En un combat confus

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En un combat confus…

L’année 2007 s’est donc ouverte sur un nouvel épisode des avatars de l’article 52 portant sur l’obtention du titre de psychothérapeute. On s’en serait fort bien passé mais nous devons faire avec. Le débat dure maintenant depuis si longtemps qu’il semble difficile d’en faire l’historique et d’ailleurs beaucoup ont cessé de s’intéresser à cette histoire pensant que pour eux : psychologues, psychiatres, psychanalyses appartenant aux associations reconnues par le gouvernement, l’affaire était entendue. Ceux-là, c’est-à-dire la très grande majorité des professionnels, ont considéré qu’étant donné leurs diplômes ou leur place dans les associations de psychanalystes, on ne les embêterait pas. Qu’ils décident ou non de mettre sur leur plaque et sur leur papier à en-tête qu’ils sont psychothérapeutes, eh bien cela serait laissé à leur libre choix. Les débats qui continuent à se dérouler concernaient « les autres » et ce que l’on allait décider d’en faire. Un peu plus d’heures, un peu moins d’heures de formation, des commissions de validation des acquis avec les uns ou les autres, un enseignement prodigué par l’Université ou les associations, au fond quelle importance?. Cela concernait maintenant les psychothérapeutes non-diplomés de l’Université en psychologie auxquels on allait imposer une formation en bonne et due forme de « psychopathologie ». Les plus rigides en souhaitant plus, les plus « libéraux » en demandant moins, tout juste une petite couche. C’était une affaire d’appareils, de corporatisme et cela concernait par conséquent de moins en moins les psychanalystes.

Mais, alors que les choses sont encore en débat et que l’on s’approche à grands pas des élections présidentielles, peut-on encore dire quelque chose qui retienne l’attention et qui n’a pas cent fois déjà été rabâché. Le premier constat c’est que si certains ont abandonné le débat, les choses se poursuivent avec les représentants des syndicats de psychologues et certains psychiatres. On notera cependant que la crise ouverte par la mise en minorité de Christian Vasseur pose le problème de savoir qui représente aujourd’hui les psychiatres dans cette affaire. Que le législateur n’a pas lâché le morceau, ni du côté de l’Assemblée Nationale où Bernard Accoyer s’accroche à son projet, ni du côté des commissions chargées d’en valider la pertinence qui semblent bien décidées, elles aussi, à tenter de garder un semblant de cohérence dans la démarche législative sans se laisser embarquer dans une aventure menée par quelques-uns. Il faut dire que, depuis le temps les esprits ont dû quelque peu évoluer à force de rencontres et d’interventions diverses des uns et des autres. Pour ma part je suis assez frappé, et plutôt en bien, par le fonctionnement du système bicamériste et ce que j’en perçois.

Au-delà pourtant de tout ce processus, ou bien sûr chacun joue la partie d’abord en espérant préserver ses intérêts, quels sont les enjeux de ce long processus ? Rien de moins pourrait-on dire que de réduire ou non l’être humain à sa plus simple expression et de revenir sur près d’un siècle de progrès de la pensée. La révolution entamée par Freud, qualifiée par lui de copernicienne n’a pas d’abord consisté dans la constitution d’un savoir nouveau, mais par la destitution de sa majesté le moi, par un décentrement du lieu d’où « ça parle ». Lacan dirait que c’est bien fait et qu’en parlant de révolution on allait tôt ou tard se retrouver au point de départ. Eh bien nous y voici ou presque. Il y a dans le déroulement de l’histoire de la psychanalyse des moments où tout bascule. Le moment où Freud cesse de vouloir enseigner ses patients mais où il se laisse enseigner par eux en est un. Mais aujourd’hui on voit bien que l’on revient très vite sur le processus fondateur de tout un courant de pensée et d’écoute thérapeutique pour ne plus voir dans la rencontre avec l’autre qu’un moment pour le soumettre à un savoir ou lui apprendre à se saisir de nouveaux instruments de maîtrise sur lui-même et sur les autres. Si le surmoi a failli, attachons-nous à le renforcer. Rendons les obsessionnels plus obsessionnels encore, réduisons les hystériques à merci, corsetons le moi pour qu’il tienne mieux son rôle. En un mot soyons modernes, la science ne nous permet-elle pas d’aller dans cette voie ?

Si l’on réduit ceux qui soignent et s’intitulent psychothérapeutes, et ce quel que soit le parcours qu’ils ont suivi auparavant à des représentants des discours savants, c’est non seulement leur pratique de psychothérapeute qui est réduite à l’énoncé d’un savoir sur l’autre, mais c’est aussi les parcours universitaires qu’ils ont été conduits à suivre parallèlement qui s’en trouvent contaminés. Ainsi de la psychologie et de la psychiatrie, un temps bousculés par la pratique et la théorie analytiques vont peu à peu revenir à leur posture première. On en connaît les conséquences en terme de montée du comportementalisme et des neurosciences. Bientôt on ne demandera plus aux uns et aux autres que de faire des bilans, de poser des diagnostics et des pronostics, de faire entrer les individus dans les petites cases prévues à cet effet par l’administration et les institutions. Les praticiens qui ne voudront pas se plier à ces nouvelles règles seront priés de diverses façons de rentrer dans leur nouvel habit. C’est déjà le cas et Patrick Delaroche et Patrick Chemla notamment, ici même, en font l’amer constat. J’avouerai, que dans leur posture ancienne, les psychiatres chimiothérapeutes ou les psychologues comportementalistes ne m’importunaient guère. L’usage de médicaments peu s’avérer utile voire indispensable dans certaines pathologies. Certaines habitudes peuvent se voir modifiées avec un peu de patience et de soutien sans qu’on en fasse un plat. Soigner ce peut être aussi aider, accompagner, conseiller. Mais voilà l'essentiel est ailleurs.

J’avais, dans un texte précédent que l’on trouvera en archive, déjà souligné le risque que comportait ce ralliement autour du concept particulièrement pernicieux de psychopathologie. Ce terme semble mettre ensemble la chèvre et le chou. Résoudre la quadrature entre le soin qui implique un décentrement du savoir et l’enseignement de ce savoir même. Opérer une sorte de mélange entre le discours universitaire et le discours psychanalytique. Aie! le cocktail est si mal fichu que selon toute vraisemblance dans l’affaire la chèvre a bien des chances de manger le chou !

l'échec de l'École Freudienne de Paris

Beaucoup de choses sans doute ont été dites sur l’histoire de l’École Freudienne de Paris et sur la « Dissolution » de son école par Jacques Lacan. Pourtant il reste encore beaucoup de choses à dire. Cette histoire ressort quand je parle avec des amis de cette époque et j’apprends au cours de la conversation et avec surprise que telle ou telle lettre est encore secrète et tel ou tel compte rendu de réunion non encore publié. L’Histoire prend du temps à s’éclairer et ceux qui pensent tout savoir ont bien tort. Pour ma part, j’espère que ceux qui détiennent ces documents et ces informations accepteront bientôt de les faire sortir de l’ombre car le temps en est je crois venu. Aujourd’hui, je voudrais simplement porter témoignage sur un point concernant l’École Freudienne de Paris. Si les petits gars qui jetaient des cailloux sur les forces de l’ordre en mai 68 ont massivement rejoint les divans des analystes de cette école, c’est avant tout parce qu’ils pensaient y trouver certes une réponse aux questions personnelles qu’ils se posaient mais aussi parce que quelque chose semblait s’y construire d’un avenir différent, d’une autre façon d’appréhender le monde et ses questions y compris sur la façon de penser le politique.

Pour cela l’École semblait avoir un atout qui me paraissait comme à d’autres essentiels. Tous les discours s’y croisaient ou du moins semblaient s’y rencontrer. Linguistique, politique, mathématique, anthropologique, sociologique, médical, biologique etc. j'arrête là cette énumération. Que s’est-il passé? peu à peu le rêve de cette confrontation s’est évanoui. À vrai dire quand j’y ai fait mes premières armes au début des années 70 le feu était déjà largement entré dans la maison. Ceux qui venaient apporter la fraîcheur de leurs réflexions soit s’en sont allés ailleurs vers d’autres horizons plus stimulants que les querelles ineptes et la stérilité qui envahissait la pensée des meilleurs, soit sont devenus psychanalystes et ont abandonné leur spécificité. Peu à peu les associations ont recruté leurs troupes parmi les psychologues formés dans les Universités et notamment à Censier et les congrès et colloques se sont transformés en assemblées assoupies pour étudiants fatigués. Peu à peu ce qui faisait le sel de la réflexion analytique a déserté ces lieux et l’on peut s’interroger pour savoir si la transmission de la psychanalyse ne s’est pas simplement réfugiée dans quelques endroits privilégiés comme les contrôles ainsi que Jean Clavreul avait fini par s’en convaincre.

Pourtant la transmission ne peut s’en tenir là, même si la fonction du contrôle, au mieux hors institution est essentielle. Mais le rôle des associations est fondamental et il n’est pas possible de s’en passer. Alors si nous revenons maintenant à ce qui a lieu actuellement nous sommes bien obligés de constater que si la situation actuelle semble ne plus faire problème c’est au fond parce que les analystes et le discours analytique se sont peu à peu appauvri, que les ni-ni ont disparu remplacés par les étudiants en psychologie, que tout cela devient finalement bien propre et bien convenable. C’est le constat que je fais aujourd’hui. Il n’est ni optimiste ni pessimiste; Ce n’était pas forcément mieux ni plus facile avant. Simplement la situation et les enjeux ont changé. J’espère, avec tous ceux qui le voudront, continuer ici à animer un débat qui tout au long de l’année 2007 s’enrichira de l’apport de tous et de toutes pour redonner un peu de vigueur à nos esprits assoupis.