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Réponse au dossier d'Ursula Gauthier dans le Nouvel observateur
Réponse au dossier d'Ursula Gauthier dans le Nouvel observateur
Les secrétaires d'une parole en souffrance
à propos du dossier «Faut-il en finir avec la psychanalyse», le Nouvel Observateur, n° 2130 du 1er au 7 septembre 2005.
Madame Gauthier,
Votre article et le dossier que vous avez organisé autour de la parution d'un livre noir, de l'éditrice Catherine Meyer, appelle-t-il des réponses?
Contrairement à ce que vous affirmez, je ne suis pas sûr que ce livre constitue un «événement», mais plutôt l'un des avatars d'une querelle de pouvoir orchestrée par les intérêts pharmaceutiques et la réorganisation des politiques de santé en Europe.
C'est pourquoi je ne crois pas qu'il convienne de se cantonner à des querelles de «chapelle» —vous comparez, en la disant «fille aînée du freudisme» la psychanalyse à l'église catholique—.
Le débat devrait être plus large et pourrait concerner la position du Nouvel Observateur dans le panorama idéologique de ce début de siècle: Quelle société voulons-nous construire après la perte des illusions révolutionnaires; est-il possible de croire encore à une volonté politique qui ne soit pas dépendante du capitalisme (ce que l'on nomme les contraintes économiques)?
La question que vous posez, à travers le mouvement psychanalytique et la vieille affaire de la contestation légitime du «psychanalysme» (Castel, 1973), vient de très loin, mais elle nous permet de penser aujourd'hui comment continuer de «savoir» quelque chose sur l'impossible, tout en refusant l'étiquette d'expert.
En effet, si la pensée complexe était l'affaire des experts, le public ne pourrait que recevoir des explications simplifiées par d'autres spécialistes (de la communication) afin de comprendre où se situe le vrai progrès. Soit, ce qu'il faut penser.
Est-ce que nous sommes d'accord pour quitter la république des lumières (aufklärung) au profit de la dictature des sages (ou savants, ou scientifiques, ceux que Rabelais aurait pu appeler les «sorbonagres»)?
Nous pourrions par exemple, rentrer tristes à l'hôpital pour nous en plaindre, et en sortir rassurés et bipolaires avec une ordonnance de lithium à vie.
Est-ce que la psychanalyse est une science?
Pas au sens de la connaissance objective (Popper).
Est-ce qu'elle est un savoir?
Oui, à condition que ce soit un savoir discutable. Car, à peine émerge-t-il que déjà ses parures s'affadissent et nous disent : «ce n'est pas ça».
La psychanalyse est une expérience subjective avec ses réussites —dues certainement à des «fantasmagories de l'imaginaire» selon les comportementalistes— et ses échecs.
Mais, au fait, qu'est-ce qu'une psychanalyse réussie? Comment le mesure-t-on (Cf. le rapport de l'INSERM)?
Ce pourrait être par l'affirmation de personnes sensées (Françoise Giroux affirmait, dans un livre de témoignages, que Lacan lui avait sauvé la vie), mais en quoi ces affirmations pourraient-elles être validées par les experts, et encore plus, en quoi seraient-elles meilleures que d'autres qui prétendraient le contraire?
Non, nous avons besoin de savoir le vrai sur le vrai, de manière scientifique et indiscutable.
Nous devons connaître, à science certaine, la bonne conduite à tenir en société, pour le bien de tous (dans un horizon mondialisé, c'est-à-dire à perte d'horizon), et au besoin, nous devons pouvoir rectifier les conduites déviantes pour soulager la souffrance (revue Autrement, guérir pour normaliser, 1976), ou empêcher les nuisances des psychopathes (Couderc, le Nouvelobs, 11-17 novembre 1993).
Les TCC dont vous vous faites le chantre, sont les filles puînées des machines à rectifier (plethysmographe), jadis honnies parce que bolcheviques, aujourd'hui encensées lorsqu'elles reviennent en passant par l'hôtel des amériques.
Le mouvement psychanalytique est tellement épars que ses écoles foisonnent et se renouvellent pour ne pas succomber aux effets des illusions groupales. L'expérience de la psychanalyse est tellement singulière qu'il n'y a pas de statistique capable d'en établir une mesure commune pour additionner ses effets.
Pourtant, depuis cent ans et plus, c'est de cette expérience que surgissent des inventions qui subvertissent les lieux communs, les dévotions confites. Qui préservent, envers et contre tout, la singularité des paroles, l'irréductible du sujet.
Affaire de littérature alors? Ce ne serait pas insultant, la littérature c'est le récit de la vérité dépouillée de la certitude, mais ce n'est pas ça seulement.
Dans les institutions d'hygiène mentale et de travail social en France, des équipes compétentes se sont formées à la psychanalyse et se voient méprisées par les tenants de l'expertise, qui les considèrent comme des simples gardiens, et brocardent l'efficacité de leurs entreprises de parole. Ces équipes sont aujourd'hui démotivées et meurtries alors qu'elles représentent une somme précieuse d'expériences et de compétences professionnelles.
Supposer les psychanalystes imbus de leur théorie et sectateurs de la vraie doctrine, c'est faire outrage aux milliers de cliniciens silencieux dont la pratique se fonde, au jour le jour, sur l'écoute attentive d'une parole en souffrance, dont ils se font les secrétaires.
La pratique de la psychanalyse ne se réduit pas, vous le savez, à deux ou trois notables qui peuplent les plateaux.
Alors, si votre dossier ne contient pas de nouveauté fracassante, ou d'événement époustouflant, était-il, simplement, politiquement opportun de nous faire injure?
Ignacio Gárate Martínez
Psychanalyste à Bordeaux
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