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Mai 1968 : Et les psychanalystes dans tout ça ?

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Le cinquantenaire de Mai 1968 dont tous les médias s’abreuvent de différentes manières me rappelle la nécessité de dire quelques mots à ceux, nombreux à présent, qui n’ont pas vécu leur jeunesse à cette époque et particulièrement à propos de la psychanalyse et des psychanalystes. Il ne me revient pas de faire ici œuvre d’historien mais de rapporter certains éléments, peut-être intéressants, pour les jeunes générations. Les compléments, témoignages etc. qui viendraient compléter de petit mémo seront évidemment les bienvenus. On trouvera sur le site un texte plus complet à cette adresse : http://www.oedipe.org/documents/mai68sommaire  texte paru dans la Revue Internationale d’Histoire de la Psychanalyse en 1992, ainsi que le texte reproduit du « Livre Blanc des Sciences Humaines en Médecine » rédigé par mes soins à partir des travaux de la Commission du même nom.

 

Dans son « Histoire de la psychanalyse en France » Elisabeth Roudinesco évoque rapidement la situation à l’Ecole Freudienne de Paris et des événements qui l’agitent avant et après Mai. À cette époque Lacan vient de mettre sur la table sa proposition d’introduire dans l’Ecole la procédure dite de la passe et le moins que l’on puisse dire c’est que cette proposition ne « passe pas » aussi bien que Lacan pouvait l’espérer. De nombreuses voix s’élèvent et la controverse va bon train. E. Roudinescco évoque aussi le rôle du Groupe Lander lieu ouvert et qui le restera durant les évènements ainsi que la rencontre autour de Daniel Cohn-bendit qui se terminera par une quête en faveur des étudiants et que ceux-ci iront boire ensuite à la santé des donateurs. Ceux qui le souhaitent pourront utilement se référer à cet ouvrage [1]. Quant à Lacan, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il se montra plutôt discret durant tous ces évènements.


Pour ma part je me bornerai à rapporter ce que j’ai personnellement vécu à la Faculté de Médecine de Paris, en sachant que d’autres pourraient utilement dire ce qu’il en fut en province notamment. Dès le soir de l’occupation de la Faculté de Médecine qui a suivi la nuit des barricades, une assemblée de tous les étudiants présents a voté la création de Commissions dont le but outre la volonté de maintenir une certaine mobilisation des troupes avait pour objectif affiché de proposer des réformes concernant à la fois les études de Médecine et la médecine en général. Les étudiants en médecine n’étaient pas des révolutionnaires et loin de souhaiter le grand chambardement ils souhaitaient sagement faire un peu bouger les lignes. Ceci étant, là comme ailleurs, plusieurs positions s’affrontaient et remportaient des « victoires » ou des « défaites » suivant les heures de la journée auxquelles se tenaient les Assemblées Générale. Le fonctionnement de l’hôpital en particulier était à l’époque extrêmement hiérarchisé et l’on peut souligner que les structures archaïques qui en fixaient le fonctionnement ont vaillamment survécu jusqu’à aujourd’hui, même si certains changements ont quand même fini par voir le jour. http://www.oedipe.org/videos/2018/medecine-et-futurs-medecins-en-mai-1968

Je ne reviendrai pas sur les réformes d’ensemble qui furent alors proposées et dont certaines auraient mérité d’être mises en place et dont quelques-unes le furent effectivement quelques années plus tard. Cependant, il m’est revenu récemment qu’à cette époque nous avions commencé à cocher des QCM au cours de certaines épreuves d’examen ; Ceci était alors une nouveauté dont il m’apparaît aujourd’hui que s’introduisait de la sorte le début du processus infernal qui allait aboutir à modifier en profondeur et le mode d’enseignement et la pratique des médecins donnant naissance à « l’évaluation » qui confond scientificité et comptage, pratique de la médecine et estimation des performances d’une entreprise. Une pratique qui fait du médecin, étudiant et praticien un adepte involontaire du jeu des sept erreurs. Peut Être qu’un jour viendra où les futurs médecins pourront gratter les bonnes réponses parmi celles qui leur seront proposées.

 

Parmi les commissions qui ont donc vu le jour à cette époque et qui se déployaient tous azimuts, deux nous intéressent particulièrement une commission dans laquelle se retrouvaient les plus anciens et qui concernait la psychiatrie alors en profond bouleversement notamment grâce au travail fait par Jean Oury dans le cadre de la Psychothérapie Institutionnelle et aussi du fait du mouvement antipsychiatrique initié par les anglo-saxons Lang et Cooper. Une proposition de Jean Allouch alors étudiant à la Sorbonne avait envisagé de déplacer les études de psychiatrie vers la Faculté des lettres, proposition finalement rejetée.

 

Pour ma part, alors jeune étudiant c’est à une autre commission que je devais me consacrer celle dite des Sciences humaines en médecine. Dans cette commission qui se réunissait tous les jours nous avons vu arriver des analystes, pour la plupart issus de l’Ecole Freudienne de Paris qui montraient par leur présence qu’ils n’étaient pas indifférents à ce qui se passait alors dans la rue. Certains avaient même fermé partiellement ou totalement leur cabinet. Une bonne partie d’entre eux venaient des « Groupes Balint » : Ginette Raibault, Bernard This, Pierre Benoit, Michel Sapir adepte de son côté d’une méthode de relaxation étaient de ceux-là. D’autres comme Anne-Lise Stern, Radmila Zygouris, travaillaient soit dans le service de Genny Aubry à l’Hopital Neker Enfants Malades, la mère d’Elisabeth Roudinesco, soit dans le service du Pr Royer dans lequel œuvrait Ginette Raimbault.

 

Michaël Balint, psychanalyste anglais s’était penché sur le quotidien des médecins généralistes en Grande Bretagne et constatant leur désarroi devant les problèmes rencontrés dans leur pratique auprès des patients venant chercher auprès d’eux bien autre chose qu’un diagnostic ou des médicaments avait proposé avec sa femme Enid des groupes de cas, dans lesquels les médecins pouvaient exposer devant leurs confrères les problèmes de toute sorte qu’avec tel ou tel de leur patient ils pouvaient rencontrer. Les autres participants pouvaient alors intervenir pour éclairer tel ou tel aspect du problème rencontré, faire état de leur propre expérience, le psychanalyste quant à lui ayant pour tâche de mettre en évidence les positions transférentielles et d’opérer une régulation du groupe ; Précisons que ces groupes fonctionnent encore aujourd’hui en France et dans certains pays.

 

Ceci nous est alors apparu comme une solution très intéressante pour la formation des étudiants et créer ces groupes non seulement pour les étudiants en médecine mais aussi pour les soignants en général infirmiers et aide soignants nous paraissait relever d’une vision de la médecine qui en insistant sur l’aspect humain de notre futur métier nous semblait en accord avec ce que nous souhaitons qu’il devienne. L’exploit fut de faire venir un de ces groupes à la Faculté de Médecine occupée et de procéder à une séance en présence des étudiants en position d’observateurs. D’autres tel Pierre Bour devaient lors d’une séance également mémorable nous faire assister à un groupe de psychodrame.

 

Tout cela, pour le jeune homme que j’étais fut absolument fascinant., m’ouvrant à une dimension à laquelle j’aspirais depuis bien des années. Mes amis de l’époque dont certains le sont restés au cours des 50 années écoulées n’étaient pas moins pris que je l’étais dans la dynamique ainsi crée. Je tiens ici à saluer au passage Michel Lecarpentier qui est aujourd’hui l’un des médecins de la clinique de La Borde ainsi qu’Yves Thoret qui fut pour sa part Rédacteur en chef de la publication « L’Evolution Psychiatrique ». Quant à moi, ce fut l’occasion de confirmer mon intérêt pour la psychanalyse, mon futur métier.

 

Je dirai enfin un mot de la Société Psychanalytique de Paris. Un mot seulement car j’ignore ce qui a pu se dire ou se jouer à cette époque. Deux évènements m’ont marqué. Le premier a eu lieu à l’Ancienne Faculté de Médecine à une date que je ne saurai exactement situer mais probablement durant l’automne 68. Se tenait alors ce qui se poursuit encore de nos jours à savoir une série de conférences ouvertes au public moyennant paiement ; Un certain nombre d’entre nous avaient souhaités y assister… Sans payer. Nous avons pénétré en force dans la salle mais au lieu de profiter de cette rencontre imprévue, les orateurs s’enfermèrent dans un silence qu’ils pensaient sans doute psychanalytique. Un ratage parmi sans doute bien d’autres. L’autre évènement qui se situe durant cette période fut la parution de l’ouvrage intitulé « L’univers contestationnaire » signé de deux analystes de la SPP et signés du pseudonyme d’André Stéphane [2]qui faisait du mouvement de Mai quelque chose comme une petite éruption adolescente sans grande signification. Que cette bouffée pulsionnelle puisse avoir des racines politiques, sociologiques et déboucher sur de profonds changements dans la société y compris dans les rapports que la jeunesse allait connaître au plan de la sexualité semblait échapper totalement aux auteurs. Que la jeunesse qui s’intéressait à la psychanalyse se soit alors tournée davantage vers Lacan et son ouverture à tous les champs du savoir que vers la SPP ne me paraît pas tellement surprenant. La Société Psychanalytqiue de Paris tel une forteresse a certes résisté aux coups de boutoirs que la société elle tout entière lui a asséné c’est un fait mais le débordement par le mouvement lacanien est à mon avis largement issu de cette époque et des positions courageuses prises par certains alors que d’autres se défendaient comme ils le pouvaient, réfugiés dans leurs certitudes.

 

Laurent Le Vaguerèse

 

 

[1] E. Roudinesco Histoire de la Psychanalyse en France Tome 2. 1925-1985 PP  461 et suivantes.

[2] L'univers contestationnaire de Bela Grunberger et Jeanine Chasseguet-Smirgel