La politique de santé publique: Rapport de la Commission des Affaires Sociales

Francis GIRAUD et Jean-Louis LORRAIN, RAPPORT 138 (2003-2004), Tome I

Commission des Affaires sociales

Article 18 quater (art. L. 4111-7 du code de la santé publique)

Prescription et mise en oeuvre des psychothérapies

Objet : Cet article vise à encadrer la pratique de la psychothérapie.

I - Le dispositif proposé

Sur proposition de M. Bernard Accoyer, la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale a adopté un article additionnel visant à organiser la prescription et la mise en oeuvre des psychothérapies.

Cet article résulte d'un long travail de préparation. Il fait suite au dépôt, par M. Bernard Accoyer et plusieurs de ses collègues, de deux propositions de loi, l'une relative à l'usage du titre de psychothérapeute (n° 1844, enregistrée le 13 octobre 1999) l'autre relative à la prescription et à la conduite des psychothérapies (n° 2342, enregistrée le 26 avril 2000).

L'objet affiché de ces deux propositions, malgré des dispositifs juridiques différents, consiste à « développer la transparence et le droit à l'information des malades en ce qui concerne les « psychothérapies ». Composées d'un article unique, elles ont été formellement déposées après avoir été présentées initialement sous la forme d'amendements au projet de loi relatif à la couverture maladie universelle (séance du 4 mai 1999), puis au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (séance du 27 octobre 2000, pour insertion dans le rapport annexé). Par deux fois, le rapporteur de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale et le Gouvernement ont émis un avis défavorable, tout en reconnaissant l'importance de la question soulevée. En 1999, le secrétaire d'État à la santé et à l'action sociale avait même annoncé qu'un groupe de travail était chargé du dossier au sein du ministère et que des propositions seraient faites à l'issue d'une concertation préalable.

C'est un dispositif plus élaboré que les deux propositions initiales qui a finalement été adopté par l'Assemblée nationale à l'occasion de l'examen du présent texte.

Inspiré par le souhait de sécuriser la pratique des psychothérapies, son auteur le défendait ainsi :

« Les psychothérapies sont de natures diverses mais, surtout, elles peuvent aujourd'hui être conduites en France sans le moindre contrôle sur ceux qui se déclarent capables de les conduire. Aussi bizarre que cela puisse paraître, il y a donc un vide juridique, qui fait que n'importe qui peut visser sur la façade d'un immeuble sa plaque en s'arrogeant le titre de psychothérapeute.

« Les populations qui suivent des psychothérapies sont plus fragiles que d'autres puisqu'elles ont besoin d'une aide, d'un soutien psychologique. Or elles peuvent être l'objet d'erreurs de diagnostic, des traitements inadaptés peuvent leur être prescrits et les personnes à qui elles ont affaire sont susceptibles de ne pas identifier des affections plus graves déviant vers des maladies de type psychotique, ce qui présente des risques pour les malades eux-mêmes et pour leur entourage.

« Par ailleurs, des dérives commerciales ont été observées. La mission interministérielle de lutte contre les sectes a même identifié des dérives sectaires qui constituent autant de dangers.

« Il convient de préciser que les psychothérapies ne peuvent être mises en oeuvre que par des médecins psychiatres ou par des psychologues cliniciens formés préalablement.

« Mon amendement (...) prévoit précisément que les personnes qui conduisent des psychothérapies mais qui n'appartiennent pas à ces professions et qui n'ont pas les qualifications requises pourront poursuivre leur activité thérapeutique à la condition d'exercer depuis cinq ans et sous réserve de satisfaire, dans les trois années suivant la promulgation de la loi, à une évaluation de leurs connaissances et de leurs pratiques par un jury dont la composition serait fixée par arrêté.

« Ces dispositions sont l'aboutissement d'un très long travail, qui a commencé sous la précédente législature, avec le ministre de la santé de l'époque, M. Bernard Kouchner et son cabinet. Ce travail n'avait pu aboutir alors que nous n'étions pas loin du but. »

Ce sujet fait incontestablement l'objet d'une préoccupation réelle et partagée. Peu avant le vote de cet article, l'Académie de médecine adoptait, le mardi 1er juillet 2003, un rapport sur la pratique de la psychothérapie, fruit de deux années de travail. Elle y soulignait combien « la question de la pratique et des critères d'habilitation à la pratique des psychothérapies se pose actuellement de façon aiguë en raison du développement incontrôlé de pratiques hétérogènes et non encadrées ».

Le choix retenu par l'Assemblée nationale de réserver l'exercice de la psychothérapie à des professionnels diplômés de l'enseignement supérieur rejoint la conclusion des travaux de l'Académie de médecine sur la psychothérapie. Cette dernière s'est déclarée opposée à la création d'un statut légal de psychothérapeute, susceptible de promouvoir la multiplication de thérapies plus ou moins fantaisistes et qui ne relèveraient plus du domaine médical.

Le même choix a été opéré dans le rapport de la mission Cléry-Melin chargée de faire des propositions en vue d'établir une politique de santé mentale. Ce rapport, remis au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées le 2 octobre dernier, comprend plus de 140 propositions et s'inscrit dans une démarche de santé publique s'attachant à mieux définir les articulations entre la psychiatrie et la santé mentale. Trois axes majeurs se dégagent des propositions qu'il formule :

- s'atteler à la réorganisation de l'offre de soins de premier recours et réduire les disparités de répartition de l'offre sur le territoire ;

- renforcer l'encadrement des pratiques, notamment de la psychothérapie ;

- proposer une approche populationnelle de certaines prises en charge (enfants, personnes âgées, personnes détenues).

L'adoption de cet article par l'Assemblée nationale, bien qu'il s'agisse d'une proposition déjà débattue auparavant, partagée par l'Académie de médecine et proposée dans un rapport officiel remis au ministre de la santé, a provoqué une intense mobilisation de l'ensemble des professionnels exerçant la psychothérapie, les uns soutenant la nécessité d'organiser une profession insuffisamment contrôlée, les autres prônant la liberté d'exercice dans des conditions acceptables. Une réaction d'aussi grande ampleur est issue des usagers, se partageant entre ceux qui souhaitaient choisir librement leur psychothérapeute et ceux, victimes de pratiques contestables, favorables à une clarification des choses. Cette mobilisation a emprunté des voies médiatiques multiples (émissions de télévisions, tribunes dans la presse quotidienne ou hebdomadaire), et s'est également traduite par des prises de contact et demandes de rencontres avec les parlementaires, ainsi qu'auprès du ministre.

Les critiques opposées au présent texte portent sur deux points : la rédaction du premier alinéa de l'article L. 3231-1 du code de la santé publique qui dispose que les psychothérapies « constituent des outils thérapeutiques utilisés dans le traitement des troubles mentaux » d'une part, et surtout la fixation de règles d'accès à la profession prévue par les alinéas suivants, d'autre part.

Le premier aspect soulève une question complexe : celle de la définition des psychothérapies, pour laquelle votre rapporteur se reportera aux définitions proposées par le rapport de l'Académie de médecine. C'est la référence faite par la loi aux troubles mentaux qui est contestée par les représentants des psychothérapeutes, car elle aurait le défaut de « psychiatriser » la prise en charge du patient et de négliger la souffrance psychique accessible à d'autres méthodes non médicales, propres aux psychothérapies.

 La délivrance d'un diplôme universitaire spécifique (médecins ou psychologues) est également une cause de mobilisation de la profession et sans aucun doute la plus puissante. Les représentants des professionnels arguent du fait que les diplômes mentionnés dans la loi ne sont pas une condition suffisante pour garantir la qualité du psychothérapeute et que la qualification universitaire ainsi exigée néglige l'existence de formations adaptées et performantes assurées par des établissements privés non reconnus par l'État.

Rapport, au nom d'un groupe de travail sur la pratique de la psychothérapie

(extraits) Pierre Pichot et Jean-François Allilaire

Définition de la psychothérapie

C'est un médecin anglais, Tuke, qui créa, en 1872, le terme « psychothérapeutique » mais c'est un médecin français, Bernheim, chef de file de l'école hypnologique de Nancy, qui utilisa le premier le terme de « psychothérapie »,  toujours en usage aujourd'hui. A son origine, la psychothérapie se définissait « comme ce qui relève de l'influence de l'esprit sur le corps dans la pratique médicale ». Elle a aujourd'hui un sens plus restreint et la définition la plus couramment admise se contente d'affirmer que la psychothérapie est seulement « l'aide qu'un psychisme peut apporter à un autre psychisme ». Cette affirmation implique le recours à des moyens pour y parvenir et des buts pour en fixer les limites. Les moyens de la psychothérapie sont extrêmement diversifiés et vont de l'utilisation de la parole comme unique vecteur de la guérison jusqu'à l'adjonction de techniques diverses, comme la médiation corporelle, la musique, l'art, le dessin, l'expression théâtrale par exemple. La prescription d'une thérapeutique biologique associée à la psychothérapie peut aussi constituer l'essentiel du traitement, en particulier dans la prise en charge de malades atteints de troubles psychotiques. Mais, même dans ces cas, une bonne relation psychothérapique avec le patient s'avère indispensable.

De façon générale, quelles que soient les techniques envisagées, toutes gardent en commun l'utilisation, à des fins thérapeutiques, de la relation interpersonnelle. Ce point étant admis, la grande variété des techniques psychothérapiques démontre à l'évidence qu'il n'y a pas une mais des psychothérapies et que chacune d'elles comporte des indications particulières. Quant aux buts recherchés, ils concernent essentiellement la disparition des symptômes et de la souffrance qu'ils entraînent ainsi que l'amélioration de la santé mentale au sens large.

Au cours du vingtième siècle, la psychothérapie a été directement liée à l'essor de la psychanalyse, qui, dans notre pays, n'a réellement pénétré l'espace psychiatrique qu'à partir des années cinquante mais a représenté, jusqu'aux années quatre-vingt environ, la base conceptuelle prédominante de la plupart des psychothérapies. Ce phénomène s'est produit également aux USA et en Amérique latine.

Les autres méthodes psychothérapiques qui se sont développées parallèlement relèvent de quatre courants principaux, les courants comportementaliste et cognitiviste, humaniste, systémique, et, plus récemment, « éclectique et intégratif ».

Les différents courants psychothérapiques actuels

La psychothérapie d'inspiration psychanalytique

La psychothérapie d'inspiration psychanalytique est une pratique dérivée de la psychanalyse. Dans sa forme la plus commune, elle se pratique en face à face, selon un rythme de séances différent de celui de la cure type (en moyenne une séance par semaine au lieu de trois). Elle se réfère aux concepts de la théorie psychanalytique, et plus particulièrement aux notions d'inconscient, de transfert et d'interprétation dans le transfert.

Les autres psychothérapies

Elles se définissent tantôt par les interlocuteurs auxquels elles s'adressent : groupe, famille, couple, institution, tantôt par le procédé qu'elles utilisent : art-thérapie, musicothérapie, ergothérapie, tantôt par l'utilisation d'une médiation corporelle : relaxation, etc.

Mais le critère de classification le plus pertinent reste la théorie psychologique à laquelle le thérapeute se réfère et les modèles conceptuels qu'il utilise pour comprendre la dynamique psychique de son action.

A - Le courant comportementaliste et cognitiviste

C'est le courant dominant actuellement et celui qui est le mieux validé dans ses résultats thérapeutiques. Il s'inspire de l'application de la psychologie expérimentale au champ de la clinique pour comprendre, évaluer et traiter les troubles mentaux et ceux du comportement. Il applique les données de l'apprentissage répondant, opérant, social et cognitif et cherche à modifier la clinique quotidienne au moyen des mécanismes mis à jour par la recherche expérimentale clinique.

B - Le courant systémique

Il repose sur des conceptions théoriques inspirées à la fois de l'anthropologie et de la théorie générale des systèmes. Elaborée à partir des années cinquante à Palo Alto par un psychologue américain, Gregory Bateson, la thérapie systémique est basée sur une théorie de la communication originale. Le patient y est considéré comme un des éléments du réseau de communications qui le relie à son groupe social et familial. La pathologie peut entrer en résonance avec l'environnement, ce qui amplifie ou atténue le processus psychopathologique. C - Le courant humaniste

La psychothérapie humaniste se centre sur la personne (« client-centered psychotherapy ») et cherche à promouvoir l'autonomie de celle-ci mais elle a l'ambition de le faire en dehors de toute théorisation préalable. Elle préconise une relation d'aide basée sur une compréhension réciproque et sur l'empathie du thérapeute pour son patient. C'est un psychologue américain, Carl Rogers, qui a défini le premier les concepts de la psychothérapie humaniste et précisé sa technique. En dehors de l'empathie, celle-ci se fonde sur la notion de « congruence », c'est-à-dire sur la coïncidence intuitive des sentiments du  thérapeute avec ceux du patient. D - Le courant « éclectique et intégratif »

Il se base sur la constatation de la multiplicité des techniques, le manque de cohérence et la pauvreté de certaines théorisations, le dogmatisme, l'ostracisme de nombreuses écoles divisées et opposées en « chapelles » rivales. Il propose d'introduire plus de rigueur dans ce domaine, sur la base d'études scientifiques. Ces études ont montré, par exemple, que toutes les théories et les techniques sans exception mettent en jeu, dans des proportions et avec des accents différents, les mêmes facteurs dits pour cette raison « communs », tels que l'alliance thérapeutique, la motivation du patient, celle du thérapeute, le désir de changement, la régulation des affects, l'articulation entre affects et cognitions etc. Ces facteurs communs pourraient rendre compte jusqu'à 30 % des résultats thérapeutiques observés.

Source : Rapport de l'Académie de médecine, Juillet 2003

II - La position de votre commission

Ce contexte passionné a marqué les conditions dans lesquelles votre commission a examiné le présent projet de loi, dont le seul article consacré à l'usage des psychothérapies a mobilisé une grande partie de son attention et requis l'organisation de nombreuses auditions des représentants des psychothérapeutes, ouvertes à l'ensemble des sénateurs.

Environ 13.000 psychiatres et 15.000 psychothérapeutes exercent aujourd'hui la psychothérapie en France. Sur ces 15.000 psychothérapeutes, une forte majorité ne disposerait pas des diplômes exigés par le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire qu'ils exercent librement leur art, parfois avec une extrême compétence, parfois au moyen de pratiques confinant au charlatanisme. L'enseignement est délivré par près de cinq cents écoles différentes et qui associent en général, travail sur soi, travail en supervision et confrontation des expériences entre pairs.

Au total, entre trois et cinq millions de personnes recouraient chaque année à ces pratiques, le plus souvent de leur propre initiative et sans bénéficier d'une prise en charge par la sécurité sociale.

Aucun des interlocuteurs entendus pour la préparation du présent rapport n'a exprimé la moindre opposition au principe d'une réglementation de la profession de psychothérapeute. Tous ont déclaré soutenir une démarche qui vise à rendre la psychothérapie plus lisible aux patients, ou aux usagers, suivant les deux terminologies utilisées en l'espèce. Tous ont considéré que certaines capacités étaient indispensables à l'exercice de la psychothérapie.

Comment les principaux pays européens ont-ils réglementé la psychothérapie ? Dans son rapport, l'Académie de médecine distingue deux méthodes opposées : « l'abord allemand et autrichien est à la fois autoritaire et contraignant avec des directives très précises sur les indications, le nombre de séances, la qualification et l'affiliation des praticiens ». (...) « l'abord britannique est à l'opposé puisque le respect de la liberté de chacun va même jusqu'à ne pas contraindre les praticiens à s'affilier aux associations qui sont regroupées dans le UK Council for Psychotherapy ».

Enfin, votre rapporteur a interrogé le ministre de la santé sur cette question à l'occasion de son audition le 17 décembre dernier, qui a considéré : « que le souci de protection des patients était légitime mais il a estimé que la réglementation de la profession se heurtait à plusieurs difficultés liées au caractère fluctuant de la frontière entre difficultés psychologiques et affections pathologiques qui devaient continuer à relever de la psychiatrie, à la répartition des compétences entre les différentes disciplines et à la définition de critères de qualité pour la formation des psychothérapeutes ». Il a par ailleurs indiqué que les associations de victimes demandaient surtout à pouvoir se retourner contre le professionnel en cas de dommage et qu'il réfléchissait en conséquence à une possibilité de déclaration du psychothérapeute pour matérialiser son engagement à prendre en charge la personne et donner à cette dernière un moyen de preuve en cas de dommage.

A l'issue de ces consultations, votre commission a considéré qu'il lui appartenait de poursuivre dans la voie ouverte par l'Assemblée nationale et de déterminer les conditions dans lesquelles pouvait être établi un dispositif protecteur des personnes et ouvrant la possibilité d'une labellisation de certains professionnels sur des critères non uniquement universitaires.

Il est donc proposé de subordonner l'usage professionnel du titre de psychothérapeute à l'inscription sur un Registre national des psychothérapeutes, effectuée au niveau départemental. Les médecins et psychologues diplômés de l'Université bénéficieront, s'ils le souhaitent, d'une inscription de droit, les modalités d'application de l'ensemble de ces dispositions étant définies par voie réglementaire.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

La commission a ensuite examiné les articles et les amendements présentés par les rapporteurs.

A l'article 18 quater (prescription et mise en oeuvre des psychothérapies), à l'issue d'un large débat au cours duquel sont notamment intervenues Mmes Sylvie Desmarescaux et Gisèle Printz, la commission a adopté un amendement visant à améliorer l'information du public au regard des compétences des psychothérapeutes, qui devront désormais être inscrits sur un registre national suivant des modalités précisées par décret.