quatre jours par semaine) sur des durées relativement courtes (5 à 10 semaines), à condition qu’ils soient précisément et spécifiquement dirigés vers une fonction cognitive déficitaire, apportent des bénéfices spécifiques à la fonction entraînée. Ces résultats pourraient justifier de revoir les pratiques actuelles en matière de soins, en proposant d’évaluer des programmes intensifs, spécifiques, sur des durées courtes, destinés aux enfants résistants à la prise en charge pédagogique adaptée et harmonisés à la pédagogie toujours indispensable. Néanmoins, ces entraînements sur une fonction précise ne représentent pas l’intégralité de la rééducation orthophonique dont l’objectif est d’aboutir à une lecture fonctionnelle et une orthographe lisible. Les effets de l’ensemble de la rééducation nécessitent d’être évalués tous les six mois–un an, par un nouveau bilan utilisant des tests comparables à l’évaluation initiale, permettant d’apprécier quantitativement et qualitativement les progrès réalisés et donc la poursuite du projet de rééducation. En fonction de l’évolution des compétences de l’enfant, les décisions peuvent être soit un arrêt de la rééducation (en cas de normalisation des scores, ou bien une stabilisation de ces scores avec lecture fonctionnelle et orthographe lisible), soit une continuation de la rééducation à un rythme à déterminer en fonction des objectifs visés (en cas d’amélioration sans normalisation, ni lecture parfaitement fonctionnelle ou orthographe lisible), soit une évaluation pluridisciplinaire, par exemple en centre de référence et la recherche des troubles associés, en cas d’évolution insuffisante.

Après l’arrêt de la rééducation, les adaptations en milieu scolaire demeurent indispensables en fonction des séquelles en terme de vitesse de lecture et dysorthographie. Pour cela, l’outil informatique peut s’avérer utile : traitement de texte (en cas de troubles du graphisme associés), correcteur orthographique, dictée vocale (en cas de séquelles importantes) pour offrir à l’enfant la lecture de textes par l’ordinateur et améliorer la lisibilité des productions écrites.

Les troubles du graphisme nécessitent d’être précisément analysés afin de leur apporter la réponse adéquate, par le professionnel le plus pertinent (psychomotricien ou ergothérapeute). Il s’agit de déterminer grâce aux résultats quantitatifs et qualitatifs des tests spécifiques si le trouble touche la coordination gestuelle, la perception et/ou la production visuelle et visuo-spatiale. Ces prises en charge peuvent commencer en fin de maternelle, début de primaire si les troubles sont sévères, avant 8 ans en cas de troubles persistant, avant que des stratégies déviantes d’enchaînement des lettres ne soient fixées. Tout comme la rééducation orthophonique, les prises en charge du graphisme sont associées aux réponses pédagogiques adaptées et doivent être évaluées par un bilan d’évolution utilisant des tests étalonnés dont les résultats sont comparés au bilan initial. Une prise en charge orthoptique devant un trouble prédominant de la perception visuelle peut être indiquée et ses effets doivent être évalués. L’apprentissage du traitement de texte, voire de la dictée vocale dépend de cette évaluation comparative précisant le degré d’handicap persistant compte tenu du projet scolaire.

Les prises en charge des troubles du calcul sont encore extrêmement mal étudiées, les outils et professionnels formés en nombre tout à fait insuffisant. Néanmoins, les troubles d’acquisition du code numérique peuvent être pris en charge dès le début du primaire, ce d’autant que la comorbidité avec les troubles d’acquisition du langage écrit est élevée, aggravant la situation d’échec de l’enfant.

Les troubles associés aux troubles d’acquisition du langage écrit, touchant le langage oral nécessitent d’être rééduqués, tant les liens langage oral-langage écrit sont étroits. C’est dans cet esprit de prévention de la dyslexie que tout trouble spécifique du langage oral dès 5 ans doit être pris en charge, la rééducation ayant deux objectifs, l’amélioration de la parole et du langage, mais aussi la préparation du langage écrit (travail sur l’assemblage et la conscience phonologique).

Les troubles associés comportementaux et émotionnels nécessitent un projet de soins adapté. L’évaluation des apprentissages chez tout enfant consultant pour un trouble déficit de l’attention/hyperactivité ainsi que l’évaluation du comportement et de l’attention pour tout enfant consultant pour un trouble d’acquisition du langage écrit, permettra la prise en charge des deux troubles s’ils sont associés. Les troubles anxieux et de l’humeur doivent conduire à des soins psychothérapiques. Ces psychothérapies, abordant le développement psychique de l’enfant, sont parfaitement compatibles avec les programmes de rééducation cognitive. Cette complémentarité des prises en charge, à condition que l’une n’exclue pas l’autre, prenant en compte l’enfant dans sa globalité et sa diversité tant au plan cognitif, qu’au plan de sa relation à son environnement, est en pratique réalisable sur le terrain avec un bénéfice pour l’enfant tant dans son adaptation à ses difficultés, que son adhésion à la rééducation.

Une coordination des soins et une guidance familiale sont indispensables relevant d’un médecin de l’enfant, référent formé et des différents professionnels concernés. Cette coordination est essentielle pour définir les objectifs des programmes de prises en charge, en tenant compte de leur faisabilité et de la priorité pour l’enfant et également pour apprécier l’évolution de l’enfant et en conséquence réajuster les objectifs.

L’harmonisation entre le projet thérapeutique et le projet pédagogique constitue un autre aspect fondamental de la prise en charge qui peut s’appuyer sur les médecins et psychologues scolaires. Le choix des adaptations scolaires, en fonction de l’évolution de l’enfant, doit lui permettre de continuer ses apprentissages en minimisant les conséquences émotionnelles de la situation d’échec.

Au total, la diversité des pratiques professionnelles mises en jeu dans le cadre du soin et la nécessité d’une coordination santé-éducation justifieraient une analyse relevant des compétences de la Haute autorité de santé pour l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques.

Recommandations

Le présent travail d’analyse de la littérature scientifique et de synthèse réalisé par le groupe d’experts réunis sous l’égide de l’Inserm avait pour objectif de faire le point sur les avancées des connaissances concernant les troubles spécifiques des apprentissages.

Au terme de son travail d’analyse et de synthèse, le groupe d’experts est parvenu à un certain nombre de constats essentiels.

Il existe actuellement, au sein de la communauté scientifique, un consensus quasiment unanime sur la nature des troubles spécifiques qui provoquent l'incapacité pour les enfants qui en sont atteints d'entrer dans les apprentissages, en particulier celui de la lecture. On reconnaît notamment aujourd'hui que ce sont essentiellement des déficits (probablement très précoces et en partie génétiques) de certains processus langagiers (en particulier phonologiques), qui sont à l'origine des troubles spécifiques d'apprentissage de la lecture.

La diffusion la plus large possible des avancées scientifiques est importante auprès de tous les professionnels, médicaux, paramédicaux et scolaires, qui ont en charge les enfants présentant des troubles spécifiques d'apprentissage, afin d’assurer tout à la fois le dépistage le plus précoce des enfants à risque et permettre la mise en place, sans tarder, de mesures visant à réduire leur déficit et à minimiser ses conséquences sur le devenir scolaire des enfants.

La mise en œuvre des mesures nécessite d'être graduée en fonction de la sévérité des troubles, mais doit comporter impérativement une étape d'évaluation à l'aide d'outils validés et étalonnés pour l'âge de l'enfant, et conduire systématiquement à des aménagements pédagogiques adaptés aux types de difficultés rencontrées par chacun de ces enfants.

On dispose aujourd'hui de données partielles sur les conditions d'efficacité d'un certain nombre de méthodes de rééducation et d'entraînement spécifiques aux fonctions cognitives perturbées, mais une grande partie de ces méthodes doivent encore faire l'objet d'études de validation. Leur grande variété incite à la plus grande vigilance de la part des prescripteurs comme des utilisateurs. La coordination entre les différents partenaires (scolaires et extra-scolaires) apparaît comme indispensable et devant permettre une réflexion adaptée à chaque cas.

Les domaines d'apprentissages autres que la lecture, peuvent également faire l'objet de troubles spécifiques qui requièrent tout autant que pour les troubles de la lecture, une démarche scientifique dans l'étude de leurs mécanismes et une prise en charge adaptée à chaque cas. Leur coexistence avec le trouble de la lecture accroît la sévérité du tableau clinique et justifie le recours à une équipe pluridisciplinaire, éventuellement organisée en réseaux régionaux. L'accès du plus grand nombre à l'ensemble des professionnels compétents est en effet un objectif à obtenir.

Les troubles psycho-affectifs sont fréquents chez les enfants présentant des troubles spécifiques d'apprentissage. Leur présence peut conduire à s'interroger sur la priorité des prises en charge. Ces troubles peuvent apparaître comme la conséquence du trouble spécifique des apprentissages, ou comme un facteur surajouté qui va en aggraver les manifestations et justifier, dans ce cas, de ne pas négliger les rééducations spécifiques aux troubles des apprentissages.

Parmi les nombreux domaines restant encore à explorer sur le thème de l’expertise, celui de la fréquence des différents types de troubles spécifiques et de leur association à l’échelle de la population reste une thématique prioritaire, ne serait-ce que pour mesurer, de manière plus précise qu’actuellement, l’impact des troubles spécifiques des apprentissages en terme de santé publique.

Au cours de l’expertise, des rencontres avec les associations de patients et de parents, avec les professionnels du champ éducatif, médical et para-médical (orthophonistes, neuropsychologues, psychologues…) ont mis en lumière une volonté de partager et faire converger connaissances, expériences et savoir-faire sous une forme si possible institutionnalisée d’échanges.

Pour mieux repérer, dépister prévenir

Les connaissances acquises sur les troubles des apprentissages devraient être mises à disposition du public, notamment des parents et des professionnels concernés. Elles contribuent à faciliter le repérage des enfants en difficulté d’apprentissage.

Dans le cadre de l’école, les enseignants sont les premiers et les mieux placés pour identifier les enfants qui présentent des difficultés dans les apprentissages. Les connaissances relatives à la nature des troubles spécifiques des apprentissages et à leurs manifestations devraient faire partie maintenant d’une véritable formation initiale des enseignants de même que l’intégration de nouvelles connaissances aux pratiques éducatives.

Informer les professionnels et le public sur les troubles spécifiques des apprentissages et leur prise en charge

Par définition, les troubles spécifiques des apprentissages ne peuvent être attribués ni à un retard intellectuel, ni à un handicap sensoriel, ni à une pathologie psychiatrique avérée. Ils se rencontrent chez les enfants de tous les milieux socioculturels. Dans les travaux de recherche les enfants bilingues ou de milieu socioculturel défavorisé sont généralement exclus des cohortes de dyslexiques pour éviter les biais d’interprétation des résultats. La dyslexie peut cependant être aggravée dans un environnement défavorable.

Ces troubles sont donc inattendus compte tenu des autres aspects du développement. Ils persistent le plus souvent jusqu’à l’âge adulte. Par exemple, la dyslexie est un trouble durable et persistant de l’acquisition de la lecture qui se manifeste même chez des élèves ayant un bon niveau intellectuel et une bonne perception visuelle et auditive et pour lesquels aucun facteur d’ordre socioéconomique, médical ou éducatif ne peut expliquer les difficultés qu’ils rencontrent. Une information sur les troubles spécifiques des apprentissages devrait être communiquée aux parents et au public en général afin d’éviter les inquiétudes ou les errances diagnostiques. Cette information doit permettre de comprendre comment se font les acquisitions scolaires (lecture, orthographe, calcul) et de mieux appréhender les premiers signes de difficultés.

On connaît aujourd’hui un certain nombre de signes précoces des troubles des apprentissages. Même si certains de ces signes peuvent être recherchés avant même le début de tout apprentissage explicite de la lecture, aucun signe susceptible d’être mis en évidence en maternelle n’est à coup sûr indicateur d’un futur déficit spécifique des apprentissages de la lecture, de l’orthographe ou du calcul. C’est l’accumulation et la persistance de différents indices qui devront être pris en compte et conduiront à poser un diagnostic. Aussi, l’absence de trouble avant le CP n’implique pas que l’enfant ne rencontrera pas de difficultés d’apprentissage.

Former les enseignants à mieux connaître et reconnaître les troubles spécifiques des apprentissages

Une formation sur la chronologie des acquisitions donnerait la possibilité aux enseignants de porter une attention particulière aux enfants qui en maternelle présentent des signes prédictifs de troubles spécifiques des apprentissages de la lecture (confusion perceptive entre sons proches, déformation des mots, difficultés à répéter les comptines, difficultés de mémorisation de mots inventés, non connaissance du nom des lettres…) et du calcul (retards dans l’acquisition des nombres et le dénombrement).

De fait, les déficits précoces de segmentation et de discrimination des phonèmes (sons élémentaires du langage oral) sont parmi les indicateurs les plus fiables des futures difficultés de lecture, tout comme la présence d’un déficit des capacités de mémoire à court terme phonologique (évaluées, par exemple, par la répétition de mots inventés) de même qu’un déficit dans la connaissance des lettres. Après les débuts du CP, la principale manifestation des difficultés d’apprentissage de la lecture est l’absence de maîtrise des correspondances graphème-phonème c’est-à-dire de la relation entre les lettres ou groupes de lettres (graphèmes) et les phonèmes.

Une formation sur les fonctions impliquées dans l’apprentissage de la lecture (segmentation et discrimination phonémiques, mémoire à court terme phonologique, connaissance des lettres...) permettrait aux enseignants de repérer dès le début ou au cours du CP les enfants qui présentent des difficultés et ainsi de pouvoir mettre en place rapidement des entraînements pédagogiques en classe.

Les différentes activités numériques menées dès la maternelle permettent aux enfants de maîtriser les procédures de dénombrement par pointage et comptage sur les doigts. Les enfants acquièrent ces capacités généralement avant la fin de la maternelle. L’entrée au CP se traduit par l’enseignement systématique d’un nouveau code – le code indo-arabe – et des algorithmes qui lui sont associés et qui donnent à la résolution des opérations une puissance que le code verbal ne peut assurer. Le passage de l’oral au code indo-arabe ou l’inverse, s’appuie initialement sur les connaissances verbales, ce qui explique que, par exemple en français, la transcription de quantités telles que soixante quinze puisse donner lieu à des erreurs telles que 6015 que l’on rencontre dans la seconde partie du CP..

Une formation sur les fonctions sollicitées pour l’apprentissage du calcul pourrait permettre aux enseignants de reconnaître chez les enfants les premiers signes de la dyscalculie comme une mauvaise compréhension des principes de dénombrement, l’utilisation de stratégies primitives de comptage sur les doigts et plus tard une difficulté anormale et persistante à mémoriser les résultats des additions et multiplications les plus simples.

Promouvoir une utilisation appropriée des outils dans le cadre du dépistage

Les outils de dépistage des troubles spécifiques des apprentissages ne peuvent être proposés que lorsque l’enfant a commencé ses apprentissages scolaires (lecture, écriture, calcul) c’est-à-dire après 6 ans. Il existe par ailleurs des outils qui permettent de dépister avant 6 ans des facteurs de risque de troubles des apprentissages en explorant le langage oral, les capacités non verbales, l’attention, la mémoire…

Dans le contexte d’un dépistage individuel après 6 ans, il existe plusieurs outils ou tests pour rechercher si un enfant présentant des difficultés d’apprentissage de la lecture par exemple est susceptible d’avoir un trouble spécifique (dyslexie). Ces outils étalonnés en France ont des objectifs spécifiques pour lesquels la sensibilité et la spécificité ont été déterminées. Explorant des fonctions et capacités différentes, ces outils peuvent être utilisés de manière complémentaire lors d’un premier bilan. Ils peuvent permettre d’identifier les enfants nécessitant une approche pédagogique différenciée, ceux devant être suivis ou adressés à un professionnel spécialisé pour effectuer un diagnostic.

Dans le cadre du bilan de santé obligatoire de 6 ans pour l’entrée dans l’enseignement élémentaire (article L.2325.1 du code de la santé publique), les outils de dépistage de facteurs de risque s’inspirant des résultats des études longitudinales doivent être utilisés. Toutefois, l’intérêt de ce repérage précoce ne peut se concevoir que si des actions préventives ayant fait la preuve de leur efficacité dans le cadre d’évaluations rigoureuses peuvent être mises en place.

.Il faut signaler qu’une commission d’experts mise en place (arrêté du 8 février 2002) pour élaborer au niveau national des recommandations sur les outils à usage des professionnels de l’enfance dans le cadre du plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage a remis en 2005 un rapport à la Direction générale de la santé.

Développer et évaluer des entraînements pédagogiques en adaptant les modèles efficaces à l’étranger

Des études principalement en langue anglaise ont montré l’efficacité de certains entraînements pédagogiques chez des enfants en CP ou CE1 présentant des troubles du décodage. D’après les études, les entraînements doivent proposer un travail spécifique, intensif et explicite. Ce travail doit porter d’une part sur les relations graphème-phonème et ce aussi bien dans des tâches de synthèse (des unités grapho-phonémiques au mot) que d’analyse (du mot aux unités grapho-phonémiques) et d’autre part sur les capacités d’analyse, de discrimination et de fusion phonémique. Ces entraînements doivent être poursuivis jusqu’à la maîtrise de la lecture et amener les enfants à reconnaître, discriminer et écrire des mots de plus en plus rapidement. Une action quotidienne d’une demi-heure à une heure par jour est préconisée en individuel ou en petits groupes à besoin similaire. Une évaluation des bénéfices de l’entraînement peut être effectuée au bout de quelques mois.

Les résultats des études disponibles montrent que ce type d’entraînement en CP a des effets positifs sur l’automatisation de la reconnaissance des mots écrits et la compréhension de texte et à un moindre degré l’orthographe. L’effet sur la vitesse de lecture reste néanmoins à confirmer.

Sur le modèle de ces études, des entraînements pédagogiques devraient être expérimentés dès le début du CP, pour les enfants ayant présenté un trouble du langage oral et dès la deuxième partie du CP pour les faibles décodeurs. De même, l’éventuel bénéfice d’un entraînement, à titre préventif, dès la grande section de maternelle pour les enfants à risque de dyslexie (ayant un trouble du langage oral, de faibles compétences phonologiques ou issus de familles de dyslexiques) devrait être évalué.

De telles actions expérimentales en France permettraient d’évaluer si les entraînements pédagogiques à l’école, limités dans le temps, ne marginalisant pas les enfants, accessibles à tous sont bénéfiques à une partie d’entre eux, leur permettant de récupérer de façon stable et durable un niveau de lecture proche de la normale, sans autre prise en charge. Elles permettraient ainsi de savoir si les enfants avec un « retard en lecture », transitoire, peuvent être différenciés des enfants dyslexiques qui nécessiteront des soins complémentaires en prise en charge individuelle.

Dans le cadre de ces expérimentations d’entraînements pédagogiques en milieu scolaire, une formation des enseignants serait nécessaire pour la prise en charge préventive en grande section de maternelle des enfants présentant des risques pour l’apprentissage de la lecture tout comme pour la prise en charge des enfants en difficulté de lecture en CP.

Promouvoir les aménagements et les adaptations pédagogiques nécessaires pour prévenir d’autres difficultés d’apprentissages

Plusieurs travaux de la littérature abordent les effets positifs des aménagements et adaptations pédagogiques qui permettent à l’enfant présentant un trouble spécifique dans un domaine, d’acquérir les connaissances requises à son niveau de classe dans les autres matières (mathématiques, histoire, sciences de la vie et de la terre…) sans être handicapé par son trouble. Il s’agit par exemple de lui lire les énoncés en mathématiques ou de lui donner un temps supplémentaire pour les lire en cas de dyslexie, ou encore de diminuer la charge d’écriture en cas de troubles de l’orthographe ou du graphisme associés par l’utilisation de l’outil informatique (usage du traitement de texte du correcteur orthographique ou encore, de la dictée vocale dans les cas les plus sévères).

Ces aménagements et adaptations pédagogiques doivent être mis en place et évalués tout au long de la scolarité (primaire, secondaire, supérieur) afin que l’enfant ne soit pas pénalisé par son trouble du langage écrit (lecture, orthographe) et qu’il puisse tirer bénéfice des autres apprentissages. De tels travaux pourraient contribuer à définir les conditions d’intégration en milieu ordinaire d’enfants présentant un trouble spécifique des apprentissages et bénéficiant par ailleurs d’une prise en charge individuelle.

Pour mieux prendre en charge

Mettre en place et evaluer différentes modalités de soin individuel pour la dyslexie

Les soins individuels pour la dyslexie doivent s’appuyer sur les connaissances scientifiques acquises ces dernières années. Ils doivent tenir compte de la diversité de chaque cas : la nature précise du trouble cognitif précis que présente l’enfant, l’environnement dans lequel il évolue.

Des données de plus en plus nombreuses de la littérature sur le développement du langage écrit et ses facteurs prédictifs, ainsi que sur les effets des entraînements spécifiques précisent certaines indications, axes et conditions pratiques d’une prise en charge. Les études mettent en évidence que des programmes de travail intensif (en règle générale d’une demi-heure par jour, quatre jours par semaine) sur des durées relativement courtes à condition qu’ils soient précisément et spécifiquement dirigés vers une fonction cognitive déficitaire, apportent des bénéfices sur la fonction déficitaire avec une généralisation à la lecture et à l’orthographe.

Une prise en charge orthophonique individuelle d’un trouble spécifique d’acquisition du langage écrit se justifie dès le début du CP s’il persiste un trouble du langage oral, au cours du CP si l’entraînement pédagogique en classe s’est avéré insuffisant ou encore en cas de signes de sévérité comme l’absence totale d’entrée dans le code graphème-phonème au cours de l’apprentissage. Les effets de cette prise en charge doivent faire l’objet d’évaluations régulières quantitatives et qualitatives par des tests étalonnés.

Il serait intéressant d’expérimenter, d’évaluer et de comparer plusieurs modalités de soin en fonction de l’âge, du type de fonction altérée et dans différentes conditions (avec reprise quotidienne en classe et/ou à la maison du programme défini par le professionnel en charge de l’enfant ; harmonisation avec les interventions pédagogiques…) et avec différents types de compensations (supports visuels et kinesthésiques par exemple). L’objectif est d’optimiser au mieux les modalités de soins en fonction des besoins de l’enfant.

L’utilisation d’outils standardisés (jeux vidéo, enregistrements audiovisuels ludiques) apparaît nécessaire en recherche et en pratique clinique pour contrôler la qualité et la quantité des informations qui sont adressées à l’enfant durant les séances d’entraînement., L’avantage d’outils informatisés (numérisation de la parole par exemple), outre le fait qu’ils exercent spécifiquement l’entrée auditive, est qu’ils permettent de réaliser une progression dans la difficulté des exercices, et éventuellement d’adapter ces exercices à chaque cas en fonction de l’âge, ou encore de la sévérité du déficit phonologique. Les résultats de ces recherches, s’ils sont positifs, pourront être généralisés ultérieurement en pratique clinique.

Cependant, la prolifération d’outils, en particulier informatisés, non contrôlés dans leurs objectifs et leur contenu et non évalués quant à leur efficacité justifie la création d’une instance scientifique indépendante de validation/labellisation des outils de remédiation des troubles des apprentissages. Des travaux comparatifs (sur le modèle d’un essai thérapeutique) de ces différents outils permettraient de connaître leurs effets et leurs limites.

L’évaluation des effets des entraînements utilisant ces outils doit s’appuyer sur une méthodologie permettant d’affirmer un effet spécifique sur la fonction entraînée. .Les critères d’efficacité des entraînements sont : l’effet sur la fonction cognitive spécifique entraînée, la généralisation sur les procédures d’identification des mots écrits (précision et temps), sur la compréhension et sur l’orthographe des mots isolés et en contexte.

Promouvoir et evaluer différentes modalités de prise en charge individuelle pour d’autres troubles des apprentissages que la dyslexie

Les modes de prise en charge des troubles associés à l’acquisition du langage écrit doivent faire l’objet d’évaluations.

Les études montrent que les troubles du langage oral ont des répercussions sur l’apprentissage du langage écrit et qu’une rééducation précoce (au plus tard à 5 ans) du langage oral et des correspondances graphèmes-phonèmes permet d’aborder l’apprentissage du langage écrit dans de meilleures conditions.

Concernant les troubles du graphisme, les résultats quantitatifs et qualitatifs de tests spécifiques permettent de savoir si le trouble touche la coordination gestuelle, la perception et/ou la production visuelle et visuo-spatiale. Des critères pourraient être retenus concernant les âges et les modalités de la prise en charge des troubles du graphisme : en fin de maternelle ou début de primaire si les troubles sont sévères ; avant la fin du CP en cas de trouble persistant, afin d’éviter que des stratégies déviantes d’enchaînement des lettres ne soient fixées. Il est indispensable d’articuler les prises en charge effectuées par le psychomotricien et l’ergothérapeute et les interventions pédagogiques.

Les troubles d’acquisition du code numérique sont souvent associés aux troubles d’acquisition du langage écrit. Les travaux sur les outils et les modes de prises en charge sont encore très peu développés. Une prise en charge dès le début de primaire doit être envisagée, et évaluée dans la mesure où ces troubles associés aggravent la situation d’échec de l’enfant.

Promouvoir et evaluer des prise en charge multimodales pour des troubles fréquemment associés

La littérature mentionne, dans le cadre des troubles spécifiques des apprentissages, l’association fréquente de troubles émotionnels et comportementaux qui nécessitent un suivi psychothérapique sans négliger pour autant les rééducations spécifiques aux troubles spécifiques des apprentissages. La prise en compte de ces troubles associés, comportementaux et émotionnels, doit être précoce en cas de troubles signalés avant les apprentissages scolaires et s’ils retentissent sur la coopération de l’enfant au projet pédagogique et rééducatif.

Les troubles neuropsychologiques et psychomoteurs associés aux troubles des apprentissages constituent aujourd’hui un large champ de recherche. Ils posent la question de l’offre de soin en terme de techniques rééducatives pouvant varier selon la présence de signes associés tels que des troubles perceptivo-moteurs, visuo-spatiaux, ou encore attentionnels et en terme de professionnels formés et reconnus (tels par exemple les neuropsychologues).

Ces cas plus sévères sont gravement menacés dans leur devenir scolaire et leur adaptation sociale. Ils devraient pouvoir bénéficier quelle que soit leur situation géographique ou socio-économique, dans leur milieu familial et scolaire, des moyens les plus en adéquation avec l’état actuel des connaissances. La mise en place de réseaux de santé composés d’équipes multidisciplinaires coordonnées à l’échelle d’une région paraît être une alternative intéressante.

Promouvoir et expérimenter la mise en place de réseaux coordonnés de diagnostic et de soin

Le diagnostic d’un trouble spécifique des apprentissages, indispensable pour adapter la prise en charge fait souvent appel à une équipe pluridisciplinaire justifiant sa coordination par un professionnel référent : l’examen clinique permet d’identifier un trouble avéré et de vérifier son caractère spécifique, sa sévérité et sa persistance ; l’évaluation précise des fonctions altérées est effectuée par le professionnel concerné (orthophoniste, psychomotricien, ergothérapeute, psychologue, neuro-psychologue). Les différentes fonctions cognitives impliquées dans les apprentissages sont évaluées à l’aide d’outils validés. Les tests portent par exemple sur les capacités spécifiques à la lecture qui sont déficitaires chez le dyslexique (identification des mots écrits, précision et rapidité) et sur les capacités reliées (capacités d’analyse phonémique, de mémoire à court terme phonologique, capacités d’analyse visuelle…). La confrontation des résultats issus des batteries d’intelligence évaluant le profil cognitif et des tests spécifiques permet d’affirmer la spécificité du trouble. Ces évaluations sont réalisées à l’aide de tests étalonnés pour l’âge de l’enfant. Les résultats doivent être qualitatifs et quantitatifs en précisant le nom du test et en les situant en écart-type ou percentile par rapport aux normes de la population de référence.

La prise en charge d’un trouble des apprentissages nécessite des évaluations régulières de l’évolution de l’enfant. Les effets de la rééducation doivent être évalués au moins tous les six mois, avec un nouveau bilan utilisant des tests comparables à ceux de l’évaluation initiale. Cette évaluation doit permettre d’apprécier quantitativement et qualitativement l’évolution de l’enfant et de réévaluer la prise en charge afin de prendre les décisions pertinentes (poursuite des entraînements, redéfinition des objectifs, infléchissement des orientations, alternance de pauses, arrêt de la rééducation). Le recours à un professionnel différent de celui qui met en œuvre le programme de rééducation est utile si les progrès de l’enfant ou leur généralisation en classe ne sont pas suffisants.

Un travail en réseau formalisé de tous les intervenants travaillant en étroite collaboration (personnels spécialisés de l’Éducation nationale, professionnels de santé…) est expérimenté dans quelques centres et pourrait être évalué en vue d’une généralisation à l’ensemble du territoire. La coordination des soins et la guidance familiale peuvent être assurées par un professionnel ayant bénéficié d’une formation adaptée. Il s’agit également de favoriser les réunions régulières entre les rééducateurs et les enseignants pour harmoniser leurs actions réciproques, mettre en place un programme personnalisé de scolarité, prévoir les adaptations et aménagements pédagogiques nécessaires à l’intégration de l’enfant dans la classe et son accès aux divers apprentissages. L’organisation de tels réseaux apparaît a priori comme une réponse particulièrement adaptée aux formes sévères de troubles d’apprentissage, dont la complexité nécessite de manière évidente la confrontation de l’avis de plusieurs praticiens, et qui ne peuvent être efficacement prises en charge qu’à condition d’établir des contacts solides et répétés avec l’enseignant de l’enfant.

Proposer une formation commune à toutes les personnes ressources en plus des formations spécifiques par discipline

Il existe au sein de l’école, des professionnels (enseignants spécialisés, psychologues, médecins scolaires) capables d’aider à repérer les difficultés d’apprentissage des élèves, à proposer et mettre en œuvre une réponse adaptée. D’autres professionnels extérieurs à l’école (orthophonistes et autres rééducateurs, psychologues, neuropsychologues, médecins et autres spécialités) sont également très souvent sollicités pour le diagnostic et la remédiation.

La formation initiale et continue de tous ces professionnels doit être envisagée en relation avec les avancées des connaissances scientifiques. Cette formation doit permettre à tous ces professionnels de s’initier à l’analyse critique des outils de repérage et des méthodes de prise en charge proposés.

En plus des formations précises et spécifiques au rôle de chacun, une formation commune à ces différents professionnels leur permettrait de pouvoir travailler en étroite collaboration pour faciliter la mise en œuvre des prises en charge nécessaires aux élèves en difficulté d’apprentissage ou présentant des troubles spécifiques des apprentissages.

Pour approfondir les connaissances sur les apprentissages scolaires et les troubles

Les axes de recherche proposés ont pour objet de développer une meilleure compréhension des apprentissages scolaires (lecture, écriture et calcul…) et de leurs troubles en particulier une meilleure connaissance des causes de la dyslexie ainsi qu’une estimation de la fréquence des différents troubles des apprentissages en France.

Approfondir la compréhension des mécanismes de la dyslexie

Il existe actuellement de nombreux modèles théoriques pour expliquer la dyslexie : théorie du déficit phonologique, théorie du traitement auditif temporel, théories visuelles, théorie cérébelleuse, théorie magnocellulaire… Cette diversité est due au fait qu’il existe sans doute plusieurs facteurs explicatifs aux troubles dyslexiques pouvant s’appliquer à des sous-groupes de la population dyslexique. La dyslexie reste en effet un trouble complexe, incluant de nombreux symptômes autres que la lecture et elle est fréquemment associée à d’autres troubles des apprentissages.

La théorie phonologique est celle qui a donné lieu au plus grand nombre de recherches et qui est actuellement la plus largement validée. Pratiquement toutes les études menées auprès d’enfants dyslexiques, quelle que soit leur langue, ont mis en évidence des déficits phonologiques associés. Les déficits objectivés dans trois domaines de compétence reliés à l’activité de lecture (analyse phonémique, mémoire à court terme phonologique, dénomination d’images ou d’objets) contribuent à expliquer le niveau de lecture des enfants. Les performances des enfants dyslexiques dans ces différents domaines demeurent en outre déficitaires même lorsqu’on les compare aux performances d’enfants plus jeunes de même niveau de lecture. Ceci démontre d’une part que l’enfant dyslexique n’a pas la même trajectoire développementale que le normo-lecteur ; d’autre part, que le trouble phonologique est causalement relié aux difficultés d’apprentissage de la lecture, ce qui est confirmé par les études longitudinales : les aptitudes phonologiques évaluées avant l’apprentissage de la lecture sont prédictives du niveau de lecture ultérieur des enfants.

Toutefois, sauf dans de rares études, la théorie phonologique n’a pas été confrontée aux autres théories, alternatives ou associées. Des études longitudinales dans lesquelles les enfants seraient suivis depuis le début de la grande section de maternelle (voire de la moyenne section) jusqu’à la fin du cycle 2 (8 ans) ou 3 (11 ans) seraient très informatives. Ces études devraient évaluer l’implication des capacités phonologiques, visuelles et motrices dans l’apprentissage de la lecture, avec des méthodologies aussi proches que possible (prise en compte de la précision et du temps de réponse, tâches avec ou sans contraintes temporelles…). Il faudrait également encourager des recherches sur les mécanismes cognitifs qui influent spécifiquement sur la vitesse de lecture et sur les interactions vitesse/précision.

Développer des recherches sur les mécanismes mis en jeu dans l’apprentissage de l’orthographe

Les spécificités de l’orthographe du français, essentiellement en production, font que les connaissances issues de recherches provenant d’autres systèmes orthographiques sont peu transposables. Aussi, en l’absence de données précises portant sur les erreurs produites par l’ensemble des enfants tout-venant ou des adultes, il est difficile de déterminer dans quelle mesure le nombre et la nature des erreurs relèvent de performances normales ou, au contraire, conduisent à prédire un trouble nécessitant une prise en charge spécifique.

Des recherches portant sur les mécanismes impliqués dans l’apprentissage et la mise en œuvre des différentes composantes de l’orthographe mériteraient d’être développées, prenant en compte le type d’enseignement dispensé. Ces travaux devraient aborder la question de l’acquisition de l’orthographe lexicale, les déterminants des réussites et des échecs. Elles devraient aussi traiter de l’apprentissage et de la mise en œuvre des morphologies dérivationnelle (« chat » ; « chatte » ; « grand » ; « grande ») et flexionnelle (participe passé versus infinitif ; accords en genre et en nombre des noms et adjectifs…).

Développer des recherches sur les mécanismes mis en jeu dans l’apprentissage du calcul

Les recherches concernant la dyscalculie et les difficultés en mathématiques sont beaucoup moins nombreuses et moins avancées que ne le sont celles sur la dyslexie, alors que la fréquence et les origines de la dyscalculie sont encore mal connues. Bien que de nombreuses hypothèses aient été avancées, les données sont aujourd’hui insuffisantes pour permettre d’orienter les réponses pédagogiques et rééducatives. Si l’hypothèse d’une atteinte sélective de structures cérébrales dévolues aux traitements numériques est aujourd’hui évoquée, elle mérite cependant d’être plus solidement étayée. Cette carence dans le domaine de la recherche est d’autant plus surprenante que l’apprentissage du calcul et des mathématiques constitue un des objectifs majeurs de la scolarité dans toutes les sociétés technologiquement avancées.

Des recherches sur les relations entre les compétences précoces du petit enfant concernant les quantités et les acquisitions numériques ultérieures, sur la nature, le rythme, les différences interindividuelles de ces acquisitions, leur évolution et leur impact sur l’apprentissage des mathématiques devraient être développées. Les résultats de ces recherches permettraient d’éclairer les principes d’actions pour la remédiation.

Développer des études épidémiologiques en France

En France, il n’y a pas de données épidémiologiques sur les troubles spécifiques des apprentissages, fondées sur des échantillons d’enfants représentatifs de la population générale.

Des études transversales sur des échantillons représentatifs sont donc indispensables pour connaître la prévalence des différents troubles spécifiques des apprentissages. Ces études pourraient évaluer l’influence des différents critères de classification de ces troubles sur leur fréquence, définir des outils et une méthodologie standardisée. Elles permettraient également de cerner le rôle à attribuer au milieu socioculturel.

De même, des études longitudinales de cohortes d’enfants initiées très tôt dans la vie de l’enfant pourraient permettre d’étudier, les déterminants éventuellement impliqués précocement dans le développement cognitif de l’enfant (par exemple dans le contexte de la cohorte Eden et de la cohorte Elfe). Parmi ces facteurs, il s’agira d’identifier ceux qui sont plus particulièrement liés aux troubles spécifiques des apprentissages.

Des études à visée épidémiologique et préventive (recherche-actions), impliquant la structure scolaire et mettant en jeu des équipes mixtes, éducatives et scientifiques, permettant ainsi un partage des informations entre les deux domaines de compétences devraient également être développées.

  • 1.

    .Dans les écritures logographiques, comme celle du chinois, l'unité de base de l'écrit est le mot. Il est à signaler qu'en Chine continentale, les enfants commencent à apprendre lire avec l'aide d'un système alphabétique, ce qui est révélateur des difficultés rencontrées par celui qui doit apprendre à lire dans un système logographique. En effet, il lui faut alors mémoriser des milliers de formes orthographiques différentes avant de pouvoir lire un texte, ce qui demande plusieurs années.

  • 2.

    Par exemple, le mot « orthophoniste » est composé de trois morphèmes « ortho », phono » et « iste ».

  • 3.

    Quotient intellectuel (QI) mesuré entre 6 et 15 ans à l'aide du WISC-IV (wechsler d. Echelle d’Intelligence de Wechsler pour enfants et adolescents. Quatrième édition. ECPA, 2005)

  • 4.

    OMS Classification Internationale des Maladies. Chapitre V (F) : Troubles mentaux et troubles du comportement. Critère de diagnostic pour la recherche. Masson, 1994

  • 5.

    american psychiatric association. Troubles des apprentissages. DSM-IV-TR. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Masson, 2004

  • 6.

    www.sante.gouv.fr