Défense de Pierre Delion : Le pack: une torture ? Notre réponse un énorme éclat de rire

Défense du professeur Pierre Delion.

Psychiatre des Hôpitaux

‘guy-baillon@orange.fr' Paris le 1er mai 2009

(ce texte est proposé autant à la lecture des familles que des professionnels, donc il évite au maximum le court-circuit des termes ‘techniques’, lesquels sont toujours des ‘barrières’ pour l’échange)

LE PACK : UNE TORTURE ? NOTRE REPONSE : UN ENORME ECLAT DE RIRE

Oui ! Au risque de choquer les parents et les thérapeutes concernés par les ‘packs’ permettez moi de partir d’un éclat de rire « gargantuesque ».

Mettre quelqu’un dans une mince pellicule d’eau froide et aussitôt l’entourer d’un drap pour qu’il se réchauffe alors que plusieurs soignants sont autour de lui, très proches, et lui parlent avec la plus extrême attention. Ça, un acte de barbarie, comme le dénonce la pétition qui circule ?

Le maintenir dans le froid ? Mais si un parent avait la curiosité de glisser sa main entre le corps et le drap il constaterait qu’en quelques minutes le drap est tiède et que bientôt il est à la température du corps. Alors cette température, un acte féroce ? De qui se moque-t-on ?

On le torture pendant une heure ? Le temps qu’il faut pour l’inviter discrètement à s’exprimer sur ce qu’il ressent et ce qu’il pense. C’est une violence inhumaine ? Qui peut le croire ?

Retrouvons à notre tour notre calme.

Ne nous cachons pas la réalité : ce qui est difficile à supporter pour les parents, nous les entendons très bien car c’est humain, c’est qu’il leur est incompréhensible de voir que des soignants sont en train d’entourer leur enfant et arrivent à obtenir un début de dialogue, alors qu’eux-mêmes avec tout leur amour, toutes leurs souffrances, restent extérieurs à la souffrance de leur enfant qui ne leur parle pas, celui-ci ne les regarde même pas, voire manifeste son hostilité. Ils se sentent sans armes et inutiles ; alors si des soignants avec des actes aussi simples établissent un lien : ‘il y a de l’anormal là-dessous, il y a une violence cachée’, pensent ces parents. Si nous nous mettons un instant à la place des parents nous comprenons que ce constat est en lui-même pour eux une torture.

Ce n’est pas pour autant que les thérapeutes vont se décourager ; ils doivent entourer les parents aussi pour les aider à comprendre que la vraie torture est bien la violence de la maladie pesant sur leur enfant. Cette torture est d’être enfermé dans son propre monde et d’être là sans communication possible. Nous comprenons aussi que toute forme d’échange réalisé en dehors d’eux prend pour les parents l’allure d’une violence. Avant, cet enfermement en soi de leur enfant est déjà violence. Il est exact de dire que tout effort pour écarter les murs d’une forteresse psychique apparait aux parents évidemment comme une violence.

La seule possibilité que nous avons tous alors dans ces situations est d’établir une solidarité humaine entre parents et soignants, ceci en entourant étroitement l’enfant (même quand il est adulte) pour lui permettre d’accepter d’avoir des désirs et de les affronter à une réalité toujours en partie étrangère à lui, et peu à peu de construire lui-même sa propre capacité à trouver les mots exprimant un peu de ce qu’il ressent, et d’accéder au monde qui l’entoure.

De ce fait décider de cette démarche thérapeutique qu’est la proposition d’un pack à une personne ne peut se mettre en place d’abord qu’avec son accord, puis celui de son entourage, enfin celui d’un groupe de soignants suffisamment nombreux pour pouvoir se retrouver régulièrement à plusieurs (3 ou 4) autour de lui (une à deux fois par semaine pendant un à trois mois). C’est aussi compliqué à mettre en place qu’un psychodrame (méthode qui en fait est très proche, mais sans drap et sans eau), car cela nécessite une coordination de plusieurs soignants pour que ce groupe reste sur la même longueur d’onde pendant une pareille durée (alors que les thérapeutes établissent chacun un lien très personnel avec une personne et que ce lien évolue toujours de façon différente, c’est donc un exercice très complexe que de rester ensemble sur la même longueur d’onde) ; c’est bien pour cette raison que la méthode est très peu répandue ; réduite à certains patients avec lesquels la communication n’arrive pas à s’établir dans les soins quotidiens de façon durable. Elle nécessite de créer une équipe qui a résolu tous ses conflits et qui les dépasse (il faut avouer que le soin psychiatrique est tellement lourd que ces phases de calme dans une équipe sont rares) ; n’ayons pas peur de signaler que le soin psychique des troubles psychiques profonds, psychoses graves, autisme, sont d’une telle complexité qu’ils « mettent à genoux » les équipes qui les entourent, et qu’il est indispensable de développer là des trésors d’énergie et de travail d’élaboration psychique collectifs.

N’ayons pas peur de dire non plus que les explications techniques que nous nous donnons mutuellement pour en parler sont de l’ordre de l’intime le plus extrême ; nous ne pouvons pas le partager avec la famille ni avec les proches, simplement parce que d’une part nous abordons les techniques relationnelles complexes qui demandent beaucoup d’entrainement et de solidité (c’est comparable à la conduite d’un avion), et d’autre part parce que cela mobilise une dimension de la personne tellement intime que la partager, même avec un parent, ne peut que faire perdre à la personne sa propre identité. On comprend que ce risque ne puisse être pris. Ceci est commun à tout le champ psychothérapique, le contenu d’une psychothérapie ne peut en aucune façon être partagé, nous retrouvons cela ici dans son extrême complexité.

Personnellement j’ai connu cette méthode pendant mon internat en 1966-67 dans le 13ème à Soisy chez le docteur Philippe Paumelle avec un psychomotricien qui la pratiquait (des articles dans l’Information Psychiatrique en témoignent), j’ai apprécié son intérêt. Quand je suis devenu médecin-chef de secteur à Ville Evrard en 1971 je me suis retrouvé avec un nouveau service fait d’anciens malades et d’anciens infirmiers ayant des pratiques héritées de l’asile ; nous avons eu tout à réinventer ensemble, alors que nous étions dans une pénurie de moyens extrême ; d’abord chef intérimaire puis à partir de 1975 titulaire, il a fallu élaborer les méthodes qui devaient nous permettre ensemble de sortir de l’asile et de soigner de plus en plus dans les villes de notre secteur, Bondy et Les Pavillons sous bois. L’énergie, l’enthousiasme naissaient, mais avaient leurs limites, en particulier autour des patients appelés antérieurement « arriérés mentaux » dont certains abandonnés dans des cellules ; les infirmiers ont expérimenté avec enthousiasme eux-mêmes leurs capacités à faire des séjours hors les murs avec un groupe d’entre eux qu’ils appelaient le « groupe famille » percevant à quel point le besoin de base était celui d’un lien familial très proche ; ils ont fait là des merveilles. Mais je me suis trouvé bientôt affronté aux limites de nos efforts, je savais que l’audace de la psychanalyse seule allait nous permettre d’aller plus loin que notre compréhension immédiate et notre mobilisation relationnelle directe.

C’est dans ce contexte que fin 1979 je recrute pour quelques heures hebdomadaires (nous n’étions pas riches en moyens) Claudie Cachard, psychiatre, psychanalyste, afin qu’elle installe ce que je pensais indispensable : une supervision psychanalytique du travail éprouvant et ‘extrême’ des soignants auprès de ces patients. Comme à son habitude (mais je ne le savais pas) Claudie Cachard a aussitôt déployé ‘autre chose’ : elle a installé une équipe de pack et a commencé très progressivement à faire suivre avec cette méthode pendant plusieurs semaines, puis des mois plusieurs de ces patients si abandonnés et si éloignés de tout contact au point de n’avoir plus aucun lien humain depuis des années, n’ayant plus aucune famille.

Ce fut très compliqué en réalité, d’abord parce que Claudie a dû faire face à l’opposition des quelques médecins de l’équipe (‘quelle méthode inconvenante ! quelle régression ce travail avec l’eau !’, disaient certains tout en se situant comme analystes, comme les parents aujourd’hui !) ; cette division fut en même temps assez provocante pour intéresser plus encore au contraire certains infirmiers (pas tous, loin de là) agacés par nos disputes théoriques et voyant là une possibilité de prendre en main un travail relationnel concret. Je les ai soutenus. Les patients concernés en ont tiré un réel bénéfice.

Si bien que Claudie ne s’est pas arrêtée là, elle a vite établi un suivi régulier des packs, elle a réalisé des séances de ‘contrôle’ des packs, puis de vrais cycles de formation qu’elle a eu l’intelligence d’étendre à d’autres équipes de Ville-Evrard et pas au seul secteur 14 du 9-3. Ainsi en quelques années ce travail de pack autour de quelques malades s’est prolongé et a diffusé tout au long de son séjour dans le service et dans la formation permanente, jusqu’à son départ en retraite entre 15 et 20 ans plus tard. En réalité il y a eu plus : le groupe de formation que Claudie Cachard a créé avec d’abord des membres du secteur, puis rapidement des membres d’autres équipes, a continué ses formations et a même réalisé des manifestations annuelles depuis, dans de nombreux départements (je pense à Poitiers où il y eut des rencontres autour d’aveugles et d’autistes jeunes). Il s’est encore exprimé cette année en mars aux 23èmes journées psychothérapiques de Dax (créées par Karavokyros à Laragne) où Pierre Delion et moi-même étions aussi invités. Le docteur Claudie Cachard y a puisé l’inspiration d’une grande part de ses livres écrits autour des situations « extrêmes » qu’elle connaît bien, les souffrances extrêmes nous amenant au-delà de nous-mêmes, à nos limites. Avec son groupe elle organise encore un colloque cette année. [Les 16 et 17 mai à l'EPS de Ville Evrard, 202 avenue Jean Jaurès, Neuilly sur Marne, 93330, Association Corps, psychose et psychanalyse ; ‘écrire' à JL Loyer, 15 rue des Deux Communes, 93110 Rosny sous bois]

C’est dire la vitalité, l’intérêt de ce travail psychothérapique que constituent les packs !!!

Pour conclure rappelons aussi que c’est une méthode qui est modeste, et reste modeste. Elle ne mobilise pas toute la psychiatrie, contrairement à ce que semble le dire la pétition non informée qui circule. Peu de soignants s’y consacrent. Elle ne peut se pratiquer que dans des équipes suffisamment nombreuses et soudées, ayant une formation permanente les soutenant, et dans ces équipes-là un choix se fait autour de quelques patients en grande difficulté de communication. Cet entourage psychothérapique collectif est certes complexe, et du coup a des retombées positives pour les autres patients du service.

Quand les patients ont de la famille, ceci est le cas toujours pour les enfants, des explications claires doivent être données aux parents.

Nous ne sommes pas étonnés, car c’est la nature humaine, que certains parents au cours du soin, changent d’avis sur ce point en raison de tristesses personnelles qu’ils n’arrivent plus à surmonter, et qu’ils reviennent sur leur décision. Tous les thérapeutes d’enfants le savent et s’efforcent d’être aussi proches que possible des parents, car aucun enfant, aucun adolescent ne peut être soigné en psychiatrie sans l’accord et l’accompagnement de ses parents.

En même temps nous ne pouvons laisser croire que les parents aient à jouer un rôle de thérapeute en plus de leur rôle si complexe de parent, la thérapie ne vient pas remplacer le rôle parental. Les deux sont absolument complémentaires.

Mais lorsqu’un parent mobilisé par sa propre souffrance inverse ces attitudes et prend un thérapeute pour cible de sa propre colère contre l’humain et ses souffrances, lorsqu’il le traite de terroriste, voire de criminel, la société doit défendre clairement ce thérapeute ; l’entourage de ces parents doit soutenir la famille pour qu’elle ne sombre pas dans une telle rage. Il faut aussi se défendre avec détermination contre les médias qui cherchent ‘à vendre leur papier en agitant le scandale et la souffrance’ à cette occasion, et qui ainsi accomplissent ainsi de véritables ‘crimes éthiques’.

Le calme est donc à retrouver, pour tous.

La situation de souffrance des parents et de leur enfant doit faire l’objet de l’attention de tout l’entourage. Une fois ceci réalisé, une fois apaisée l’émotion justifiée des personnes qui souffrent, nous sommes bien obligés de convenir que les personnes qui se mobilisent en signant une pétition qu’ils n’ont pas lue contre les packs doivent être prévenues qu’elles vont provoquer d’abord un énorme éclat de rire ! La peur d’un peu d’eau !!!

Ensuite il faut leur préciser tranquillement que ce soin est en réalité relativement rare dans la pratique des équipes. Qu’il existe depuis 40 ans pour les adultes comme pour les enfants et les adolescents. Il a de très bonnes indications dans les situations de psychoses (les autismes infantiles étant l’essentiel des psychoses de l’enfant). Il est à la fois très simple dans sa présentation objective, mais très complexe dans le travail psychothérapique qui l’accompagne et qui en est le centre.

Ainsi parler d’actes barbares à propos des packs dont la pratique est régulière et éprouvée fait preuve d’une totale ignorance. Les personnes qui signent une pétition sans savoir de quoi la pétition parle prennent un risque considérable, car, hélas à côté du rire et de la méprise, il y a l’attaque dramatique lancée contre un psychiatre qui fait son travail avec la plus grande honnêteté, la plus grande rigueur, et justement avec la plus extrême attention aux familles. Va s’y ajouter l’abandon du soin pour des malades qui en ont besoin.

Quand à la personne qui est nommément attaquée. Il se trouve que je connais Pierre Delion depuis longtemps, et que comme beaucoup j’admire sa précision, sa rigueur, son exigence dans toute sa pratique, laquelle est en continuité avec l’enseignement qu’il donne avec bonheur (hélas nous n’arrivons pas tous à avoir un discours où se reconnaît notre pratique), son respect de l’homme et sa capacité à faire connaître toutes les découvertes les plus modernes comme les anciennes en montrant leur convergence. Nous sommes nombreux à partager ce témoignage. Il connaît très bien les psychoses et a consacré une part de ses travaux à l’autisme. Il souligne à quel point actuellement nous sommes arrivés à un moment où nous pouvons établir des convergences convaincantes entre les neurosciences et la psychanalyse, à la suite, par exemple, des travaux du prix Nobel Kandel sur la ‘neuroplastie’ (capacité de nos neurones à continuer à se développer tout au long de notre vie et ainsi à intégrer tous les faits que nous vivons pour nous reconstruire en permanence, ce qui est le fond du travail de la psychanalyse). Un grand congrès international va se dérouler à Lille exactement sur ces convergences début juin à Lille. Le prendre pour cible n’est donc le fait que d’une vindicte personnelle, comme cela arrive dans toute profession publique.

Simultanément, nous savons que dans le cadre des troubles les plus graves, la souffrance des familles est extrême, en particulier pour les autismes parce que certains parents se sont sentis culpabilisés par des soignants (cela a été l’erreur de certains soignants à une époque). C’est une erreur grave de penser que l’autisme est du à de mauvaises relations familiales antérieures à 3 ans ; les origines en sont en réalité complexes et non encore claires ; par contre ce qui est sûr pour les traitements c’est que tous les abords sont utiles et complémentaires : éducatifs, médicamenteux, psychiques. Mais ils ne peuvent trouver leur cohérence que s’ils sont accompagnés et entourés d’un travail psychothérapique au long cours.

Les psychiatres et les soignants n’ont pas à déployer toute leur science pour défendre les packs en parlant de toute la psychiatrie, mais ils ont avec des mots simples à montrer la place de ce soin, en le replaçant dans l’ensemble des soins psychiques. La psychiatrie a besoin de soutenir ses efforts d’imagination pour continuer à créer de nouveaux traitements, mais dans la confiance.

Nous savons tous que les soins psychiques ne peuvent se développer que dans un environnement et une ambiance où règne la confiance mutuelle entre tous les intéressés et les partenaires. Nous devons nous battre pour arriver à cette confiance. C’est cette solidarité de base qui est le point le plus fort de notre combat collectif pour la psychiatrie à venir.