Sauvons la clinique

Je voudrais tout d ‘abord remercier l’équipe de la coordination provisoire de ces états généraux de la clinique , qui nous ont proposé de nous y associer.

1. avant de nous présenter brièvement je vais expliquer la raison de notre adhésion sans ambiguïté à ce projet. Je développerai ensuite rapidement l’origine de notre collectif, la situation actuelle et les questions dont nous souhaitons débattre.

J’ai lu récemment sur le site oedipe une mise en question de cette initiative sous cette forme « pourquoi se rassembler à nouveau ? » .. ; Pourquoi une initiative universitaro-centriste ne s’appuyant pas sur les créations innovantes d’ écoles de psychanalyse.

La question m’a paru suffisamment intéressante et utile pour préciser ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas et définir un cadre qui conviennent aux signataires actuels et futurs de ce manifeste,.

Cette question vaut pour trois raisons :

-d’abord n’étant pas universitaire, je ne me sens pas pris par les questions institutionnelles propres à l’université, même si elles me concernent dans la transmission et la formation de nouveaux professionnels en particulier les psychologues. Je ne suis pas , nous ne sommes pas centrés là dessus.

Le Comité de Vigilance des CMPP de l’Ouest est un mouvement constitué de nombreux professionnels qui ne sont pas tous, loin s’en faut, membres d’ une école de psychanalyse ou formés par l’université. Ces professionnels se reconnaissent pourtant dans une approche subjective de la clinique dont les fondements sont explicitement ceux de la psychopathologie et de la psychanalyse.

Il s’agit de collègues orthophonistes, psychomotriciens, psychiatres, assistantes sociales, psycho-pédagogues, secrétaires, directeurs administratifs, éducateurs, enseignants, médecins de PMI…

Certains ont fait une analyse, d’autres non, mais tous se sentent concernés par les effets dévastateurs dans les institutions, du scientisme, des simulacres de gestion des comportements et surtout des effets de laminoir qui démolissent des équipes expérimentées, en les divisant au gré des angoisses ou des ambitions de certains dirigeants.

Nous ne dissocierons pas ici le terme de clinique de celui d’institution sur lequel je reviendrai.

- second point : des universitaires prennent cette initiative en associant ainsi la transmission, l’interrogation des savoirs avec l’exercice des pratiques cliniques en institution. Ceci nous semble cohérent dans le positionnement social de l’université et une ouverture indispensable aux secteurs qui nous concernent. C’est d’une grande richesse, à la condition évidente d’en ouvrir le champ à tous ceux concernés par la clinique du sujet dans les institutions.

Cette initiative évidemment ne peut être confondue avec la construction subjective d’un savoir dans l’expérience singulière de la cure qui n’est pas du ressort de l’université. Mais elle concerne les universitaires chargés de cette transmission ce qui n’est pas simple.

La question de la transmission de la psychanalyse dans les institutions est aussi complexe : de quel savoir s’agit-il? sous quelle forme peut il se transmettre (groupes de travail etc…) et par qui ?

Ces questions sont incontournables. Je pense qu’il faudra les développer amplement lors des Etats Géneraux …

Mais toutes les préoccupations des cliniciens ne s’y résument pas.

Que des écoles de psychanalyse soient initiatrices d’institutions innovantes est un fait et enrichi considérablement l’apport de la psychanalyse dans le social et dans les institutions.

Faut il qu’elles soient les seules à le faire au risque de délimiter des bastions, des sectarismes et faire d’un certain discours psychanalytique un  discours normalisé (un discours-courant) ?

C’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse mais qui doit rester ouverte.

La psychanalyse, comme tout discours n’est pas à l’abri d’un glissement vers l’idéologie. A nous d’être prudent là dessus on y gagnera en rigueur et crédibilité.

Les Etats Généraux de la clinique tels que nous l’avons compris proviendront de l’apport de tous les collectifs : des universités peut être, de toutes les écoles psychanalytique qui le souhaitent aussi, mais avant tout des professionnels et des personnes touchées par cette gestion mécaniste de l’humain.

Ce qui passe par les questions des secrétaires qui reçoit les appels des patients à tous les autres mode de prise en compte d’une demande en institution. Cela passe aussi un travail de rassemblement :Des collectifs « anti–délation », à « pasdezérodeconduite » en passant par les syndicats ou les comités transversaux comme le nôtre. Ces liens, différents, sont indispensables.

C’est une précision nécessaire, autant vers certaines critiques de cette initiative que pour des adhérents du Comité de Vigilance des Cmpp que je représente. Je le fais d’autant plus tranquillement que je connais certains des auteurs de ce manifeste, comme Roland Gori et suis tout à fait confiant dans la volonté et la capacité de réunir tout en différenciant les champs.

Enfin Les ETATS GENERAUX DE LA CLINIQUE seraient ils un enième rassemblement,

Je ne le crois pas.

ILs n’ont pas le même objet.

Isolés nous prenons le risque du morcellement, voir d’une rivalité attisée par une mise en concurrence libéralisée (déclarée ouvertement « décomplexée ») attisée aussi par une déqualification des professions.

Autrement dit la division institutionnelle, lorsqu’elle va jusqu’à la déchirure prend le risque d’ obturer la division subjective propre à la clinique.

C’est un point qui me semble important.

Ces déchirures institutionnelles ne soutiennent en rien la clinique, elles ouvrent en grand une brèche qui permet de transformer le sujet de la clinique en une mécanique du moi dont il faudrait régler le curseur de la gestion efficace, entre une hyper-activité et une dépression (toutes 2 présumées et clivées comme si elles étaient incompatibles)

La gestion commerciale du concept de «  santé mentale » promue par le DSM4 peut des lors avancer sans encombre avec son corollaire : une organisation en libre service déclinant les différents produits proposés à l’usager consommateur : de la neuropsychologie en passant par les thérapies comportementales, le coaching ou des pseudo psychothérapies psychanalytiques mises sur le même plan et devenues du même coup évaluables.

Quelle place pour le patient qui parle et qui désire, pris dans ses conflits internes ,parlé aussi par ses symptômes ?

L’inconscient freudien, la sexualité infantile sont ils devenus obsolètes et tabous sans aucun lien avec le symptôme ?

Oui les Etats Généraux de la Clinique sont tout à fait nécessaire telle qu’elle que formulés par Fethi Benslama : sans « lamentation nostalgique prônant la restauration du monde d’hier… » mais pour éviter les déchirures institutionnelles et replacer l’humain au centre des dispositifs. Il s’agit d’un cas d’ extrême urgence. On peut déjà constater les conséquences sociales de cette mutation et même en approcher le coût.

En analyser les causes, faire des propositions est aujourd’hui indispensable c’est ce que nous avons essayé d’aborder dans notre dernier ouvrage : «  Patients et Institutions dans la folie évaluative. »1

Pour situer le Comité de Vigilance des CMPP de l’Ouest Je rappellerai que les éléments déclencheurs, pour les 5 CMPP Finistériens, fut l’annonce de la mise aux normes de « bonnes pratiques » référencées à la loi de 2002-2 et celle d’indicateurs médicaux sociaux en deux phases, l’une administrative et financière, l’autre portant sur la clinique.

Les premiers indicateurs sont déjà en place. Ils mettent d’emblée en concurrence les structures entre elles, favorisant les « pool de structures » ou les grands ensembles, au détriment des petites institutions locales, de province entre autre

Les seconds sont en attente ( référencés au DSM 4) mais l’effet d’annonce a suffit : Dans un grand nombre d’établissement ça conduit à une débâcle des fondements théoriques et cliniques des pratiques et surtout une impossibilité à se parler, même dans les réunions de synthèse concernant les patients.

Le résultat est dramatique évidemment pour les patients, mais aussi pour les professionnels.

Schématiquement il y aurait d’un côté, les pratiques, référencées à la psychanalyse, et d’un autre les « nouvelles » pratiques axées sur les neurosciences ( à distinguer de la neurologie), les théories comportementales et l’industrie pharmaceutique.

Entre les deux, beaucoup de jeunes praticiens perdus, défendus par un récent savoir universitaire, poussés par la nécessité de s’affirmer pour trouver du travail, et des directions qui cherchent d’où pourrait venir le vent.

Certains CMP( secteurs hospitalier) nous ont rejoint pour organiser une première rencontre inter -institutionnelle à Brest en Juin 2004.Une coordination de l’Ouest s’est mise en place avec des collectifs du Morbihan, de Mayenne et d’Ille et Vilaine.

Nous en avons publié , l’Acte 1 « Le patient est il encore quelqu’un ? » livre que nous avons réédité, qui est disponible sur commande.

De nombreux articles ont suivis pour sensibiliser et réunir les professionnels sur ce fait de culture. Des rencontres vers les politiques, les journaux ont aussi eu lieu.

Une autre initiative a consisté à la réalisation d’un ouvrage collectif de témoignages et d’analyses de professionnels, de secteurs et lieux géographiques extrêmement divers, de l’enseignant au directeur général d’ établissements médicaux sociaux en passant par des professionnels de la psychiatrie adulte ou infanto-juvénile.

Ce livre « Acte 2 :  patients et institutions dans la folie évaluative » est sorti en Février. Il s’attarde d’avantage sur l’idée même d’ institution (j’y reviens) l’institution comme véritable outil clinique et non comme simple plateau technique modifiable à l’envie au gré des restructurations.

Ces témoignages cliniques sont très importants. Ils ne concernent pas que les établissements ou ça va mal mais éclaire des pratiques très riches lorsque les gens se parlent et tentent de trouver ensemble des chemins de traverse et des espaces non comblés par la frénésie législative. Il y en a encore.

Mais un certain nombre vont mal, très mal même et l’on ne voit pas comment un patient peut s’appuyer sur une institution qui va mal.

Un lieu thérapeutique doit pouvoir être attaqué au moins psychiquement sans être détruit, pour permettre une pensée de l’acte, une élaboration thérapeutique.

Or il est frappant de constater que la question de l’adaptation des institutions aux nouvelles normes, en passant notamment par la loi de 2002-2 et ses protocoles d’évaluation abouti exactement au contraire d’un effet thérapeutique : au blindage des institutions, a fabriquer et ouvrir des parapluies pour ne pas être attaqué juridiquement.

Tout ceci évidemment au nom de l’usager.

La supercherie a beau être évidente, tenir aujourd’hui un discours qui met en cause les protocoles d’évaluation est difficile. La raison en est simple , le patient croit être libéré du pouvoir médical en ayant son mot à dire ; il ne voit pas qu’ on le fait simplement passer « avec son consentement éclairé » de l’objet de soin de la médecine vers un autre objet, qu’il accepte parfois dans un ravissement préconscient : celui de l’usager consommateur de soin, satisfait et bâillonné.

Il y a aussi la pression de lobby associatifs qui se leurrent en pensant y trouver un appareillage identitaire.

Je n’irai pas plus loin sur ces questions aujourd’hui, nous l’évoquons ailleurs mais il me semble que ces concepts d’institution et d’évaluation concernent les Etats Généraux de la Clinique.

Ces différentes réflexions que nous avons commencé à développer , ainsi que l’importante journée d’étude du 20 octobre prochain à Brest sur le thème «  le savoir expert créera t-il l’homme de demain » ont eu des effets intéressants mais paradoxaux qu’il faut avoir la lucidité de reconnaître. Je m’en explique :

Le comité de vigilance est au départ une petite structure départementale finistérienne qui s’est élargie par le contact d’autres CMPP et CMP régionaux. Nous étions une bonne centaine à la première assemblée générale locale en 2004.

Aujourd’hui le nombre d’adhésions augmente tous les jours du fait des publications et de ce travail de réflexion et d’analyse. Ceci un peu partout en France avec souvent des adhésions individuelles isolées qui compte sur nos initiatives et la soutiennent, peut être aussi pour se soutenir dans des équipes en difficulté.

Par contre la dynamique locale est actuellement essoufflée entre la fin de l’Acte 2 et la préparation de la journée d’étude du 20 Octobre.

En schématisant très rapidement, beaucoup de collègues trouvent importants que « ça existe » mais ne s’y impliquent pas ce qui est un phénomène associatif classique. Certains trouvent aussi un décalage entre l’énergie nécessité par ces initiatives et les préoccupations quotidiennes des établissements .

Je pense qu’il n’y pas d’incompatibilité et qu’un repli serait suicidaire.

On peut l’illustrer par la situation même de certains établissements que nous avons vu changer en 3, 4 ans avec des collègues et amis de longue date. Certains , extrêmement expérimentés se sont vus divisés et isolés. La réflexion que nous entendons devient alors «  ça pourrait être encore pire alors a quoi bon  mettre de l’huile sur le feu! » Comme une attitude vitale d’auto défense.

Dans celles qui travaillent encore du mieux possible, avec une cohérence de fondements théoriques et des associations gestionnaires qui ne cherchent pas à anticiper des textes qui n’existent pas, nous entendons un autre type de réflexion « vous dramatisez beaucoup, nous avons fait un gros travail d’étude des textes législatifs, en fait c’est une usine à gaz qui ne pourra pas fonctionner … ». Entre ces deux extrêmes il y a bien sûr toutes les nuances.

Nous en sommes là. Ceci est à prendre en compte dans notre engagement pour ces Etats Généraux de la Clinique que nous souhaitons.

Nous devons construire avec cette réalité associative que nous relançons sur le plan local par des initiatives plus proches des préoccupations quotidiennes des équipes. Le contraire risquerait de nous transformer en une nébuleuse et n’aboutirait à rien.

Nous ferons donc tout ce qui est à la mesure de notre collectif local avec ses limites dont nous tenons compte, mais aussi le désir soutenu d’un certain nombre , dont je fais parti.

Pour terminer quelques pistes et questions pour cette préparation

Quelle sera l’ adresse de ces Etats Généraux ?

Qu’en attendons nous ?

Quelles stratégies à élaborer pour faire reconnaître le symptôme indissociable d’une parole singulière non réductible à un trouble à éradiquer ? ( démarcation radicale du DSM 4)

Comment faire entendre l’évidence d’un dérapage dramatique et contre productif : la réduction de toute la complexité de la clinique psychopathologique en une rééducation fonctionnelle des comportements.

Comment arrêter la transformation des institutions de soin psychique en garages pour troubles répertoriés, isolés de toute analyse environnementale et politique.

Comment constituer ou renforcer des institutions expérimentées aux fondamentaux suffisamment solides pour accompagner la créolisation du monde, les mutations de la culture et l'évolution rapide des sciences ?

  • 1.

    Les deux livres Acte 1 et Acte 2 sont disponibles chez Lypsi à Paris ou à commander :

    Comité de Vigilance des Cmpp 204 rue de Verdun 29200 Brest

    Acte 1 « Le patient est il encore quelqu’un? » prix 11euros (frais de port inclus)

    Acte2 « Qui sait ? Patients et institutions dans la folie évaluative » prix 13 euros (frais de port inclus)