"Psychanalystes en devenir, les constructions d'une clinique" Ignacio Garate Martinez et Al.

Il y a des livres dont on dévore les pages, le livre d’Ignacio Garate Martinez publié chez Encre Marine commence par une énigme, celui de découper les pages pour mieux s’en nourrir. Au-delà du choix esthétique, les livres de chez Encre Marine nous invitent à retrouver le plaisir des anciens livres. Ces livres déjà nous imposent de prendre le temps.

Lorsqu’on parcourt ces 125 pages on a le sentiment que finalement il est là le meilleur écho possible dans cette guerre acharnée contre la psychanalyse. De la clinique, et des auteurs tous humbles. Sorti en mai 2010, ce livre est passé hélas assez inaperçu. Les médias étant trop occupés à parler d’Onfray, et les mouvements psychanalytiques trop occupés à écrire contre Onfray. Il est clair qu’on est en train d’essayer de tuer l’inconscient, les personnes au pouvoir n’aiment pas la pensée, et cela se comprend. Impossible de penser que les mots pourraient nous échapper surtout quand « fellation » est préférée à « inflation » ou encore « empreintes génitales » à « empreintes génétiques ». Rassurons-nous de ces lapsus, Rachida et Brice n’ont pas d’inconscient !

Dans cette fausse guerre, Ignacio Garate Martinez propose une autre voie, celle de la clinique, celle du doute, celle de la difficulté à être au chevet de la souffrance : cinq histoires de patients, cinq cheminements, et cinq enseignements dans leur histoire d’analyste. Ils y parlent d’inconscient, de position de l’analyste, d’interprétation, de silence et surtout du risque du transfert. Dans une culture du risque zéro, et des parapluies à tout va, ce livre nous parle d’engagement, comme éthique analytique, quitte à se faire bousculer, à se coltiner la souffrance brute de cet autre là. Continuer malgré tout, et prendre le risque d’être là et d’accueillir l’autre là où il en est.

Ce livre transporte le lecteur dans divers pays : Argentine, Espagne, et France, … pays différents, mais aussi lieu d’écoute différents : aux urgences psychiatriques d’un hôpital, au CAMPS, au domicile du patient, et évidemment dans le cabinet de l’analyste.

De ces différents lieux, de ces différentes langues, on retrouve chez ces cinq auteurs le souci de la transmission mêlée à la douceur de la poésie. Fil rouge de ces histoires, la théorie lacanienne, toujours fine et bien amenée, une phrase, deux phrases jamais plus, et qui plus est dans des caractères plus petits. Ainsi la théorie analytique n’apparaît jamais en place de savoir. Cette position de savoir qui justement viendrait faire écran à l’écoute de l’analyste : « Mon être se complaisait beaucoup dans l'idée d'une formation d'excellence, de savoir, de reconnaissance dans un milieu élitiste et d'accès assez restrictif. Dans cette configuration, il n'était pas possible de me risquer, de risquer mon être, à recevoir la parole de Petit Charles ».

Je laisse au lecteur le choix de lire l'histoire d'Anthony, de Petit Charles, de Jean-Marc, mais surtout de reconnaitre toute l'authenticité de ces auteurs qui mettent en mots leurs difficultés, leurs impasses, et leurs cheminements pensés toujours dans le transfert de leur rencontre : « Ce sont des paroles dans le temps, ni notre savoir, ni notre intuition, aussi fini soit elle, ne peuvent entraver le temps du déroulement, de la résistance, le temps d’ouverture de l’inconscient. » 

Bref, un livre à découper, et puis à lire, évidemment.

Piqure de rappel du livre, mais qui semble particulièrement importante dans ce monde de cris, de brouhahas perpétuels, et de psychanalyse de comptoir : pour écouter, il faut d’abord se taire…

Florian BEN SOUSSAN

Marseille